II. DES ÉLUS ATTENTIFS AUX MOYENS D'ACCROÎTRE LEUR LÉGITIMITÉ

A. DES OPINIONS DIVERSES SUR LE RECOURS AU SUFFRAGE UNIVERSEL DIRECT POUR ÉLIRE LES CHEFS D'EXÉCUTIFS

M. Louis Souvet (Doubs - UMP) considère, pour sa part, que le problème tient également à l'insuffisance de l'effort de formation des élus :

Les liens entre les élus et les citoyens ne se décrètent pas. Ils sont tissés, avec patience et application, par des élus qui ont cette aptitude . Les initiatives qu'ils peuvent prendre pour se rapprocher des citoyens, les former si nécessaire, les informer, les inviter « à prendre possession » de leur ville, des services nouveaux ou nouvellement créés, sont des initiatives personnelles qui n'ont que peu à voir avec la décentralisation. La décentralisation me paraît plus un acte administratif qui est précisément d'autant plus mal ressenti que certains élus n'ont pas capacité à l'appliquer.

En effet, l'effort de formation vis-à-vis des élus n'a pas été suffisant . Ce corpus bien spécifique de la décentralisation est complexe car composé de nombreux textes. Pour beaucoup, la décentralisation se résume à une évolution législative (1982) et une évolution constitutionnelle (2003) alors que le phénomène ne se limite pas, loin s'en faut, à ce diptyque théorique, trop succinct, réducteur à l'excès.

De plus, il n'a pas été pris suffisamment en compte les attentes et aspirations de nous tous, élus de base, confrontés aux réalités, c'est-à-dire en fait aux contraintes du terrain. Élaborer un texte, c'est bien, le rendre compatible avec les attentes de la population, attentes qui évoluent rapidement, c'est mieux. Avec la décentralisation, telle qu'elle a été préparée et élaborée, l'élu se retrouve en fait en porte à faux entre « les pouvoirs publics » au sens large et les citoyens.

M. Michel Houel (Seine-et-Marne - UMP) estime, à cet égard, que :

En France, celui qui mène la campagne électorale est celui qui brigue le poste de maire. Élu, il possède une véritable légitimité et assume la responsabilité de l'exécutif. Il n'y a donc aucune ambiguïté.

Il convient de s'interroger sur la désignation des présidents d'intercommunalité. En effet, une élection au suffrage universel direct reviendrait à déposséder le maire de ses compétences pour le réduire à des tâches subalternes. Les Français, très attachés à leur maire, ne sont pas prêts à le sacrifier.

Par ailleurs, c'est toujours à la mairie de leur commune, et donc auprès du maire, qu'ils viendront chercher les services dont ils ont besoin.

Afin de renforcer le lien entre les élus et les citoyens, de nombreux pays européens ont choisi soit d'élire au suffrage universel direct les présidents de leur exécutifs locaux, soit de prévoir une désignation automatique de la personnalité qui figure en tête de la liste. Les sénateurs qui ont répondu au questionnaire de l'Observatoire de la décentralisation semblent partagés sur cette question. Alors que certains trouvent l'idée utile pour renforcer le lien entre élus et citoyens, plusieurs sénateurs ont fait part de leurs réserves devant ce mécanisme en arguant du fait que le système actuel permettait déjà de bien identifier celui qui avait vocation à exercer la responsabilité de l'exécutif.

M. Aymeri de Montesquiou (Gers - RDSE), par exemple, approuve l'idée mais il émet une réserve pour les plus petites communes :

Pour les communes en général oui , pas pour les petites communes où un candidat plus particulièrement destiné à devenir le maire peut être éliminé de la liste des élus par les élections.

C'est d'ailleurs la spécificité des petites communes qui fait que M. Bernard Saugey (Isère - UMP) prend quant à lui ses distances avec cette formule :

Je ne suis pas favorable à cette formule. C'est le conseil municipal qui doit élire la municipalité. D'ailleurs, dans de nombreuses petites communes, les listes se présentent par ordre alphabétique. Vous voyez, d'avance, les difficultés !

M. Philippe Nogrix (Ille-et-Vilaine - UDF) ne voit, pour sa part, que des avantages à l'élection des maires au suffrage universel direct :

Les électeurs apprécieraient de connaître au moment du vote celui ou celle qui assurera le mandat principal dans une liste de noms.

Le fait d'élire le Maire au scrutin uninominal ne pourrait que renforcer sa légitimité, c'est indéniable.

Il pourrait être envisagé de décider d'une telle élection, cela me conviendrait.

M. Louis de Broissia (Côte-d'Or - UMP) apparaît, quant à lui, plus réservé lorsqu'il déclare :

Je ne crois pas que la désignation du chef de l'exécutif de la collectivité territoriale au suffrage universel direct renforce sa légitimité auprès des autres élus ou auprès des citoyens.

Dans la pratique politique actuelle, la personne conduisant la liste victorieuse aux élections régionales devient le Président du Conseil régional. Même s'il est vrai que cette règle n'a pas de valeur juridique, elle ne se dément qu'à de rares exceptions. Il en est de même pour les élections municipales : les habitants d'une commune choisissent entre plusieurs têtes de liste sans forcément prendre connaissance des listes complètes de candidats.

En outre, la proposition formulée n'est pas applicable au mode de scrutin actuel du Conseil général qui repose sur des circonscriptions cantonales. Or, les élus départementaux y sont attachés, en particulier dans le monde rural où il permet une bonne identification du Conseiller général.

Mme Nicole Bricq (Seine-et-Marne - PS) est sur la même ligne puisqu'elle estime que :

Non, car de facto on sait bien que celui ou celle qui mène la liste sera Maire ou Président.

M. Pierre Bernard-Reymond (Hautes-Alpes - UMP) considère également que le système actuel est satisfaisant :

S'il est vrai que la législation française prévoit l'élection du maire par le conseil municipal, dans la réalité des élections municipales, les citoyens ont le sentiment de désigner leur maire plus que d'élire des conseillers municipaux.

Par ailleurs, le système qui consiste à assurer une majorité confortable à la liste majoritaire assure une stabilité qui est tout à fait nécessaire.

De mon point de vue, le système actuel est tout à fait satisfaisant et il n'y a pas lieu d'en changer.

De même, M. Henri Revol (Côte d'Or - UMP) déclare ainsi que :

Je ne suis pas persuadé que ce serait, pour nous, en France, un progrès. Le maire est parfaitement identifié, même si son élection n'est pas directe. On sait bien, même dans les petites communes, que celui qui « conduit la liste » est prédestiné à être maire.

M. Serge Vinçon (Cher - UMP) se déclare également défavorable à l'élection au suffrage universel des responsables des exécutifs locaux tout comme M. Louis Souvet (Doubs - UMP) qui met en avant la nécessité pour un maire d'avoir acquis au préalable une indispensable expérience :

Par définition, l'élu qui a subi « l'onction du suffrage universel » est légitimé. Si, encore, on complique les choses en élisant un maire en lui donnant une équipe qu'il n'aurait pas choisie ou pour laquelle il n'aurait pas été choisi, on verse dans la difficulté.

Le maire doit, pour exercer ses fonctions dans les meilleures conditions, posséder déjà une expérience en tant qu'élu (adjoint, conseiller). L'électorat est tellement versatile, influençable par le paramètre le plus insignifiant, il n'est donc pas certain que serait intégré dans l'élection directe du maire, ce bon sens pourtant essentiel dans la gestion du bien public. La démocratie ne sortirait pas renforcée par une élection directe, trompe l'oeil démagogique s'il en est. Ceci doit être dit, le citoyen avisé ne peut qu'en convenir.

M. Philippe Leroy (Moselle - UMP) considère, pour sa part, que le recours à l'élection au suffrage universel direct des responsables d'exécutifs aurait pour conséquence une « présidentialisation » de la gouvernance des collectivités locales qui pourrait devenir synonyme d'un renforcement de la politisation.

L'élection par le suffrage universel direct crée un lien très fort entre l'élu ainsi désigné et son électeur. Le premier obtient une légitimité démocratique, l'autre en retire une satisfaction estimant pouvoir influencer les choix dans la vie de la Cité. Cependant, jusqu'à présent, ce schéma n'est employé que pour la désignation des Assemblées délibérantes. Sa reproduction pour l'élection de l'exécutif local peut se révéler plus complexe et générer des effets contraires à la logique initiale.

En effet, au travers d'un tel mode d'élection, l'exécutif veut asseoir face à son Assemblée délibérante une nouvelle légitimité en dehors de toute influence partisane reposant sur le lien direct avec les électeurs. On peut alors parler d'une transformation présidentialiste de la sphère de choix au niveau local. Mais cela implique alors obligatoirement une modification plus profonde des relations entre l'Exécutif et l'Assemblée.

En effet, l'Assemblée délibérante chargée d'approuver la politique et les choix de l'exécutif peut se revendiquer de la même légitimité que lui. A ce titre, elle peut choisir de s'opposer à lui en contestant ses choix. Ce qui conduit directement à la question de la nécessaire majorité au sein de l'Assemblée qui peut passer par des alliances et des coalitions sur lesquelles l'Exécutif ne s'est pas fait élire.

Sachant qu'il est impossible d'instaurer une forme de hiérarchie entre les légitimités électorales des uns ou des autres qui conduirait irrémédiablement à un blocage institutionnel, c'est donc bien à un renforcement de la politisation auquel on assisterait sur le modèle américain.

Le fonctionnement décisionnel actuel au sein des collectivités territoriales impose de maintenir l'exécutif local dans une situation de « primus inter pares » (celui qui est choisir par ses pairs) au sein de l'Assemblée délibérante.

Selon les principes de représentation et de mandat, il doit constituer le reflet de l'assemblée qui a été élue au suffrage universel direct. Il est le fruit des alliances et coalitions, et donc peut s'appuyer sur une majorité stable pour mener à bien une politique qui a été choisie et qui sera donc démocratiquement légitimée.

M. Gérard Bailly (Jura - UMP) estime, pour sa part, qu'une telle réforme n'est de toutes les manières pas urgente :

Je pense que cette proposition n'est pas souhaitable. Notre pays a déjà connu beaucoup de réformes suite aux lois de décentralisation. Nos concitoyens choisissent une liste au conseil municipal avec une tête de liste qui sera probablement le maire, le deuxième de la liste pourrait prendre la place du maire. Peut-être un peu prématuré d'évoquer ce point là ? Il y a d'autres sujets plus urgents .

M. Alain Dufaut (Vaucluse - UMP) est plus définitif dans son appréciation puisqu'il considère qu'une telle élection au suffrage universel direct serait dangereuse :

Une élection du maire au suffrage universel direct serait dangereuse, car l'élection du maire ne serait pas forcément en cohérence avec l'élection de la liste municipale majoritaire.

Celui qui figure en première place sur la liste dans le cadre du scrutin majoritaire est, dans la quasi-totalité des cas, le maire potentiel de la liste. Est-il nécessaire de le préciser par la loi ? Je n'en vois pas l'utilité.

Je suis par contre totalement opposé à l'élection des membres des EPCI au suffrage universel. Seuls les conseillers municipaux doivent bénéficier de la légitimité du suffrage universel direct et ils désignent ensuite, en interne, leurs représentants qui siègeront à l'EPCI. Sinon, c'est la fin des petites communes, et ce n'est pas souhaitable.

M. Pierre-Yves Collombat (Var - SOC) estime pour sa part que le mode d'élection actuel des maires a fait ses preuves :

S'agissant des Maires et en milieu rural des Conseillers généraux , le mode de scrutin actuel (indirect pour les Maires) a fait ses preuves. Il suffit de voir les indices de confiance de nos concitoyens envers les Maires pour s'en convaincre.

Pour M. André Lardeux (Maine-et-Loire - UMP), le problème de la légitimité des maires est moins important que pour les autres mandats locaux :

Il est un fait que les électeurs considèrent dans beaucoup de communes qu'ils élisent de fait le maire. Pour eux, il est certain que celui qui conduit la liste doit être le maire. Il n'est pas à mon sens nécessaire d'organiser une élection différente.

Cependant, cela ne résout pas le problème dans un grand nombre de cas :

- les communes où le panachage est possible,

- les conseils généraux : un progrès pourrait être fait dans ce cas en prévoyant un renouvellement global du conseil général et non plus par moitié,

- les conseils régionaux, sauf si on institue un scrutin à l'échelle régionale, ce qui ne poserait guère de problème, étant donné l'inconsistance générale des conseillers régionaux que les électeurs ne connaissent pas,

- les structures intercommunales dont des présidents ont beaucoup de pouvoir sans que les citoyens le sachent. Cela pose la question de l'existence des communes.

Quoi qu'il en soit, la légitimité des exécutifs ne tient pas tant à la nature de l'élection qu'à sa qualité, à la compétence, à la droiture et à l'accessibilité de ceux qui remplissent ces fonctions.

On peut observer, par ailleurs, que M. Alain Milon (Vaucluse - UMP) partage avec le sénateur Lardeux les mêmes interrogations concernant les conseillers régionaux :

La légitimité des maires est incontestable et chacun sait que la tête de liste (du moins dans les villes au suffrage à la proportionnelle au plus fort reste) sera désigné comme maire si la liste arrive en tête. Il ne faut pas changer le mode d'élection des conseillers généraux. Quant aux régions, ont-elles une utilité vraie ?

Je suis favorable à l'obligation de désignation des conseillers communautaires dans les listes municipales soumises au vote des électeurs.

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