N° 206

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Annexe au procès-verbal de la séance du 10 février 2009

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (1) de la commission des Affaires sociales (2) sur l' amélioration des dispositifs de contrôle et d' audit internes du réseau des caisses d' allocations familiales et la mise en place du répertoire national des bénéficiaires ,

Par Mme Christiane DEMONTÈS et M. André LARDEUX,

Sénateurs.

(1) Cette mission est composée de : M. Alain Vasselle, président ; M. Bernard Cazeau, vice-président ; MM. Gilbert Barbier, Guy Fischer, secrétaires ; Mme Christiane Demontès, M. Gérard Dériot, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. André Lardeux, Jacky Le Menn, Dominique Leclerc, Jean-Marie Vanlerenberghe.

(2) Cette commission est composée de : M. Nicolas About , président ; Mme Isabelle Debré, M. Gilbert Barbier, Mme Annie David, M. Gérard Dériot, Mmes Annie Jarraud-Vergnolle, Raymonde Le Texier, Catherine Procaccia, M. Jean-Marie Vanlerenberghe , vice-présidents ; MM. François Autain, Paul Blanc, Mme Muguette Dini, M. Jean-Marc Juilhard, Mmes Gisèle Printz, Patricia Schillinger , secrétaires ; Mmes Jacqueline Alquier, Brigitte Bout, M. Jean Boyer, Mme Claire-Lise Campion, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mme Jacqueline Chevé, M. Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, M. Jean Desessard, Mmes Sylvie Desmarescaux, Bernadette Dupont, M. Guy Fischer, Mme Samia Ghali, MM. Bruno Gilles, Jacques Gillot, Mme Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, M. Claude Jeannerot, Mme Christiane Kammermann, MM. Marc Laménie, Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Jacky Le Menn, Jean-François Mayet, Alain Milon, Mmes Isabelle Pasquet, Anne-Marie Payet, M. Louis Pinton, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, MM. René Teulade, Alain Vasselle, François Vendasi, René Vestri.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Dans le cadre de sa mission d'assistance au Parlement et au Gouvernement 1 ( * ) , la Cour des comptes doit produire, depuis 2007, un rapport annuel de certification de la régularité, de la sincérité et de la fidélité des comptes des organismes nationaux du régime général de sécurité sociale ainsi que des comptes combinés de chaque branche et de l'activité recouvrement du régime général relatifs au dernier exercice clos.

Dans ses deux premiers rapports, établis successivement en juin 2007 (relatif à l'exercice 2006) et juin 2008 (pour l'exercice 2007), la Cour a conclu qu'elle n'était pas en mesure d'exprimer une opinion sur les comptes combinés de la branche famille et de la caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf), en raison de l'ensemble des limitations, désaccords et incertitudes affectant ces comptes.

La Cour a souligné en premier lieu et principalement les déficiences du contrôle interne, dues notamment à l'absence de fichier national des bénéficiaires de prestations .

Elle a critiqué également (dans le rapport de juin 2008) :

- le caractère insuffisant des travaux menés sous l'autorité de l'agent comptable national en vue de la validation des comptes des organismes de base ;

- la sous-estimation (à hauteur de 330 millions d'euros) des charges à payer, des provisions pour charges de gestion technique et des provisions pour risque de non-recouvrement des indus ;

- le trop versé par la Cnaf à la caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), à hauteur de 770 millions d'euros, au titre des cotisations d'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) pour les années antérieures à 2005.

Sur ce dernier point, la Cour a pris acte cependant que le choix de ne pas procéder à l'apurement de cette somme a été fait en opportunité afin d'éviter de dégrader davantage le résultat déjà déficitaire de la branche retraite.

Enfin, elle a considéré qu'il existe une incertitude globale, au regard de l'exhaustivité, de l'exactitude et de la séparation des exercices, sur l'ensemble des charges de l'action sociale (3,5 milliards d'euros en 2007) : d'une part, on constate un écart de coût important entre l'estimation et la réalisation au cours de l'exercice suivant sur certains postes de dépenses (prestations de service ordinaire, contrats enfance et contrats temps libre) ; d'autre part, l'audit informatique a révélé l'insuffisante fiabilité du système d'information de l'action sociale (Sias).

Certes, l'impossibilité de certifier ne doit pas être confondue avec le refus de certification : dans le premier cas, le certificateur ne s'estime pas en situation de prendre position sur les comptes du fait de l'accumulation des limitations qui rendent lacunaires les informations collectées et entraînent un doute sur leur fiabilité et leur exhaustivité ; dans le second, il s'agit de désaccords significatifs avec le producteur des comptes, dont l'incidence et la multiplicité sont telles qu'il est impossible de valider les états financiers, même en émettant une ou plusieurs réserves 2 ( * ) .

Pour autant, le Parlement ne peut se satisfaire d'une situation dans laquelle il existe des doutes récurrents sur la fiabilité des comptes d'une des branches de la sécurité sociale dont les dépenses atteignent près de 60 milliards d'euros.

La certification concourt à la transparence et à la sincérité des résultats et de la situation financière du régime général. Elle a pour objectif d'apporter au Parlement une assurance raisonnable que les comptes ne comportent pas d'anomalies significatives, susceptibles de fausser son jugement sur la situation et le résultat financier de la sécurité sociale. Ce souci prend d'autant plus d'acuité au moment où le système de protection sociale, y compris la branche famille, traverse une crise grave, marquée par des déficits élevés.

La Cnaf a pris des engagements importants, dès la première campagne de certification de 2006. Comme l'a reconnu la Cour, ceux-ci ne pouvaient pas produire leurs effets sur les comptes 2007 en raison de leur ampleur et du temps nécessaire à leur mise en oeuvre. L'absence de certification deux années de suite ne reflète donc pas une aggravation de la situation, ni ne manifeste une quelconque mauvaise volonté de la part du réseau des caisses d'allocations familiales (Caf). Il reste toutefois à s'assurer que les efforts promis se poursuivent, qu'ils commencent à porter leurs fruits et que la Cnaf se donne effectivement les moyens d'obtenir la certification des comptes de la branche famille dans les délais les plus rapides.

Tel est l'objectif que s'est fixé la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss), avec l'ambition d'appréhender de manière très concrète les processus déployés pour satisfaire aux exigences de la Cour. L'accent a été mis en particulier, dans le présent rapport, sur l'instauration du répertoire national des bénéficiaires (RNB) , désigné par la Cour elle-même comme l'instrument indispensable et déterminant pour garantir un contrôle interne efficace, susceptible de lever les principaux doutes pesant sur la fiabilité des données comptables.

Les progrès réalisés en ce domaine par le réseau des caisses d'allocations familiales apparaissent tout à fait remarquables. L'analyse des évolutions imprimées aux autres composantes de la maîtrise des risques révèle que la Cnaf a manifesté, là aussi, une réelle volonté de se doter des moyens nécessaires à un pilotage plus efficace.

La Mecss a, par ailleurs, obtenu des informations précises sur le suivi par la caisse des crédits affectés à l'action sociale.

Pour mener à bien son étude, elle a adressé à la Cnaf un questionnaire dont les réponses sont reproduites en annexe au présent rapport. Elle a effectué deux déplacements, à la Caf de Rouen et à celle de Haute-Garonne, et auditionné Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration, et Hervé Drouet, directeur, de la Cnaf 3 ( * ) , ainsi que Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale 1 .

I. LA CONSTRUCTION MINUTIEUSE D'UN RÉPERTOIRE NATIONAL DES BÉNÉFICIAIRES

Le RNB est un registre informatique commun aux cent vingt-trois Caf de France, qui répertorie l'ensemble des personnes bénéficiant des prestations versées par les caisses .

A chaque bénéficiaire est attribué un numéro unique qui permet à toutes les Caf d'avoir accès, en temps réel, à l'intégralité des informations le concernant. Cet identifiant personnalisé est affecté aussi bien aux ayants droit directs d'une prestation qu'à ses bénéficiaires indirects, par exemple les enfants d'une famille disposant des allocations familiales.

Le RNB couvre les prestations familiales et les autres allocations distribuées par la branche famille pour le compte de l'Etat 4 ( * ) .

A. DES OBJECTIFS AMBITIEUX

Alors que la convention d'objectifs et de gestion (Cog) 2001-2004 incitait simplement les Caf à développer leurs échanges informatisés de données grâce à un identifiant national 5 ( * ) , la Cog 2005-2008 a prévu explicitement que « la Cnaf s'engage à mettre en place un identifiant national et un répertoire national des allocataires destinés à faciliter le développement de l'administration électronique, les actions de contrôle et l'accès à une information sur leur dossier en tout point du territoire 6 ( * ) ».

Ce projet répondait à deux objectifs principaux .

1. La lutte contre la fraude et la prévention des indus

a) Une lacune dénoncée par la Cour des comptes

Au mois de juin 2007, à l'occasion de son premier exercice de certification des comptes de la sécurité sociale, la Cour des comptes a regretté qu'« il n'existe pas de fichier national des allocataires, chacun d'entre eux disposant d'un identifiant délivré par la Caf d'appartenance, sans consolidation nationale des données » 7 ( * ) . La Cour a considéré que cette absence participait des « insuffisances du contrôle interne portant sur la liquidation et la comptabilisation des droits » entraînant « une forte incertitude sur le versement à bon droit des prestations légales et sur l'estimation des indus et provisions associés ». Ces insuffisances ont elles-mêmes été qualifiées de « limitations substantielles » affectant l'audit des comptes et conduisant la Cour à se déclarer ne pas être en mesure d'exprimer une opinion sur les comptes combinés de la branche famille.

S'agissant des comptes 2007, la Cour a maintenu sa position, précisant que les déficiences générales du contrôle interne sont « dues notamment à l'absence de fichier national des bénéficiaires de prestations 8 ( * ) ».

b) Un outil efficace

L'appréciation de la Cour des comptes s'explique par le fait que l'absence de fichier national des bénéficiaires gêne considérablement la prévention et la lutte contre au moins deux types de fraudes et d'indus 9 ( * ) :

- d'une part, elle rend difficilement détectables les cas de ménages s'inscrivant dans différentes caisses pour bénéficier plusieurs fois des mêmes prestations . En matière d'allocations familiales par exemple, une déclaration de situation sur l'honneur, accompagnée d'une photocopie des pièces d'identité correspondantes, suffit à déclencher l'ouverture du droit 10 ( * ) . En l'absence de RNB, une caisse se trouve donc dans l'impossibilité de savoir, sauf à consulter les cent vingt-deux autres, si un ménage ou une personne bénéficie déjà de la prestation demandée ;

- d'autre part, elle fait obstacle au repérage automatique des fraudes ou indus liés à l'inscription dans plusieurs caisses sous des rôles différents . Par exemple, une jeune personne de dix-huit ans peut être affiliée à une caisse en tant qu'enfant à la charge de ses parents, ce qui leur permet de bénéficier des allocations familiales correspondantes, et à une autre comme adulte constituant un foyer fiscal propre et pouvant à ce titre prétendre à l'aide personnalisée au logement (APL). Cette double inscription peut aussi bien résulter d'une volonté frauduleuse que d'une méconnaissance de la réglementation. Quoi qu'il en soit, la détection de ces cas nécessite de la part des Caf une vérification systématique, auprès de la direction générale des finances publiques (DGFiP), de la véracité des informations fournies, ce qui n'est pas envisageable, sauf à allonger excessivement le délai de traitement des dossiers.

Depuis le 1 er janvier 2008 cependant, la suppression de la déclaration de ressources, devenue inutile avec le transfert des avis d'imposition de la DGFiP vers les Caf, rend plus difficile ce dernier type de fraude, car le rattachement à deux foyers fiscaux est normalement repéré en amont par les services de l'Etat.

* 1 Article L.O. 111-3, paragraphe VIII, du code de la sécurité sociale (issu de la loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale).

* 2 La Cour a ainsi refusé de certifier les comptes de l'Acoss et de l'activité de recouvrement pour 2007 sur la base de trois désaccords de fond avec le producteur des comptes et sa tutelle.

* 3 Le compte rendu de ces auditions organisées respectivement les 17 décembre 2008 et 27 janvier 2009 figure également ci-après en annexe.

* 4 Les Caf versent deux types d'allocations : les prestations familiales dont la liste figure à l'article L. 511-1 du code de la sécurité sociale (prestation d'accueil du jeune enfant, allocations familiales, complément familial, allocation de logement, allocation d'éducation de l'enfant handicapé, allocation de soutien familial, allocation de rentrée scolaire, allocation de parent isolé, allocation journalière de présence parentale) et les prestations distribuées pour le compte de l'Etat (allocation aux adultes handicapés, allocation de logement sociale, allocation de logement temporaire, aide personnalisée au logement, revenu minimum d'insertion et revenu de solidarité active à partir du 1 er juin 2009).

* 5 Article 20.3 de la Cog 2001-2004.

* 6 Article 18.4 de la Cog 2005-2008.

* 7 Rapport de certification des comptes du régime général de sécurité sociale - exercice 2006 - juin 2007.

* 8 Rapport de certification des comptes du régime général de sécurité sociale - exercice 2007 - juin 2008.

* 9 On distingue habituellement les indus, erreurs involontaires dans la déclaration affectant le montant de la prestation versée, de la fraude, qui consiste à fournir délibérément de fausses informations, et de l'escroquerie, qui recouvre la fabrication de documents falsifiés. Ceci étant, il est souvent délicat de savoir si une erreur dans la déclaration commise par l'allocataire est intentionnelle ou accidentelle.

* 10 Cerfa 11423*05.

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