CONCLUSION

Le programme A400M est un des maillons essentiels de la construction de l'Europe de la défense. Son abandon aurait des conséquences dommageables pour l'ensemble des parties.

Non seulement pour EADS, qui subirait, outre l'échec industriel, une érosion de son capital de confiance et des pertes financières majeures.

Mais aussi pour les Etats européens. Il leur serait impossible d'acquérir un appareil aussi polyvalent et aussi utile pour leurs armées. Ils se trouveraient dans l'obligation d'acquérir une flotte mixte de Lockheed C130J et de Boeing C17 américains, dont le prix serait d'autant plus prohibitif que les conditions de négociation ne leur seraient pas favorables. L'industrie du transport aérien militaire resterait de facto un quasi-monopole des industriels américains pour des décennies.

Cela empêcherait l'Europe d'acquérir des savoir-faire, priverait son industrie d'emplois et l'empêcherait de bénéficier des avantages de la recherche duale. Cela briderait sa souveraineté.

C'est pourquoi les rapporteurs souhaitent ardemment, dans l'intérêt de l'Europe, que les parties s'entendent dans les meilleurs délais pour assurer la réussite du programme.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunies le mardi 10 février 2009 sous la présidence commune de MM. Jean Arthuis, président de la commission des finances, et Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, les deux commissions ont entendu une communication conjointe de MM. Jean-Pierre Masseret, membre de la commission des finances, co-rapporteur spécial de la mission « Défense », et Jacques Gautier, membre de la commission des affaires étrangères, sur les conditions financières et industrielles de mise en oeuvre du programme d'avion de transport tactique A400M.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, a souligné que le Parlement, chargé non seulement de voter la loi, mais aussi de contrôler et d'évaluer les politiques publiques, est dans son rôle en examinant le programme A400M. Le présent rapport d'information est le premier réalisé conjointement par la commission des finances et la commission des affaires étrangères.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, a insisté sur le fait que les rapporteurs, représentant l'un la majorité, l'autre l'opposition, ont travaillé dans un délai très court, et entendu les principaux responsables concernés. Il a jugé le rapport d'information équilibré et objectif.

M. Jean-Pierre Masseret, co-rapporteur, a estimé que les approches des deux commissions sont complémentaires, la commission des affaires étrangères s'intéressant particulièrement aux questions capacitaires, alors que la commission des finances a mis en particulier l'accent sur les problématiques financières. Le rapport d'information affirme la nécessité de mener le programme à son terme. Les rapporteurs ont réalisé de nombreuses auditions, au cours des mois de décembre et janvier.

Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Jacques Gautier, co-rapporteur, a déclaré qu'il avait été difficile d'obtenir tous les documents relatifs au contrat, dans la mesure où la plupart d'entre eux sont soumis à une clause de confidentialité commerciale.

Il a ensuite présenté les grandes lignes du programme A400M. Cet appareil doit remplacer les avions de transport tactique C160 Transall et Lockheed C130 Hercules. Retraçant l'historique de l'opération, il a indiqué que le programme trouvait son origine en France dans une « fiche programme » de 1984 et, au niveau des états-majors européens, dans le projet de « future large aircraft » (FLA), dont les spécifications répondaient aux besoins opérationnels des armées européennes.

Les Etats européens ont réussi à se mettre d'accord sur la façon de conduire ce programme selon une approche dite « commerciale », c'est-à-dire avec une phase unique ne distinguant pas le développement et la production, à des prix fermes et à des échéances fixes. Sous le nom de « work allocation » (répartition du travail), les Etats se sont efforcés d'interpréter intelligemment le principe du « juste retour », selon lequel le retour industriel de chaque Etat doit être proportionnel au nombre de ses commandes. En 1998, la validité de cette approche a été confirmée, pour la France, par un rapport de M. Pierre Lelong, alors président de chambre à la Cour des comptes.

En septembre 1997, sur la base des spécifications définies en commun, les Etats parties au programme ont demandé une proposition commerciale à Airbus.

Pour gérer en particulier les relations avec le prestataire, les Etats européens ont créé en 2001 l'OCCAr (Organisation commune de coopération en matière d'armement).

Après de longues négociations commerciales et une mise en concurrence, c'est finalement l'offre d'Airbus military, filiale d'Airbus, qui a été retenue en 2003.

Conformément au souhait des Etats, la construction du moteur a été confiée à un consortium européen de motoristes. Celui-ci, Europrop International (EPI), est constitué de l'anglais Rolls Royce, du français Snecma (appartenant au groupe Safran), de l'allemand MTU et de l'espagnol ITP.

Parmi les nombreux obstacles rencontrés par le programme, les difficultés à obtenir la certification du logiciel du système numérique de régulation des moteurs (FADEC) sont la cause apparente du retard de la première livraison. Celui-ci est estimé à environ 3 ans, ce qui conduirait celle-ci à 2012. Cependant, compte tenu du fait que l'industriel n'exclut pas, par prudence, un rythme de production beaucoup plus lent que prévu, le véritable retard serait de l'ordre de 4 ans, ce qui reporterait la livraison d'un nombre significatif d'appareils à 2013 ou 2014.

Par ailleurs, certaines spécifications pourraient devoir être revues à la baisse, concernant en particulier le vol masqué à basse altitude, ou la navigation à l'aide de la cartographie, qui ne sont pas réalisables en l'état des technologies.

Ce retard a de graves conséquences pour l'armée de l'air, qui risque de connaître une situation de « rupture capacitaire » plus importante que prévu, en particulier pour le transport tactique, ainsi que pour les industriels.

M. Jacques Gautier a ensuite précisé les raisons des problèmes rencontrés.

Les Etats, tirant les leçons des retards constatés dans les programmes militaires et compte tenu des besoins de remplacement de leur flotte de transport, notamment en Grande-Bretagne, ont mis une forte pression sur l'industriel, auquel ils ont demandé de réaliser un programme technologiquement ambitieux et innovant, dans un calendrier très serré et à des prix contraints. De son côté, l'industriel a sous-estimé le pari technologique et surestimé ses connaissances et ses compétences dans un segment du marché - le transport militaire logistique - sur lequel il n'avait pas ou peu d'expérience. Trois défis technologiques ont été cumulés, concernant la cellule, le moteur et une partie de l'avionique. Ce cumul de défis, sans étude approfondie de réduction des risques en amont, est l'une des causes principales des difficultés que connaît le programme. La provision pour risque a été insuffisante. En outre, le recours à un contrat commercial rendant difficile le dialogue entre les industriels et les Etats, de même que l'absence d'Etat leader du programme et la faible capacité décisionnelle de l'OCCAr, se sont traduits par un suivi défaillant, tant du côté des Etats que de celui des industriels.

M. Jacques Gautier a considéré que l'impact sur le retard du programme du choix d'un moteur européen turbopropulseur de 11 000 ch, souhaité par les Etats, doit être relativisé, et que si la certification civile est une contrainte lourde, celle-ci est nécessaire.

Enfin, le recours à un contrat de type commercial ne doit pas être rejeté. Ce n'est en effet pas le recours à un tel contrat qui a été nuisible, mais l'absence de dialogue entre l'industriel et les Etats. Le fait de responsabiliser l'industriel sur des délais et des calendriers, et les Etats sur le nombre de leurs commandes, ne peut être considéré comme négatif.

M. Jacques Gautier a ensuite envisagé trois scénarios.

Le premier, qu'il a qualifié de « scénario du pire », consisterait à abandonner le programme. Il ne résoudrait pas le problème de la rupture capacitaire pour les armées, compte tenu du délai nécessaire à l'acquisition « sur étagères » d'autres types d'appareils. Cet abandon serait en outre très dommageable pour l'industrie aéronautique européenne, qui perdrait des emplois et des savoir-faire. Il constituerait par ailleurs un grave revers pour la politique européenne de défense.

Le deuxième scénario, reposant sur une application rigide du contrat, conduirait à fragiliser EADS, alors même que le gouvernement fédéral américain aide massivement les constructeurs aéronautiques, Boeing en particulier.

Les deux rapporteurs plaident donc pour une troisième solution, équilibrée, consistant à renégocier le contrat afin de trouver une solution acceptable par tous.

Enfin, s'agissant des leçons à tirer des difficultés rencontrées, il paraît nécessaire d'abandonner la règle du juste retour, comme l'a souhaité le Président de la République au Bourget ; de créer les conditions d'un dialogue mature entre les Etats et les industriels ; enfin, de mieux gérer les risques grâce à des programmes d'études en amont permettant d'évaluer et de réduire les risques technologiques.

M. Bertrand Auban a rappelé qu'EADS a connu ces dernières années d'importants problèmes de gouvernance, qui ne concernent pas le seul programme A400M. Le gouvernance d'EADS est rendue plus complexe par la présence de l'Etat français dans son capital. Selon lui, EADS était techniquement capable de produire l'avion dans les délais prévus, mais ce sont certains facteurs, comme le manque de coordination des Etats et la règle du « juste retour », qui l'en ont empêchée.

M. Adrien Gouteyron s'est interrogé sur le coût du retard pour les Etats et les industriels, sur l'éventualité d'une sortie du programme par le Royaume-Uni et sur les perspectives de prise en compte des préconisations des rapporteurs.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, a considéré que les Etats ont fait preuve d'un « grand moment d'exaltation » en 2003, d'autant plus facilement que les échéances étaient alors lointaines. Il a par ailleurs estimé que l'éventualité d'un remboursement des Etats par l'industriel en cas d'abandon du programme est irréaliste.

M. Jean-Pierre Masseret, co-rapporteur, a souligné l'ampleur du risque pour l'Europe de la défense et pour EADS, qui doit également mener à bien le programme A350. Précisant qu'il s'exprimait à titre personnel et que ces appréciations ne figuraient pas dans le rapport d'information, il a considéré que les Etats savaient dès la signature du contrat que le délai de 6 ans et demi ne serait pas respecté, et que l'exigence de certification civile imposait une contrainte excessive.

M. Jacques Gautier, co-rapporteur, a souligné les problèmes d'organisation d'EADS auxquels cette entreprise avait depuis remédié. Il s'est demandé si un Etat pouvait se retirer individuellement du programme en cas de retard de plus de 14 mois pour le premier vol. Ce point fait l'objet de discussions entre experts juridiques. Le montant des sommes déjà versées par les Etats est de l'ordre de 5 milliards d'euros.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, a indiqué que les rapporteurs poursuivraient leurs travaux aussi longtemps que nécessaire. Il a fait part de son intention de transmettre le présent rapport d'information aux plus hautes autorités de l'Etat et, notamment, au Président de la République.

La commission des finances et la commission des affaires étrangères ont donné acte de leur communication aux rapporteurs et ont décidé d'autoriser la publication de ces travaux sous la forme d'un rapport d'information.

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