N° 302

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2006-2007

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 22 février 2007

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 mai 2007

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur l' état d'avancement des principaux dossiers européens en matière de fiscalité des entreprises , de concurrence et de législation financière,

Par M. Philippe MARINI,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis, président ; MM. Claude Belot, Marc Massion, Denis Badré, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Yann Gaillard, Jean-Pierre Masseret, Joël Bourdin, vice-présidents ; M. Philippe Adnot, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Moreigne, François Trucy, secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM.  Bernard Angels, Bertrand Auban, Jacques Baudot, Mme Marie-France Beaufils, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Mme Nicole Bricq, MM. Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Eric Doligé, Jean-Claude Frécon, Yves Fréville, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Claude Haut, Jean-Jacques Jégou, Roger Karoutchi, Alain Lambert, Gérard Longuet, Roland du Luart, François Marc, Michel Mercier, Gérard Miquel, Henri de Raincourt, Michel Sergent, Henri Torre, Bernard Vera.

Union européenne .

INTRODUCTION : IDENTIFIER EN AMONT LES PRINCIPAUX ENJEUX DES TRAVAUX COMMUNAUTAIRES

Le lundi 12 mars 2007, votre rapporteur général s'est rendu, comme chaque année, à Bruxelles afin de faire le point avec les services de la Commission européenne sur les principaux dossiers en cours en matière de fiscalité, de concurrence et de législation financière.

Une série de réunions avec des collaborateurs des directions générales du marché intérieur et de la fiscalité, des cabinets de Mme Neelie Kroes et M. Charlie McCreevy, respectivement commissaires européens en charge de la concurrence et du marché intérieur et des services, ainsi que de la représentation permanente de la France à Bruxelles, ont ainsi permis d'identifier, en amont, les principaux enjeux de court et moyen termes dans ces domaines.

Par le présent rapport, votre rapporteur général s'efforce de mettre l'accent sur les enjeux de portée générale que comportent des questions éminemment techniques, le plus souvent discutées au niveau des seuls spécialistes ; il traduit également tout l'intérêt manifesté par l'une des six commissions permanentes du Sénat au suivi de la législation communautaire, dont la place, en ces matières, est souvent déterminante.

Au-delà de la diversité des thèmes abordés, il convient aussi d'attirer l'attention sur les conséquences parfois négatives pour notre pays de certaines des logiques les plus structurantes de développement du droit européen, qu'il s'agisse de la protection du consommateur et de l'épargnant, de l'unification du prix de l'énergie ou du maintien de l'unanimité en matière de fiscalité.

Le décryptage de ces enjeux, auquel le présent rapport entend contribuer souligne, a contrario , la complexité du processus de décision communautaire en matière de réglementation financière : celui-ci résulte à la fois de normes contraignantes et de « soft law », expression anglaise dont on ne peut trouver d'équivalent en français, autrement que dans une traduction littérale de « droit mou » , qui désigne les règles dans lesquelles le normatif tend à s'effacer devant la recommandation ou le code de bonne conduite, et dont l'élaboration résulte de processus consultatifs particulièrement complexes.

I. L'OPACITÉ DU PROCESSUS DE DÉCISION COMMUNAUTAIRE EN MATIÈRE DE LÉGISLATION FINANCIÈRE

La législation financière communautaire s'inscrit, pour une large part, dans un cadre procédural spécifique connu sous l'appellation de « processus Lamfalussy ». Celui-ci résulte d'un mandat confié en juillet 2000 à un « comité des sages » présidé par l'ancien président de l'Institut monétaire européen Alexander Lamfalussy, en vue de donner un rôle accru aux autorités de régulation boursière, à la fois dans l'élaboration des normes et dans leur application.

Ce processus permet d'adopter des règlements ou directives mieux adaptés au terrain , dans la mesure où ils sont préparés après consultation des acteurs concernés, et une plus grande harmonisation, car la procédure prévoit davantage de coopération entre les régulateurs des différents Etats membres.

Cette architecture décisionnelle en quatre niveaux (détaillés ci-après), que d'aucuns pourraient qualifier de « chef d'oeuvre de l'eurocratie », ne constitue pas réellement un facteur de simplification du processus législatif, mais permet d'aboutir à des textes plus opérationnels et novateurs , et d'atténuer ainsi certaines critiques formulées à l'encontre du contenu parfois « évanescent » de la législation européenne en matière financière. Cette démarche a, de fait, été étendue en novembre 2003 aux secteurs des banques, des assurances et des retraites professionnelles.

La technicité des mesures est telle qu'elle suppose, en effet, d'associer pleinement les professionnels à l'élaboration de la législation, mais le développement de cette « comitologie » peut aussi être perçu comme un obstacle au fonctionnement démocratique des institutions du fait de la survalorisation de l'expertise, au détriment de l'examen et du vote de la loi tant par le Parlement européen que par les Parlements nationaux.

A. LE PROJET DE DIRECTIVE « SOLVABILITÉ II » ET SES ENJEUX MICRO ET MACROÉCONOMIQUES

Lors de son audition par votre commission des finances, le 11 octobre 2006, M. Francis Mayer, alors directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), avait attiré l'attention sur les risques résultant du projet de directive dit « Solvabilité II » ( Solvency II ) pour le marché des actions.

L'approche à quatre niveaux du processus Lamfalussy dans le secteur financier

Il a ainsi estimé que la CDC risquait de devenir rapidement le seul investisseur institutionnel français en actions , compte tenu, notamment, des contraintes trop lourdes que font peser, sur les grandes compagnies d'assurance, les normes comptables IAS et les nouveaux ratios prudentiels imposés par la réglementation européenne, inspirée des règles anglo-saxonnes 1 ( * ) .

En d'autres termes, il est à craindre que le souci, d'ordre microéconomique, de protection de l'épargnant, ne fasse oublier l'impact macroéconomique d'une réglementation trop stricte sur l'emploi et donc sur la croissance.

En préparation depuis plusieurs années, le projet de directive-cadre « Solvabilité II » applicable au secteur des assurances - qui représente en quelque sorte une démarche équivalente à celle de « Bâle II » pour les banques et répond à quatre objectifs politiques majeurs 2 ( * ) - suscite d'âpres débats techniques, ayant notamment trait à la troisième étude quantitative d'impact, dite « QIS3 ». Il devrait néanmoins aboutir dans les prochains mois, la publication étant escomptée pour juillet 2007.

1. Le souci de protection des épargnants

Le comité CEIOPS ( Committee of European Insurance and Occupational Pensions Supervisors ) des 27 superviseurs nationaux tend à privilégier une approche micro-économique de congruence entre l'actif et le passif des compagnies d'assurance, tandis que certains Etats membres ( via le comité EIOPS - European Insurance and Occupational Pensions Committee - comité technique de niveau 2) et les grands assureurs (dont Axa) entendent sensibiliser la Commission européenne aux incidences macro-économiques, et en particulier à l'impact potentiellement négatif des normes projetées pour les placements en actions , et donc pour l'épargne longue. La France a également manifesté son attachement à une claire distinction entre les questions de principe et les enjeux techniques.

De fait, la France est d'autant plus sensible à cette approche que la capitalisation y a été tardivement introduite, s'agissant de l'épargne-retraite, et que les contrats d'assurance reposent surtout sur une reconduction tacite, à la différence de pays tels que le Royaume-Uni où prévaut le renouvellement annuel délégué aux courtiers.

Pour les services de la Direction générale du marché intérieur et des services, la problématique des placements en actions se pose surtout pour l'assurance non-vie . Il importe également de rappeler que l'hypothèse d'assurer une couverture à tout instant sur un horizon d'un an avec une probabilité de 99,5 % correspondait à celle des agences de notation pour le seuil du « high yield » (BBB), c'est-à-dire des obligations à haut rendement, plus risquées.

Le coefficient de 40 % affecté aux actions dans le cadre de la formule standard du SCR ( Solvency capital requirement ) devrait cependant être abaissé , et l'approche préconisée par la Fédération française des sociétés d'assurance est actuellement testée par le CEIOPS. La troisième étude quantitative d'impact a été lancée le 2 avril 2007 et devrait s'achever fin juin 3 ( * ) . Elle sera annexée à la proposition de directive, de même que les rapports sur la stabilité financière et l'impact macroéconomique de « Solvabilité II », préparés par la Banque centrale européenne et la Direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne.

Il ressort des échanges de votre rapporteur général que la Commission a manifestement bien intégré les inquiétudes des assureurs et ne compte pas se cantonner à la seule approche micro-économique.

2. La nécessité de mieux gérer risque et volatilité

Avec le projet « Solvabilité II », la Commission entend parfaire l'harmonisation des normes prudentielles et mettre fin au « gold plating » antérieur, c'est-à-dire aux pratiques et disparités nationales qui excèdent les termes des directives et constituent des freins au passeport.

Outre son incidence sur les placements en actions, le projet de directive conduit à examiner cinq enjeux , dont votre rapporteur général estime qu'ils feront tôt ou tard l'objet d'une prise de conscience politique, au même titre que la norme comptable IAS 39 en 2003 sur la valorisation des actifs financiers :

1°) la méthode Lamfalussy (cf. supra ) tend à être inversée si l'on considère la forte emprise en amont de la comitologie dès le niveau 1 et les tâtonnements sur la frontière entre la directive-cadre (qui pourrait cependant se révéler moins précise que ne le souhaiterait la France) et les textes d'application plus techniques ;

2°) la question de l'extension des nouvelles normes aux fonds de pension , compte tenu des problématiques communes avec les assurances. Votre rapporteur général promeut une telle extension du champ ;

3°) le passage à la « juste valeur » comptable (malgré la suspension - pour une durée indéterminée - de certaines dispositions de la norme IAS 39) conduit à une plus grande volatilité de l'actif et à un risque de discordance avec un passif plus stable et prévisible, quelle que soit la duration de celui-ci. Il ne s'agit pas pour autant de tirer des conséquences excessives de la « fair value » et que cette volatilité se traduise par une plus grande exigence de couverture des placements en actions ;

4°) il importe que les nouvelles normes de solvabilité tiennent pleinement compte de l'essor de la « marchéisation » du risque (titrisation, dérivés de crédit, pooling ...), ce qui d'après la Commission est le cas ;

5°) dans un souci de simplification, la faculté de centraliser le contrôle des groupes d'assurance 4 ( * ) (type « bancassurance ») est défendue par le Royaume-Uni, compte tenu des compétences unifiées de son régulateur national, la FSA ( Financial Services Authority ).

Pour votre rapporteur général, le modèle assurantiel ne doit pas se placer dans une logique liquidative : il apparaît préférable de « récompenser » les assureurs qui gèrent bien le risque et de pénaliser plutôt la volatilité de l'écart de duration entre actif et passif que la volatilité intrinsèque de l'actif.

Plus généralement, une approche dictée par le souci légitime de protéger le consommateur-épargnant contre d'éventuelles défaillances d'organismes d'assurances (illustrées par la faillite en Grande-Bretagne d'Equitable Life) peut aboutir à traiter différemment le secteur des assurances et celui des fonds de pension.

* 1 Ce constat tend à être confirmé par M. Patrick Artus, directeur de la recherche de Natixis, qui à l'occasion de son audition, le 18 octobre 2006, par la mission d'information sur les centres de décision économique, a considéré que la tendance à l'accroissement de la part des investissements boursiers à court terme était renforcée par les normes comptables internationales IAS et la pratique des résultats financiers trimestriels, et que les régulateurs européens avaient commis une erreur majeure en s'attachant à harmoniser les règles comptables et prudentielles pour des sociétés dont les horizons et caractéristiques étaient fondamentalement différents.

Il a également affirmé que le dispositif « Solvabilité II » tendait à fixer le capital réglementaire de ces entreprises en fonction de l'écart de duration moyenne constaté entre l'actif et le passif (le terme de « duration », applicable aux instruments financiers à taux fixe et en particulier aux obligations, désigne la durée de vie moyenne des flux financiers pondérée par leur valeur actualisée). Selon M. Patrick Artus, la duration moyenne du passif des compagnies d'assurance françaises est de douze ans, alors que celle des actions est nulle, de telle sorte que la minoration du capital réglementaire induit une prime à la détention de titres obligataires de duration longue et de faible risque.

Il a estimé que l'insuffisante couverture dont disposaient les fonds de pension américains et britanniques pour assurer le financement de prestations définies avait accru l'aversion au risque des régulateurs, les conduisant à introduire une quasi-logique de répartition dans les bilans de ces organismes.

* 2 Ces objectifs sont : renforcer l'intégration du marché européen de l'assurance ; renforcer la protection des assurés et bénéficiaires de contrats d'assurance ; favoriser la compétitivité des assureurs européens en créant un cadre prudentiel plus adapté aux risques réels pesant sur les entreprises d'assurance ; améliorer l'harmonisation européenne dans le nouveau cadre « mieux légiférer ».

* 3 De fait, cette troisième étude d'impact retient un coefficient de 32 % . En outre, la corrélation entre risque de taux et risque actions a été abaissé de 75 % à 0 %, ce qui implique que la charge en capital finalement appliquée aux investissements serait fortement diminuée (d'environ 25 %, selon les cas), la diversification des placements étant mieux reconnue.

* 4 Il s'agit de mieux répartir les tâches de contrôle entre les superviseurs locaux des filiales et le superviseur de la tête de groupe. En pratique, le superviseur du groupe reprendrait à sa charge l'analyse de l'allocation du capital au sein du groupe, jugeant ainsi de la solvabilité de l'ensemble et de chaque entité, faciliterait la coordination des actions des différentes autorités de contrôle et s'appuierait largement sur ces dernières pour tous les aspects « qualitatifs », tels que la gouvernance, la gestion des risques, la communication financière et la transparence. Parallèlement, s'agissant des aspects quantitatifs, l'action des superviseurs locaux se recentrerait sur les provisions techniques.

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