II. UNE SITUATION DE BLOCAGE PRÉOCCUPANTE : UNE RÉFORME RESTÉE « AU MILIEU DU GUÉ » ?

A. LA LOI, QUATRE ANS APRÈS : UN PREMIER BILAN EN DEMI-TEINTE

1. Des avancées certaines : une dynamique s'est progressivement mise en marche...

a) Une implication forte des professionnels dans la réforme pédagogique des enseignements artistiques

Si elle ne transparaît qu'en filigrane dans la loi du 13 août 2004, la réforme des enseignements artistiques qui accompagne sa mise en oeuvre mobilise et suscite l'intérêt - voire parfois l'enthousiasme - de nombre des professionnels du secteur : dans leur grande majorité, les directeurs de conservatoire et parents d'élèves auditionnés par votre rapporteur ont souligné leur intérêt pour cette rénovation pédagogique jugée nécessaire et perçue comme étant porteuse d'une ambition nouvelle .

(1) Des textes réglementaires

Elle s'est traduite par la publication, depuis 2005, de plusieurs textes réglementaires, qui sont issus d'une longue réflexion au sein des inspections générales de la musique, de la danse et du théâtre, et ont été élaborés dans le cadre d'une concertation étroite entre les professionnels et la direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles (DMDTS) du ministère de la culture :

- les textes relatifs au classement des établissements 6 ( * ) : suivant l'esprit de la loi, les missions des conservatoires sont définies dans une optique plus large et ouverte, comme retracé dans l'encadré ci-après ;

LES MISSIONS DES CONSERVATOIRES

L'arrêté du 15 décembre 2006, qui fixe les critères de classement par l'État des établissements d'enseignement de la musique, de la danse et du théâtre définit les missions communes aux trois catégories de conservatoires à rayonnement régional, départemental, communal ou intercommunal. Il s'agit :

1° Des missions d'enseignement artistique spécialisé , organisé en cursus. A cette fin, les établissements favorisent l'orientation des élèves tout au long de leur formation. Ils accompagnent leur projet et développent des collaborations entre spécialités artistiques, notamment lors des phases d'éveil et d'initiation ;

2° Des missions d'éducation artistique et culturelle privilégiant la collaboration avec les établissements d'enseignement scolaire , notamment dans le cadre d'activités liées aux programmes d'enseignement, de classes à horaires aménagés, d'ateliers, de jumelages, de chartes départementales de développement de la pratique chorale et vocale ou de dispositifs similaires en danse et en art dramatique ;

3° Des missions de développement des pratiques artistiques des amateurs , notamment en leur offrant un environnement adapté.

Les établissements participent également à des actions de sensibilisation, de diversification et de développement des publics, et prennent part à la vie culturelle de leur aire de rayonnement . A cette fin, ils assurent la diffusion des productions liées à leurs activités pédagogiques et l'accueil d'artistes et ils entretiennent des relations privilégiées avec les partenaires artistiques professionnels, en particulier avec les organismes chargés de la création et de la diffusion.

Pour accomplir l'ensemble de ces missions, les établissements constituent des centres de ressources pour la documentation, l'information, l'orientation et le conseil des citoyens.

- les textes relatifs au cycle d'enseignement professionnel initial (CEPI) 7 ( * ) , dont la loi confie l'organisation et le financement aux régions et prévoit qu'il est sanctionné par un diplôme national ; ces textes définissent les conditions d'accès à ce cycle, l'organisation du cursus et les modalités de son évaluation ; à cette fin, il est créé un diplôme national d'orientation professionnelle (DNOP) en musique, danse et art dramatique, qui se substitue aux diplômes d'études musicales (DEM), chorégraphiques (DEC) ou théâtrales (DET), délivrés par les établissements ;

- enfin, le nouveau schéma national d'orientation pédagogique , paru en avril 2008 pour l'enseignement initial de la musique, et en cours de déclinaison pour la danse et le théâtre.

L'organisation du CEPI et des nouveaux cursus de formation initiale sont retracés dans l'encadré et le schéma pages suivantes.

LE CEPI : CE QUE DISENT LES TEXTES


• Décret du 16 juin 2005

Le cycle d'enseignement professionnel initial (CEPI) est « destiné à approfondir la motivation et les aptitudes des élèves en vue d'une orientation professionnelle » . Il est « accessible aux élèves ayant achevé le second cycle des conservatoires classés (...) et aux personnes présentant un dossier attestant d'un niveau équivalent. L'admission est décidée par un jury après étude du dossier personnel du candidat et réussite à l'examen d'entrée. »

Le diplôme national d'orientation professionnelle (DNOP) sur lequel débouche le CEPI « ouvre à ses titulaires la possibilité de suivre une formation professionnelle supérieure. »


Arrêtés relatifs aux CEPI en musique, danse et théâtre

- En musique : chaque cursus est composé de trois modules et d'une unité d'enseignement : « un module principal dans la discipline dominante, un module associé, un module complémentaire et une unité d'enseignement choisie dans une liste d'options » , tels que définis en annexe ; le CEPI a une « durée minimum de deux ans et maximum de quatre ans » ; il représente, « toute forme d'enseignement confondue, un volume total de 750 heures . »

- En danse : l'arrêté détermine trois disciplines (classique, contemporaine, jazz), chaque cursus se composant d' un module d'interprétation composé d'une discipline chorégraphique associée, de trois modules complémentaires obligatoires et d'un modèle complémentaire facultatif ; le cycle a une durée « de deux à quatre ans » et représente un volume d'enseignement de 1 024 heures .

- En art dramatique : l'arrêté détermine les enseignements suivants : « entraînement corporel et vocal, pratique de l'interprétation, culture théâtrale, exploration et pratique de divers modes et techniques d'expression théâtrale ainsi que d'autres disciplines artistiques » ; le cycle a une durée de deux ans et représente un volume minimum de 1 056 heures .


Document d'accompagnement au décret et aux arrêtés relatifs au CEPI

- Sur les conditions d'accès : « des passerelles sont possibles avec le troisième cycle de formation à la pratique amateur pour les élèves qui auraient acquis la maturité nécessaire et souhaiteraient tester leurs capacités en vue d'une orientation professionnelle. »

- La notion d'orientation professionnelle est réaffirmée : « Alors que la formation au DEM, au DE CET au DET était implicitement conçue pour mener à une formation supérieure d'interprètes ou d'enseignants, le CEPI a vocation à constituer une phase d'orientation professionnelle beaucoup plus large . Ce cycle devrait permettre aux élèves d'être davantage sensibilisés à l'ensemble des métiers artistiques et culturels , notamment en testant leurs capacités et leurs motivations dans des situations réelles » ; « le DNOP devrait pouvoir être acquis tant par le futur interprète et/ou enseignant (de conservatoire notamment) que par celui qui envisage l'enseignement artistique en collège, l'intervention à l'école élémentaire ou préélémentaire ou d'autres métiers de la musique, de la danse ou du théâtre (créateurs, chef ou directeur, métiers du son, de la culture, administratifs ou techniques...). »


Arrêté du 15 décembre 2006 fixant les critères du classement des établissements

Des possibilités de partenariats sont prévues : « Pour garantir tout ou partie du cycle d'enseignement professionnel initial, les conservatoires à rayonnement départemental ou régional peuvent conclure des conventions réciproques ou avec des conservatoires de rayonnement communal ou intercommunal, des établissements d'enseignement reconnus ou tout autre personne morale de droit public ou de droit privé exerçant une activité d'enseignement, de création ou de diffusion. »

(2) De fortes attentes qu'il ne faut pas décevoir

Les responsables d'établissement placent de fortes attentes dans cette réforme .

En effet, selon eux, celle-ci doit être l'occasion de :

- permettre une plus grande homogénéisation des cursus , alors qu'il existait jusqu'alors de fortes disparités de contenu des enseignements et donc de niveau des diplômes de fin de troisième cycle (les anciens DEM, DEC et DET), induisant des formes de « hiérarchie » entre établissements ;

- redéfinir, dans le même temps, ce cycle d'orientation professionnelle, dans ses objectifs et ses contenus, et mieux le positionner dans le cursus de formation ; certains interlocuteurs ont souligné, en effet, une certaine « dérive » du DEM, d'où la nécessité de « remettre le curseur » à la bonne place ; du fait, notamment, des disparités soulignées ci-dessus, certaines familles élaborent des « stratégies », les jeunes passant ainsi plusieurs DEM successifs jusqu'à ce qu'ils aient atteint le niveau pour entrer dans un conservatoire national supérieur... ;

- donner une impulsion à une mise en réseau des établissements afin de permettre une mutualisation des moyens ;

- favoriser une diversification et une plus grande ouverture des enseignements , par l'affirmation de la notion de « parcours personnalisé » et le développement de disciplines encore trop peu représentées, mais correspondant pourtant à des pratiques artistiques de plus en plus répandues ; il est également attendu une poursuite des efforts en vue de structurer et développer les enseignements de la danse et du théâtre.

Ainsi, un grand nombre de directeurs de conservatoire entendus par votre rapporteur ont souhaité que l'intérêt de la réforme au plan pédagogique soit davantage mis en avant . Leur souhait est bien sûr que celle-ci puisse aboutir et être conduite dans de bonnes conditions, en dépit des blocages que suscite par ailleurs la mise en oeuvre de la loi du 13 août 2004.

Ces attentes et ce dynamisme, suscités par la loi, ne doivent donc pas être déçus.

b) Un réel investissement des départements dans l'élaboration des schémas
(1) Un bilan très satisfaisant

Lors de son audition à Montpellier, M. Yvan Sytnik, chargé pendant plus de trois ans de la coordination des travaux de suivi et d'analyse des schémas départementaux pour le développement des enseignements artistiques (SDEA) 8 ( * ) , a fait état d'un bilan tout à fait satisfaisant , confirmé, par ailleurs, par les autres interlocuteurs auditionnés par votre rapporteur : après un démarrage lent, les conseils généraux se sont, notamment à partir de 2006, fortement engagés dans la mise en oeuvre des schémas.

Les chiffres suivants montrent combien les départements se sont appropriés - certes à des niveaux divers - ce dispositif :

- 282 études préalables à la rédaction de SDEA ont été réalisées depuis 2004 (notamment dans la période 2005-2006), permettant d'avoir une connaissance très précise de l'existant avant l'élaboration des schémas ;

- sur le fondement de ces états des lieux, 82 schémas départementaux étaient votés ou en voie de l'être au 15 février 2008, dont 59 schémas votés sont « complets », concernant les trois volets musique, danse et théâtre ;

- plusieurs schémas ont inclus dans leur champ le cirque, les arts de la rue et parfois les arts plastiques ;

- 27 postes de chargé de mission ou de chef de projet ont été créés dans la continuité des études réalisées ;

- 49 départements ont fourni des indications sur le budget prévisionnel qu'ils prévoient de consacrer à la mise en oeuvre du schéma, afin de répondre aux besoins nouveaux mis à jour par les états des lieux : ce budget est supérieur à 1 million d'euros pour 19 SDEA , compris entre 500 000 et 1 million d'euros pour 17 SDEA et inférieur à 500 000 euros pour 13 SDEA ; de fait, l'engagement financier global des départements passe d'environ 19 millions d'euros « avant les schémas » à 24,5 millions d'euros pour leur démarrage, ce qui traduit un effort significatif ;

- environ 70 % des schémas complets votés (40 sur 59) prévoient un plan de formation des personnels afin de répondre aux enjeux de qualification des enseignants, soit en créant un programme de formation, soit dans le cadre d'un partenariat avec un CEFEDEM ou un conservatoire : retenons que les départements ont pris ces engagements face aux carences des régions sur ces questions qui relèveraient plutôt de leur compétence.

Ce bilan traduit la volonté des départements de se saisir de la question des enseignements artistiques. Notons que certains avaient une antériorité, parfois très ancienne, sur la question, puisque 24 schémas, concernant exclusivement la musique, préexistaient à la loi .

Lors de ses déplacements en région, votre rapporteur a mesuré, par ailleurs, le rôle important qu'ont pu jouer, auprès des conseils généraux, les associations départementales de musique et de danse (ADDM) dans l'élaboration des schémas : tel est le cas, par exemple, dans l'Hérault, où, via son ADDM, le département menait déjà depuis plus de quinze ans une politique volontariste en faveur des écoles de musique et de danse, ou encore en Savoie ; le haut degré de technicité acquis par ces associations et leur connaissance du réseau des établissements ont contribué à ce dynamisme. Toutefois, même des départements où il n'existe pas de telles structures relais se sont approprié le sujet, en désignant des chargés de mission pour en coordonner l'élaboration et le suivi.

(2) Certaines difficultés ou limites

Cependant, à la lumière de ce bilan et des auditions réalisées par votre rapporteur, des difficultés et limites sont à souligner :

- malgré un rattrapage progressif dès 2007, les schémas sont en général très en retard sur les volets danse et théâtre , qui sont, soit encore inexistants, soit sans grande consistance (par exemple ne prenant pas en compte l'ensemble des acteurs du secteur, en particulier le réseau amateur, les troupes et compagnies) ; parvenir à structurer ces deux champs disciplinaires suppose des efforts soutenus ; ainsi que le relève M. Yvan Sytnik, une impulsion de l'État, telle qu'elle a existé en musique, aurait été bienvenue : « les départements espéraient des mesures exceptionnelles de soutien à ces deux spécialités [danse et théâtre] qui auraient apporté davantage de cohérence et d'efficacité à leurs efforts » ;

- la prise en compte des musiques actuelles reste encore insuffisante ; votre rapporteur relève, notamment, que le réseau des Maisons de Jeunes et de la Culture (MJC) , dont elle a entendu les représentants, n'a quasiment jamais été associé à l'élaboration des schémas , alors que ces structures proposent une offre d'enseignement tournée essentiellement vers les musiques actuelles ou la danse contemporaine et que leur complémentarité avec les autres établissements est précieuse en termes de démocratisation de

Bilan des schémas départementaux : objectifs, engagements concrets et difficultés

Principaux objectifs

Exemples de mesures prévues ou engagées

Principales difficultés signalées

- Améliorer la répartition géographique de l'offre d'enseignement et de pratique artistiques dans un souci de cohésion territoriale

- Développer la mise en réseau des structures d'enseignement pour organiser la complémentarité et le rééquilibrage de l'offre

- Favoriser l'accès des publics aux enseignements et pratiques artistiques

- Diversifier l'offre d'enseignement (avec un effort sur les disciplines rares et les nouvelles esthétiques) et élever son niveau qualitatif

- Améliorer la qualification des enseignants

- Développer la cohérence pédagogique par une plus grande harmonisation des cycles

- Mobiliser l'ensemble des acteurs

- Développer des liens avec l'éducation nationale (pour développer des actions d'éducation artistique et culturelle en milieu scolaire, notamment dans les collèges) et les pratiques en amateur

- Développer les liens entre enseignements artistiques, création et diffusion : placer l'établissement au coeur de la proposition culturelle locale

- Précision des critères d'attribution des aides du conseil général

- Harmonisation voire baisse des tarifs

- Aide et incitation à la mise en place d'une gestion intercommunale de l'enseignement artistique (Gironde)

- Constitution d'un espace commun de ressources (33)

- Octroi de bourses aux élèves de 3 ème cycle

- Mise en place d'un fonds de soutien pour l'achat de partitions ou d'instruments ou pour l'innovation pédagogique

- Mutualisation des moyens d'enseignement : mise en place de professeurs itinérants pour les disciplines à faibles effectifs, développement de la polyvalence du corps enseignant ou encore création d'une structure de coordination de l'emploi dans les écoles associatives...

- Mise en place d'un plan de formation continue des enseignants

- Soutien à la création par l'accueil d'artistes en résidence

- Aides à la rénovation des locaux

- Attente des transferts de crédits

- Blocages avec la région

- Retards sur la structuration de l'enseignement du théâtre (prenant en compte les compagnies amateur) et sur le développement et la structuration en cursus de l'enseignement de la danse

- Conditions de travail des enseignants marquées par certaine précarité et niveau de qualification parfois insuffisant

- Manque de projets d'établissement lisibles et cohérents

- Trop faible collaboration entre les structures

- Des écoles associatives de petite taille n'ont pas été représentées

- Disparités géographiques

- Vétusté des locaux

- Liens avec l'éducation nationale parfois difficiles à créer

- Public handicapé souvent exclu des enseignements

Source : « Schémas départementaux Musique-Dans-Théâtre », Mission nationale Enseignements artistiques et territoires, Cellule Conseil, Yvan Sytnik, 15 février 2008

l'accès aux enseignements artistiques et d'aménagement culturel de notre territoire ;

- les schémas sont très inégaux dans leur contenu ; cela tient, certes, à l'histoire des territoires et à l'antériorité ou non de l'intervention des départements sur ces questions ; mais au-delà, dans l' attente de clarification sur la question des transferts de crédits , certains conseils généraux ont fait le choix d'adopter dans un premier temps un schéma a minima , sans engagement financier supplémentaire.

* 6 Décret n° 2006-1248 du 12 octobre 2006 relatif au classement des établissements d'enseignement public de la musique, de la danse et de l'art dramatique ; arrêté du 15 décembre 2006 fixant les critères du classement de ces établissements.

* 7 Décret n° 2005-675 du 16 juin 2005 portant organisation du cycle d'enseignement professionnel initial et création des diplômes nationaux d'orientation professionnelle de musique, de danse et d'art dramatique ; arrêtés du 23 février 2007 relatifs à l'organisation du cycle d'enseignement professionnel initial et du diplôme national d'orientation professionnelle respectivement en musique, danse et art dramatique.

* 8 Pour aider les départements dans l'élaboration des schémas prévus par la loi du 13 août 2004, le ministère de la culture (DMDTS) et la Fédération « Arts Vivants et Départements » ont mis en place une « cellule conseil », qui a rendu public, après plus de trois ans de suivi, un rapport faisant le bilan et l'analyse des schémas départementaux votés : Rapport de la Cellule Conseil de la Mission nationale Enseignements artistiques et territoires, Schémas départementaux Musique-Danse-Théâtre, M. Yvan Sytnik, 15 février 2008.

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