B. LES MODALITÉS DES RELATIONS SOCIALES

Les relations sociales indiennes se caractérisent par le rôle actif de l'Etat et par la volonté de prévenir les conflits.

1. Un Etat très présent dans les relations sociales

Le dirigisme qui a longtemps caractérisé la politique économique indienne explique que la place accordée à la négociation collective soit modeste. Une des originalités du dialogue social à l'indienne est l'importance des discussions tripartites, associant l'Etat, les organisations patronales et les syndicats de salariés.

a) Une négociation collective peu développée

La négociation collective est une pratique connue en Inde, que ce soit au niveau national, au niveau des branches ou de l'entreprise, mais sa portée demeure limitée, notamment parce qu'elle est cantonnée au secteur organisé.

La faiblesse de la négociation collective est due aussi au caractère souvent très détaillé, et protecteur, du droit d'origine étatique, qui n'incite guère les partenaires sociaux à élaborer des règles conventionnelles complémentaires. Elle trouve également son origine dans les divisions du mouvement syndical indien, qui résultent de sa forte politisation, ainsi que dans une culture syndicale où l'affrontement entre employeur et salariés prévaut sur la recherche du compromis.

Au cours des dernières années, les syndicats indiens se sont cependant efforcés de mieux coordonner leurs actions, par exemple en se réunissant avant l'ouverture d'une négociation pour tenter d'harmoniser leurs positions, et se sont concentrés sur des problèmes concrets, tels que l'amélioration de la protection des travailleurs du secteur inorganisé, afin de tenter de surmonter leurs divergences idéologiques.

La négociation collective porte, de manière privilégiée, sur les questions de rémunération et de conditions de travail. Dans le contexte de libéralisation économique qui prévaut depuis une quinzaine d'années, les employeurs privilégient la négociation au niveau de l'entreprise, afin de conclure des accords qui répondent plus précisément à leurs besoins et qui favorisent les gains de productivité. Cette tendance à la décentralisation de la négociation collective s'observe également dans les pays développés.

b) La pratique du tripartisme

Les interlocuteurs syndicaux et patronaux de la délégation ont insisté sur l'importance du dialogue tripartite qui précède la mise en oeuvre des réformes en matière économique et sociale.

Tous les deux ans, une Conférence nationale du travail rassemble les partenaires sociaux et le Gouvernement pour examiner les principaux thèmes d'actualité. La 41 e Conférence, qui s'est réunie les 27 et 28 avril 2007, a retenu quatre sujets de débat : le respect de la législation du travail ; les primes versées aux salariés ; les contrats à durée déterminée ; l'emploi des jeunes.

Une quarantaine de comités tripartites plus spécialisés ont également été créés pour débattre des problèmes propres à un secteur d'activité, tels que les transports routiers, l'industrie chimique, la production et la distribution d'électricité, etc.

Pour faciliter les négociations en matière salariale, le Gouvernement indien a mis en place, dans les années 1950 et 1960, des comités tripartites, dénommés Wage Boards , associant représentants des employeurs, syndicalistes et personnalités indépendantes. Ils sont chargés de formuler des recommandations concernant l'évolution souhaitable des salaires ; ces recommandations sont juridiquement non contraignantes, sauf dans le secteur de la presse, soumis à un régime particulier. L'influence des Wage Boards tend aujourd'hui à décliner, les syndicats disposant désormais d'une expérience suffisante pour négocier sans leur appui.

En cas d'échec d'une négociation, l'une des parties à la négociation ou le Gouvernement peuvent saisir un conciliateur, nommé par l'Etat, qui tentera d'élaborer un compromis. Le compromis éventuellement obtenu devient juridiquement contraignant s'il est agréé par l'administration du travail.

2. La gestion des conflits sociaux

La politique suivie par les pouvoirs publics en matière de relations sociales vise à éviter les conflits en privilégiant la voie de la conciliation.

a) Droits de grève et de lock-out

Le droit de grève est reconnu en Inde mais soumis à certaines restrictions. Dans les services reconnus d'utilité publique en vertu de l' Industrial Disputes Act de 1947 7 ( * ) , toute grève doit notamment être précédée de l'envoi d'un préavis à l'employeur, au moins six semaines avant le début de l'arrêt de travail.

L' Essential Services Maintenance Act de 1981 confère à l'autorité publique, au niveau de l'Union ou des Etats fédérés, des pouvoirs étendus, allant jusqu'à la possibilité de faire arrêter les grévistes, pour maîtriser ou interrompre les mouvements de grève.

Afin que la grève demeure une solution de dernier ressort, l' Industrial Disputes Act interdit de recourir à la grève lorsqu'une conciliation est engagée pour tenter de résoudre le conflit. La grève est également prohibée lorsqu'elle est justifiée par un litige porté devant une juridiction ou devant une instance arbitrale.

La législation indienne reconnaît à l'employeur le droit de lock-out , c'est-à-dire la possibilité de fermer son entreprise en cas de conflit. Les salaires cessent alors d'être versés. Interdit en droit français, le lock-out est autorisé dans plusieurs pays européens.

Un organisme public, le Chief Labour Commissioner's (Central) Organisation , plus connu en Inde sous l'appellation de Central Industrial Relations Machinery (CIRM), est chargé de mener des actions de conciliation ou de médiation afin de prévenir ou de résoudre les conflits collectifs. Le CIRM dispose d'une équipe de vingt-cinq médiateurs au niveau national et de 253 médiateurs dans ses bureaux de province.

Dans son rapport annuel d'activité 8 ( * ) , le ministère du travail indique que le CIRM est intervenu, à titre préventif, dans 380 situations de crise au cours de l'année 2005-2006 et que ses efforts de conciliation ont permis d'éviter la grève dans 98,9 % des cas. Au cours de la même période, plus de 4 300 procédures de conciliation ont été engagées pour tenter de résoudre des conflits ouverts et ces efforts ont été couronnés de succès dans plus d'un tiers des cas.

b) Les voies de recours juridictionnel

En cas de litige entre un salarié indien et son employeur, l'affaire est d'abord portée, comme c'est également le cas en droit français, devant un bureau de conciliation qui tente de trouver une solution amiable. Cette phase de conciliation dure en moyenne six mois. Si elle n'aboutit pas, le plaignant peut porter l'affaire devant un tribunal spécialisé .

Selon les cas, l'affaire est portée soit devant une Labour Court , soit devant un Industrial Tribunal . Les Labour Courts sont compétentes pour examiner, notamment, les litiges relatifs à l'exercice par l'employeur de son pouvoir de direction dans l'entreprise et les questions relatives à la grève et au lock-out . Les Industrial Tribunals connaissent des questions de salaire, de temps de travail, de classification ou de restructuration.

Les délais de jugement devant ces juridictions sont assez longs (de deux à trois ans en moyenne). Le recours à l'arbitrage peut permettre d'obtenir une décision plus rapidement.

Bien qu'il existe en Inde des services d'inspection du travail, et bien que chaque texte relatif au droit du travail prévoit des sanctions, allant de simples peines d'amende à des peines d'emprisonnement, à l'encontre des employeurs indélicats, le nombre d'infractions portées à la connaissance des tribunaux, et le nombre d'employeurs condamnés, sont extrêmement faibles. Le représentant de la CII que la délégation a rencontré à Delhi n'a pas hésité à affirmer que les tribunaux rendent des jugements globalement favorables aux employeurs.

c) Une conflictualité sociale en baisse

Les statistiques les plus récentes suggèrent que les relations sociales en Inde deviennent progressivement moins conflictuelles.

En effet, le nombre d'interruptions de travail est passé de 1 810, en 1991, à seulement 458 en 2005, soit une baisse de près de 75 %. Ce chiffre inclut d'ailleurs les grèves à l'initiative des travailleurs mais aussi les fermetures d'usine décidées par l'employeur ( lock-out ).

On observe également une baisse du nombre de journées de travail perdues pour cause de conflit collectif rapporté au nombre de travailleurs du secteur organisé : ce ratio est passé de 4,8 en moyenne dans les années quatre-vingt à 2,1 dans les années quatre-vingt-dix.

Ce constat d'une moindre conflictualité sociale doit cependant être nuancé : il semble en effet que les interruptions de travail, si elles sont moins nombreuses, aient en revanche gagné en ampleur. Un conflit du travail occasionnait, en moyenne, la perte de 14 601 journées de travail en 1991 contre 50 799 en 2005. C'est pourquoi le nombre de journées de travail perdues pour cause de conflit du travail, passé de 26,4 millions en 1991 à 23,3 millions en 2005 (- 11,7 %), a baissé dans de bien moindres proportions que le nombre de conflits du travail.

* 7 Sont concernés les chemins de fer, les ports, les services téléphoniques et postaux, la production et la distribution d'électricité et d'eau potable, les services sanitaires ou encore les services bancaires.

* 8 Annual Report 2005-2006, Ministry of Labour and Employment, chapitre 3, p. 27.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page