C. DES FRONTIÈRES ENCORE ÉTANCHES ENTRE FORMATION INITIALE ET CONTINUE : DEUX UNIVERS AUX LOGIQUES SÉPARÉES ?

La forte césure entre la formation professionnelle initiale et continue a été relevée par un grand nombre d'intervenants entendus par la mission.

Ainsi, Mme Françoise Bouygard, déléguée générale adjointe à l'emploi et à la formation professionnelle, a établi le constat suivant : « cette coupure concerne les acteurs, ainsi que les outils et les dispositifs. Il nous semble que cette coupure fait système, d'une certaine manière, et de façon négative . Il est clair que pour tout individu, tout ce qui n'est pas acquis en matière de qualification, de diplômes et de compétences dans le cadre de la formation initiale, sera beaucoup plus difficile et beaucoup plus coûteux à obtenir dans le cadre de la formation continue. (...) Cette coupure ne nous semble pas propre à amener l'appareil de formation initiale à se positionner par rapport aux besoins en compétences du monde économique . La coupure est donc négative à la fois pour notre appareil de formation et pour les individus. »

Cette césure conduit, d'une part, à un certain cloisonnement entre les dispositifs qui peut apparaître peu optimal.

D'autre part, la prégnance de la formation initiale dans le système français fait que les voies de « rattrapage » sont limitées, la formation continue contribuant davantage à redoubler les inégalités plutôt qu'à les corriger.

1. Des dispositifs cloisonnés

Comme l'a souligné M. Michel Quéré, directeur du CEREQ, notre système de formation professionnelle est caractérisé par la « particularité française de stricte séparation de la formation diplômante, qui dépend de l'État, et de la formation professionnelle à vocation qualifiante, qui dépend des partenaires sociaux, et surtout des branches. » Si « une certaine porosité existe, en particulier dans les dispositifs visant à favoriser l'insertion [tels que le contrat d'apprentissage et le contrat de professionnalisation] (...) les marges de progrès restent considérables » : « la prégnance historique du rôle de l'éducation nationale, et du poids du diplôme dans la problématique de l'insertion sont si forts que l'évolution reste relativement lente. »

Une première conséquence de ce constat est que les articulations entre les différents dispositifs d'accès à la qualification restent faibles, favorisant les cloisonnements, voire les effets de concurrence , au détriment de leurs bénéficiaires.

Ainsi, comme l'a justement relevé M. Paul Santelmann, « il n'existe pas, par exemple, de dispositif d'orientation commun aux lycées professionnels, à l'apprentissage, au contrat de professionnalisation et à l'AFPA. Or, ces quatre systèmes sont les principaux systèmes qualifiants. »

Ces logiques séparées se relèvent, notamment, aux niveaux suivants :

- au sein de la formation professionnelle initiale : l'enseignement professionnel sous statut scolaire, en lycée professionnel, et l'apprentissage , ont vocation à préparer les jeunes aux mêmes diplômes d'État ; même si le regard porté par le système éducatif sur l'apprentissage a sensiblement évolué, dans un sens positif, les interactions entre ces deux voies restent faibles ; en effet, l'éducation nationale s'est jusqu'alors faiblement investie dans le développement de l'apprentissage, ce qui ne favorise pas les passerelles entre les deux systèmes ; par ailleurs, ainsi que l'a relevé M. Jean-Paul Denanot, président du conseil régional du Limousin et de la commission formation professionnelle de l'ARF, « l'apprentissage entre aujourd'hui directement en concurrence avec les lycées professionnels. Ce problème est d'autant plus sérieux dans les régions peu peuplées. (...) Il est en effet difficile de former des groupes de trois ou quatre apprentis ou de trois ou quatre lycéens, ce qui occasionne des suppressions de postes et des transferts à des lycées professionnels ou à l'apprentissage. Les conflits sont relativement permanents sur ce point » ;

- au sein des formations en alternance : il est possible de s'interroger, comme l'a fait M. Jean Gaereminck, délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle, lors de son audition devant la mission, sur « l'équilibre entre, d'une part, le contrat de professionnalisation, relevant de la formation professionnelle continue, d'autre part, le contrat d'apprentissage, relevant de la formation initiale » ; en effet, « comment arbitrer entre l'investissement dans la professionnalisation et celui dans l'apprentissage, alors que les décisions sont, dans le premier cas, largement entre les mains des professions et, dans le second, régulées par les conseils régionaux ? (...) ; faut-il privilégier l'atteinte d'une certification reconnue par une certification (diplôme, titre ou CQP) avec le risque de favoriser le glissement des contrats vers des poursuites d'études, ou bien l'atteinte d'une qualification reconnue dans les classifications d'une convention collective avec le risque de gommer la dimension formatrice du contrat et la transférabilité de la formation acquise ?» 20 ( * ) ; à la différence de l'apprentissage, les contrats de professionnalisation ne visent pas principalement des diplômes ou titres d'État ; la moitié d'entre eux (voire les deux tiers dans les secteurs de l'industrie et du bâtiment) conduisant à des qualifications de branche.

Comme l'a relevé M. Gérard Larcher lors de son audition, « nous devons surmonter le cloisonnement entre formation initiale et formation continue, qui correspond à une logique purement financière. »

En effet, l'éclatement entre les statuts - lycéen, apprenti, stagiaire, jeune en contrat de professionnalisation - ne favorise pas une gestion optimale des structures de formation, ce qui est particulièrement dommageable pour assurer le maintien et le remplissage de certaines filières aux débouchés porteurs mais peinant à recruter.

* 20 « Premiers éclairages sur la réforme de la formation professionnelle », rapport de la DGEFP, octobre 2006.

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