2. La méfiance persistante de la Russie à l'égard de l'OTAN

La crise aigue intervenue avec la Russie lors de l'intervention de l'OTAN au Kosovo, en 1999, a laissé des traces, et le fait que l'Alliance conduise désormais des opérations « hors zone », dont certains peuvent penser qu'elles répondent aux priorités de la politique américaine, crée un sentiment diffus de méfiance .

Dès 1997, dans le cadre de l'Acte fondateur OTAN-Russie, les deux parties avaient déclaré qu'elles ne se considéraient plus comme des adversaires et avaient établi des mécanismes de consultation et de coopération. Alors que venait de se produire le premier élargissement, avec l'adhésion de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque en 1999, l'OTAN s'était engagée à ne pas déployer d'armes nucléaires sur le territoire des nouveaux pays membres. Elle avait par ailleurs précisé qu'elle privilégierait l'intégration des capacités militaires des nouveaux pays membres dans le système de défense allié, en renforçant l'interopérabilité, de préférence au stationnement permanent dans ces pays de forces de combat supplémentaires. Ces principes ont été réaffirmés en 2002, alors que s'engageait la deuxième vague d'élargissement avec l'entrée de la Bulgarie, de l'Estonie, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Roumanie, de la Slovaquie et de la Slovénie.

Au cours des dernières années, plusieurs points de friction sont apparus.

Le premier point de friction concerne l'entrée en vigueur de l'accord d'adaptation du traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE) , signé en novembre 1999. Conclu en 1990 en vue d'établir un équilibre et une réduction des principaux équipements militaires en Europe, le traité FCE, initialement conçu dans le contexte de la guerre froide, a été adapté pour tenir compte de l'évolution politique du continent, chaque pays étant soumis à un plafond national.

La Russie justifie la décision du président Vladimir Poutine, prise le 26 avril 1007, de geler l'application du traité FCE de 1990 par le fait que les pays de l'OTAN retarderaient sans justification l'entrée en vigueur du traité FCE adapté de 1999, et maintiendraient de ce fait un instrument obsolète qui pénalise la Russie, tout en augmentant leurs forces militaires à proximité de ses frontières.

Les autorités russes contestent le lien fait par les pays de l'OTAN entre leur ratification du traité FCE adapté et le respect par la Russie des « engagements d'Istanbul », engagements qui impliquaient la fermeture des bases russes en Géorgie et le retrait des forces russes de Moldavie, mais dont le contenu précis est lui-même l'objet d'interprétations divergentes de part et d'autres.

Les alliés constatent, pour leur part, que la dernière base russe en Géorgie, celle de Goudaouta en Abkhazie, ne semble toujours pas évacuée, que la Russie maintient un dépôt de munitions et des forces chargées de les garder à Colbasna en Moldavie ainsi que plus de 1 000 hommes en Transnistrie, sous couvert d'une mission de « maintien de la paix » ne recueillant pas l'accord des autorités moldaves.

Le traité sur les forces conventionnelles en Europe (traité FCE)

Signé à Paris le 19 novembre 1990 entre l'OTAN et le Pacte de Varsovie, le traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE), entré en vigueur en 1992, scellait la fin de la guerre froide en Europe en prévoyant une réduction des armements conventionnels et la destruction de plusieurs milliers d'équipements lourds. Il posait le principe qu'aucune force étrangère ne pouvait stationner sur le territoire d'un Etat signataire sans le consentement de celui-ci. Il instaurait des mécanismes de transparence à travers des échanges d'information et des inspections réciproques.

Toutefois, reposant sur la notion d'équilibre d'alliance à alliance, le traité FCE est rapidement devenu obsolète avec l'évolution du contexte stratégique européen.

Après plusieurs années de négociation, un accord d'adaptation du traité FCE - ou « traité FCE adapté » - a été adopté lors du sommet de l'OSCE à Istanbul le 19 novembre 1999.

Le traité FCE adapté fixe pour chaque Etat signataire un plafond des différents types d'équipements qu'il est autorisé à détenir (nombre de chars de bataille, de véhicules blindés de combat, de pièces d'artillerie, d'avions de combat, d'hélicoptères d'attaque ...).

La ratification du traité FCE adapté a été autorisée par la Douma en juin 2004, mais le traité n'est toujours pas entré en vigueur, les pays de l'OTAN subordonnant leur propre ratification au respect des « engagements d'Istanbul » pris par la Russie en marge de la signature du traité FCE adapté, à savoir le retrait de leurs forces qui stationnent dans des Etats tiers - la Géorgie et la Moldavie - sans le consentement de ces derniers.

Le 26 avril 2007, Vladimir Poutine a annoncé un moratoire sur l'application du traité FCE de 1990 et le 14 juillet 2007 un décret présidentiel a suspendu l'application de ce traité sur le territoire russe

Un deuxième sujet de tension concerne le renforcement des capacités militaires alliées en Europe . La Russie invoque, à l'appui de ses critiques, le stationnement d'avions de combat alliés pour assurer la défense aérienne des pays baltes, alors que ceux-ci, membres de l'OTAN, n'ont pas adhéré au traité FCE, ni au traité FCE adapté et l'installation de bases américaines en Roumanie et en Bulgarie, qui contreviendrait aux engagements de l'Acte fondateur OTAN-Russie de ne pas faire stationner de forces permanentes substantielles de l'Alliance dans les nouveaux pays membres.

Comme le relèvent très justement nos collègues MM. Jean François-Poncet, Jean-Guy Branger et André Rouvière, dans leur rapport sur les enjeux de l'évolution de l'OTAN 4 ( * ) , chacun de ces arguments mérite pour le moins d'être relativisé. Les pays baltes ont déclaré à plusieurs reprises qu'ils adhèreraient au traité FCE adapté dès son entrée en vigueur, et l'appui de l'OTAN en matière de « police du ciel », qui vise à assurer une mission défensive, ne peut constituer une mise en cause des équilibres stratégiques entre l'OTAN et la Russie. Les accords conclus entre les Etats-Unis d'une part, la Roumanie et la Bulgarie d'autre part, sur l'utilisation de certaines bases, devraient quant à eux se traduire par la présence d'environ 1 500 militaires américains dans le premier pays et environ 2 500 dans le second. Elles constitueront des points d'appui pour des opérations ou offriront des sites d'entraînement, mais ne conduiront pas véritablement à faire stationner de manière permanente des forces de combat. Dans le même temps, il faut rappeler que les forces américaines en Europe, qui s'élevaient à 300 000 hommes à la fin de la guerre froide, ne représentent plus aujourd'hui qu'environ 100 000 hommes et devraient encore être réduites, pour se limiter à 40 000 hommes en 2011.

Si l'on peut contester la pertinence des arguments avancés par les autorités russes, il n'en demeure pas moins que la suspension de l'application du traité FCE, qui constitue un élément majeur de la sécurité en Europe, tout comme la menace de se retirer du traité avec les Etats-Unis sur les forces nucléaires intermédiaires (Intermediate Nuclear Forces - INF), qui interdit le déploiement de missiles nucléaires de 1 000 à 5 500 kilomètres de portée, traduisent un net raidissement de la Russie.

Un autre important sujet de contentieux porte sur le projet d'implantation d'un radar en République tchèque et d'intercepteurs en Pologne dans le cadre du système de défense antimissile américain.

L'annonce, en janvier 2007, du projet de déploiement d'éléments du système de défense anti-missile américain en Pologne et en République tchèque a aussitôt suscité de vives critiques de la part des autorités russes.

Ainsi, le Président Vladimir Poutine, dans son discours prononcé à Munich, le 10 février 2007, a dénoncé l'unilatéralisme des Etats-Unis. Il a contesté la réalité d'une menace balistique et il a mentionné les risques d'une nouvelle course aux armements en Europe.


Le système de défense anti-missile américain

Les attentats terroristes du 11 septembre 2001, qui ont mis en évidence la vulnérabilité du territoire national américain, ainsi que la menace de tirs de missiles, éventuellement dotés d'armes de destruction massive, en provenance de pays jugés hostiles, comme l'Iran ou la Corée du Nord, ont renforcé la détermination des autorités américaines d'édifier un système de défense anti-missiles protégeant l'intégralité du territoire américain et celui de ses alliés.

Si les Etats-Unis avaient lancé dès les années 1950 des recherches sur la création d'un tel système, l'édification d'un système de défense anti-missile (« Missile Defense ») a été, en effet, considérablement accélérée sous le présidence de Georges W. Bush. Ainsi, depuis 2002, ce programme du Pentagone aurait bénéficié d'une dotation d'environ 10 milliards de dollars par an. Par ailleurs, l'hypothèque du traité américano-russe ABM (« Anti Ballistic Missiles ») de 1972, interdisant le déploiement d'un tel système, a été levée avec le retrait unilatéral des Etats-Unis de ce traité en juin 2002, malgré les protestations de la Russie.

Le bouclier anti-missile américain devrait reposer sur un système complexe composé de senseurs (radars et satellites), d'intercepteurs (terrestres, mais aussi à partir de navires, d'avions, voire de satellites) et d'un système de gestion de l'engagement, qui analyserait les données fournies par les radars et satellites d'alerte pour identifier les têtes assaillantes, engager les intercepteurs et leur transmettre en vol les informations relatives à la trajectoire des têtes. Ce système aurait pour vocation de protéger le territoire américain, mais aussi celui des pays alliés ou amis, ainsi que les forces déployées.

Une première composante terrestre en Alaska a été déclarée opérationnelle en 2004 et l'amélioration des cinq grands radars d'alerte rapide actuellement utilisés par les Etats-Unis (dont un est situé au Groenland et un autre au Royaume-Uni) est en cours.

Le 22 janvier 2007, les Etats-Unis ont officiellement demandé à la République tchèque et à la Pologne d'accueillir, respectivement des radars servant à détecter des tirs de missiles et une batterie de dix intercepteurs ou « missiles anti-missiles ». Cette demande a reçu un accueil favorable à Prague et à Varsovie, mais elle a suscité une vive réaction de la part de la Russie. L'ensemble pourrait être opérationnel à partir de 2011 et représenterait un coût de 3,5 milliards de dollars. Bien qu'il existe encore de sérieux doutes chez les experts sur la faisabilité d'un tel système, la détermination des autorités américaines à se doter d'une défense anti-missiles semble totale.

De son côté, l'OTAN s'est engagé depuis 1999 dans un projet de défense anti-missiles balistique de théâtre, destiné à protéger les troupes déployées dans le cadre d'opérations extérieures contre les missiles de courte portée. Une étude de faisabilité portant sur un système de défense anti-missile du territoire a été également été lancée en 2002. Toutefois, compte tenu de son coût, estimé à 27 milliards d'euros, ce projet a été abandonné.

Les projets américains en Pologne et en République tchèque ont toutefois relancé les discussions sur la défense anti-missile au sein de l'OTAN. L'idée a en effet été lancée de réviser le programme de défense anti-missile de théâtre de l'OTAN, initialement destiné à la protection des troupes en opérations, afin de le compléter par des moyens permanents, terrestres ou navals, installés sur le flanc sud de l'Alliance.

Bien que l'installation d'intercepteurs antimissile, en Pologne, et d'un radar, en République tchèque, résulte d'une initiative strictement bilatérale entre les Etats-Unis et les pays concernés, la Russie en a fait un sujet majeur de différend avec l'Occident.

L' argumentation russe repose, en premier lieu, sur le caractère hypothétique de la menace balistique iranienne. L'Iran ne pourrait avoir, à un horizon prévisible, la capacité technique de réaliser un missile balistique capable de frapper les Etats-Unis avec une charge autre que conventionnelle. D'autre part, s'il en avait la possibilité, l'Iran n'aurait aucun intérêt à procéder à une telle frappe qui lui attirerait une riposte massive des Etats-Unis.

Considérant que la menace iranienne n'est pas crédible, la Russie considère, en second lieu, que le véritable objectif des installations projetées en Pologne et en République tchèque est d'affaiblir la capacité de dissuasion russe, ces installations créant un déséquilibre stratégique en Europe. Comme l'ont rappelé les interlocuteurs russes de la délégation, la doctrine de défense russe repose sur la dissuasion nucléaire, à l'image de la France. Or, le système anti-missile américain remettrait en cause l'équilibre des forces stratégiques, étant donné que les fusées nucléaires russes sont principalement terrestres, contrairement aux missiles nucléaires américains, qui sont embarqués soit à bord de bombardiers, soit à bord de sous-marins, ce qui rend plus difficile de les localiser et de les intercepter. Pour sa part, le radar couvrirait tout le territoire de la Russie et il serait connecté avec les forces stratégiques américaines. Le déploiement d'éléments du système américain de défense anti-missile en Pologne et en République tchèque serait donc susceptible, d'après eux, de bouleverser l'équilibre stratégique des forces en Europe en remettant en cause cette doctrine. Ils ont comparé cette affaire à la crise des fusées à Cuba.

Les Etats-Unis réfutent cette argumentation en soulignant que la menace balistique en provenance d'Iran est réelle, qu'il s'agit d'un système uniquement défensif, que les dix intercepteurs projetés en Pologne seraient totalement incapables de stopper une salve de plusieurs missiles nucléaires russes, et qu'en tout état de cause, ils ne se situent pas sur la trajectoire d'un éventuel tir russe visant les Etats-Unis. De même, le radar tchèque ne sera pas en mesure de surveiller la Russie.

Bien qu'ayant contesté l'invocation par les Etats-Unis de la menace iranienne, la Russie a paru ne plus remettre en cause le principe même d'un système de défense antimissile, puisqu'un tel système pourrait lui paraître acceptable pourvu que sa localisation géographique soit différente. Lors du sommet du G8, le 7 juin 2007, Vladimir Poutine a ainsi proposé de localiser les équipements envisagés en Pologne et en République tchèque sur le territoire de l'Azerbaïdjan, en utilisant sa station radar de Gabala. Après examen, l'administration américaine a répliqué que la station de Gabala ne pourrait en aucun cas remplacer le site tchèque, étant trop proche de la frontière iranienne pour assurer les fonctions de poursuite et de guidage indispensables au système d'interception à mi-course. En revanche, une telle localisation pourrait être envisagée en complément des sites polonais et tchèques, en tant qu'installation d'alerte avancée.

Il faut rappeler que la Russie possède elle-même son propre système de défense antimissile installé durant la guerre froide pour protéger la région de Moscou des missiles à moyenne et longue portée. Il se compose de près d'une centaine d'intercepteurs à charge nucléaire. La Russie dispose aussi de systèmes de défense antimissile de théâtre (S-300 et S-400). La Russie a également marqué à plusieurs reprises son intérêt pour être associée aux réflexions menées, au sujet de la défense antimissile, dans le cadre de l'OTAN.

Cette relative ambivalence de Moscou à l'égard de la défense antimissile n'a en rien atténué son opposition politique au projet américain. Celui-ci figure parmi les motifs évoqués pour justifier la décision prise, le 13 juillet 2007, par Vladimir Poutine, de suspendre l'application par la Russie du traité sur les forces conventionnelles en Europe. La Russie menace également de se retirer du traité avec les Etats-Unis sur les forces nucléaires intermédiaires ( Intermediate Nuclear Forces - INF ), qui interdit le déploiement de missiles nucléaires de 1 000 à 5 500 kilomètres de portée.

Lors de leur visite à Moscou fin octobre 2007, M. Robert Gate et Mme Rice ont formulé une nouvelle série de propositions à l'attention de la Russie. Il s'agirait tout d'abord de distinguer la phase de construction des sites en Pologne et en République tchèque, et leur mise en service opérationnelle. Celle-ci n'interviendrait que dans un second temps, au vu de l'évaluation de la menace iranienne (des consultations régulières seraient menées à ce sujet avec la Russie, sans pour autant que le déploiement opérationnel des intercepteurs soit subordonné à l'approbation de celle-ci). Deuxièmement, les Etats-Unis ont proposé de mettre en place des mesures de transparence (possibilité de présence de personnels russes sur les sites, de visites sur demande ou de dispositifs de surveillance à distance). Enfin, les Américains ont lancé l'idée d'une architecture régionale de défense antimissile « coopérative », associant les Etats-Unis, l'Europe et la Russie. Il s'agirait d'abord de procéder à des échanges d'information américano-russes sur les capacités de leurs propres systèmes, en vue de mettre en place ultérieurement une coopération concrète (coordination des systèmes de commandement et de contrôle, voire intégration dans un système interopérable).

Lors de leur rencontre à Sotchi, en avril 2008, les présidents George Bush et Vladimir Poutine « ont exprimé leur intérêt pour la création d'un système de défense antimissile commun dans lequel la Russie, les Etats-Unis et l'Europe participeraient à part égale ». La Russie reste hostile au projet américain dans son état actuel, mais les discussions américano-russes se poursuivront en ce qui concerne les mesures de transparence et une éventuelle connexion entre système américain et système russe.

Enfin, le dernier différend concerne l'élargissement éventuel de l'OTAN à l'Ukraine et à la Géorgie .

* 4 Rapport n° 405 (2006-2007) sur l'évolution de l'OTAN présenté par MM. Jean François-Poncet, Jean-Guy Branger et André Rouvière, au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat.

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