B. LES LACUNES DE L'ÉTAT

1. Une vigilance administrative morcelée et insuffisamment exercée

Le rôle et l'action des services de l'État, et plus particulièrement ceux du Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, ont été qualifiés, aussi bien par M. Thierry Breton que par Mme Christine Lagarde, lors de leurs auditions devant votre commission des finances, d' « irréprochables ». Indépendamment d'un réflexe d' « auto-justification » et si les auditions n'ont effectivement pas mis en évidence de manquements majeurs de l'administration, il ressort néanmoins de l'audition de M. Philippe Pontet devant votre commission des finances, comme du procès-verbal du conseil d'administration de la SOGEADE du 3 avril 2006, une impression de relative passivité de l'ensemble des acteurs publics sur l'issue de la cession.

Si l'APE paraît avoir bien exercé sa mission de sauvegarde des intérêts patrimoniaux de l'État, comme en témoignent les orientations (exercice de la sortie conjointe de l'État en période boursière favorable) de la note du 20 janvier 2006, on peut déplorer que les membres du conseil d'administration de la SOGEADE ne se soient pas enquis de l'identité des acquéreurs ultimes des actions cédées par le groupe Lagardère et n'aient posé aucune question à ce sujet 43 ( * ) .

Il semble que les administrateurs de la SOGEADE se soient en quelque sorte « autocensurés », par un souci sans doute excessif d'éviter de donner l'impression de se prononcer en opportunité sur les modalités de l'opération et l'identité des acquéreurs, appréciation que le conseil d'administration n'avait il est vrai pas à porter en tant qu'instance exclusivement « technique » de mise en oeuvre des décisions prises par les actionnaires. Toutefois, du fait de la diffusion du « mémo » précité du groupe Lagardère le 21 février 2006 au cabinet du ministre de l'économie puis à l'APE, on peut supposer que certains administrateurs de la SOGEPA et de la SOGEADE étaient, près de six semaines après, conscients que la CDC figurait parmi les acquéreurs.

Comme cela est trop souvent le cas dans l'organisation administrative française, de trop nombreux acteurs sont - formellement ou non - saisis d'un même sujet, contribuant parfois jusqu'à la schizophrénie, à la confusion et à une certaine dépossession du pouvoir politique. Les cabinets ministériels jouent un rôle central dans la circulation de l'information, les arbitrages interministériels et la décision politique, et dans le cas d'espèce, le doute subsiste, du fait de relations endogamiques, sur l'étendue et l'utilisation par les cabinets du Premier ministre et du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, de l'information relative aux modalités de cession des titres du groupe Lagardère.

2. L'intérêt pour le moins limité porté par les responsables politiques au sort des actions cédées par le groupe Lagardère

M. Thierry Breton a affirmé, lors de son audition le 5 octobre 2007, avoir appris par la presse que la Caisse des dépôts et consignations se portait acquéreuse d'une partie des actions EADS cédées par le groupe Lagardère. Il a aussi précisé avoir été « embarrassé » par cette acquisition puisque la CDC pouvait éventuellement être considérée par les partenaires allemands dans EADS comme proche de l'État français, auquel cas cette acquisition pouvait être problématique au regard de l'équilibre franco-allemand de l'actionnariat d'EADS.

Cet « embarras » du gouvernement était peu compréhensible, en raison de l'article 3 de la convention DC/FS précitée (voir supra p. 20) . De plus, le « mémo » informel précité du 21 février 2006, les contacts apparemment fréquents entre le groupe Lagardère et Matignon dans le suivi de la cession des actions EADS détenues par le groupe Lagardère ainsi que, plus généralement, les liens intuitu personae entretenus entre les hauts fonctionnaires des différentes administrations du MINEFI, les cabinets ministériels et les banques d'affaires, indiquent que l'État avait manifestement à sa disposition des éléments lui permettant d'identifier les acquéreurs potentiels, et en particulier la Caisse des dépôts et consignations . Il paraît par ailleurs logique que le MINEFI et Matignon se préoccupent tout particulièrement du sort des actions d'une entreprise aussi stratégique qu'EADS pour la défense et l'aviation civile française et européenne.

A cet égard, les services de l'État, dans leur ensemble, ont fait preuve d'un manque certain d'intérêt dans le suivi de l'actionnariat d'EADS.

Il convient toutefois de noter qu'un suivi plus sérieux n'aurait pas, en l'espèce, eu d'influence sur l'opération de cession ni sur la perte latente à laquelle fait aujourd'hui face la Caisse des dépôts et consignations puisque, d'une part, l'État n'avait pas, semble-t-il, connaissance de l'étendue des difficultés industrielles rencontrées dans le programme de l'A380 et que, d'autre part, il n'avait pas à intervenir dans une décision d'investissement prise de manière indépendante par la CDC. Mais un suivi plus attentif du sort des actions EADS cédées aurait permis de se prémunir contre le risque que les partenaires allemands dans EADS interprètent mal le rachat d'actions par la Caisse des dépôts et consignations.

3. L'information défaillante sur la situation industrielle d'Airbus

Au regard des éléments recueillis lors des auditions organisées par votre commission des finances, et relatifs à la circulation de l'information concernant la situation industrielle d'Airbus, il apparaît que l'ignorance, aussi bien par les services de l'État que par la Caisse des dépôts et consignations, des difficultés industrielles réelles rencontrées par Airbus et notamment par le programme de l'A380, relève prioritairement davantage du groupe EADS et de sa gouvernance que de lacunes propres à l'État et à la CDC.

En effet, bien que l'État n'ait pas, au travers de l'APE, de capacités de contrôle identiques sur la gestion d'EADS que sur les autres grandes entreprises dont il est actionnaire, il était mis au courant, notamment au travers de la SOGEADE et de la SOGEPA, de la situation industrielle d'Airbus telle que présentée par les dirigeants du groupe.

La cause de la mauvaise information des différents intervenants sur la situation industrielle réelle d'Airbus semble devoir davantage être recherchée dans l'illusion, relayée par la direction du groupe, que les divers plans de rattrapage pourraient permettre de ne pas retarder à l'excès le plan de livraison des A380 . Cette mauvaise information de l'État, et plus généralement des actionnaires d'EADS, sur la réalité de la situation industrielle du groupe est, à l'évidence, regrettable. Toutefois, peut-elle être reprochée à l'État dès lors que, dans le cadre strict de l'exercice de sa participation dans EADS, il s'en est tenu à la lettre à son rôle de figurant ?

* 43 Cf. l'audition de M. Philippe Pontet, président de la SOGEADE, le 10 octobre 2007.

Le procès-verbal de la réunion du 3 avril 2006 indique ainsi que la plus grande partie des actions EADS sous-jacentes aux ORAPA aura été préalablement placé « auprès d'investisseurs institutionnels français au moyen d'une vente à terme ».

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page