Mercredi 7 mai 2008 - Audition de M. Bernard Chemin, Président de la Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention administrative et des zones d'attente (CRAZA)

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Statut :

Organisme extra-parlementaire créé par la loi n° 2003-1119
du 26 novembre 2003 mis en place le 22 mars 2006.

Amené à disparaître avec la création du contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Composition : 9 membres :

- 1 président : magistrat de la Cour de cassation,

- 1 sénateur,

- 1 député,

- 1 membre du Conseil d'État,

- 1 personnalité qualifiée en matière pénitentiaire,

- 2 représentants d'associations humanitaires,

- 1 représentant du ministre de l'Intérieur,

- 1 représentant du ministre chargé des affaires sociales.

Mission et pouvoirs :

-  veiller au respect des droits des étrangers maintenus dans les centres et locaux de rétention administrative ainsi que les zones d'attente;

- veiller par des inspections au respect des normes relatives à l'hygiène, la salubrité, la sécurité, l'équipement et l'aménagement de ces lieux ;

- faire des recommandations au gouvernement pour l'amélioration des conditions matérielles et humaines ;

- remettre ses observations au ministre de l'Intérieur.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a indiqué que la situation de la CRAZA était particulière, cette commission administrative étant vouée à disparaître à compter de la mise en place du contrôleur général des lieux de privation de liberté créé par la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007.

M. Bernard Chemin, président de la CRAZA, a relevé que, de manière générale, les conditions dans lesquelles la CRAZA avait exercé sa mission avaient toujours été précaires.

Il a rappelé que, bien que créée par la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, la CRAZA n'était en place que depuis le 22 mars 2006.

Il a indiqué que la commission était présidée par un magistrat nommé sur la proposition du premier président de la Cour de cassation et se composait également d'un député et d'un sénateur, d'un membre du Conseil d'Etat nommé sur la proposition du vice-président du Conseil d'Etat, d'une personnalité qualifiée en matière pénitentiaire, de deux représentants d'associations humanitaires nommés sur la proposition du ministre de l'intérieur, d'un représentant du ministre de l'intérieur et d'un représentant du ministre chargé des affaires sociales. Toutefois, il a déploré que la commission ne se soit jamais réunie au complet en raison notamment d'un absentéisme assez prononcé que la disparition annoncée de la CRAZA ne contribuait pas à résorber.

Outre l'absentéisme, il a déclaré que la CRAZA souffrait de sa confidentialité, de son manque de moyens et de la faiblesse de ses pouvoirs de contrôle. Il a rappelé que ses attributions se limitaient à veiller au respect des droits des étrangers maintenus dans les lieux de rétention administrative et les zones d'attente ainsi qu'au respect des normes relatives à l'hygiène, la salubrité, la sécurité, l'équipement et l'aménagement de ces lieux. Le contrôle ne porte jamais sur le statut juridique des personnes retenues qui relève de l'autorité administrative ou de l'autorité juridictionnelle. Néanmoins, M. Bernard Chemin, président de la CRAZA, a précisé qu'il s'était toujours efforcé d'entretenir des contacts avec l'ensemble des acteurs intervenant autour de ces lieux, y compris les magistrats administratifs et judiciaires ou l'autorité préfectorale.

Il a fait le constat que la visibilité de la CRAZA avait été atténuée par la multiplicité des intervenants : inspections générales des ministères compétents, magistrats, parlementaires, médecins, commission nationale de déontologie de la sécurité, comité de prévention de la torture, haut commissariat pour les réfugiés et associations.

Il a jugé les moyens matériels et financiers quasi-nuls, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur n'assurant plus cette mission et le nouveau ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire ayant pris à grand peine le relais depuis quatre mois.

Il a indiqué que les membres de la commission ayant été désignés pour deux ans en mars 2006, le problème du renouvellement de la commission s'était posé en mars dernier. Compte tenu du retard pris pour la désignation du contrôleur général des lieux de privation de liberté, il avait été décidé de proroger la commission actuelle jusqu'en juillet 2008.

M. Bernard Chemin, président de la CRAZA, a ensuite dressé un état des lieux de rétention et des zones d'attente en France.

Il a rappelé qu'il existait en métropole :

- 25 centres de rétention administrative d'une capacité totale de 1.600 places et ayant accueilli 35.246 personnes en 2007, soit une durée moyenne de séjour de 10 jours ;

- entre 40 et 50 zones d'attente, celle de l'aéroport de Roissy concentrant la quasi-totalité des arrivées.

Il a précisé que chaque visite d'un lieu de rétention donnait lieu à un compte rendu et à des recommandations adressés au ministre compétent. Il a ajouté que chaque fois que des incidents étaient portés à sa connaissance, il s'efforçait de se rendre le plus vite possible sur les lieux.

Il a indiqué qu'aucun mineur non accompagné n'était placé en rétention, les mineurs accompagnant leurs parents uniquement pouvant s'y trouver. Il a jugé cette solution préférable à celle consistant à séparer les enfants de leurs parents en les plaçant auprès de la DDASS pendant la durée de la rétention des parents. En revanche, il a observé que la création des administrateurs ad hoc pour assister les mineurs isolés en zone d'attente n'avait pas produit les résultats espérés, le plus souvent faute de moyens.

Concernant les conditions matérielles d'hébergement, il a jugé qu'elles s'étaient beaucoup améliorées, principalement du fait de la création de nouveaux centres de rétention et de la fermeture des centres les plus vétustes. Malgré ces progrès, il a estimé que les conditions d'hébergement n'étaient certainement pas au niveau de prestations dites hôtelières.

Enfin, il s'est déclaré frappé par trois défauts majeurs du système actuel de rétention :

- la surpopulation ;

- la taille excessive des nouveaux centres de rétention administrative qui conduit naturellement à une dérive carcérale ;

- l'absence quasi complète d'activités proposées aux étrangers dans ces centres.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a rendu hommage au travail réalisé par la CRAZA en dépit de son manque de moyens et de sa brève existence.

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis des crédits de la mission Immigration, asile et intégration, a demandé si les incidents intervenus au centre de rétention de Vincennes ainsi que l'ouverture d'une zone d'attente temporaire dans une aérogare de Roissy pour faire face à un afflux soudain de demandeurs d'asile tchétchènes au début de l'année avaient fait l'objet de contrôles particuliers de la part de la CRAZA. Il a également demandé si les critiques à l'encontre des méthodes d'intervention des forces de l'ordre dans ces lieux étaient fondées ou non.

M. Bernard Chemin, président de la CRAZA, a indiqué que des incidents survenaient quasi quotidiennement dans des centres de rétention administrative et pas uniquement dans celui de Vincennes.

Il a précisé que les incidents de la nuit du 11 février 2008 au centre de rétention de Vincennes étaient intervenus à la suite du comptage des étrangers lors du coucher, cette pratique étant mal vécue par les étrangers retenus. Il a indiqué que les personnels de police affectés à la garde du centre n'ayant pu faire face au mouvement de rébellion, il avait été fait appel à la brigade anti-criminalité, qui avait employé des pistolets à impulsion électrique. Il a ajouté que ces incidents faisaient l'objet de procédures administratives et judiciaires et d'une saisine de la commission nationale de déontologie de la sécurité.

Il a souligné que le pôle de rétention de Vincennes était particulièrement propice à ce type d'incidents en raison :

- de sa taille, sa capacité d'accueil s'élevant à 280 personnes. Si administrativement il y a deux centres de rétention d'une capacité de 140 personnes, leur conception conduit à parler d'un pôle de rétention ;

- du symbole qu'il représentait pour de nombreuses associations opposées à la politique d'éloignement des étrangers en situation irrégulière.

A propos des zones d'attente, il a observé que la situation y était beaucoup plus calme, les étrangers arrivant à la frontière souhaitant généralement être le plus discrets possible. Concernant la zone d'attente temporaire de Roissy dite ZAPI 4, il a souligné que les conditions matérielles d'accueil étaient mauvaises et qu'elle était fermée à ce jour.

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis des crédits de la mission Immigration, asile et intégration, a souhaité connaître l'opinion de la CRAZA sur le recours à la visioconférence dans les centres de rétention et les zones d'attente.

M. Bernard Chemin, président de la CRAZA , a distingué la question de la visioconférence de celle de la tenue des audiences dans une salle délocalisée à proximité des centres de rétention et des zones d'attente.

Il a rappelé qu'il en existait dans quelques centres de rétention -à Coquelles dans le Pas-de-Calais, au Canet près de Marseille, à Cornebarrieu près de Toulouse- et dans la zone d'attente de Roissy, cette dernière salle n'étant d'ailleurs pas utilisée.

Toutefois, il a indiqué que la Cour de cassation, par trois arrêts rendus le 16 avril dernier, avait porté un coup d'arrêt au développement et à l'utilisation de ces salles en annulant les décisions des juges de la liberté et de la détention du tribunal de grande instance de Marseille au motif que la salle d'audience du Canet se situait dans l'enceinte même du centre de rétention et non, comme le permet seulement la loi, à proximité immédiate du centre.

Il a ajouté que seule la salle de Coquelles continuait à être utilisée, les autorités judiciaires locales considérant que la configuration du centre de rétention et de la salle d'audience y était différente de celle du Canet ou de Cornebarrieu. Il a indiqué que des travaux étaient entrepris dans la salle de la zone d'attente de Roissy pour mieux l'autonomiser.

Concernant la visioconférence, il a observé que les juges administratifs y seraient sans doute moins réticents que les juges judiciaires. Toutefois, il s'est interrogé sur la maturité de la technique et sur la perte de contact humain lors de l'audience.

M. Jean-René Lecerf a demandé si un contrôle efficace était mieux assuré par une multiplicité d'instances indépendantes spécialisées chacune dans un secteur précis ou s'il ne valait pas mieux créer un organisme unique de contrôle.

M. Bernard Chemin, président de la CRAZA, a répondu qu'en première analyse l'idée d'un organisme généraliste de contrôle était séduisante, à la condition qu'en son sein les anciennes instances ne perdurent pas de fait. Par ailleurs, il a craint que la création d'un organisme trop généraliste n'aboutisse à une diminution de la qualité des contrôles.

M. Richard Yung a demandé s'il ne serait pas nécessaire que les associations intervenant d'ores et déjà dans les centres de rétention comme la CIMADE puissent le faire dans les locaux de rétention.

M. Bernard Chemin, président de la CRAZA, a indiqué que la CIMADE en avait fait la demande mais que les autorités n'y avaient pas répondu favorablement jusqu'à présent. Il a déclaré soutenir cette initiative, en particulier dans les locaux de rétention administrative comme celui de Nanterre ou de Cayenne que l'importance des flux assimile en pratique à des centres de rétention.

Il a ensuite fait deux recommandations.

En premier lieu, il a souhaité que les centres de rétention et les zones d'attente soient plus ouverts sur le monde extérieur, afin d'améliorer leur image, ces lieux souffrant, souvent à tort, d'une réputation très mauvaise, et de développer les activités pour les étrangers.

En second lieu, il a jugé que la capacité des nouveaux centres de rétention -140 personnes officiellement, près de 300 lorsque deux centres sont accolés comme à Vincennes- était excessive. Il a déclaré qu'une capacité limitée de 60 à 80 personnes serait un facteur d'apaisement important.

Incidemment, il a souligné que les centres de rétention gérés par la gendarmerie nationale connaissaient beaucoup moins d'incidents et bénéficiaient d'un climat apaisé. Il a estimé que les gendarmes avaient par nature l'expérience de la vie en communauté. Inversement, il a jugé que les policiers étaient trop souvent armés et contribuaient ainsi à créer un sentiment de méfiance. Il a ajouté que la hantise de l'évasion était mauvaise conseillère et ne donnait pas nécessairement de meilleurs résultats -en 2007, dix évasions ont eu lieu au centre de rétention de Vincennes, pourtant l'un des plus sécurisés.

M. Jean-Jacques Hyest, président, a salué à son tour la qualité du travail de la gendarmerie nationale, estimant qu'il faudrait en tenir compte lors du prochain débat sur l'avenir de la maréchaussée.

M. Bernard Chemin, président de la CRAZA, a déploré le projet de créer un centre de rétention de 300 places remplaçant celui du Mesnil-Amelot actuellement sous la responsabilité de la gendarmerie nationale.

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