III. LA PRISE DE CONSCIENCE RÉCENTE DOIT ÊTRE PROLONGÉE PAR DES ACTIONS AUX PLANS NATIONAL ET AU NIVEAU EUROPÉEN

L'élargissement de 2004 puis la polémique autour de la directive Bolkestein ont eu le mérite de permettre une large prise de conscience, d'ores et déjà relayée par de nombreuses initiatives qu'il convient d'accentuer par une action à plusieurs niveaux.

A ce titre, votre commission des affaires économiques estime que le cadre juridique communautaire doit être sécurisé afin de voir son respect mieux assuré. Quant aux acteurs qui contribuent à sa bonne application, ils doivent être confortés dans leurs missions afin de permettre que l'Europe du BTP se construise par le haut.

A. IL EST NÉCESSSAIRE ET URGENT D'AGIR

1. A problématique spécifique, réponse spécifique

Si les indices qui alertent les services de contrôle, tels que l'inspection du travail, sont assez classiques, comme par exemple l'irrespect des règles de sécurité et des horaires de travail, le dumping intra-européen ne peut être identifié et combattu qu'avec des outils distincts de ceux utilisés traditionnellement au titre de la lutte contre le travail illégal.

D'ailleurs, la plupart des fraudes aux règles de détachement ne relèvent pas du travail illégal , ce dernier ne recoupant que très partiellement les fraudes au détachement .

L'expression « travail illégal » désigne juridiquement
six catégories de fraudes majeures à la législation sociale

- Le travail dissimulé : dissimulation d'activité, d'emploi salarié ou d'heures travaillées ;

- Le marchandage : fourniture de main-d'oeuvre dans un but lucratif ;

- Le prêt illicite de main-d'oeuvre : en dehors de la réglementation sur le travail temporaire ;

- L'emploi d'un étranger démuni de titre de travail ;

- La fraude aux revenus de remplacement ;

- Le cumul irrégulier d'emplois.

Le non respect des conditions de travail imposées par les minima du pays d'accueil ne signifie pas pour autant que le travail accompli est illégal 59 ( * ) . Dès lors, les nombreuses actions déjà entreprises en France au titre de la lutte contre le travail illégal ne dispensent pas d'une action spécifique relative aux conditions de travail des salariés détachés.

2. Une action dans l'intérêt de la France comme de ses partenaires européens

La démarche proposée par la commission des affaires économiques ne procède pas d'une volonté de protectionnisme mais du souci de voir respecter les règles que l'ensemble des Etats membres se sont fixées pour le bon fonctionnement du marché européen.

D'ailleurs, de même que l'élargissement de l'Union constitue une opportunité pour l'économie française, le non-respect des règles de concurrence nuit aussi aux intérêts des pays d'origine de ces travailleurs . En effet, la fraude aux règles du détachement chez nous correspond souvent à une fraude aux déclarations fiscales ou sociales dans les pays d'origine.

Dans les cas les plus bénins, le non respect des salaires minimaux du pays d'accueil lèse les administrations du pays d'origine qui auraient dû percevoir des prélèvements sur des revenus plus importants. Mais dans des cas plus graves, la non déclaration du détachement auprès du pays d'accueil s'accompagne d'une absence d'information, pourtant obligatoire, des organismes de sécurité sociale du pays d'origine. Ceci ouvre la voie à des phénomènes d'évasion de revenu ou à des usurpations de statut social. Ainsi peut-il arriver qu'un « salarié détaché » en France sur un chantier bénéficie dans le même temps de prestations de chômage en Pologne ou en Espagne.

La perte pour l'administration du pays d'origine se traduit aussi par le fait que, en qualité de ressortissants européens, les travailleurs concernés ont accès aux soins dans le pays d'accueil. A charge ensuite pour les organismes de sécurité sociale de ce pays d'obtenir le remboursement des frais engagés auprès des caisses du pays d'origine 60 ( * ) . Ces dernières vont ainsi devoir payer des prestations à un prix souvent très supérieur à celui des soins prodigués à domicile, sans avoir reçu en contrepartie les cotisations afférentes aux revenus plus élevés précisément perçus du fait d'une activité dans un pays socialement plus avancé.

Devant la multiplication de ces situations, d'aucuns considèrent que la seule solution réside dans la mise en place de l'harmonisation fiscale ou sociale européenne prônée par la France, et que le plus raisonnable est d'attendre que ces pays opèrent un rattrapage économique et adoptent notre modèle social.

Sans méconnaître la tendance au rattrapage qui est déjà l'oeuvre, votre commission des affaires économiques estime toutefois qu'une action immédiate doit être engagée, faute de quoi la situation pourrait s'aggraver. Elle estime même que les choses pourraient empirer si des actions n'étaient pas engagées aujourd'hui.

3. Ne pas se contenter d'attendre le rattrapage économique des nouveaux pays de l'Union

La richesse par habitant de dix nouveaux pays de l'Union équivaut aujourd'hui à 50 % de la nôtre . Si le rattrapage économique conservait un rythme identique à celui constaté depuis 1997, ces niveaux de richesse seraient égaux dans... 66 ans 61 ( * ) . Certes, en réalité, ce délai devrait normalement être réduit grâce à l'intégration européenne. Mais les dysfonctionnements actuels du marché du travail risqueraient de devenir de plus en plus problématiques si aucune action n'était engagée dans les années qui viennent.

a) Des risques immédiats

D'une part, depuis un peu plus de deux ans ont été mises en place de véritables filières structurées de prêt de main d'oeuvre dans le secteur du BTP, dont on peut craindre qu'elles ne finissent par créer des habitudes, notamment pour les salariés détachés hors des conditions réglementaires. Les autorités françaises chargées de suivre ces questions s'inquiètent d'ailleurs du point de savoir si l'ouverture très récente des possibilités d'emploi direct de salariés par des entreprises françaises sera effectivement de nature à diminuer l'activité de ces réseaux et ce, alors même qu'une embauche dans une entreprise française offre aux travailleurs concernés des conditions plus intéressantes que le passage par des intermédiaires. Cet exemple rappelle qu'il est risqué de laisser perdurer, même quelques années, des abus ou des situations de non respect du droit.

b) Une possible aggravation à terme

Sans correction, les effets pervers actuels risqueraient fort d'être accentués par l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie, confirmée pour le 1 er janvier 2007. En effet, quelles que soient les périodes transitoires aménagées en termes de libre circulation des travailleurs, il convient de rappeler qu'elles n'affectent nullement la libre prestation de services, qui a pour corollaire le libre détachement de salariés ou la libre intervention de travailleurs indépendants. Sans mise en place d'un système garantissant un meilleur respect du droit communautaire, il n'y aucune raison que les risques constatés aujourd'hui ne soient pas amplifiés demain à la faveur de ce nouvel élargissement.

Un autre événement  pourrait aggraver l'effet des dysfonctionnements actuels : un retournement de la conjoncture dans le secteur de la construction. La diminution de la demande aviverait encore la concurrence par les prix, conduisant les entreprises respectueuses du droit à être encore plus désavantagées qu'aujourd'hui au point de connaître une baisse de leur activité. Il convient d'anticiper un tel risque en rétablissant autant que possible la loyauté du cadre concurrentiel .

Pour toutes ces raisons, votre commission des affaires économiques estime urgent de proposer dès aujourd'hui une accentuation des efforts déjà accomplis, en particulier en consolidant l'existant.

* 59 Sont traditionnellement distinguées : la lutte contre le travail illégal, la lutte contre l'immigration clandestine et le contrôle des conditions de travail, les problèmes rencontrés au sujet du détachement se rattachant pour une très large part à cette dernière catégorie.

* 60 Selon le système traditionnel posé par le règlement (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971.

* 61 En effet, le PIB par habitant des dix nouveaux Etats membres, qui représentait 44 % de celui des pays de l'Union à 15 en 1997, en représente 50 % en 2005, soit une réduction de l'écart de 0,75 point par an. Source : Commission européenne, communication du 3 mai 2006, COM (2006)200 final.

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