Mercredi 9 avril 2008 - Audition de M. Jean-Michel Roulet, Président de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES)

Statut :

Organisme extra-parlementaire institué par décret n° 2002-1392
du 28 novembre 2002

Composition :

- 1 président,

- 1 secrétaire général,

- 1 comité exécutif représentant les ministères,

- 1 conseil d'orientation composé de trente membres, dont 4 sénateurs et

4 députés.

Mission et pouvoirs :

- observer et analyser le phénomène des mouvements à caractère sectaire ;

- favoriser la coordination de l'action préventive et répressive des pouvoirs publics à l'encontre de ces agissements ;

- développer l'échange des informations entre les services publics sur les pratiques administratives de lutte ;

- contribuer à l'information et la formation des agents publics dans ce domaine ;

- informer le public sur les risques et dangers et faciliter la mise en oeuvre de l'aide aux victimes ;

- participer aux travaux menés par le ministère des affaires étrangères dans le champ international ;

- saisir les services centraux des ministères pour réaliser des études et enquêtes ;

- diffuser une synthèse des analyses ;

- dénoncer aux Procureurs de la République les agissements susceptibles d'avoir une qualification pénale et aviser le Garde des sceaux.

M. Jean-Michel Roulet, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, a retracé les principales étapes de la prise de conscience, par les pouvoirs publics, des dangers des dérives sectaires en France, soulignant que le rapport du député Alain Vivien intitulé « Les sectes en France -expressions de la liberté morale ou facteurs de manipulations ? » avait marqué en 1983 le point de départ d'une volonté de l'Etat d'examiner avec attention le phénomène sectaire, après avoir longtemps considéré qu'il relevait de la sphère privée et de la liberté de conscience.

Cette volonté s'est affirmée ensuite avec la publication, en 1996, du rapport d'enquête des députés Alain Gest et Jacques Guyard. Intitulé « Les sectes en France », il établit une liste de 173 groupes et développe dix critères de dangerosité justifiant une vigilance à leur égard, dans un contexte marqué par les massacres, en 1994 et 1995, des membres de l'Ordre du Temple Solaire.

M. Jean-Michel Roulet a précisé que ce rapport, qui avait connu à l'époque un fort retentissement, avait abouti à la création, en 1996, de l'Observatoire interministériel sur les sectes, auquel a succédé, en 1998, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS), puis, en 2002, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

M. Jean-Michel Roulet a ensuite rappelé la publication, en décembre 2006, du rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale intitulé « L'enfance volée : les mineurs victimes de sectes » , commission présidée par M. Georges Fenech et dont le rapporteur était M. Philippe Vuilque.

Il s'est enfin félicité de ce que les efforts conjugués des parlementaires (quatre députés et quatre sénateurs sont membres de la Miviludes), du gouvernement et des associations aient conduit aujourd'hui à une prise en compte satisfaisante de la situation des victimes de dérives sectaires.

M. Pierre-Yves Collombat a souhaité connaître l'ampleur du phénomène des « faux souvenirs induits » décrit dans le récent rapport annuel d'activité de la Miviludes.

M. Jean-Michel Roulet a expliqué que ce phénomène, né dans la seconde moitié du vingtième siècle aux Etats-Unis, était le fait de thérapeutes liant systématiquement toutes les difficultés du patient à de faux souvenirs traumatiques qui avaient été occultés depuis la prime enfance, généralement un inceste. Il s'agit là d'un exemple dramatique de falsification et de détournement de la mémoire par des praticiens malintentionnés poursuivant des objectifs d'asservissement des personnes leur accordant leur confiance. Après avoir précisé que ces agissements tombaient sous le coup de la loi dite About/Picard, adoptée le 12 juin 2001, et destinée à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, il a jugé indispensable de bien informer la population sur les dangers de ces méthodes. Il a enfin souligné que ces praticiens incitaient parfois leurs patients à se former eux-mêmes à ces procédés thérapeutiques afin de constituer un « réseau de thérapeutes », présentant selon lui un caractère sectaire.

M. Patrice Gélard a souhaité savoir s'il existait une coopération européenne en vue d'harmoniser les législations en matière de lutte contre les dérives sectaires.

M. Jean-Michel Roulet a signalé que, seuls, trois pays en Europe menaient actuellement une politique de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires aussi active que la France : la Belgique, l'Autriche et l'Allemagne. Il a ajouté que la Miviludes participait aux travaux de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) à Varsovie à l'occasion des Conférences annuelles d'examen de la dimension humaine et rappelé que l'année 2007 a été marquée, plus encore que les précédentes, par des actions de « lobbying » effrénées de la part des mouvements sectaires dans le cadre de cette instance internationale. Il a également mis en avant la nécessité de concilier la défense de la liberté de conscience et l'impératif de protection des personnes contre les procédés d'emprise mentale, citant M. Jean-Paul Costa, Président de la Cour européenne des droits de l'homme :

« Autant il faudra que la Cour continue de protéger efficacement la liberté de conscience et le pluralisme religieux, autant il lui faudra certainement se pencher sur les abus commis au nom de la religion (au sens le plus noble du terme), ou de pseudo-religions qui ne revêtent le manteau religieux que pour déployer plus tranquillement des activités nocives, voire abominables. De même que la liberté d'association ne doit pas servir à protéger les associations de malfaiteurs, de même la liberté religieuse ne doit pas assurer l'impunité aux coupables d'agissements délictueux ou criminels menés au nom de cette liberté ».

Mme Michèle André s'est inquiétée du développement du phénomène du « chamanisme d'entreprise » où l'entreprise peut être comparée à une tribu ou à un peuple traditionnel dans lesquels l'individu s'enferme et se coupe du monde extérieur.

Après avoir rappelé son appartenance à la délégation française de l'assemblée parlementaire de l'OSCE , M. Pierre Fauchon a regretté l'existence d'un différend entre cette assemblée et une autre instance de l'OSCE : le BIDDH (Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme) et souhaité connaître la position de M. Jean-Michel Roulet sur ce point. Il s'est par ailleurs demandé si l'importance du mouvement sectaire aujourd'hui pouvait s'expliquer par une plus grande fragilité de l'état psychologique de la population que par le passé.

Après avoir constaté la tendance de certaines « techno-structures » européennes à confisquer le pouvoir des élus, M. Jean-Michel Roulet a déclaré que le mouvement sectaire, s'il n'avait pu se développer dans la période de l'après-guerre, marquée par l'effort de reconstruction du pays, avait tiré profit de l'enrichissement progressif de la population dans les années 1960 et 1970 et d'une certaine recherche de spiritualité. Il a souligné que le mouvement sectaire investissait aujourd'hui des domaines, d'une part, plus « utilitaires », d'autre part, marqués par des flux financiers structurels importants, tels que la santé, la formation, le développement personnel et le monde de l'entreprise, comme l'illustre le développement du chamanisme d'entreprise.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a souligné l'intérêt financier des mouvements sectaires pour les domaines de la formation professionnelle et du soutien scolaire. Elle a souhaité connaître l'ampleur du phénomène et relevé l'inquiétude de certaines directions des ressources humaines d'entreprises quant à l'influence des sectes dans les activités de formation.

S'agissant de l'influence de certaines sectes sur la formation continue, M. Jean-Michel Roulet a jugé préoccupant ce phénomène, appréhendé récemment par la Miviludes, et affirmé que salariés comme employeurs avaient aujourd'hui pleinement conscience du danger qu'il peut représenter pour l'entreprise. Il a également déclaré que la sous-traitance de certaines activités à des sociétés infiltrées par des mouvements sectaires pouvait constituer une menace, citant l'exemple d'une société de maintenance informatique susceptible de détourner des fichiers de données à caractère personnel. Sur le soutien scolaire, il a mis en avant l'inquiétude exprimée par les associations de parents d'élèves et déclaré avoir alerté le ministère de l'Education nationale et les collectivités territoriales.

M. Alex Türk s'est étonné de la diffusion gratuite, auprès de parlementaires, d'ouvrages très onéreux militant en faveur de la théorie créationniste.

M. Jean-Michel Roulet a indiqué que ces ouvrages, qui stigmatisent la théorie évolutionniste darwinienne, sont édités par des membres de l'Islam radical situés au Proche-Orient. Après avoir souligné que d'autres organismes plus modestes étaient capables de publier des brochures dénonçant, au nom de la liberté de conscience, la lutte contre les sectes, il a souhaité que l'Etat cherche à connaître l'origine exacte de leur financement.

Citant la formule selon laquelle  une religion serait une secte qui a réussi et soulignant que les Témoins de Jéhovah représentent la deuxième religion au Portugal, M. Hugues Portelli s'est interrogé sur les critères de distinction entre sectes et religions. Il s'est par ailleurs étonné qu'un mouvement dénommé « l'Eglise du Christ scientiste », comptant seulement quatre cents adeptes en France, dispose d'un représentant permanent à Bruxelles et a souhaité connaître le lien éventuel de ce mouvement avec l'Eglise de Scientologie.

M. Jean-Michel Roulet a déclaré que certains mouvements sectaires ne troublaient pas l'ordre public et se conformaient aux principes républicains, tandis qu'à l'inverse, certains membres du clergé de certaines religions avaient pu commettre des actes répréhensibles. Il a souligné que la loi réprimait tous les agissements attentatoires aux droits de l'homme, aux libertés fondamentales, à la dignité humaine ou constituant une menace à l'ordre public, commis dans le cadre particulier de l'emprise mentale, et ce, quelle que soit la dénomination du mouvement dans le cadre duquel ils sont perpétrés.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a mis en avant la nécessité de coordonner, en matière de lutte contre les dérives sectaires, l'ensemble des moyens d'action des services de l'Etat aux plans départemental et ministériel.

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