N° 202

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007

Annexe au procès-verbal de la séance du 31 janvier 2007

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation pour l'Union européenne (1) sur le Fonds européen de développement (E 3326 et E 3354),

Par M. Charles JOSSELIN,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; MM. Denis Badré, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Bernard Frimat, Simon Sutour, vice-présidents ; MM. Robert Bret, Aymeri de Montesquiou, secrétaires ; MM.  Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Louis de Broissia, Gérard César, Christian Cointat, Robert del Picchia, Marcel Deneux, André Dulait, Pierre Fauchon, André Ferrand, Yann Gaillard, Paul Girod, Mme Marie-Thérèse Hermange, M. Charles Josselin, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Gérard Le Cam, Louis Le Pensec, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Yves Pozzo di Borgo, Roland Ries, Mme Catherine Tasca, MM. Alex Türk, Serge Vinçon.

Union européenne .

INTRODUCTION

La délégation du Sénat pour l'Union européenne est saisie, dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, de deux propositions de règlement concernant le Fonds européen de développement (FED) : l'une modifiant le règlement financier applicable au 9 e FED, l'autre concernant la mise en oeuvre du 10 e FED.

Dans ce cadre, et avant d'examiner plus en détail ces deux règlements et les difficultés qu'ils soulèvent, votre rapporteur croit nécessaire de revenir sur le FED et sa place dans la politique européenne de coopération au développement.

I. RAPPELS SUR LE FED

Depuis 2000, l'aide publique au développement est redevenue une priorité politique. C'est également vrai à l'échelle européenne. C'est ainsi que l'Union européenne s'est fixée pour objectif d'atteindre une aide au moins égale à 0,56 % du revenu national brut en 2010 et à 0,7 % en 2015. C'est ainsi qu'a été approuvé, en décembre 2005, un « consensus européen pour le développement » constituant un ensemble de principes communs devant guider l'action de l'Union et des États membres.

Pour cela, à côté de l'aide bilatérale qui demeure encore prépondérante (elle représente plus des deux tiers de l'aide pour la France), l'Union dispose d'un instrument principal : le FED.

A. UNE PLACE À PART DANS LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DE L'UNION

Dès l'origine, la coopération au développement a été prise en compte par les traités, avant même la décolonisation. Le 1 er FED a ainsi été mis en place dès 1958. Mais ce n'est qu'à partir de 1963, avec la première convention de Yaoundé, que le FED trouve sa vocation actuelle : être l'instrument financier de la coopération en faveur des 79 pays ACP (1 ( * )) et de leur 750 millions d'habitants.


Le FED

Le Fonds européen de développement (FED) est l'instrument principal de l'aide communautaire à la coopération au développement aux États ACP ainsi qu'aux pays et territoires d'outre-mer (PTOM). Le traité de Rome de 1957 avait prévu sa création pour l'octroi d'une aide technique et financière, initialement aux pays africains toujours colonisés à cette époque et avec lesquels certains États ont eu des liens historiques.

Bien que, suite à la demande du Parlement européen, un titre soit réservé pour le Fonds dans le budget communautaire depuis 1993, le FED ne fait pas encore partie du budget communautaire général. Il est financé par les États membres et est soumis à ses propres règles financières et est dirigé par un comité spécifique. L'aide octroyée aux pays ACP et aux PTOM continuera à être financée par le biais du FED pour la période 2008-2013.

Chaque FED est conclu pour une période d'environ cinq ans. Depuis la conclusion de la première convention de partenariat en 1964, les cycles des FED suivent, en général, ceux des accords/conventions de partenariat.

- Premier FED : 1959-1964

- Deuxième FED : 1964-1970 (Convention de Yaoundé I)

- Troisième FED : 1970-1975 (Convention de Yaoundé II)

- Quatrième FED : 1975-1980 (Convention de Lomé I)

- Cinquième FED : 1980-1985 (Convention de Lomé II)

- Sixième FED : 1985-1990 (Convention de Lomé III)

- Septième FED : 1990-1995 (Convention de Lomé IV)

- Huitième FFD : 1995-2000 (Convention de Lomé IV et sa révision IV bis)

- Neuvième FED : 2000-2007 (Accord de Cotonou)

- Dixième FED : 2008-2013 (Accord de Cotonou révisé)

Le FED est composé de plusieurs instruments, notamment l'aide non remboursable, les capitaux à risque et prêts au secteur privé. Les instruments Stabex et Sysmin visant à aider respectivement les secteurs agricole et minier ont été supprimés par le nouvel accord de partenariat signé à Cotonou en juin 2000. Cet accord a aussi rationalisé les instruments du FED et a introduit un système de programmation glissante permettant plus de flexibilité et accordant une responsabilité plus importante aux États ACP.

Source : Commission européenne

Le FED est un instrument qui présente une triple originalité .

1. Une logique intergouvernementale

Le FED n'est pas un instrument communautaire au sens strict. C'est un fonds qui est alimenté par des contributions volontaires des États membres, négociées tous les cinq ans dans le cadre d'accords intergouvernementaux et fixées selon des clés de répartition ad hoc . Il n'est donc pas intégré dans le budget communautaire.

C'est ainsi que, pour le 9 e FED (2003-2007), la France en est le premier contributeur (avec 24,3 % des contributions ; voir annexe 3 ). Pour le 10 e FED (2008-2013), elle sera le deuxième contributeur (avec 19,5 % au total) derrière l'Allemagne. Mais, en tout état de cause, la France reste très largement « sur-contributrice » par rapport à la clé « normale » de répartition qui est de 15,9 %.

2. Des ressources importantes

Pour le 9 e FED, la dotation initiale était de 13,8 milliards d'euros. Mais, si on y ajoute les reliquats des FED précédents, la dotation totale est de 15,1 milliards d'euros. Cet effort masque en réalité une diminution relative de l'aide communautaire passée : en dix ans, elle est passée de 0,039 % du PIB européen (7 e FED) à 0,031 % (9 e FED). Pour le 10 e FED, cette baisse tendancielle est enrayée : la dotation sera portée à 22,6 milliards d'euros. Cela correspond à un maintien de l'effort budgétaire, une fois pris en compte l'allongement de la période de référence, l'élargissement de l'Union et la croissance.

Éléments statistiques sur les 9 e et 10 e FED

En millions d'euros

9 e FED

10 e FED

Enveloppe globale

13 800 M€

22 682 M€

Pays ACP

13 500 M€

21 966 M€

Enveloppes pays (PIN + PIR)

9 836 M€

17 766 M€

Coopération intra-ACP (2 ( * ))

1 300 M€

2 700M€

)

2 200 M€

1 500M€

PTOM

175 M€

286 M€

Mise en oeuvre

125 M€

430 M€

Source : DGCID

Ces montants sont significatifs. Ainsi, en 2006, la contribution française au FED a représenté 8 % de l'aide publique au développement de notre pays (voir annexe 1) .

3. Une démarche partenariale

Cela se vérifie dans le positionnement du FED : il ne constitue en effet que l'un des volets du triptyque sur lequel reposent les accords successivement de Yaoundé, de Lomé et désormais de Cotonou : dialogue politique, préférence commerciale et programme d'aide publique au développement.

Cela se vérifie aussi dans la gestion du FED, tant pour sa programmation (qui repose sur un programme indicatif national) que pour sa mise en oeuvre.

Cela se vérifie encore au travers des organes de partenariat, qu'il s'agisse des organes conjoints que sont l'Assemblée paritaire UE/ACP, le Conseil des ministres et le Comité des ambassadeurs ou du comité du FED qui permet de réunir et de consulter les États membres sur les stratégies et les projets.

B. UNE MODERNISATION EN COURS

1. Un instrument critiqué

Le FED a fait l'objet ces dernières années d' un certain nombre de critiques , qui ont conduit à partir de 2000 à une modernisation de son fonctionnement parallèlement à la refonte et à la relance de la politique européenne de coopération. De telles critiques étaient d'ailleurs loin d'être inédites. Voici quelques années, ce fut l'existence même du FED qui fut menacée. Il n'a dû à l'époque sa survie qu'au fort soutien de la France, qui a été amenée à augmenter sensiblement sa quote-part.

Au tournant des années 2000, les critiques portaient moins sur l'existence du FED que sur ses modalités d'intervention :

- on lui reprochait d'abord la lenteur et le retard dans les décaissements. Ainsi, en 2000, les reliquats accumulés représentaient près de six années de fonctionnement du FED ;

- le FED était également critiqué pour sa complexité de gestion et pour son opacité de fonctionnement. Cela contribuait alors à vider en pratique de sa substance la logique de partenariat avec les pays ACP, mais aussi à poser des difficultés de coordination avec l'aide apportée par d'autres bailleurs ;

- le FED faisait enfin l'objet de certaines interrogations sur l'efficacité des actions qu'il finançait sur le terrain. Et la pertinence des financements du FED apparaissait d'autant plus incertaine que l'évaluation demeurait balbutiante.

Ce sont ces critiques qui ont notamment amené à revoir, en 2000, le cadre du partenariat entre l'Union européenne et les pays ACP et à moderniser les outils d'aide financière et technique.

2. Une modernisation indispensable

Cette révision était d'autant plus nécessaire que la situation de ces pays restait ou devenait catastrophique , parallèlement au tassement de l'aide publique qui a ponctué les années 1990.

Qu'il soit ici permis de rappeler quelques éléments pour bien mesurer les enjeux sous-jacents à une politique d'aide au développement.

Aujourd'hui, 1 personne sur 5 survit avec moins de 1 dollar par jour ; 850 millions de personnes souffrent de malnutrition ; plus de 1 milliard de personnes n'ont pas accès à une eau salubre et près de 2 millions d'enfants en meurent chaque année ; 115 millions d'enfants se voient refuser tout accès à un enseignement primaire de base. Et toutes ces difficultés sont largement concentrées en Afrique sub-saharienne.

C'est dans ce contexte que la politique européenne de développement a été réformée au travers notamment de l' accord de Cotonou du 23 juin 2000, en remplacement des conventions de Lomé.

Entré en vigueur en 2003, conclu pour 20 ans avec un processus de révision quinquennale, cet accord se fixe comme objectif, conformément en cela aux objectifs du millénaire pour le développement, d'éradiquer la pauvreté et de promouvoir l'intégration des pays ACP dans l'économie mondiale.

Cet accord repose sur quatre grands volets :

- un renforcement de la dimension politique du partenariat ;

- des nouvelles modalités d'attribution et de gestion de l'aide financière plus simples et plus déconcentrées ;

- l'association d'acteurs non étatiques (société civile, collectivités locales) ;

- un nouveau régime commercial passant par la conclusion d'accords de partenariat économique sur une base régionale.

L'Accord de Cotonou

Les relations entre l'Union européenne et les pays de l'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (pays ACP) constituent un aspect particulièrement important de la politique de coopération au développement de l'UE et, plus globalement, de son action extérieure.

Entre 1975 et 2000, ces relations étaient régies par la Convention de Lomé, régulièrement adaptée et mise à jour. Toutefois, les grands bouleversements internationaux, les transformations socio-économiques et politiques qu'ont connues les États ACP et l'extension de la pauvreté, source d'instabilité et de conflits potentiels, ont mis en évidence la nécessité de repenser la coopération.

L'expiration de la convention de Lomé en février 2000 a fourni l'occasion de procéder à un examen approfondi des futures relations entre l'UE et les ACP. Accompagnées d'un large débat public mené sur la base d'un livre vert publié par la Commission européenne (1996) et d'un document de travail, les négociations ont été lancées en 1998 et ont abouti en février 2000. Le nouvel accord ACP-CE, signé le 23 juin 2000 à Cotonou (Bénin), a été conclu pour une durée de 20 ans (mars 2000 - février 2020).

L'accord de Cotonou est un accord global et exemplaire introduisant des changements radicaux et arrête des objectifs ambitieux, tout en préservant l'acquis de 25 années de coopération entre l'UE et les États ACP. Il repose sur cinq piliers interdépendants, avec pour objectif sous-jacent de lutter contre la pauvreté : une dimension politique approfondie, une participation accrue, une approche plus stratégique de la coopération centrée sur la réduction de la pauvreté, de nouveaux partenariats économiques et commerciaux et une coopération financière améliorée.

L'accord de Cotonou contient une clause de révision qui prévoit une adaptation de l'accord tous les cinq ans. Conformément à cette clause, des négociations en vue de réviser l'accord ont été ouvertes en mai 2004 et se sont achevées le 23 février 2005, Cette révision visait principalement à améliorer l'efficacité et la qualité du partenariat ACP-UE.

Source : Commission européenne

3. De premiers effets

Cette réforme commence à produire ses effets.

Cela se vérifie d'abord pour la gestion des fonds du FED . La déconcentration est entrée dans les faits à partir de 2002. Les crédits ont été concentrés autour d'objectifs ciblés. De nouvelles procédures - au travers des facilités pour l'eau (4 ( * )) (500 millions d'euros) ou la paix (300 millions d'euros) par exemple - permettent un déploiement plus rapide des crédits sur des programmes thématiques.

Ces nouvelles modalités de gestion se sont traduites par une accélération non seulement des engagements (ils sont passés de 1,9 à 3,4 milliards d'euros entre 2001 et 2006) mais aussi des décaissements (qui sont passés de 1,8 à 2,8 milliards d'euros sur la même période). Elles permettent particulièrement de raccourcir sensiblement la durée moyenne d'exécution d'un projet qui a été ramenée de cinq à trois ans et demi.

Il reste que la question de l'efficacité de l'aide reste posée car celle-ci ne peut bien entendu s'évaluer seulement à l'aune du taux de décaissement sur un rythme d'exécution.

Le second effet des réformes concerne le dialogue politique . Celui-ci se concrétise au travers de la « conditionnalité politique » à l'exécution de l'aide. Or, elle a pu être renforcée de deux manières.

D'abord, le cadre fixé par Cotonou pour accompagner les processus de transition démocratique s'est révélé opérant. En cas de violation des éléments essentiels (droits de l'homme, État de droit, démocratie) ou fondamentaux (bonne gestion des affaires publiques), un processus progressif pouvant conduire à la suspension de l'aide est mis en oeuvre. Cela a été le cas pour 17 pays ACP, principalement pour coup d'État, interruption du processus électoral ou violation des droits de l'homme. L'aide a été suspendue dans 7 cas : République centrafricaine, Haïti, Guinée-Bissau, Togo, Guinée Conakry, Mauritanie, Zimbabwe. Et, à ce jour, seul le Zimbabwe reste sous le coup des sanctions européennes. On peut considérer que le dialogue politique engagé soit pour prévenir la suspension de l'aide, soit pour organiser sa reprise, a donc pu produire des résultats. Il reste cependant que cette conditionnalité est bien plus opérante sur le volet politique que sur le volet « gouvernance ».

Ensuite, on assiste à une montée en puissance de l'aide budgétaire au détriment de l'aide projet . Elle passe de 30 % dans le 9 e FED à un objectif de 50 % dans le 10 e FED. Or, celle-ci est bien plus adaptée à la mise en oeuvre de la conditionnalité que l'aide projet.

Enfin, le 10 e FED devrait encore renforcer cette dimension. Une enveloppe incitative dédiée à la gouvernance s'élève à quelque 2,7 milliards d'euros. Elle devrait permettre, en renforçant la non automaticité de l'aide, de favoriser les bonnes pratiques en matière de gouvernance.

A cet égard, il convient d' insister sur l'appui au renforcement institutionnel . C'est à juste titre l'une des priorités du partenariat entre l'Union et les ACP et, partant, du FED. La réduction de la pauvreté et le développement durable ne pourront être effectifs sans la construction d'un cadre institutionnel efficace. C'est toute la logique de la gouvernance qui est au coeur de l'accord de Cotonou et qui ne se limite pas à la seule lutte contre la corruption. Elle implique en particulier l'émergence d'acteurs non étatiques et la structuration de la société civile.

Or, en la matière, l'appui européen à la réforme institutionnelle est encore loin d'avoir produit tous ses effets. Ainsi les lignes réservées aux acteurs non étatiques restent encore très faiblement consommées. Cela tient probablement à la lourdeur des procédures, notamment pour les appels à propositions, procédures qui, malgré les simplifications apportées, exigent la mobilisation d'une expertise très spécifique que beaucoup d'acteurs locaux ne peuvent acquérir. Peut-être pourrait-on envisager à ce propos des procédures simplifiées pour les projets les moins lourds associant des représentants de la société civile ? Ce n'est probablement qu'à de telles conditions que l'appui institutionnel jouera à plein, au travers en particulier de cette forme d'appui très particulière qu'est la coopération décentralisée dans laquelle s'impliquent déjà fortement plusieurs milliers de collectivités locales.

Il reste cependant que ces premiers effets de la réforme de la politique d'aide européenne pourraient se heurter à une évolution de fond : celle de la montée en puissance de la Chine comme acteur de la coopération avec l'Afrique. Or, l'aide chinoise se distingue fortement de celle fournie par l'Union européenne. Autant l'une se fonde sur des critères de prévisibilité, de conditionnalité et de pluriannualité, autant l'autre se symbolise par son caractère réactif, inconditionné et immédiat. Il ne faudrait pas que ces deux formes d'aide n'en viennent à se concurrencer. Il serait souhaitable que la question de l'aide à l'Afrique occupe une place importante dans l'agenda du dialogue sino-européen.

* (1) La liste des pays ACP figure en annexe 6

* (2) Au titre du 9 e FED, cette ligne finance des projets dans les secteurs suivants : les secteurs sociaux, santé (Fonds global pour la lutte contre la tuberculose, le Sida et le paludisme, 62 M€) et éducation (Fonds éducation pour tous, 63 M€) ; appui méthodologique et renforcement des capacités (Facilité catastrophes naturelles, 12 M€) ; ressources naturelles (facilité énergie, 220 M€ et facilité eau, 500 M€) ; appui au secteur privé ; promotion de la paix 250 M€) et allègement de la dette.

* (3) Gérée par la Banque européenne d'investissement (BEI).

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