COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES À LA COMMISSION DES FINANCES DU SÉNAT RELATIVE À L'IMPACT DES CONTRATS AIDÉS

INTRODUCTION

I. OBJECTIF DE L'ENQUÊTE

Le présent rapport fait suite à la demande du Président de la Commission des finances du Sénat adressée à la Cour en vertu de l'article 58 alinéa 2 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances de réaliser une enquête sur « l'impact des aides à l'emploi sur la baisse du chômage » .

Pour répondre à cette demande, la Cour a procédé ainsi :

o synthèse des rapports récents de la Cour sur le sujet ;

o mobilisation de travaux récents de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement  et de diverses études et rapports sur les aides à l'emploi ;

o conduite d'entretiens avec des responsables à l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) et à la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) du ministère de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement ;

o déplacements de terrain au sein de deux agences locales pour l'emploi.

II. CONTEXTE ET CADRAGE DE L'ENQUÊTE

1. La France souffre depuis une longue période d'une situation de chômage de masse 4 ( * ) , ainsi que le rappelle le graphique ci-dessous qui montre également les évolutions des mesures de la politique de l'emploi visant à répondre à ce défi.

Graphique n° 1 : Chômage, emploi et mesures de la politique de l'emploi
sur longue période

Source : DARES

En 2006, le chômage et le taux de chômage français restent à des niveaux élevés en dépit de la baisse constatée récemment. Fin août 2006, 2 159 700 demandeurs d'emploi étaient inscrits en catégorie 1, le taux de chômage au sens du BIT s'établissant à 9,0 % 5 ( * ) .

2. De nombreux travaux montrent la complexité de la relation entre la mise en oeuvre d'une aide à l'emploi et la baisse du chômage

L'efficacité des dispositifs d'aide à l'emploi ne peut évidemment être appréciée sans tenir compte du contexte d'ensemble de la politique économique et sociale et de la situation du marché du travail.

- D'abord, le chômage est lié à un certain nombre de facteurs structurels sur le marché du travail 6 ( * ) et sur le marché des biens et services.

- Ensuite, le niveau de l'emploi et du chômage dépend du dynamisme conjoncturel. La croissance constitue un paramètre majeur facilitant le retour à l'emploi.

- Une mesure d'aide à l'emploi peut également avoir un effet sur les « franges » du chômage. En effet, par l'impulsion qu'elle donne, cette mesure peut faire revenir sur le marché du travail, des « chômeurs découragés » qui n'étaient plus comptabilisés dans les statistiques du chômage (« effet d'appel »).

L'accompagnement et la formation constituent également des éléments très favorables au retour à l'emploi. A cet égard, l'originalité des contrats en alternance - qui prévoient des temps de formation obligatoires - doit être soulignée par rapport aux autres contrats aidés.

Dans ces conditions, il n'est pas possible de parvenir à une conclusion unique, sous la forme d'un ratio d'efficacité entre le recours aux aides à l'emploi et la baisse du chômage. C'est pourquoi, le présent rapport aborde l'impact des aides à l'emploi sur la baisse du chômage à partir d'un « faisceau d'indices » provenant de conclusions de la Cour formulées à l'occasion de contrôles de dispositifs donnés ou d'éléments recueillis spécifiquement pour cette mission.

3. Les « aides à l'emploi » examinées dans le cadre de ce rapport sont essentiellement les contrats spéciaux liés à la politique de l'emploi, appelés plus couramment « contrats aidés » . La Cour n'a pas opté pour une approche générale des aides à l'emploi visant tous les dispositifs soutenant l'emploi (publics, conventionnels, privés...). En effet, cette définition aurait nécessité un travail de synthèse dépassant largement le champ de ce rapport et recoupant une réflexion plus générale sur les aides publiques aux entreprises 7 ( * ) . En revanche, ce regroupement inclut les contrats d'apprentissage dont la qualification de contrats aidés, si elle est exacte financièrement, ne rend pas compte de la situation très spéciale de l'apprentissage, comme composante de la formation initiale. Une partie des contrats de professionnalisation, peut au demeurant faire l'objet de la même remarque.

Par ailleurs, les mesures générales d'allègement de charges sociales ont fait l'objet d'un rapport spécifique de la Cour pour la Commission des finances de l'Assemblée nationale sur le fondement de l'article 58.2 de la LOLF.

4. La politique des contrats aidés peut être brièvement resituée au sein de la politique de l'emploi

Cette mise en perspective peut être opérée à partir de la notion de « dépense pour l'emploi » . Cet agrégat est la somme du budget de l'emploi, des allègements de cotisations sociales patronales et des dépenses de l'Unédic. Elle n'inclut pas les dépenses des collectivités territoriales. Les moyens consacrés à la politique de l'emploi ont été considérablement renforcés : la dépense pour l'emploi qui représentait moins de 1 % du PIB en 1970, de l'ordre de 2 % dans les années 1980 et 2,5 % en 1990 a dépassé 4 % en 2003.

Au sein de la dépense pour l'emploi, on distingue :

- les « dépenses passives » : indemnisation du chômage, incitations au retrait d'activité ;

- les « dépenses actives » qui regroupent les autres dépenses de la politique de l'emploi destinées à favoriser le retour à l'emploi, au sein desquelles figurent les moyens affectés aux contrats aidés.

La distinction entre ces deux blocs devient, toutefois, moins nette avec la mise en oeuvre de stratégies d'« activation des dépenses passives ». Par exemple, l'assurance-chômage met en oeuvre un plan d'aide au retour à l'emploi (PARE) que la Cour a analysé dans un récent rapport thématique 8 ( * ) .

Dans l'ensemble des « dépenses actives », les allègements généraux de charges sociales ont connu une montée en puissance récente . La politique française de l'emploi a donné depuis dix ans une place croissante aux allègements généraux de charges sociales. Dans la loi de finances initiale pour 2005, les compensations d'allègements généraux de charges sociales 9 ( * ) représentaient 17,647 Md€ soit près de 55 % des crédits de paiement pour dépenses ordinaires de la mission Travail et emploi (32,109 Md€).

En retour, on observe une baisse tendancielle du poids financier des aides spécifiques à l'emploi :

Tableau n° 1 :  Coût des dispositifs spécifiques de politique de l'emploi 10 ( * )

Graphique n° 2 Les dépenses pour les dispositifs spécifiques et les allègements généraux (en points de PIB)

Source : DARES

En exécution budgétaire, les dépenses de l'Etat pour l'emploi aidé ne représentaient plus en 2005 que 5,6 Md€ contre 16,4 Md€ pour les exonérations de charges.

Tableau n° 2 :  Les dépenses de l'Etat pour l'emploi aidé

Exécution budgétaire 2005

en M€

Contrats d'apprentissage

1 531,25

Contrats de qualification

244,43

Contrats de professionnalisation jeunes

151,50

Contrats de professionnalisation adultes

7,48

Emplois jeunes

762,11

Insertion des publics en difficulté

2 698,55

Aides à la création d'entreprise

35,41

Accompagnement des restructurations

316,38

Total Emploi aidé (dont missions locales)

5 747,11

Financement missions locales

113,78

Total Emploi aidé (hors missions locales)

5 633,33

Source : Cour des comptes. Le périmètre de l'emploi aidé est ici le même que celui retenu dans l'étude de la DARES sur le coût de la politique de l'emploi. Cette étude est mentionnée dans la cinquième partie du présent rapport.

Au sein de la politique de l'emploi, la prime pour l'emploi (PPE) a également pris une importance croissante sur la période récente. La nature de la PPE est originale par rapport aux autres aides à l'emploi dans la mesure où elle présente un caractère fiscal : la PPE prend la forme d'un crédit d'impôt sur le revenu qui se traduit par une dépense fiscale. Les crédits affectés à la PPE sont passés de 2,4 Md€ lors de sa création en 2001 à 2,7 Md€ en 2005. Les réformes apportées au dispositif par la loi de finances initiale pour 2006 vont accentuer cette montée en charge en 2006 et 2007. Dans son dernier rapport public, la Cour a consacré des développements critiques à ce dispositif, le jugeant peu efficace aussi bien sur le terrain du retour à l'emploi que sur celui de la distribution de pouvoir achat 11 ( * ) .

5. La politique de l'emploi et la mise en oeuvre des contrats aidés s'inscrivent, de plus en plus, dans un cadre partenarial

- Dans cette perspective, le présent rapport abordera les modalités d'articulation, récemment remaniées, entre l'Etat et les collectivités territoriales dans le champ des aides à l'emploi. Cependant, les dispositifs institués par les collectivités territoriales elles-mêmes (comme les « emplois-tremplins ») ne seront pas abordés dans cette étude.

- Par ailleurs, depuis le traité d'Amsterdam signé en 1997, la politique française de l'emploi s'inscrit dans le cadre de la « stratégie européenne pour l'emploi », définie à Luxembourg les 20 et 21 novembre 1997 à l'initiative de la France. La stratégie de Lisbonne en 2000 a, en particulier, souligné la nécessité d'enrichir l'appréciation des politiques de l'emploi par une approche en termes de taux d'emploi. De ce point de vue, la France se caractérise par un faible taux d'activité des jeunes de 15 à 24 ans (37,5 %) et des personnes de 55 à 64 ans (39,6 %).

Le présent rapport, après avoir dressé un panorama des contrats aidés  (partie I), apporte trois éclairages différents sur leur rôle face au chômage :

- un éclairage thématique porté sur un dispositif d'aide à l'emploi dans le secteur marchand : le contrat initiative emploi (partie II) ;

- un éclairage opérationnel sur la mise en oeuvre des contrats aidés (partie III) ;

- un éclairage général essayant de dégager un certain nombre d'enseignements sur l'efficacité de la politique des contrats aidés (partie IV).

* 4 Cf. annexe 1 sur les définitions du chômage.

* 5 « Le marché du travail en août 2006 », Premières informations, premières synthèses , DARES, N° 40.1.

* 6 Le chômage structurel est, ainsi, « lié aux inerties naturelles ou institutionnelles du marché du travail et à un coût salarial trop élevé, particulièrement pour les emplois peu qualifiés. Il comprend la partie frictionnelle, venant du temps nécessaire pour trouver un emploi ou pourvoir un poste » in J.C. PRAGER, F. VILLEROY DE GALHAU, Dix-huit leçons sur la politique économique , Seuil, 2006, p 104.

* 7 Cf. notamment les travaux du Conseil d'orientation pour l'emploi, Rapport au Premier ministre relatif aux aides publiques , 8 février 2006.

* 8 L'évolution de l'assurance chômage : de l'indemnisation à l'aide au retour à l'emploi , rapport public thématique, mars 2006.

* 9 La loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi a fusionné les allègements sur les bas salaires avec ceux liés à la réduction du temps de travail.

* 10 Sur les modalités de calcul du coût des dispositifs spécifiques de la politique de l'emploi par la DARES,
cf infra p. 84.

* 11 Cour des comptes, Rapport public annuel , février 2006, « L'efficacité et la gestion de la prime pour l'emploi », p 283.

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