2. Rationaliser l'accès de l'ensemble des actifs à la formation professionnelle en instituant le compte d'épargne formation

On envisagera ici la problématique de l'accès :

- à l'étape suivant immédiatement la prescription d'une formation, dans le cas d'un primo entrant ou d'une personne présentant un besoin de reconversion ;

- à l'étape suivant immédiatement l'expression d'un désir de formation, dans le cas des salariés en emploi et - comme on va le voir - des retraités désireux de mobiliser leurs compétences pour le bien de la collectivité.

Les étapes précédentes du chemin vers la formation - l'accueil, l'orientation et la prescription - ne peuvent faire l'objet de l'approche intégrée proposée ci-dessous par la mission. Elles seront examinées en fin de chapitre.

a) Les failles du système suggèrent un recentrage sur l'individu

On mentionnera ici, pour mémoire, les failles les plus évidentes du système français de formation professionnelle, développées dans d'autres parties du présent rapport : les quelque 160 000 jeunes sortis du système scolaire sans qualification, l'existence d'une vaste zone grise entre la scolarité et l'insertion dans le monde du travail, la fréquence croissante des parcours professionnels marqués par des ruptures subies ou voulues.

Comment faire en sorte que ces populations trop souvent dissimulées dans les interstices de la tuyauterie en place aient accès, dans des conditions satisfaisantes, aux formations nécessaires à leur insertion et à leur progression ? Tel est manifestement l'un des enjeux majeurs de la rénovation du système.

La solution se présente avec une certaine évidence : il convient de transcender le cloisonnement des statuts en saisissant l'individu lui-même tout au long des étapes cruciales de son parcours.

b) Une solution : le compte d'épargne formation

Plusieurs interlocuteurs de la mission ont proposé de surmonter les difficultés et les inégalités d'accès à la formation professionnelle en mettant en place un outil permettant à l'individu d'accéder à la formation et à la qualification de façon simple, rapide et efficace lors des étapes délicates de son parcours postscolaire . L'ensemble des propositions présentées à ce titre depuis nombre d'années - la plus récente et non la moindre étant la proposition de compte d'épargne formation, évoquée par le Président de la République au cours de la campagne électorale et rappelée par le Premier ministre à l'occasion d'un déplacement à Lyon le 1 er juin dernier - dérivent de l'idée de mettre à la disposition de l'individu, selon des modalités variées faisant toujours appel à la responsabilité de la personne, un « droit différencié » mobilisable pour acquérir une qualification utile à l'employabilité.

Dans la première partie de ce rapport, la mission a constaté la complexité croissante d'un système évoluant par juxtaposition de nouveaux tuyaux d'orgue. Il lui paraît indispensable d'interrompre ce processus en introduisant dans la machinerie de la formation un « germe mutagène de la simplicité » . C'est pourquoi elle a décidé d'explorer la piste et d'évaluer la « faisabilité » du compte d'épargne formation. Elle a jugé l'outil non seulement « faisable » mais aussi souhaitable, sinon indispensable, pour donner à l'idée de formation tout au long de la vie, dont le Président Jacques Delors relevait avec vigueur, lors de la table ronde du 29 mai, le caractère jusqu'à présent nébuleux, un contenu précis et concret, utile à nos compatriotes à la recherche d'une sécurité professionnelle fondée sur la qualité des compétences mises à la disposition de l'économie.

(1) Une piste consensuelle

Le compte d'épargne formation - ou ce qui y ressemble - a été l'objet d'un certain nombre de réflexions substantielles lors des auditions de la mission. Ces réflexions prennent généralement appui sur des propositions plus ou moins élaborées, développées depuis plusieurs années dans des cadres très divers.

M. Claude Thélot, conseiller-maître à la Cour des comptes, a envisagé la création d'un « droit différencié » en faveur des jeunes peu qualifiés à la sortie du système scolaire : « les jeunes gens qui sortent de l'école avec un niveau d'étude, de qualification ou de diplôme donné devraient, en entrant dans la vie professionnelle, disposer de droits inversement proportionnels à la durée de leur formation initiale. Ainsi, les 150 000 sortants chaque année du système scolaire sans diplôme ni qualification disposeraient d'un droit à la formation plus long que celui des polytechniciens. Le système du DIF, qui accorde vingt heures de formation à chacun de façon indifférenciée, ne va guère dans ce sens. L'idée du droit différencié à laquelle j'ai fait allusion a été formulée, sur un plan intellectuel, par de nombreuses personnes. Sur le plan politique, elle n'a été reprise que par peu de gens, et sur un plan concret, elle n'a été jugée opérationnalisable par personne. Par conséquent, nous devons étudier les conditions auxquelles une telle mesure pourrait être mise en oeuvre, et je pense qu'elle peut l'être. Nous pouvons créer un droit à la formation professionnelle continue inversement proportionnel à la durée de la formation initiale. Les conditions opérationnelles sont sans doute plus complexes que nous ne l'imaginons, mais nous pouvons tout de même réfléchir d'un point de vue opérationnel à la mise en oeuvre et à l'existence de ce type de droit différencié, qui serait opposable. Nous pouvons y parvenir et ainsi dépenser notre argent plus intelligemment que nous ne le faisons actuellement. Nous mènerions donc une double action, d'une part du côté des entreprises, en énonçant des objectifs en termes de résultat et non en raisonnant selon une logique de moyens, d'autre part, du côté des personnes, qui bénéficieraient d'un droit articulé à leur formation initiale à travers lequel se concrétiseraient les objectifs assignés aux employeurs. Un des apports fondamentaux de votre travail pourrait consister à aider la société française à définir les conditions concrètes d'une telle action ».

Visant les mêmes tranches d'âge dans une optique un peu différente puisqu'il ne s'agit plus seulement d'offrir un outil de rattrapage aux jeunes lâchés par le système scolaire mais d'accompagner dans un périple de plus en plus diversifié l'ensemble de la jeunesse abordant le marché du travail dans des conditions profondément différentes de ce que les générations précédentes ont connu, Mme Sophie Boissard, directrice générale du Centre d'analyse stratégique, a proposé de favoriser par un financement public la poursuite de la formation au cours de l'étape d'une dizaine d'années précédant de plus en plus la stabilisation dans l'emploi : « le passage de l'adolescence à la vie professionnelle s'étale sur dix ans chez nos voisins européens. Il est probable que cette période s'allongera en France et convergera vers la moyenne européenne. Les jeunes vont sortir du secondaire entre seize et dix-huit ans et se stabiliseront sur le marché du travail vers vingt-cinq ans ou vingt-huit ans. [...] Cette période ne sera pas composée de dix années d'études concentrées dans le temps. Elle alternera des phases d'acquisition des savoirs de base, qui ne seront pas nécessairement des savoirs professionnels et des phases d'allers-retours vers la vie professionnelle. L'alternance en entreprise et les « petits boulots » constitueront des sas d'accès à la vie professionnelle. Toutefois, la possibilité restera ouverte d'accéder à des formations complémentaires beaucoup plus tard dans l'existence. L'organisation du financement global de cette période de dix ans mérite examen. Faut-il concevoir des droits de tirage pour le bénéficiaire ? [...] Le droit de tirage pourrait servir à réaliser une orientation intelligente, à mon sens. En effet, ce droit peut être exercé sur la base d'un projet professionnel préalablement validé. En outre, ce droit intègre nécessairement une partie de prêt, afin d'engager le bénéficiaire dans sa démarche de formation. Ainsi, la collectivité accompagne l'individu vers un secteur qui lui paraît pertinent. De surcroît, la collectivité peut assurer un contrôle annuel de suivi du plan de formation initiale. Ainsi le droit de tirage peut être l'instrument qui permettra de refonder l'orientation. [...] Je serais favorable à ce qu'une expérimentation soit conduite. Chaque jeune sortant du système secondaire se verrait proposé une bourse pluriannuelle autour de la construction d'un projet professionnel. Ce projet ferait l'objet d'une série de validations associant des représentants du système éducatif, du monde économique ou associatif local, ainsi que du système bancaire. Cette réunion permettrait d'associer différents acteurs autour d'un projet applicable sur plusieurs années ».

Notons que les partenaires sociaux ont envisagé de leur côté, de façon à la fois plus large, puisque la jeunesse n'est pas seule visée, et plus étroite, puisque seuls les salariés sont concernés, la mise en place d'un droit individuel à la formation qualifiante différée, dans un esprit de rattrapage évoquant plus directement la proposition de M. Claude Thélot que celle de Mme Sophie Boissard. M. Francis Da Costa, président de la commission formation du Mouvement des entreprises de France (Medef), a fait allusion, lors de son audition, à ce projet non abouti faute du financement public sollicité dès l'abord par les partenaires sociaux avec une parfaite équanimité. L'article 4-1 de l'ANI du 5 décembre 2003 stipule les mesures suivantes :

« Dans un souci d'équité, les salariés, qui ont arrêté leur formation initiale avant ou au terme du premier cycle de l'enseignement supérieur, et en priorité ceux qui n'ont pas obtenu de qualification professionnelle reconnue, et qui souhaitent poursuivre ultérieurement des études en vue d'une promotion sociale, devraient avoir accès à une ou des formation(s) qualifiante(s) ou diplômante(s) d'une durée totale maximale d'un an, mise(s) en oeuvre notamment dans le cadre du congé individuel de formation.

Pour que cette ou ces formation(s) permette(nt) aux salariés un accroissement sensible de leur qualification professionnelle, ils pourront bénéficier :

- d'un concours à l'élaboration de leur projet professionnel, avec l'appui d'un accompagnement dans ou hors de l'entreprise et d'un bilan de compétences,

- de la validation des acquis de leur expérience avant de suivre la formation qualifiante correspondant à leur projet.

Les coûts des actions d'accompagnement, de bilan de compétences et de validation des acquis de l'expérience sont alors pris en charge par le FONGECIF compétent.

Les parties signataires du présent accord souhaitent que les salariés concernés puissent bénéficier, au moment de leur départ en formation, d'un abondement financier des pouvoirs publics correspondant au coût moyen d'une année de formation. A cette fin, elles demandent l'ouverture d'une concertation avec les pouvoirs publics ».

Sur le créneau plus étroit et non moins sensible de la réponse aux besoins des chômeurs et des salariés menacés de plan social, M. Pierre Boissier, directeur général de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), a présenté des propositions susceptibles de s'articuler avec l'ensemble des dispositifs évoqués pour les jeunes en insertion et salariés en emploi. Il s'agit de fournir un appui aux demandeurs d'emploi, « prisonniers d'un système très complexe et cloisonné qui nourrit leur passivité ». A cette fin, « il faudrait passer à une logique de droit individuel, voire de coresponsabilité. Toutefois la généralisation d'un droit individuel à la formation pour les demandeurs d'emploi sur le modèle du DIF est impossible. Le DIF est limité à vingt heures annuelles alors qu'une formation qualifiante lourde représente six cents à mille heures, soit cinquante ans de capitalisation. Une assurance individuelle de qualification, reposant sur une combinaison de capitalisation et d'intervention de fonds publics, devrait être mise en oeuvre. Cette assurance pourrait intervenir en cas de rupture dans le parcours professionnel, qui requiert une requalification. Ainsi on pourrait concevoir d'ouvrir un compte de qualification au moment de la première inscription à l'assurance chômage, ainsi qu'à la sortie du système scolaire pour les jeunes sans diplôme. La logique de droit individuel permet en effet de motiver les individus qui deviennent responsables de leur projet. La logique d'indemnisation resterait la même, mais on pourrait concevoir un système alimenté par le transfert du DIF. La somme initiale servirait à déclencher l'intervention publique de l'assurance chômage ou des conseils régionaux. En outre, la montée en puissance de l'assurance chômage pour les indemnisés permettrait aux conseils régionaux de consacrer leur argent aux non-indemnisés et de régler le problème des primo accédants au marché de l'emploi. Les organismes paritaires collecteurs agréés finançant les contrats de professionnalisation auraient également vocation à participer à ce système. En définitive, la primauté reviendrait au projet de qualification, qui conditionne le versement de fonds publics sur le compte individuel ».

Précisons que le mécanisme décrit par Pierre Boissier n'est pas exclusif d'une approche plus large des problèmes à résoudre : « tous les mécanismes de droits individuels évoqués actuellement posent des problèmes financiers dans la mesure où le coût pour la collectivité serait considérable. Ces problèmes sont particulièrement aigus pour les primo accédants qui n'ont pas constitué de droits. L'idée serait ainsi de substituer une logique assurantielle à l'idée d'un droit général à la formation, empruntant la forme d'un plan épargne formation. En effet, le besoin de formation se fait sentir en cas de rupture professionnelle et de requalification. Il semble ainsi que la réponse appropriée pourrait s'inspirer du système de sécurité sociale dans lequel les comptes ne sont activés qu'en cas d'accident. Un tel compte serait alimenté par le transfert du DIF lors du licenciement. On pourrait sans doute transférer le DIF vers un compte formation qui serait ensuite abondé lors de la rupture professionnelle par les OPCA, par le régime d'assurance chômage et par les conseils régionaux. Toutefois, le droit ne serait constitué qu'au terme de l'élaboration d'un projet de formation dont le financement dépendrait de l'outil mobilisé ».

L'ensemble de ces contributions dessine en pointillés ce que pourrait être un outil intégré d'accès à la formation tout au long de la vie, misant sur la responsabilité de l'actif, centré sur les besoins les moins bien satisfaits par le système existant, construit à partir des ressources de ce même système, introduisant le germe de la simplicité dans les mécanismes de la formation professionnelle.

On notera aussi que l'article L. 900-3 du code du travail, qui résulte de la loi du 4 mai 2004 et n'a jamais reçu de dispositif d'application, énonce de façon assez synthétique la visée du compte d'épargne formation :

« Tout travailleur engagé dans la vie active ou toute personne qui s'y engage a droit à la qualification professionnelle et doit pouvoir suivre, à son initiative, une formation lui permettant, quel que soit son statut, d'acquérir une qualification correspondant aux besoins de l'économie prévisibles à court ou moyen terme :

« - soit enregistrée dans le répertoire national des certifications professionnelles prévu à l'article L. 335-6 du code de l'éducation ;

« - soit reconnue dans les classifications d'une convention collective nationale de branche ;

« - soit figurant sur une liste établie par la commission paritaire nationale de l'emploi d'une branche professionnelle ;

« L'État et la région contribuent à l'exercice du droit à la qualification, notamment pour les personnes n'ayant pas acquis de qualification reconnue dans le cadre de la formation initiale ».

La mission d'information s'est attachée à préciser les détails de ce programme et à dégager ses implications.

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