CONCLUSION : LA RÉFORME À LA FRANÇAISE N'A PAS L'AMPLEUR DE CELLE RÉALISÉE AU COURS DES ANNÉES 1990 AU CANADA...

La réforme de l'Etat paraît dorénavant bien engagée. Il s'agit avant tout d'une profonde transformation des « fonctions support », reposant sur un toilettage déterminé des structures et des procédures.

Elle ne permettra pas de « grand soir » de la dépense publique . Au mieux, aux 3 milliards d'euros d'économies en 3 ans déjà « détectés » par le ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat devraient s'ajouter 3 autres milliards d'euros, qui pourraient être engrangés de manière décalée dans le temps. Au total, 6 milliards d'euros en 6 ans pourraient être économisés, en six ans, grâce aux audits de modernisation, soit un milliard d'euros par an.

Ces montants ne sont pas négligeables. Ils doivent pourtant être mis en perspective avec l'inflation des charges sur lesquelles les audits de modernisation n'ont pas de prise.

Il faut en effet compter avec une forte progression des dépenses de pensions, qui passeraient, selon le gouvernement, entre 2006 et 2009 de 31 milliards d'euros à 36 milliards d'euros (+ 5,1 % en moyenne annuelle en valeur). D'ores et déjà, pour le projet de loi de finances initiale pour 2007, le gouvernement prévoit une augmentation des charges de pensions de 1,2 milliard d'euros. Par ailleurs, s'agissant de la masse salariale, le point fonction publique a augmenté depuis dix ans de 1 % par an en moyenne. Or la seule hausse de 1 % de la valeur du point fonction publique a un effet en année pleine sur les dépenses de personnel d'environ 830 millions d'euros. Dans un passé récent, l'évolution de la rémunération moyenne des personnels en place a toujours été supérieure à 3 % de 1995 à 2006.

L'augmentation de la charge de la dette aura également un impact budgétaire important : une hausse des taux a un effet progressif sur la charge de la dette. Dès l'année suivant la hausse des taux, selon les simulations de l'Agence France Trésor sur la base de la charge de la dette 2005, une augmentation de 100 points de base conduit à un effet taux de + 900 millions d'euros environ. La deuxième année, l'effet taux est de 2 milliards d'euros, de 3,2 milliards d'euros la troisième année et de 4,3 milliards d'euros la quatrième année.

En outre, si les dépenses de l'Etat peuvent apparaître contenues, il n'en est pas de même des dépenses de sécurité sociale.

Dès lors, les audits de modernisation ont un effet modérateur sur l'évolution des crédits du budget de l'Etat, mais leur impact reste trop marginal pour provoquer une diminution de la dépense publique, préalable indispensable à une réduction du taux des prélèvements obligatoires dont notre pays a besoin.

La réforme de l'Etat « à la française » a peu de points communs avec celle opérée au Canada à partir de 1994 par MM. Jean Chrétien, alors Premier ministre et Paul Martin, ministre des finances, lorsqu'ils décidèrent d'appliquer une diminution des dépenses dans tous les ministères. Cette réforme a fait l'objet d'une description détaillée dans un récent rapport 5 ( * ) de nos collègues de la commission des lois.

Un objectif d'une baisse moyenne de 20 % des dépenses publiques a été fixé, la baisse étant répartie en fonction des priorités du gouvernement entre :

- les ministères soumis à un effort important, soit une réduction d'au moins 25 % de leur budget ;

- les ministères soumis à un effort substantiel, soit une baisse de 15 % de leurs moyens ;

- les ministères ne connaissant que des ajustements formels, soit une réduction d'environ 5 %.

Une mission de « révision des programmes » a été réalisée en 6 mois. Selon le rapport précité, « les subventions aux entreprises furent diminuées de 60 %, les budgets des ministères de l'industrie et des transports réduits de 50 % et ceux des ministères de l'environnement, de la culture, de l'aide internationale et de la pêche, de 20 % à 50 % ».

Pour réaliser cette réduction drastique des dépenses publiques, les Canadiens se sont posé les questions suivantes :

- la mission du ministère continue-t-elle de servir l'intérêt général ?

- y a-t-il un rôle légitime et nécessaire pour le gouvernement dans l'exercice de cette mission ?

- quelles missions devrait-on ou pourrait-on transférer, tout ou partie, au secteur privé ou aux échelons décentralisés ?

- peut-on se permettre de financer l'ensemble des missions maintenues, étant donné les restrictions financières et, si la réponse est négative, quelles missions conviendrait-il d'abandonner ?

Ces questions ne sont pas posées par les équipes des audits de modernisation, et elles n'ont sans doute pas vocation à l'être à ce niveau . Ces équipes ne peuvent répondre aux questions suivantes, qui, toutes pourtant, ont une incidence forte en termes de dépense publique :

- faut-il scolariser les enfants dès l'âge de deux ans ?

- nos entreprises doivent-elles bénéficier à l'étranger d'un réseau de « missions économiques » pour les aider à investir et exporter ?

- faut-il créer de nouveaux musées, et selon quelles modalités ?

- quel est le nombre optimal d'enfants par classe ?

Il manque aujourd'hui à la réforme de l'Etat un audit des missions de l'Etat, formalisé autour de « diagnostics partagés, intégrant la question des coûts.

Tel est sans doute le principal enjeu de la législature qui s'annonce.

Préconisation n° 21 : création complémentaire d'une mission temporaire interministérielle chargée de mener des audits des missions de l'Etat.

* 5 Rapport d'information n° 152 (2005-2006) de MM. Bernard Saugey, Jean-Claude Peyronnet, Christian Cointat, Philippe Arnaud, Nicolas Alfonsi et Bernard Frimat, fait au nom de la commission des lois : « La réforme de l'Etat au Canada ».

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