B. LE REGARD DES REPRÉSENTANTS D'EXÉCUTIFS

Avertissement

Des propos et observations ont été recueillis auprès d'une vingtaine d'entre eux, élus et essentiellement collaborateurs directs issus pour la plupart de la haute fonction publique d'Etat et ayant exercé ou ayant vocation à exercer des responsabilités dans les trois univers de l'Etat, des collectivités ou même du privé.

De ces entretiens, une première analyse de la situation locale peut être envisagée, sans aucune prétention, simplement pour ouvrir un débat rarement abordé sous l'angle de la réalité quotidienne vécue par les élus et leurs collaborateurs.

Certains des propos recueillis ou de leurs réponses écrites sont cités entre guillemets, notamment pour souligner les convergences particulièrement fortes.

1. Les administrations sous tutelle de l'Etat

Le travail a été et semble le plus fructueux avec la délégation à l'aménagement du Territoire (maintenant la DIACT), les secrétaires généraux des affaires régionales, de manière générale le corps préfectoral. Les préfets sont plutôt plébiscités, malgré leur « turn over » incessant après 1985. «  C'est une situation vraiment calamiteuse qui est incompatible avec un Etat qui se veut stratège», nous dit l'un de nos interlocuteurs. Cette réalité heurte tous les élus qui, même en situation d'exécutifs depuis seulement peu d'années, ne comptent plus les préfets et sous-préfets auxquels ils ont dû « s'adapter ».

Le travail a été et reste le plus difficile avec les DDE, et les DDASS en particulier au moment des transferts de compétences (« manipulation des chiffres, mauvaise foi, climat tendu... »).

En général, le contentieux signalé est exceptionnel, très rarement sur des questions importantes.

Les raisons de ces constats sont évoquées à titre d'exemple :

Ø Le corps préfectoral cherche habituellement le contact et la construction d'une vision commune. « Les SGAR et les secrétaires généraux de préfecture sont les piliers de la relation Etat / Collectivités locales. « Le transfert du pôle économique aux TPG est une erreur politique. Cette administration n'a pas de légitimité même de culture pour conduire une politique de développement local. »

Ø Les difficultés ressortent avec encore plus d'ampleur au moment des différentes phases de la décentralisation, au moment de la négociation des transferts de compétences. Les administrations techniques déconcentrées maintiennent, « envers et contre tout » un comportement d'autonomie, donnant l'impression de se rattacher plus ou moins directement à leurs administrations centrales.

Ø La qualité des relations humaines avec les représentants de l'Etat ne doit pas faire oublier les limites de cette relation.

Il est souvent dénoncé par exemple :

- des fonctionnaires aux ordres de Paris, jouant de cela pour ne pas adapter leur position ;

- une absence de souplesse dans le mode d'affectation des crédits déconcentrés qui apparaît comme de moins en moins transparente (à la discrétion du pouvoir préfectoral) et opaque, « parce que cette participation apparaît non significative la plupart du temps » ;

- une absence d'information et de concertation, particulièrement sensible quand il s'agit de dossiers de coopération interrégionale ou transfrontalière. En fait, le « fameux effet de levier » si souvent évoqué, joue de moins en moins ;

Ø Dans la durée, les administrations déconcentrées ont certes évolué, de façon différente, mais paradoxalement, ces mêmes administrations continuent à donner l'impression de « doublons ». Ainsi en est-il par exemple des DDE, des DDASS...

« Il aurait mieux valu dès le départ une décentralisation totale des fonctions de niveau départemental aux conseils généraux. Cette décentralisation partielle a multiplié les zones de coordination (réunions), les zones de frottement (réduction de la productivité), les zones de complexité au regard des usagers (réduction de la transparence).

Ce constat est renforcé par le fait que les problèmes récurrents de trésorerie de l'Etat et le changement de politiques à chaque ministre étaient et restent une calamité sur le terrain. »

2. L'Etat assure jouer un rôle de médiateur et de régulateur. Or, sa tutelle est à l'évidence « encore pesante »

Cette impression est d'autant plus forte que la collectivité n'a pas le « statut » de grandes collectivités et un poids « politique » reconnu. En effet, au minimum l'Etat intervient dans tous les domaines par sa réglementation. Les effets de cette intervention sont insuffisamment explicites et mal maîtrisés objectivement, au niveau des modèles de développement propres à chaque région.

En fait, et souvent en droit, sur quels champs l'Etat n'intervient-il pas ?

- la formation continue,

- les routes, les autoroutes non comprises,

- le transport régional de voyageurs,

- les chemins de randonnées,

- les collèges (construction),

- les lycées (construction) ...

Le corps préfectoral exerce cette tutelle de façon évidente. Il intervient d'autant plus par ce biais, maintenant central, sur les orientations des collectivités que la diminution de ses moyens directs financiers d'intervention ne cessent de diminuer. Les élus sont par ailleurs très souvent demandeurs de cette « tutelle » réglementaire, demandeurs pour éviter l'insécurité juridique évoquée ci-dessous.

L'administration de l'Etat est très présente dans les communes « dites en difficultés » et parfois quasi absente dans les communes « plus normales ». Ainsi, il est notable que l'Etat se « désintéresse » de toutes les politiques de prévention. Dans les instances habilitées à cet effet comme les Comités locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) ou autres, les projets ou actions des communes n'intéressent pas : médiations, Ecole des parents...

En fait, la collaboration avec les services de l'Etat s'avère fructueuse en cas de projet hors norme (comme le Futuroscope, à l'époque bien sûr) ou plus ordinairement des politiques d'investissement. Cela s'est encore vérifié dans la politique mise en oeuvre à travers les pôles de compétitivité qui ont fait à la fois l'objet d'un appel à projets, d'une concertation entre acteurs et d'expertises croisées avec l'Etat et ses administrations.

Sur la durée, les deux conséquences depuis longtemps dénoncées par les élus se trouvent une nouvelle fois confirmées :

• Un allongement considérable des procédures car l'examen des dossiers remonte trop souvent aux administrations centrales (notamment dès qu'un projet s'avère complexe, demande un peu d'argent de l'Etat ou devient un enjeu entre pouvoirs locaux ou entre Etat et collectivités),

• La multiplication des financements croisés entre l'Etat et les collectivités (sans parler des crédits européens) complique les montages, multiplie les réunions, ne permet pas des objectifs clairs, autorise les manipulations (financements à 120 %). L'expression « effet de levier » est galvaudée !  Pour qui est-il au final ? Il crée plus de suspicions que d'effets bénéfiques sur le bouclage des opérations ou projets.

Mais il y a un troisième effet tout aussi pernicieux : tout exécutif local souhaite un mandat national pour avoir un accès direct aux ministres, à leurs cabinets et administrations. On croise un parlementaire et on le reçoit plus rapidement. Les autres ont l'impression de faire « antichambre ». C'est ainsi la course à qui fera venir un ministre sur son territoire. Avoir un ministre issu de son département, région ou commune est une « bénédiction » !

3. Le décalage entre les deux fonctions publiques

Il est dénoncé par tous les responsables interrogés.

La première cause paraît en être la dévalorisation de fait des concours de l'administration locale (à affichage égal) au regard de ceux de l'Etat et l'absence totale de mobilité réelle entre les deux (surtout dans le sens administrations territoriales - Etat). Cela est tellement vrai qu'il n'existe apparemment aucune statistique fiable sur ces mouvements entre fonctions publiques... sinon les chiffres issus de la commission « déontologie » tranchant les cas de hauts fonctionnaires voulant « pantoufler » !

Il n'est pas de mots assez durs pour pointer les multiples règles qui brident le niveau de recrutement des collectivités locales (nombre de contractuels, numerus clausus lié à la taille pour le recrutement de hauts fonctionnaires locaux, appel pour les fonctions de directeur général aux fonctionnaires de l'Etat, créant un « plafond de verre » pour les perspectives de carrières, etc...).

Tous les constats sont sans appel (à plus forte raison, venant de responsables appartenant eux-mêmes à de grands corps et ayant exercé de multiples fonctions à l'Etat comme en collectivités) :

- « les corps de l'Etat ont « verrouillé » la fonction publique territoriale » ;

- « il y a toujours de très grandes difficultés de travail entre l'INET et l'ENA » ;

- « il est quasiment impossible, sinon « au compte-gouttes » d'introduire des compétences territoriales de haut niveau dans des instances nationales chargées de travailler sur des sujets communs entre Etat et Collectivités locales. L'exemple du mode de travail des inspections générales et des conseils généraux des corps, lors des missions d'évaluation et d'audit qui leur sont confiées, est à cet égard significatif. »

Dans tous les avis recueillis, tous s'accordent à constater qu'une véritable « mobilité » entre Etat et collectivités est inexistante (hors transferts). Enfin, la taille des collectivités locales, leur concurrence, leur caractère ressenti comme « politicien » par rapport à un Etat dont l'image est encore celle d'impartialité, ne les rend pas suffisamment séduisantes pour des cadres et encore plus pour des cadres supérieurs.

Par contre, il semble qu'une certaine fluidité de l'emploi soit réelle, tant entre collectivités de même niveau qu'entre niveaux différents.

4. L'expertise reste-t-elle encore aujourd'hui du côté de l'Etat ?

Les avis sont partagés, mais pour combien de temps ?

Il semble que tous convergent pour dire que l'expertise de haut niveau est concentrée au niveau de l'Etat central.

Par contre, on entend, de plus en plus souvent, le type de propos suivants :

- « les relations avec les administrations déconcentrées sont bonnes car sans contenu ! »

- « les services de l'Etat ne sont plus en capacité de répondre sur place aux sollicitations techniques, financières, juridiques des services de la collectivité. »

- « certaines de ses administrations sont vides ou sans compétences » : Directions de l'action sociale, Directions départementales de la jeunesse et des sports, culture, tourisme.

Les administrations déconcentrées de l'Etat n'ont plus de capacité de conseil ou d'expertise pour aider les communes petites ou moyennes, même sur des questions relativement simples. Par exemple, après l'annonce et la mise en oeuvre de la LOLF, le secrétaire général n'a pas jugé indispensable de réunir les secrétaires généraux des communes pour les informer et examiner avec eux les conséquences de cette « mini révolution » culturelle.

Le Trésor Public qui devrait exercer le contrôle et le conseil sur les procédures de marchés publics n'apporte guère le soutien nécessaire.

Le contrôle de légalité s'exerce le plus souvent sur les délibérations relatives au personnel. Il n'est pas à la hauteur (en ce qui concerne la fonction publique et les procédures de recrutement, par exemple) et à la dimension des questions soulevées.

Face à cette situation, les communes ne trouvent pas dans les collectivités locales du niveau supérieur (département et région) les compétences fines dont elles auraient besoin. Le principe de non-tutelle d'une collectivité sur l'autre et leur autonomie a retenu, jusqu'à présent, la constitution de pôles d'expertise mutualisés entre niveaux de collectivités. Ainsi certaines communes paraissent faire appel pour des dossiers lourds de montage technique et financier à des pôles de compétences spécialisés mis en place par l'Etat, à Lyon, à Lille ou ailleurs.

Il en résulte une première conséquence dérivée, celle de l'augmentation des effectifs de la fonction publique territoriale au niveau des intercommunalités, la plus forte sur ces dernières années. L'intercommunalité met en place, avec une fonction publique dédiée à cet effet, une expertise de proximité, mutualisée, souvent appréciée, très médiatisée au niveau local comme national. Le transfert des compétences obligatoire ou optionnel des communes aux intercommunalités a été et reste un formidable levier d'efficacité technique.

Mais d'autres conséquences sont apparues, parfois dénoncées par la Cour des Comptes :

- l'augmentation de la fiscalité locale du fait de l'accroissement des effectifs ;

- la « confiscation » du pouvoir de décision sur les grandes opérations par des « arbitrages restreints » entre les exécutifs des intercommunalités et l'Etat ;

-  des coûts induits supplémentaires pour répondre à la diversité des attentes des populations.

5. Une grande instabilité du cadre réglementaire

L'« inflation législative » a des conséquences démultipliées sur l'inflation réglementaire ! Ce changement permanent des règles (que dénonce tout autant, sinon plus, le secteur privé) entraîne une judiciarisation croissante de la vie publique. Trop de règles dépendaient (et dépendent encore ?) de la jurisprudence des juridictions financières ou des tribunaux administratifs. Dans certains cas, les élus et leurs collaborateurs sont en droit de penser que ce sont les juridictions financières qui font la politique locale en émettant un avis sur l'opportunité de toute décision.

Les communes vivent dans une réelle insécurité juridique, les réformes et circulaires se succédant sans trop d'explication.

Cette instabilité se traduit par :

- des hésitations s'agissant de la mise en place des mesures internes préventives (par rapport à quoi ?),

- le blocage de nombreuses initiatives (par crainte du contrôle ultérieur).

Le droit territorial doit être stable. Les vides juridiques doivent être traités rapidement.

Ainsi, par un effet que l'on pourrait qualifier « d'optique », la neutralité technique était et reste du côté de l'Etat. Même avec peu de moyens financiers d'intervention directe, l'Etat, hier et aujourd'hui, reste un partenaire majeur, régulateur dans tous les sens du terme.

6. La lassitude des élus locaux est-elle fondée ?

Trente-cinq délégations ou représentations pour chaque conseiller général dans le département du Rhône.

Les élus ont le sentiment d'être négligés, voire considérés comme des alibis dans les instances présidées par l'Etat avec toujours avec une multitude de collaborateurs.

Là encore, si l'exécutif d'un département, d'une région ou d'une grande métropole « pèse », c'est bien sûr par l'expérience, l'ancienneté, mais aussi du fait du cumul de mandats avec, par exemple, le fait d'être parlementaire. Les élus locaux s'abstiennent de plus en plus de siéger dans de nombreuses instances présidées par l'Etat, avec l'accord tacite de leurs exécutifs. « Ils passent, laissent un collaborateur, souvent assis derrière sur une chaise », alors que tous les chefs de service de l'Etat entourent le préfet ou son représentant.

Les multiples « réformes de l'Etat » ne semblent pas avoir d'impact significatif sur le terrain.

La médiatisation des opérations de « simplification administrative » ne vient pas à bout du scepticisme de l'opinion comme des élus locaux.

Même le regroupement des DDASS, DDE, DIREN est «ignoré » par la plupart des élus locaux. La raison en est sans doute en grande partie que ces réformes sont conduites sans concertation préalable avec les élus qui n'y voient que la disparition de compétences et d'emplois de proximité.

Ceci explique les réactions des élus devant la disparition des trésoreries, des gendarmeries, des hôpitaux, maintenant des tribunaux. Il faut y ajouter ce qui, le plus souvent, apparaît comme un « chantage » de la part de l'Etat aux exécutifs locaux. L'Etat maintiendra ces services  « à perte » si la collectivité paie !

Les élus appellent de leurs voeux une stratégie concertée Etat/Collectivités. S'il s'agit pour l'Etat de diminuer sa capacité de « conseil » tout en continuant d'imposer un contrôle tâtillon, les élus, à juste titre, s'alarment.

On peut ajouter à ces causes de « lassitude », malgré l'émergence de la notion de responsabilité sans faute, une certaine « angoisse » chez tout exécutif de se voir attaquer directement « au pénal », avant toute procédure civile et administrative, par tout citoyen.

La Réforme des institutions devra tenir compte de ce sentiment d'insécurité.

Les administrations déconcentrées évoluent et se réforment ; mais les collectivités territoriales, même de petite taille ou moyennes, évoluent aussi sans cesse. Le problème est que leurs démarches restent parallèles et ne se rejoignent pas pour assurer cohérence et complémentarité. Les élus municipaux s'investissent beaucoup dans toutes les instances qui les mettent en contact et leur permettent de mutualiser leurs expériences. Ils se désinvestissent de plus en plus de celles pilotées par l'Etat.

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