G. ENVIRONNEMENT, AGRICULTURE ET QUESTIONS TERRITORIALES

La régionalisation en Europe

Le projet de recommandation sur la régionalisation de la commission de l'environnement, de l'agriculture et des questions territoriales n'est pas sans soulever quelques interrogations sur la pertinence d'un tel débat au sein de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Défendu par le rapporteur, M. Lluis Maria de Puig (Espagne - SOC), l'appel au développement d'échelons régionaux au sein des États membres semble être, en effet, envisagé comme l'unique moyen d'expression du droit des minorités, au mépris de traditions nationales diverses, disposant pourtant de toutes les garanties libérales en la matière.

Hors cas exceptionnels, mais dont le projet de recommandation semble faire une généralité, comme le souligne le recours aux exemples monténégrin et kosovar, la décentralisation relève des États membres eux-mêmes qui déterminent en fonction de leurs problématiques internes le niveau de démocratie locale le plus approprié. À titre de comparaison, l'Union européenne n'est jamais intervenue sur de semblables sujets. Las, la recommandation, telle qu'adoptée, invite l'Union à renforcer le rôle des régions au sein de ses institutions.

La reconnaissance générale du mouvement régionaliste que la recommandation implique peut également laisser sceptique, tant certaines de ses branches ne semblent pas en adéquation avec les valeurs défendues par le Conseil de l'Europe.

Dans ces conditions, la délégation française a tenu à exprimer son désaccord avec le texte. Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - SOC) est ainsi intervenue pour réfuter toute idée de déclin de l'État et appeler de ses voeux une relance du projet européen plutôt que de se crisper au niveau régional :

« Une fois n'est pas coutume, je ne serai pas d'accord avec M. de Puig ; il le sait. En effet je n'aspire pas à l'Europe des régions, je ne pense pas que la régionalisation puisse constituer la colonne vertébrale de l'Europe, comme on le lit tout au long du rapport. Néanmoins, je crois fortement en la décentralisation, et je veux la vivre.

La région dont on parle, nul ne sait vraiment ce dont il s'agit. Il est écrit fort justement dans le rapport qu'il existe une grande variété, un grand pluralisme, que rien n'est uniformisé, que rien n'est symétrique et que cela est très complexe. Dans mon pays, comme s'il n'y en avait pas assez, on vient encore d'inventer ce que l'on appelle le « pays ».

Dès lors, je m'en tiendrai à deux de ces réalités. La première est celle d'une entité à base ethnique et culturelle historiquement forte ; j'en prends pour exemple, au hasard, la Catalogne. L'autre est celle dans laquelle je suis, Midi-Pyrénées, dont la capitale est Toulouse. Totalement artificielle, elle a été créée il y a presque cinquante ans pour contrebalancer le poids de Paris et pour percevoir des fonds structurels. Cette région, qui est plus grande que la Belgique, n'a aucune âme. Elle n'a pratiquement pas encore atteint sa maturité. Son budget est inférieur à celui de la ville de Toulouse et cette région n'est pas la seule dans ce cas.

Quel est le devenir et quelles sont les aspirations de ces entités subétatiques ? Comme l'écrit M. de Puig dans son rapport, certaines sont ainsi parce qu'elles n'ont pas pu devenir un État. Je serais prête à rester dans une telle dynamique si elle était vérifiée et légitime. Après tout, le Monténégro a atteint le stade de l'État.

Certaines aspirent à l'autonomie. C'est la logique des choses. D'autres, importantes en termes de poids humain, financier et économique, - j'en reviens à la Catalogne - aspirent à autre chose. A quoi ? A plus d'autonomie, à plus de souveraineté, à devenir des États ? On n'ose pas le dire mais on lit, au paragraphe 43, que ce sont de petites patries négligées et frustrées qui voudraient être des acteurs directs du projet européen. Cette aspiration est aussi celle de Midi-Pyrénées et de son président. Eh bien, cela n'est pas possible, sinon où irions-nous !

Et que devient l'État là-dedans ?

Ce matin, quelqu'un a demandé ce qu'était l'État ? J'ai enseigné l'histoire dans ma première vie. Un peuple, chacun sait ce que c'est. La Nation, c'est un peuple sur un territoire. L'État, c'est la forme juridique qu'un peuple se donne sur un territoire. On sait donc ce qu'est l'État. Qu'il soit unitaire, fédéral ou mixte, peu importe. Or il est écrit dans le rapport que le déclin de l'État est visible, que l'État donne des signes d'épuisement, que la notion d'État-Nation est obsolète. Je ne le crois pas. Ce n'est pas parce que je suis française que je suis absolument jacobine. L'État n'est même pas obsolète en Espagne !

Naturellement, nous tendons vers des regroupements supranationaux, dans le cadre de la mondialisation et de la globalisation. Je peux citer le Conseil de l'Europe, l'Union européenne, l'Otan. On dit de l'Union européenne, cette nouvelle communauté non nationale - pour l'instant et peut-être jamais ! -  qu'il s'agit d'un projet européen aboutissant à un affaiblissement des États et à un transfert de souveraineté.

Bien entendu. Je suis européenne et je veux l'Europe, laquelle est la grande absente de ce document. Je veux un État européen, je veux des citoyens européens. Peu importe la formule : unitaire, fédéral ou mixte mais, à l'évidence, avec la formule Europe des régions, qu'en est-il de la cohésion et de la solidarité, car l'État reste distributeur ?

J'ai eu mal en lisant le document. Je me suis dit que l'on perdait beaucoup de substance. J'ai aussi pensé : Schuman, Adenauer, Mitterrand, Kohl, réveillez-vous ! »

M. Yves Pozzo di Borgo (Paris - UC-UDF) a tenu à rappeler, au travers de l'exemple français, le lien intrinsèque entre garantie des droits de l'homme et État central :

« La constitution de l'État français, dont on dénonce souvent le jacobinisme, est liée à l'histoire de France. La centralisation au profit d'un concept abstrait a commencé dès l'aube de la monarchie française, pratiquement sous Charlemagne.

Elle a été théorisée par Richelieu, grand administrateur de la France, qui, avec l'aide du Roi de France, a combattu les frondes nobiliaires des grandes familles et des grands féodaux régionaux et les frondes parlementaires.

Lorsque la Révolution est survenue en France en 1789, Mirabeau, l'un de ses acteurs, décrivait alors le pays comme un « agrégat inconstitué de peuples désunis ». En effet, les provinces avaient chacune leurs coutumes, leur monnaie, leurs octrois à l'entrée des villes, leurs poids et mesures, avec des difficultés infinies pour les habitants qui, déjà, se déplaçaient sur tout le territoire. C'est la Révolution française, avec son fils naturel Napoléon Bonaparte, qui a parachevé une unité juridique et une sorte de marché intérieur que désiraient les citoyens qui aspiraient, à la suite des philosophes des Lumières, à un État moderne.

Ce que les citoyens ont trouvé dans l'État unifié après la Révolution française, c'est la garantie des Droits de l'Homme et du Citoyen, le principe d'égalité dans la jouissance de droits universels. Telle est notre approche en France. Bien entendu, cette conception s'est combinée tardivement avec la dévolution des pouvoirs de plus en plus importants aux collectivités territoriales y compris les régions. On doit cela en 1982 à Gaston Defferre, maire de Marseille et socialiste, donc pas dans mon camp, mais qui a vraiment marqué notre pays par cette réforme. Par ailleurs, il y a le partage de souveraineté avec l'échelon européen qui évolue énormément.

Aussi suis-je tout à fait à l'aise pour approuver notre rapporteur qui appelle les États du Conseil de l'Europe à mettre en oeuvre le principe de subsidiarité. Par contre, je suis beaucoup plus réservé sur l'attribution de droits à des entités qui seraient définies par leur «identité culturelle (...), leurs peuples » voire les « nations, nationalités » qu'elles prétendent représenter. Je suis moi-même Corse, donc sensible à cela. Je sais bien que le concept de minorités ethniques, culturelles, religieuses, est très en faveur au Conseil de l'Europe. Je ne suis pas sûr que cette fascination ne nous affaiblisse pas dans le débat actuel sur la démocratie.

Cependant ce concept me semble pouvoir être interprété comme flou, potentiellement dangereux, voire politiquement douteux quand il risque d'entrer en contradiction avec notre Convention européenne des droits de l'Homme. Qui définira l'appartenance à ces minorités ? Quelle démocratie interne y aura-t-il dans ces groupements ? Qu'est-ce qu'un droit culturel ou religieux, en dehors des articles de la Convention européenne des droits de l'Homme qui garantissent la liberté d'opinion, d'expression et de religion ? Toutes les coutumes religieuses méritent-elles d'être protégées même si elles sont intrinsèquement inégalitaires, entre fidèles et infidèles, autochtones et barbares, entre hommes et femmes ?

Enfin, le Conseil de l'Europe peut-il patronner des aspirations à l'indépendance et au statut d'État à part entière, comme le proposent les paragraphes 12 et 14 sur une base ethnique, alors même que la raison d'être de notre Organisation a été la rupture avec les nationalismes du passé qui ont été à l'origine des deux guerres mondiales ?

Le paradoxe n'est-il pas que les mêmes entités qui prétendent à l'indépendance sur la base de la pureté ethnique aspirent à adhérer au plus vite à l'Union européenne ? En revanche, faut-il admettre toutes les minorités à un statut reconnu, fût-ce sur une base ethnique ou religieuse ? Au lieu d'encourager des particularismes locaux surannés, voire potentiellement régressifs, nous devons tendre vers la généralisation d'une citoyenneté européenne porteuse de solidarité et de progrès communs. »

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