B. « MIEUX LÉGIFÉRER » : LA NOUVELLE DOCTRINE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE EN MATIÈRE DE SERVICES FINANCIERS

1. Une approche favorable à l'autorégulation

Le commissaire pour le marché intérieur M. Charlie McCreevy, légitimement attaché à éviter toute réglementation lourde et inutile, a mis en place la doctrine dite « Mieux légiférer », qui se traduit notamment par une pause législative , en comparaison de l'activisme du Plan d'action pour les services financiers (PASF) de 1999-2005.

L'exemplarité et l'exhaustivité du PASF ont cependant été soulignées par les interlocuteurs de votre rapporteur général : l'Europe est devenue leader dans les débats internationaux sur la gestion collective et les infrastructures de marché, elle est désormais beaucoup plus crédible dans le dialogue transatlantique, et la directive sur les marchés d'instruments financiers (« directive MIF », récemment transposée par ordonnance en droit français 5 ( * ) ) tend à inspirer en partie la nouvelle réglementation japonaise et chinoise.

Dans divers domaines, cette nouvelle stratégie conduit à privilégier l'autorégulation des acteurs ou l'absence de réglementation.

a) Le post-marché (activités de règlement-livraison et de compensation)

La Commission soutient l'initiative « Target II » de la Banque centrale européenne sur la mise en place d'une plate-forme unique de règlement pour les paiements en espèces au sein de l'Eurosystème. Elle a également entériné en novembre 2006 le code de conduite conçu par les trois principales associations du post-marché des titres, dont les dispositions concernent essentiellement la transparence des prix et des services, l'accès et l'interopérabilité des systèmes, et la séparation comptable et fonctionnelle.

Un groupe de suivi associe les utilisateurs et les infrastructures, et un bilan sera établi mi-2008 au regard des obstacles techniques et juridiques identifiés par le « groupe Giovanini » en 1997 et 2000. Les titres obligataires ne sont cependant pas couverts par cette initiative.

L'unité « Services financiers » de la DG Marché intérieur considère qu'une directive n'aurait sans doute pas pu être adoptée avant 2012, avec un risque de paralysie sur d'autres thèmes importants, et que les infrastructures de règlement-livraison avaient plutôt joué le jeu de l'autorégulation , en dépit d'une information surabondante et désordonnée sur le site Internet dédié, ce qui incite la Commission à davantage d'optimisme qu'en juin 2006. L'interopérabilité semble être le domaine le plus délicat à traiter.

b) Les « hedge funds »

M. Charlie McCreevy est farouchement opposé à une régulation directe de ces fonds. Il estime que les contrôles internes (de l'effet de levier, du collatéral ou de l'exposition du fonds) réalisés par les brokers et les banques prêteuses - qui seraient plus étoffés qu'on ne le pense généralement 6 ( * ) - comme les dispositifs « Bâle II » et « abus de marché » offrent des garanties suffisantes contre un éventuel risque systémique.

L'unité « Services financiers » de la DG Marché intérieur tend également à relativiser l'importance de ces fonds dans le système financier international : s'ils peuvent représenter jusqu'à la moitié des transactions quotidiennes, leurs actifs ne constituent que 5 % du volume global et le levier moyen aurait beaucoup diminué par rapport aux excès du fonds LTCM en 1998, qui avait fait faillite.

Les services de la Commission européenne reconnaissent néanmoins que les questions de la méthode de valorisation des portefeuilles et de la clientèle éligible 7 ( * ) devraient être traitées , pour autant que l'on précise bien le champ de la transparence, souhaitée par plusieurs Etats, au premier rang desquels l'Allemagne. La transparence totale des positions et transactions des fonds apparaît ainsi irréaliste, ne serait-ce qu'en raison de la grande complexité de la valorisation de certains instruments dérivés.

La valorisation des actifs par les gérants, qui induit une problématique de conflit d'intérêt, devrait prochainement être intégrée dans l'actualisation du guide de bonnes pratiques établi par l'AIMA ( Alternative Investment Management Association ). Le G7 a également demandé au Forum de la stabilité financière (FSF), sous l'égide du FMI, d'établir un rapport sur les hedge funds , qui a été publié le 19 mai 2007 et comprend un certain nombre de recommandations sur la prévention des risques systémiques liés aux hedge funds.

Dans un communiqué publié le 26 mars 2007, le FSF a également appelé ces fonds à davantage de transparence sur la valorisation de leurs portefeuilles, sans pour autant souscrire à la proposition de la Bundesbank consistant à faire évaluer les fonds spéculatifs et alternatifs par les agences de notation.

c) Les agences de notation

Le rapport du Comité européen des régulateurs de valeurs mobilières (CERVM), publié en janvier 2007, a conclu que les principales agences de notation respectaient le code de conduite établi par l'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), tout en relevant divers écarts. L'agence Moody's a ainsi été fortement contestée ces derniers mois sur sa nouvelle méthode d'évaluation des banques et traverse actuellement une crise de confiance. Les Etats-Unis ont quelque peu assoupli leur procédure d'enregistrement (souvent critiquée) début 2007.

d) Les services financiers de détail

U n Livre vert doit être publié dans le courant du premier semestre de 2007, ce secteur apparaissant comme le « parent pauvre » du PASF, essentiellement consacré aux marchés et à la banque d'investissement. Malgré les clivages qu'elle suscite, la proposition de directive sur le crédit à la consommation ne sera sans doute pas enterrée et la présidence allemande promeut activement son adoption rapide. Elle pourrait cependant donner lieu à une version allégée, compte tenu de son fort enjeu symbolique pour l'ensemble de l'activité financière de détail.

2. Les imperfections du processus Lamfalussy

Le processus Lamfalussy, démarche originale qui a permis une traduction législative rapide du PASF, bénéficie toujours d'un assez large soutien et a fait l'objet d'un rapport intermédiaire du Groupe interinstitutionnel de surveillance, publié fin janvier 2007. Certains défauts ont néanmoins été mis en évidence par les interlocuteurs de votre rapporteur général :

- comme évoqué précédemment avec le projet de directive « Solvabilité II », les comités prennent une importance croissante en amont, avec le risque que des décisions de nature politique se trouvent « contaminées » par des enjeux techniques ;

- la directive MIF illustre que pour certains sujets complexes, les arbitrages les plus délicats sont reportés à la technocratie des niveaux 2 et 3 (cf. supra ), et l'interprétation des dispositions de niveaux 1 (actes juridiques posant les principes généraux) et 2 (mesures détaillées de mise en oeuvre, avec l'assistance des régulateurs nationaux et des comités sectoriels) est chronophage pour les parties prenantes ;

- d'après la DG Marché intérieur, la principale faiblesse actuelle du processus réside dans le niveau 3 (coopération entre régulateurs nationaux en vue de faire converger leurs pratiques). De fait, votre rapporteur général avait déjà souligné ce risque en octobre 2003 dans une contribution écrite à la commission de l'Union européenne de la Chambre des Lords 8 ( * ) ;

- selon le cabinet de M. Charlie McCreevy et l'unité « Services financiers » de la DG Marché intérieur, il est nécessaire de renforcer la coopération des superviseurs , en identifiant au besoin les chefs de file, de clarifier et renforcer le rôle du CERVM/CESR, et de renforcer l'obligation de résultat sur la cohérence de la législation.

Votre rapporteur général a regretté que le processus législatif européen ne dispose pas de l'équivalent de la procédure française d'habilitation (qui serait accordée à la Commission et aux comités) à légiférer par ordonnance . La mise en place d'un tel système serait théoriquement possible, mais requerrait l'unanimité des Etats membres.

S'agissant du CERVM , qui n'est aujourd'hui qu'un « club » de régulateurs exerçant une importante fonction de conseil mais ne disposant d'aucun moyen de contraindre ses membres, il apparaît de plus en plus nécessaire de lui conférer une réelle capacité juridique 9 ( * ) et des moyens humains et financiers étoffés de coordination des approches, interprétations et jurisprudences.

* 5 Ordonnance n° 2007-544 du 12 avril 2007 relative aux marchés d'instruments financiers.

* 6 Par exemple, les brokers , le plus souvent en nombre réduit pour chaque fonds, demandent à ce que les actifs de ces derniers soient logés dans leurs comptes. De même, la valorisation des actifs est en général, en Europe du moins, cautionnée par un tiers.

* 7 Aux Pays-Bas, les fonds spéculatifs sont accessibles aussi bien aux investisseurs qualifiés qu'aux particuliers.

* 8 Il mentionnait ainsi :

« Le processus Lamfalussy répond à une préoccupation que je juge légitime et met en oeuvre un mécanisme innovant de concertation en amont de l'application des normes (...). Pourtant on conçoit bien qu'en dépit de précautions organisationnelles et d'un souci de progressivité que traduit l'architecture en quatre niveaux, le niveau déterminant de ce système est le niveau 3. C'est bien dans la détermination des mesures de transposition qu'est susceptible d'apparaître l'ambiguïté entre la recherche d'une harmonisation maximale, qui est l'objectif théorique du PASF, et la préservation d'une certaine flexibilité dans l'application nationale, qui constitue une exigence pratique de faisabilité et d'acceptabilité du Plan.

« La position du curseur au niveau 2 apparaît plus mouvante qu'escompté : confrontés à la richesse des détails, à la technicité des textes et à de possibles oppositions sur la traduction concrète de tel principe ou exigence législative, les participants peuvent avoir la tentation de s'en remettre à la seule transposition pour régler les difficultés. Dès lors une surcharge du niveau 3 traduirait un certain vice de fonctionnement du processus Lamfalussy , c'est-à-dire l'externalisation au niveau national du règlement des divergences apparues au sein du CEVM ou du CESR, et contribuerait de surcroît à ralentir la mise en place du PASF, ce qui serait précisément contraire à l'objectif. Il s'agit donc d'éviter que l'innovation du processus Lamfalussy n'aboutisse in fine à reproduire les inconvénients du processus législatif de droit commun ».

* 9 M. Michel Prada, président de l'Autorité des marchés financiers, est favorable à une telle évolution , ainsi qu'il l'a précisé lors de son audition par la commission des finances, le 14 février 2007. Il a indiqué être favorable à un renforcement des pouvoirs de ce comité et de sa légitimité, afin notamment que les standards qu'il adopte soient mieux reconnus, en particulier au niveau 3 de la procédure Lamfalussy, qui n'a pas de réel fondement juridique. Il a considéré que cette implication du CERVM au niveau 3 pourrait consister en un mécanisme comparable à l'homologation, en droit français, du règlement général de l'AMF par le ministre de l'économie et des finances.

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