CHAPITRE DEUX : DES RÉSULTATS DEPENDANT D'ADMINISTRATIONS GLOBALEMENT TROP ATTENTISTES

Malgré de premiers résultats encourageants, liés aux migrations des ressortissants des nouveaux États membres, le ministère de l'immigration, de l'identité nationale, de l'intégration et du développement solidaire reste confronté à un écart significatif entre la volonté politique d'un changement de cap en matière d'immigration professionnelle et la nécessité de passer, pour la mise en oeuvre de cet objectif, par des administrations aux cultures de travail très diverses, parfois contradictoires, sur lesquelles il n'a pas toujours une complète autorité . Or ce ministère s'est fixé, ce que votre rapporteur spécial tient à souligner, pour l'en féliciter, une obligation de résultat.

Dans un courrier en date du 9 juin 2008, M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, a répondu aux remarques de votre rapporteur spécial formulées lors de l'examen du budget 2008 sur l'absence d'indicateur relatif à l'immigration économique : « en ce qui concerne votre demande tendant à ajouter un indicateur relatif à l'immigration économique, je projette d'intégrer (...) un indicateur relatif à l'immigration du travail : « pourcentage des étrangers admis au titre de l'immigration du travail (hors nouveaux États membres de l'Union européenne) ». Cet objectif stratégique nous permettra de suivre l'objectif fixé par le Président de la République qui portera l'immigration économique à 50 % du flux total des entrées à fin d'installation durable en France ». Le Parlement disposera donc de la possibilité d'évaluer les résultats de l'action du ministère de l'immigration.

Depuis le 1 er janvier 2008, le ministère dispose d'une administration et d'un budget. Mais il s'agit de moyens resserrés : 609 agents et 632 millions d'euros de crédits de paiement 7 ( * ) , pour une triple mission : contrôler les flux migratoires, promouvoir l'immigration professionnelle et réussir l'intégration des immigrés légaux.

L'administration du ministère de l'immigration, de l'identité nationale, de l'intégration et du développement solidaire est une administration d'état-major. Elle a une autorité partagée sur un certain nombre de services déconcentrés, jamais une autorité directe ou exclusive , à l'exception de la tutelle dont elle dispose sur l'ANAEM (dont les dépenses se seraient établies, selon le projet annuel de performances de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2008, à 158,7 millions d'euros de crédits de paiement en 2007, en faveur essentiellement de l'intégration des ressortissants étrangers primo-arrivants).

La gestion de l'immigration professionnelle repose nécessairement sur ces services déconcentrés, en France et à l'étranger, ainsi que sur une pluralité de partenaires. Ainsi, concourent notamment à cette action, outre le bureau de l'immigration professionnelle de l'administration centrale du ministère , les préfectures, à travers leurs directions de la réglementation et des étrangers , les bureaux de la main d'oeuvre étrangère des directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP), les consulats et les missions économiques , mais aussi potentiellement l'ensemble du réseau français à l'étranger, ainsi que les plateformes régionales de l'ANAEM .

L'ANPE devrait aussi participer à cette politique sur un plan opérationnel. Or celle-ci n'a pas engagé à ce stade d'action significative, alors que sa contribution sera essentielle.

Les effectifs dédiés à l'immigration professionnelle apparaissent peu nombreux, mais disséminés dans des administrations au fonctionnement très différent. Cette situation française reste différente de l'exemple britannique, où une agence est compétente pour l'ensemble de la chaîne de l'immigration : la future UK border Agency devrait être constituée en 2008 à partir de la Border and Immigration Agency (BIA), agence de l'immigration britannique, et de la UKVisas, agence des visas britanniques.

Globalement, le contrôle sur pièces et sur place donne à votre rapporteur spécial le sentiment d'une administration française globalement attentiste . Ce sentiment correspond à un comportement administratif qui privilégie une logique de guichet , de réponse à des demandes et des dossiers, plutôt qu'une démarche plus active, de prospection, de recherche, de démarchage, puis de sélection d'immigrants économiques, qualifiés ou non. Il y a certes des freins à l'action des services, que votre rapporteur spécial a soulignés, et qu'il convient de lever. Mais il y a trop souvent une « attente de la circulaire », qui prive les administrations de l'immigration économique de toute initiative : il n'existe ainsi aujourd'hui sur les sites Internet des consulats français à l'étranger aucune rubrique intitulée « travailler en France » ! La communication des préfectures sur les démarches à accomplir est encore perfectible : la compréhension par les ressortissants étrangers et les entreprises des mécanismes de l'autorisation de travail est limitée.

En conséquence, votre rapporteur spécial considère qu'il sera difficile d'obtenir des résultats probants, en ligne avec l'objectif du Président de la République de 50 % d'immigration économique, avant 2010. Encore faut-il que les services de l'État se mettent en mouvement . Votre rapporteur spécial souhaite donc proposer quelques leviers d'amélioration.

I. DES INSTRUMENTS NOUVEAUX DONT LE DÉVELOPPEMENT EST NÉCESSAIREMENT PROGRESSIF

Depuis 1974, les gouvernements successifs ont diminué voire interrompu l'immigration par le travail. Il faut donc la rétablir en produisant de nouveaux instruments , sur lesquels il convient de développer une communication de qualité vis-à-vis des ressortissants étrangers potentiellement concernés , et une information adaptée en direction de nos entreprises .

La mise en oeuvre de ces instruments est nécessairement progressive, ce d'autant plus que la mobilisation des services concernés est loin d'avoir atteint son niveau maximum.

Les premiers résultats tangibles d'une politique de l'immigration économique qui serait parvenue à « maturité » doivent pouvoir advenir en 2010.

A. UNE PALETTE DE CARTES ET DE PROCÉDURES À DESTINATION DE L'IMMIGRATION DE TRAVAIL DEVENUE TRÈS (TROP ?) LARGE

1. Une palette de cartes à destination de l'immigration de travail trop diversifiés, au risque d'une cannibalisation de certaines cartes

Depuis loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, plusieurs nouvelles cartes ou dispositif ont été créées qui permettent de prendre en compte des problématiques économiques. Outre la carte « compétences et talents », et la carte « salarié en mission », dont 440 ont été délivrées depuis le 1 er janvier 2008, il existe ainsi des dispositifs visant à favoriser le travail des scientifiques étrangers (carte d'un an maximum renouvelable) et des étudiants étrangers, en les autorisant à travailler à temps partiel durant leurs études, et en leur permettant surtout de rester sur le territoire pour trouver un emploi correspondant à une premier expérience professionnelle.

En principe, chaque dispositif vise un public différent. Il en est ainsi d'un nouveau dispositif, prévu par l'article 32 du projet de loi de modernisation de l'économie, permettant de délivrer une carte de résident à un étranger qui apporte une contribution économique exceptionnelle à la France. On vise ici des investisseurs particulièrement importants, catégorie qui est également visée par la carte « compétences et talents ».

Cette carte « généraliste » se recoupe en partie avec les dispositifs prévus en faveur des étudiants terminant leurs études, qui ont déjà bénéficié d'un assouplissement de l'accès au séjour et à l'emploi par la loi du 24 juillet 2006 précitée, et qui sont pour certains assurément des talents. De même, les scientifiques pourraient être concernés par la carte « compétences et talents », mais semblent préférer le dispositif spécifique qui leur est destiné.

Une très large palette de cartes à destination de l'immigration de travail

La carte de séjour temporaire portant la mention « salarié », délivrée sur présentation d'un contrat de travail d'une durée égale ou supérieure à douze mois conclu avec un employeur établi en France.

La carte de séjour temporaire portant la mention « travailleur temporaire » , délivrée sur présentation d'un contrat de travail d'une durée inférieure à douze mois.

La carte de séjour temporaire portant la mention « travailleur saisonnier » , d'une durée maximale de trois ans renouvelable. Elle s'adresse à l'étranger qui s'engage à maintenir sa résidence hors de France et est titulaire d'un ou plusieurs contrats de travail saisonnier dont la durée cumulée ne peut excéder six mois sur douze mois consécutifs.

La carte de séjour temporaire portant la mention « salarié en mission » , d'une durée maximale de trois ans renouvelable, pour les étrangers détachés par un employeur établi hors de France lorsque ce détachement s'effectue entre établissements d'une même entreprise ou entre entreprises d'un même groupe.

La carte de séjour temporaire « profession artistique et culturelle » d'une durée maximale d'un an renouvelable. Ce titre permet à son titulaire d'exercer une activité artistique en qualité de salarié.

La carte de séjour « Communauté européenne » portant la mention : « toutes activités professionnelles ». Cette carte permet d'exercer toute activité professionnelle salariée.

L'autorisation provisoire de travail, d'une durée maximum de douze mois renouvelables, qui peut être délivrée à l'immigré appelé à exercer chez un employeur déterminé une activité présentant par sa nature ou les circonstances de son exercice un caractère temporaire, ne relevant pas des autres autorisations de travail.

Les autorisations assortissant la reconnaissance d'un droit au séjour

La carte de résident valable dix ans et renouvelable de plein droit. Ce titre unique permet de séjourner et de travailler en France sans limitation professionnelle ou géographique.

La carte de séjour « compétences et talents ». D'une durée de trois ans renouvelable, elle s'adresse aux étrangers susceptibles de participer, du fait de leurs compétences et de leurs talents, de façon significative au développement économique ou au rayonnement de la France et de leur pays.

La carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant ». L'étranger titulaire d'un tel titre de séjour est autorisé à exercer toute activité salariée sur le territoire métropolitain, à titre accessoire, dans la limite d'une durée annuelle de travail égale à 964 heures. La même règle s'applique à l'étranger titulaire d'une autorisation provisoire de séjour, jusqu'à la conclusion du contrat correspondant à sa première expérience professionnelle.

La carte de séjour temporaire « scientifique » d'une durée maximale d'un an renouvelable. Elle permet à son titulaire d'exercer une activité scientifique ou de recherche uniquement dans l'établissement ou l'organisme qui a signé un protocole d'accueil validé par l'administration.

La carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » d'une durée maximale d'un an renouvelable. Ce titre unique donne le droit à son titulaire d'exercer toute activité professionnelle de son choix.

Le récépissé de première demande ou de demande de renouvellement d'un titre de séjour portant la mention «autorise son titulaire à travailler.

Par ailleurs, le certificat de résidence réservé aux ressortissants algériens, valable 1 an ou 10 ans, comporte les mêmes droits et limites que la carte de résident ou les cartes de séjour temporaire précitées.

Source : ANAEM

Aussi la multiplication des cartes et des dispositifs conduit-elle à une impression d'enchevêtrement auprès des publics étrangers concernés . Ceci dénote un besoin de clarification des publics cibles pour chacune des cartes . Il convient d'éviter notamment les points de recoupement des différentes cartes , sauf à fusionner les dispositifs applicables aux étudiants sortant de leurs études, aux scientifiques et la carte « compétences et talents ». Un marketing adapté à chacun des publics, et ciblé, doit par ailleurs être mis en oeuvre.

2. La carte « compétences et talents » : des résultats limités qui soulignent la nécessité de certaines adaptations

La carte « compétences et talents » rencontre un succès plus faible qu'escompté. Pour 2008, M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale, et du développement solidaire, avait fixé un objectif de délivrance de 2.000 cartes, 1.000 par le biais des préfectures et 1.000 par le biais des ambassades. L'objectif a été décliné régionalement, et désormais aussi entre les différents postes à l'étranger.

Au 19 juin 2008, seules 44 avaient été délivrées , au 2/3 par le biais des ambassades selon les informations communiquées à votre rapporteur spécial.

Plusieurs raisons expliquent cet insuccès.

La première tient à un certain retard dans la mise en oeuvre de la carte, et à une promotion insuffisante, voire quasi-nulle à l'exception de certains consulats, réalisée par les postes à l'étranger . Or la répartition des objectifs entre préfectures et consulats (50-50) ne correspond pas au public cible de la carte, qui se trouve évidemment pour l'essentiel à l'étranger. C'est donc d'abord des ambassades que dépendra le succès de la carte. Force est de constater qu'elles n'ont pas encore complètement « joué le jeu », d'où l'organisation d'une réunion de sensibilisation d'une trentaine d'ambassadeurs le 2 juin 2008.

La deuxième raison tient à la grande richesse des cartes existantes, et à la création concurrente, selon les préfectures, de cartes à destination des étudiants et des scientifiques.

La troisième raison tient au caractère restrictif des critères d'attribution de la carte actuelle . Pas moins de 13 cas de figures précis sont prévus 8 ( * ) . Pour la carte « compétences et talents » n'a pas ainsi été retenue la procédure en vigueur dans d'autres pays d'anglo-saxons d'une sélection fondée sur un système « à points ». Surtout, les dispositions applicables aux ressortissants des pays de la zone de solidarité prioritaire sont aujourd'hui dissuasives : une durée de trois ans non renouvelable et la nécessité de présenter, à l'appui de la demande de la carte, un projet de codéveloppement . S'agissant du premier point, le ministère de l'immigration paraît conscient du problème, puisque les accords de gestion concertée des flux migratoires permettent de renouveler la carte au-delà des trois ans . S'agissant du deuxième point, il paraîtrait plus légitime de laisser de la liberté au talent étranger : celui-ci aura visiblement à coeur de porter un jour un projet de codéveloppement, mais il n'est pas évident que cela soit le cas dès son arrivée en France. En réalité, il n'est pas possible de mener deux politiques distinctes avec le même instrument : la carte « compétences et talents » est un outil d'attractivité, pas de codéveloppement. Ce sont les accords de gestion concertée des flux migratoires qui permettent d'éviter les éventuels « pillages des cerveaux ».

D'ici la fin de l'année, si l'atonie dans la demande de la carte « compétences et talents » se confirmait, il conviendrait d'une part d'assouplir les critères d'attribution et de « toiletter » le régime juridique applicable aux ressortissant des pays de la zone de solidarité prioritaire.

* 7 En Australie, au sein du ministère de l'immigration, le seul budget de l'immigration économique se serait établi en 2007/2008 à 205,9 millions d'euros selon l'étude précitée de la direction générale du trésor et de la politique économique.

* 8 Ainsi, pour les sportifs, les critères sont les suivants : pour les sports olympiques individuels, le demandeur devra avoir été champion national dans son pays d'origine l'année sportive précédant la demande ou avoir participé comme membre titulaire aux championnats continentaux ou mondiaux. Pour les sports olympiques collectifs, le demandeur doit faire partie, d'une manière permanente, de l'équipe nationale. Pour les sports non olympiques, le demandeur doit faire partie, d'une manière permanente, de l'équipe nationale. Pour les entraîneurs et techniciens, le demandeur devra entraîner de manière permanente l'équipe nationale ou en 1 ère division. L'expression « de manière permanente » signifie pour la saison sportive précédente et celle en cours. La notoriété professionnelle particulière d'un sportif permet de déroger à ces règles.

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