PARTIE IV : LE PANORAMA DES INTERVENTIONS DE L'ETAT

Deux formes différentes d'interventions de l'État au titre de la politique de la ville peuvent être identifiées :

- Des interventions directes, retracées sur le titre VI du budget de l'État. Parmi ces interventions directes de la politique de la ville, les « crédits spécifiques » sont couramment distingués des « crédits de droit commun » ;

- Une forme indirecte d'intervention, à travers la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU-CS) qui est une composante du plus important concours financier de l'État aux collectivités territoriales, la dotation globale de fonctionnement (DGF). Techniquement, la DGF est financée par un prélèvement sur recettes de l'État et ne relève donc pas du titre VI. Cependant, en la matière, la Cour a estimé, dans son dernier Rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État , que les concours financiers aux collectivités territoriales peuvent être assimilés, dans certains cas, à des interventions définies au sens large 74 ( * ) .

En dehors des subventions de l'État à l'ANRU retracées sur le programme n° 202 « Rénovation urbaine » et des compensations d'exonérations fiscales et sociales, deux blocs distincts d'interventions directes de l'État au titre de la politique de la ville sont fréquemment distingués :

- Les interventions de l'État mises en oeuvre dans le cadre du programme n° 147 « Équité sociale et territoriale et soutien » , appelées couramment « crédits spécifiques » de la politique de la ville. Les crédits ouverts sur ce programme représentaient, en 2006, 670 M€ en autorisations d'engagement et 750 M€ en crédits de paiement ;

- Les « crédits de droit commun » : il s'agit de crédits de l'État ne figurant ni dans le programme n° 202 ni dans le programme n° 147 mais finançant des actions menées en direction des zones d'intervention de la politique de la ville. Ces crédits étaient estimés, en dépit de grandes difficultés d'évaluation, à 2,6 Md€ en 2006 75 ( * ) .

La Cour avait souligné, dans son rapport public particulier de 2002, le caractère limité des procédures de coordination des politiques de droit commun et, en parallèle, le développement de dispositifs spécifiques de la politique de la ville.

En dépit de progrès récents à souligner 76 ( * ) , ce constat reste fondé aujourd'hui :

- Les acteurs de la politique de la ville mobilisent une énergie considérable pour la gestion de dispositifs spécifiques (« adultes-relais », programme « ville, vie, vacances » , ateliers santé ville), marqués par une forte instabilité financière et juridique ;

- Cette focalisation sur les dispositifs spécifiques peut être lue comme un palliatif des difficultés de mobilisation des crédits de droit commun, alors même que ceux-ci devraient représenter le vecteur principal et structurant d'intervention en direction des quartiers en difficulté. Le défi d'une coordination interministérielle suffisamment forte pour mobiliser les politiques de droit commun en direction de ces quartiers reste à relever.

La nécessité d'une orientation stratégique en direction des quartiers en difficulté s'agissant des crédits de droit commun de l'État apparaît encore plus nette après la réforme de 2005 de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU-CS).

- Composante de la dotation globale de fonctionnement (DGF), cette dotation (880 M€ en 2006) ne constitue pas, au sens strict, une intervention de l'État au titre de la politique de la ville. Cependant, la réforme de 2005 représente, par l'ampleur de son impact, un choix fort pour le renforcement de la péréquation, au sein de la DGF, en direction des communes comportant une part importante de leur population dans les zones d'intervention de la politique de la ville. Un choix similaire n'a pas encore été mis en oeuvre s'agissant des interventions directes de l'État.

- Par ailleurs, cette réforme de 2005 n'est pas dépourvue d'ambiguïtés de principe et de difficultés de mise en oeuvre avec, en particulier, un effet amplificateur des imperfections du zonage de la politique de la ville. Par les effets de distorsion qu'elle induit, la réforme de la DSU-CS incite à la révision de ce zonage, qui ne peut aboutir sans la mise en oeuvre parallèle d'une stratégie de mobilisation des politiques de droit commun.

I. LES « CREDITS SPÉCIFIQUES » : UN PRINCIPE DE COMPLEMENTARITE NON RESPECTE, UNE GESTION INSTABLE ET DISPERSÉE

L'état récapitulatif de l'effort financier consacré à la politique de la ville et du développement social urbain, annexé au projet de loi de finances pour 2006, définit ainsi le rôle des crédits spécifiques de la politique de la ville : « ils sont indispensables pour initier et coordonner les programmes, accompagner leur mise en oeuvre et traiter les problèmes particuliers peu ou non pris en compte par les lignes budgétaires dont disposent les ministères concernés . » Ces crédits n'interviendraient donc qu'en complément pour créer un effet de levier par rapport à la mobilisation des politiques de droit commun.

L'analyse du programme 147 « Equité sociale et territoriale et soutien » de la mission « Ville et logement » 77 ( * ) et les constats de terrain de la Cour montrent que ce principe de complémentarité n'est pas respecté en pratique. Ces crédits spécifiques mobilisent, en réalité, très fortement les gestionnaires et acteurs de terrain. Cette focalisation est telle que les interventions gérées sur ce programme 147 sont fréquemment assimilées à l'intégralité de la politique de la ville elle-même.

Cette mobilisation des énergies sur les dispositifs d'intervention du programme 147 peut s'expliquer par plusieurs facteurs, très liés en pratique :

- Ces interventions sont, pour l'essentiel, des transferts directs à des bénéficiaires qui sont également des acteurs majeurs de la vie des quartiers : entreprises, associations, collectivités territoriales. Les conséquences des décisions de gestion de ces interventions peuvent donc se répercuter très directement sur les actions menées par ces intervenants sur le terrain.

- La focalisation sur les dispositifs spécifiques peut également s'expliquer par la complexité de leur gestion : la dispersion des moyens mis en oeuvre sur le programme 147 alourdit la gestion de ces interventions.

- Ces dispositifs sont, par ailleurs, très instables dans le temps, sur les plans à la fois financier et juridique. Dans les départements visités, la Cour a constaté que les agents de l'État en charge de la gestion de ces dispositifs déployaient une énergie considérable pour remédier aux conséquences de cette instabilité.

Trois grilles de lecture ont été utilisées pour présenter la gestion des crédits du programme 147 :

- Une approche globale du programme ;

- Une approche par bénéficiaires des interventions ;

- Une approche par dispositifs d'intervention de la politique de la ville.

A. DONNÉES GENERALES POUR LE PROGRAMME 147 « EQUITE SOCIALE ET TERRITORIALE ET SOUTIEN » : INSTABILITE DES MOYENS SUR LA PÉRIODE RECENTE, PERSISTANCE D'IMPAYES ET APPLICATION PROGRESSIVE DES PRINCIPES DE LA LOLF

Le programme 147 est l'un des quatre des programmes de la mission « Ville et logement » . Son responsable est le délégué interministériel à la Ville.

L'évolution d'ensemble des crédits de ce programme sur la période récente fait ressortir la mise en oeuvre d'une politique de « stop and go » marquée.

Le passage complet en mode LOLF en 2006 a permis d'améliorer la gestion de ces crédits. Mais des impayés de l'État persistent sur plusieurs postes importants. De plus, les principes de la LOLF ne sont pas encore complètement respectés en pratique.

1. Les enjeux financiers

a- Un programme qui représentait, en LFI 2006, 670 M€ en AE et 750 M€ en CP

Le programme 147 représentait, en LFI 2006, environ 10 % des autorisations d'engagement (AE) et des crédits de paiement (CP) de la mission « Ville et logement » . Les crédits ouverts s'élevaient à environ 670 M€ en AE et 750 M€ en CP. Les crédits retracés sur ce programme sont presque exclusivement consacrés à des dépenses d'intervention 78 ( * ) .

Tableau n° 8 :  Les programmes de la mission « Ville et logement »

Mission ville logement

Programmes

AE ouvertes (en M€)

Part du programme sur la mission en AE (en %)

CP ouverts (en M€)

Part du programme sur la mission en CP (en %)

202 Rénovation urbaine

365,04

5,07%

318,76

4,40%

147 Equité sociale et territoriale et soutien

669,40

9,30%

754,60

10,41%

109 Aides à l'accès au logement

5 114,90

71,09%

5 114,90

70,56%

135 Développement et amélioration de l'offre de logement

1046,50

14,54%

1 060,55

14,63%

Total

7 195,84

100%

7 248,81

100%

Source : Cour des comptes d'après données DIV et DGUHC

b- Une évolution très heurtée des crédits d'intervention sur la période récente

Hors interventions ZFU 79 ( * ) , on constate, pour la période 2004-2006, des variations très marquées pour les dépenses d'intervention :

- En autorisations d'engagement, les crédits diminuent de 13 % entre 2004 et 2005 avant de progresser de 42 % entre 2005 et 2006 ;

- En crédits de paiement, les crédits diminuent de 9 % entre 2004 et 2005 avant de progresser de 74 % entre 2005 et 2006.

Tableau n° 9 :  Evolution des dépenses par nature de crédits pour le programme 147, « Equité sociale et territoriale et soutien »

La forte progression constatée entre 2005 et 2006 est essentiellement liée au vote d'un « amendement banlieues » après les violences urbaines de la fin 2005, qui s'est traduit par 183 M€ de crédits complémentaires.

Tableau n° 10 :  L' « amendement banlieues » : présentation globale

Programme 147 Équité sociale et territoriale et soutien

PLF initial 2006

Crédits demandés compte tenu de l' « amendement banlieues »

LFI 2006

En CP / En M€

610,8

791,8

793,2

Source : PLF initial 2006, LFI 2006

Tableau n° 11 :  L' « amendement banlieues » : décomposition

(en millions d'euros)

Nature de la dépense

Mesures d'urgence

Associations (dépenses nationales ou déconcentrées)

80

Adultes relais (+ 3.000)

40

Equipes de réussite éducative (+ 325)

30

Internats de réussite éducative (+ 15)

7

Ateliers santé ville (+ 160)

4

Zones franches urbaines (+ 15)

20

TOTAL

181

Source : Rapport d'information de M. Pierre ANDRÉ , sénateur, sur les quartiers en difficulté, déposé le 30 octobre 2006. Annexe7 / Données PLF 2006

Les crédits complémentaires de 2006 ont été plus particulièrement mobilisés en direction des subventions aux associations, du programme adultes-relais et des projets de réussite éducative 80 ( * ) .

Cette instabilité se répercute fortement au niveau local, comme le montrent les tableaux ci-dessous pour le Rhône et la Seine-Saint-Denis.

Tableau n° 12 :  Evolution des crédits délégués par la DIV entre 2002 et 2006 en Seine-Saint-Denis et dans le Rhône (en €)

2002

2003

2004

2005

2006

Seine-Saint-Denis

17 631 260

15 205 704

10 999 305

8 436 003

15 577 258

Rhône

10 899 087

9 936 975

8 639 633

8 395 641

13 340 042

Source : préfectures du Rhône et de Seine-Saint-Denis 81 ( * ) .

* 74 Rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État - Exercice 2006 , mai 2007, p 63.

* 75 Source : document de politique transversale « Ville », annexé au projet de loi de finances pour 2007.

* 76 Par exemple, l'élaboration d'un document budgétaire de politique transversale.

* 77 L'autre ensemble de crédits spécifiques - à savoir les crédits retracés sur le programme 202 « Rénovation urbaine » - n'entre pas dans le champ de cette enquête.

* 78 Ces dépenses d'intervention sont, pour l'essentiel, des subventions de fonctionnement. Les subventions d'investissement sont aujourd'hui marginales sur le programme 147 (hors apurement d'impayés) : dans le PAP de ce programme pour 2007, les autorisations d'engagement en investissement sont de l'ordre de 5 M€. Elles correspondent à des opérations de faible ampleur ne relevant pas de la rénovation urbaine : réalisation d'aires de jeux, aménagement de locaux d'insertion.

* 79 Compensations d'exonérations d'impôt sur les sociétés en zones franches urbaines. Cette intervention n'était pas retracée sur le programme 147 avant 2006.

* 80 Cf. le tableau de présentation des dépenses d'intervention de la politique de la ville, en annexe.

* 81 Les données transmises par la préfecture de la Somme ne permettaient pas une comparaison avec les deux autres départements. Les acteurs rencontrés ont, cependant, constaté la même évolution heurtée des crédits spécifiques.

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