I. SYNTHÈSE DE LA PROBLEMATIQUE

1 - Les infections nosocomiales constituent un problème sérieux de santé publique, mais ne représentent qu'une partie des accidents médicaux, précisément 22% d'après l'enquête ENEIS.

On peut ainsi défendre que la priorité en termes de résorption de non qualité dans le système de soins serait à porter plutôt sur les accidents médicamenteux, en particulier les anticoagulants, et qu'à tout le moins, il conviendrait d'avoir une vue d'ensemble et une gestion d'ensemble des risques médicaux.

2 - Les résultats des études épidémiologiques indiquent que la France se situe dans une position favorable par rapport à ses voisins européens sur de nombreux indicateurs.

D'après les résultats Helics déjà mentionnés dans le chapitre sur l'épidémiologie, la France se situe toutes strates confondues 2 ème sur 8 pour les cholécystectomies, 4 ème sur 14 pour les prothèses de hanche, 5 ème sur 8 pour les césariennes, 6 ème sur 9 pour les colectomies, 3 ème sur 4 pour les laminectomies, et 6 ème sur 7 pour les pontages coronaires.

Pour les interventions "propres", en strate 0 du NNIS, les résultats sont les suivants : 1/8 pour les interventions sur la vésicule (0.39), 4/9 pour les colectomies (5.90), 5/8 pour les césariennes (2.74), 8/14 pour les prothèses de hanche (1.88), 6/6 pour les laminectomies.

Ainsi, les résultats sont contrastés et des efforts particuliers sont à faire dans trois spécialités : la césarienne, où certains pays sont en dessous de 1%, la chirurgie cardiaque, les laminectomies. Les résultats sont très bons en chirurgie abdominale et digestive, et corrects en orthopédie.

A noter que dans les pays les plus en pointe dans la lutte contre les BMR, notamment la Hollande, les résultats en taux d'IN pour la plupart des interventions (en orthopédie par exemple) sont moins bons que les chiffres français. L'accent n'est pas mis apparemment sur le même type de mesures préventives.

Ainsi, tout en rappelant les bonnes positions acquises, des progrès sont encore possibles.

3 - Le thème des IN constitue en outre un « moteur » intéressant dans les programmes d'amélioration continue de la qualité,

au même titre que des thèmes comme l'accueil du malade ou la prévention des escarres (même si le lien entre qualité des soins et incidence des IN n'est pas forcément direct en raison des problèmes d'imputabilité).

Il s'agit d'actions qui engagent l'ensemble des services d'un établissement, de façon concertée, avec la rédaction et la diffusion de protocoles, la mise en place de programmes de formation, etc. Quand un établissement présente des indicateurs favorables sur la prévention des IN, il est probable que la qualité de soins dans son ensemble soit satisfaisante. En d'autres termes, les IN ne constituent pas le seul ni peut-être même le principal thème à étudier en matière de qualité des soins, mais elles représentent un des meilleurs « marqueurs » pour apprécier le niveau de qualité d'un établissement (à pondérer en fonction du case-mix et des facteurs de risque présents dans la population recrutée).

4 - De multiples actions sont d'ores et déjà engagées, en matière de veille, de diffusion de recommandations, de mise en place d'équipe d'hygiène dans les établissements...

Revenons sur les principaux acquis.

o Les recommandations existent au niveau national, rédigées par des sociétés savantes comme les référentiels rédigés par la Société Française d'Anesthésie et Réanimation sur les conduites à tenir en pré-opératoire, la conférence de consensus organisée par la Société Française d'Hygiène Hospitalière (Gestion pré-opératoire du risque infectieux, conférence 5 mars 2004), les recommandations du CTIN sur la désinfection en anesthésie-réanimation (ministère de la Santé, juin 2002), etc. Au niveau européen de même, des recommandations existent ou, pour certaines, sont en cours de préparation.

o Le dispositif de surveillance et d'alerte devient de plus en plus efficace (Institut de Veille Sanitaire, RAISIN, CCLIN) ; les données recueillies sont de bonne qualité et permettent à la France de participer activement au projet de surveillance des IN en Europe.

o Les équipes opérationnelles d'hygiène se mettent en place dans l'ensemble des établissements. Le dernier bilan effectué par la DHOS début 2006 indiquait que 69% des établissements disposaient d'une telle équipe, dont 46% en outre respectaient les normes édictées (1 médecin ou pharmacien hygiéniste pour 800 lits, 1 IDE pour 400 lits).

o Le grand public connaît les infections nosocomiales, en estime à peu près justement le taux, même si les ¾ se considèrent encore insuffisamment informés.

o Le dispositif juridique est très protecteur, depuis 2002, pour les victimes des IN en secteur hospitalier, la solidarité nationale étant activée pour tous les accidents majeurs (décès ou IPP>24%).

o Et surtout, Le ministère de la Santé a engagé un Programme National de lutte contre les IN 2005-2008, qui développe de nombreuses mesures, avec cinq axes majeurs que nous pouvons rappeler :

adapter les structures et faire évoluer le dispositif de lutte contre les IN

améliorer l'organisation des soins et les pratiques des professionnels, en prévoyant notamment un renforcement de la formation initiale et continue dans le domaine de l'hygiène

optimiser le recueil et l'utilisation des données de surveillance et de signalement des infections nosocomiales

mieux informer les patients et communiquer sur le risque infectieux lié aux soins

promouvoir la recherche sur les mécanismes, l'impact, la prévention et la perception des IN.

o De même, le plan national pour préserver l'efficacité des antibiotiques a énoncé des mesures importantes en cours d'application (plan 2001-2005).

5 - Pour poursuivre les progrès engagés, les voies de changement passent maintenant avant tout par des changements de comportement,

ce qui est évidemment l'objectif le plus difficile à atteindre. Ces changements de comportements attendus concernent tous les acteurs.

Les professionnels de santé en premier lieu, qui doivent adopter des comportements d'hygiène en phase avec les recommandations diffusées. Le thème du lavage (ou plutôt désinfection) des mains est lancinant, devenue si banal qu'on en avait sans doute un peu oublié l'importance. Ce n'est pas la seule mesure à faire adopter de manière généralisée, pour tous les professionnels et tous les actes, mais elle est exemplaire des changements à poursuivre. L'autre thème majeur est l'hygiène au bloc opératoire.

L'orthopédie est la spécialité la plus délicate sur ce plan, car la mise en place d'un corps étranger induit localement une situation d'immunodépression qui se traduit par une forte réduction de la dose infectante de bactéries. Les bactéries responsables des ISO proviennent soit de l'air de la salle d'opération, soit plus fréquemment de la peau du patient, avec fréquence importante du portage nasal. Les règles d'hygiène sont donc impératives, sachant que tous les efforts sont faits pour adapter la structure et l'organisation du bloc à ces contraintes : surfaces adaptées, traitement de l'air, circuits multiples, procédures qualité, antibioprophylaxie... Une architecture adaptée, les flux laminaires en chirurgie osseuse aseptique (prothèse) sont indispensables.

Reste à adapter les comportements à la rigueur requise, car il restera toujours inutile d'avoir des locaux superbes si les comportements ne sont pas contrôlés ! Les mesures de prévention sont connues : discipline de fermeture des portes, limitation du nombre et des mouvements de personnes dans les salles d'intervention, garantie d'un temps de repos de la salle entre chaque intervention, port de tenue correcte...

Une étude spécifique a été réalisée au CTO de Strasbourg sur ce thème des comportements (Muriel Ledoux, Jeannot Gaudias), sur la base de la rédaction d'un protocole des comportements et d'une formation de l'ensemble des personnels. L'évaluation du personnel (à son insu) a été menée avant la mise en place du protocole, lors de la mise en place de celui-ci et six semaines après ; les résultats sont édifiants 21 ( * ) .

« Les résultats furent pour le moins troublants...

§ Au vestiaire, à peine la moitié des personnes se lavaient les mains après avoir quitté la tenue civile et avant de prendre le pyjama de bloc opératoire, les hommes se lavant plus souvent les mains que les femmes !

§ Les portes automatiques verrouillant l'accès aux salles d'urgence ou au bloc réglé, sensées marquer le passage d'une `douane' nécessitant le lavage des mains et un mécanisme d'autocontrôle sur l'adéquation de sa tenue et de son comportement étaient bloquées en position ouverte dans environ 40% des cas sur la période de mesure.

§ Les mains des soignants portaient des bijoux ou une montre dans 57% des cas.

§ Le masque n'était pas porté dans 15% des cas en salle d'induction anesthésique juste à côté de la salle d'opération.

Les constatations faites déclenchèrent la rédaction d'un règlement de comportement au bloc opératoire et sa diffusion individualisée par courrier assortie d'une lettre du CLIN dont l'objectif était la sensibilisation et l'incitation à une amélioration des pratiques individuelles. Un deuxième audit réalisé quelques semaines après cet effort de sensibilisation montra une amélioration relativement modeste mais néanmoins évidente des comportements des personnes travaillant au bloc opératoire. A quelques mois de distance de ces efforts de formation et de sensibilisation, un troisième audit voulut vérifier la pérennisation des progrès observés et conclut à un retour à la situation initiale. »

L'intérêt et l'usage du lavage antiseptique (une minute) ne semblent pas compris. Le seul geste correctement effectué est le lavage chirurgical des mains.

Les difficultés proviennent semble-t-il de la sous-estimation du risque infectieux, de la difficulté de faire le lien entre des comportements non conformes sur des détails et l'accroissement du risque, de la pérennisation des comportements adéquats si notamment les chirurgiens et les anesthésistes ne « donnent pas l'exemple ».

MC Pouchelle, sociologue, note ironiquement après une analyse de type ethnologique dans des blocs opératoires 22 ( * ) : « Médecins et chirurgiens se comportent donc parfois comme si, naturellement propres en raison de leur fonction, ils ne sauraient être eux-mêmes des vecteurs d'infection. » La formation et l'audit ne suffisent pas à opérer cette transformation, il faut trouver d'autres leviers, axés sur les comportements. Un règlement plus contraignant, dont l'application serait confiée à un chef de bloc, aura toujours du mal à être mis en oeuvre, interagissant trop directement avec l'organisation des pouvoirs au sein d'un bloc. Des mesures incitatives seraient à rechercher.

L'exemple de la sécurité en aéronautique est souvent cité en exemple et pourrait en effet inspirer certaines mesures. Le principe de base est qu'il n'y a pas de détail, et que toute la chaîne d'événements est importante.

Il faut aussi que tous, patients, professionnels, pouvoirs publics, changent une certaine vision des choses qui peut se résumer dans le discours simpliste : « surveillons de près toutes les IN, et sanctionnons les établissements les plus fautifs ». Nous avons vu déjà que de nombreuses IN ne sont pas évitables et ne sont pas liées à des erreurs médicales, et surtout, dans un esprit d'amélioration continue de la qualité, il s'agit de délivrer un message positif, de trouver des méthodes pour promouvoir les établissements les mieux positionnés sur les indicateurs de prévention des IN, d'engager des procédures d'audit interne, etc. afin de placer les établissements dans une dynamique positive. En outre, si des sanctions, quelle qu'en soit la nature, étaient mises en place à l'encontre des établissements moins bien positionnés, il est probable que le recueil d'informations servant à alimenter le diagnostic serait rapidement perverti. En d'autres termes, il vaut mieux mettre l'accent sur la qualité que sur la non qualité !

Il faut enfin que la loi soit appliquée en matière d'information des patients atteints d'une IN. Certes, de nombreuses IN ne sont pas évitables et ne constituent qu'un des risques à courir lorsqu'on engage telle ou telle procédure thérapeutique, mais si une IN se déclare, il faut que le patient en soit informé, connaisse les conséquences possibles, comprenne ce qui est arrivé, etc. Cette information est souvent déficiente, et là aussi entrent en jeu des problèmes de comportement, de difficultés pour le corps médical à partager l'information avec le patient, alors même que le patient est le premier concerné !

La mise en place récente d'un site internet et d'une ligne téléphonique d'information spécifique sur les IN à l'HAS (Mission nationale d'information et de développement de la médiation sur les infections nosocomiales, présidée par A.M. Ceretti) va dans le sens de la diffusion de l'information sur les IN en général.

* 21 Tirésias, volume III, Prévention des infections en chirurgie orthopédique : 02 Comportements humains en salle d'opération, pp 15-17.

* 22 Tirésias, vol III, déjà cité.

Page mise à jour le

Partager cette page