C. EN MARGE DU DÉTACHEMENT DES SALARIÉS, D'AUTRES RISQUES EXISTENT

1. Les possibles abus du statut de travailleur indépendant

Si l'essentiel des abus observés concerne le détachement des travailleurs, force est de constater que le statut juridique des travailleurs indépendants est en principe beaucoup plus propice aux distorsions de concurrence. En effet, si le travailleur détaché devrait juridiquement bénéficier du « noyau dur » des droits des travailleurs du pays d'accueil, il n'est en revanche absolument rien prévu de tel pour les travailleurs indépendants. Il est vrai que ces derniers sont à eux-mêmes leur propre entreprise et qu'à ce titre, bénéficient pleinement du principe de libre prestation de service, qui inclut la libre fixation de leurs prix.

Il ne serait ainsi pas impossible qu'un artisan maçon ou plombier polonais propose en France ses services au salaire polonais, c'est-à-dire par exemple autour de 300 ou 400 euros par mois.

Une méthode supplémentaire de contournement des règles du détachement pourrait ainsi consister à présenter certains travailleurs comme des artisans indépendants , quitte, pour être absolument en règle, à les inscrire en cette qualité sur les registres professionnels de leur pays d'origine juste avant leur envoi sur un chantier 52 ( * ) .

Pourtant, ce type de fraude ne semble que peu utilisé en France. A l'inverse, on constate plutôt que des travailleurs relevant du régime des indépendants dans leurs pays sont parfois recrutés pour être envoyés sur un chantier français comme salariés détachés. Même si elles ne sont pas sans explications 53 ( * ) , ces situations sont apparemment paradoxales car elles ont pour effet de soumettre ces travailleurs aux règles de salaire minimum alors que leur situation d'origine ne le justifiait pas.

Il convient toutefois d'être vigilant vis-à-vis des évolutions du phénomène des « faux indépendants », compte tenu de la gravité de ses conséquences potentielles et des abus déjà constatés chez nos voisins, en particulier en Allemagne, avec le cas d'école des « carreleurs polonais ».

Les « carreleurs polonais » en Allemagne

Les autorités fédérales ont constaté avec étonnement que plusieurs milliers d'artisans carreleurs indépendants originaires de Pologne étaient envoyés chaque année en Allemagne.

Il s'est en fait avéré que de nombreux travailleurs polonais du bâtiment s'étaient, quelles que soient leurs spécialités réelles, effectivement inscrits comme carreleurs indépendants, dans la mesure où les modalités d'inscription en tant qu'artisan dans cette profession sont plus ouvertes que dans d'autres spécialités professionnelles en Pologne.

2. A la concurrence sociale s'ajoute la concurrence fiscale

Il existe un biais fiscal spécifique au secteur du BTP , qui tend à favoriser les entreprises étrangères intervenant sur un chantier en France. Cet effet est sensible pour l'ensemble des impôts.

a) Un avantage légal en matière d'impôt sur les sociétés et de taxe professionnelle

La combinaison des dispositions du code général des impôts 54 ( * ) et des conventions fiscales internationales 55 ( * ) aboutit à n'imposer sur le territoire français que les chantiers de construction ou de montage étrangers qui constituent des établissements stables, c'est-à-dire dont la durée excède douze mois.

En deçà de cette durée 56 ( * ) , l'activité de l'entreprise étrangère ne donne lieu ni au paiement de la taxe professionnelle, ni à celui de l'impôt sur les sociétés. Ce dernier est payé dans le pays d'origine de l'entreprise où, s'agissant des dix nouveaux Etats membres de l'Union, son taux est en moyenne deux fois inférieur au taux français : 33, 3% en France pour 16 % en moyenne dans ces pays (19 % en Pologne).

b) Des règles de TVA traditionnellement vulnérables aux fraudes

Le principe posé par le droit communautaire est que les prestations se rattachant à un immeuble doivent être soumises à la TVA du pays dans lequel l'immeuble est situé 57 ( * ) . Toutefois, il a pu arriver, en particulier dans le bâtiment, que des entreprises étrangères, identifiées de façon douteuse, facturent la TVA à leurs clients sans jamais la reverser à l'administration fiscale, en particulier depuis qu'en 2002 la France a dû supprimer, pour les entreprises européennes, l'obligation de disposer d'un représentant fiscal. La fraude se traduisait alors par une perte définitive pour le Trésor ainsi que par un dumping par les prix vis-à-vis des concurrents français, d'autant plus qu'en matière de construction neuve, le taux de TVA est de 19,6 % et non de 5,5 %.

Hors des cas caractérisés de travail illégal, ces fraudes devraient toutefois commencer à prendre fin. En effet, le 1 er septembre 2006 est entré en application le mécanisme d'autoliquidation de la TVA 58 ( * ) , selon lequel il revient désormais aux clients professionnels et non plus aux prestataires de collecter la TVA et de la verser aux services fiscaux.

c) Des différences connues s'agissant de l'impôt sur le revenu

Sans qu'il soit ici question d'un biais propre au secteur du BTP, il convient de rappeler que les taux d'impôt sur le revenu applicables aux salariés dans les nouveaux Etats membres sont eux aussi très sensiblement plus bas que ceux pratiqués en France. Ainsi le taux d'impôt maximal en Pologne est de 35 %, soit 13 % de moins qu'en France, un différentiel de 15 % environ se retrouvant pour l'ensemble des tranches.

En définitive, la concurrence nouvelle à laquelle sont confrontées nos entreprises de BTP apparaît pour partie déloyale , dans la mesure où une de ses composantes tient à des fraudes ou à des abus venant s'ajouter à un écart de coût déjà très sensible.

Face à cette situation, votre commission des affaires économiques estime que le fatalisme ou la résignation ne sont pas de mise.

* 52 Bien entendu, en cas de contrôle, l'administration française se réserverait le droit de requalifier la relation de travail au vu des liens de subordination entre ces « indépendants » et les entreprises utilisatrices. L'usage du terme d'indépendant n'en représenterait pas pour autant un risque supplémentaire puisque le contrôle de l'autonomie véritable des travailleurs est déjà effectué par l'inspection du travail pour les salariés détachés.

* 53 Cette formule permet aux intermédiaires de se rémunérer plus sûrement car ce sont eux qui facturent aux entreprises clientes en France.

* 54 Principalement son article 209-I.

* 55 Qui sont basées sur le modèle de convention établi par l'OCDE, dont l'article 7 traite du cas des chantiers de construction.

* 56 En vertu du principe de « réalisme » du droit fiscal, l'administration n'hésite cependant pas à imposer les entreprises qui découpent une même grande opération en plusieurs chantiers de onze mois ou qui, sans disposer d'un siège social officiel en France, y possèdent toutefois leur siège de « direction effective ».

* 57 Article 9.2.a de la directive n° 77/388/CEE en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, dite « sixième directive TVA ».

* 58 Prévu par l'article 94 de la loi de finances rectificative pour 2005.

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