PREMIÈRE PARTIE - ORIENTATION ET ÉDUCATION : METTRE LE JEUNE AU CoeUR DU DISPOSITIF

I. ASSURER L'EFFICACITÉ ET L'ÉQUITÉ DE L'ORIENTATION DES JEUNES

Votre mission d'information, tout en rappelant que l'amélioration de l'orientation ne suffira pas, bien entendu, à elle seule à réduire le chômage des jeunes ou les rigidités du système éducatif, attire toutefois l'attention sur son caractère fondamental. L'orientation se résume trop, en France, non pas à une « sélection par l'échec » - M. Luc Ferry ayant souligné devant la mission le caractère pléonastique de la formule - mais à une mécanique d'exclusion fondée sur des critères qui dévalorisent trop « l'intelligence de la main ». Ce processus, combiné à l'anxiété des familles et à l'insuffisance de la connaissance des métiers, est à la racine des dysfonctionnements et du malaise suscité par notre modèle « méritocratique et élitiste républicain » selon la formule employée par les sociologues entendus par la mission d'information.

Trois remarques introductives peuvent être faites.

• Un double enjeu : mieux éclairer les choix et rééquilibrer les filières

Tout d'abord, comme l'indique opportunément le rapport pour 2008 du Haut Conseil de l'éducation, le terme « orientation » recouvre deux activités que la langue anglaise distingue : le processus qui répartit les élèves dans différentes voies de formation (« students distribution ») et l'aide aux individus dans le choix de leur avenir scolaire et professionnel (« vocational guidance », « school and career counseling »).

La mission constate que le lien entre ces deux composantes est trop peu souvent abordé de front, notamment parce qu'il renvoie au « tabou » de la sélection à l'entrée à l'université. Pour prendre un exemple concret, à plusieurs reprises au cours des auditions, il a été rappelé à la mission que la France formait environ la moitié des étudiants en psychologie d'Europe : pour réduire ce déséquilibre manifeste, aucun intervenant n'a pris position en faveur de l'instauration de « quotas ». Également soucieuse de ne pas entraver la liberté de choix des étudiants, la mission insiste en revanche sur l'urgente nécessité d'informer les jeunes de façon très réaliste sur les débouchés professionnels limités de ces formations et sur la situation effective des diplômés de ce type de filières.

Dans le même sens, lors de l'audition consacrée aux représentants des syndicats étudiants, M. Jean-Baptiste Prévost, président de l'Union des étudiants de France (UNEF), a souhaité que l'orientation constitue une aide et non une contrainte pour les jeunes : chacun devrait bénéficier d'un rendezvous individuel pour discuter de son orientation puis d'un suivi, ce qui n'est pas possible aujourd'hui faute de moyens. M. Rémi Martial, délégué national de l'Union nationale inter-universitaire (UNI) a, pour sa part, souligné la nécessité d'un accompagnement des jeunes dès le collège, avec une information sur les filières et leurs débouchés, ce qui suppose aussi que les universités publient des données relatives à l'insertion professionnelle de leurs diplômés.

• Deux millions d'élèves sont confrontés chaque année à un « choix » déterminant de formation.

Dans le secondaire , les échéances fondamentales se situent à la fin de la classe de troisième et de la classe de seconde générale et technologique. En fin de troisième, il s'agit de choisir entre la voie générale et technologique d'une part, et la voie professionnelle d'autre part, les diplômes de la voie professionnelle pouvant eux-mêmes se préparer soit sous statut scolaire, soit par apprentissage. En fin de seconde générale et technologique, c'est la série du baccalauréat (général ou technologique) qui est choisie. Le Haut Conseil de l'éducation indique qu'en 2006-2007, enseignements public et privé confondus, environ deux millions d'élèves des collèges et des lycées ont eu à faire un choix de formation, en fin de troisième, de seconde générale et technologique, de terminale BEP (seconde année de préparation du BEP), de terminale générale, technologique ou professionnelle (seconde année de préparation du baccalauréat professionnel). Par ailleurs, 15 % des étudiants se réorientent à l'issue d'une première année dans l'enseignement supérieur et on peut estimer qu'une très grande proportion des quelques 150 000 jeunes qui quittent le système éducatif sans aucun diplôme ont particulièrement besoin d'accompagnement actif.

Sur la base de ce constat dressé par divers rapports et confirmé par les auditions des jeunes et des sociologues qu'elle a conduites, la mission souligne non seulement l'importance des effectifs concernés par l'orientation mais aussi le fait qu'il s'agit là d'événements dont les modalités et les conséquences marquent très durablement les destins individuels des jeunes Français et leur sentiment à l'égard de l'institution scolaire républicaine.

Notre modèle méritocratique républicain marque le pas : pour s'attaquer à la racine de cette situation, la mission d'information préconise de mettre un terme aux inconvénients de notre processus d'orientation par exclusion.

Les auditions conduites par la mission commune ont mis en évidence un fait majeur : le malaise de la jeunesse est très largement le révélateur de la crise institutionnelle et culturelle du « système méritocratique à la française ». Analysant la situation actuelle, M. Olivier Galland, sociologue, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a ainsi constaté que « l'élitisme républicain », qui correspond à la sélection des meilleurs en fonction de leurs talents et de leurs efforts, ne fonctionne plus dans une école de masse qui doit désormais gérer des publics très divers. Ce modèle repose trop sur un mécanisme d'élimination à chaque palier essentiel d'orientation, ce qui aboutit non seulement à un taux d'échec particulièrement élevé, puisque 20 % des jeunes soit environ 150 000 sortent du système scolaire sans diplôme , mais aussi à un niveau d'acquis scolaires assez faible selon les mesures enregistrées par les enquêtes PISA (programme international de suivi des acquis). Insuffisamment efficace au plan des résultats scolaires et de l'insertion professionnelle, le système éducatif français produit également trop de découragement et porte atteinte à « l'estime de soi ». La mission estime que la gravité de la situation actuelle justifie de ne plus retarder une nouvelle « orientation » des jeunes et du système éducatif vers une réelle valorisation des qualités et potentiels divers de chacun .

Dans d'autres pays, les jeunes sont, moins qu'en France, soumis à cette « pression » scolaire. Mme Cécile Van de Velde, maître de conférences à l'école des hautes études en sciences sociales, a illustré ce phénomène lors de son audition en indiquant que dans les pays scandinaves prévalait une forme de jeunesse longue, indépendante et exploratoire, vécue dans une logique de développement personnel qui peut se résumer à la formule « se trouver ». Elle a précisé que les trajectoires, qui se caractérisent notamment par l'alternance entre le statut d'étudiant et celui de salarié, n'étaient pas vécues par les jeunes scandinaves comme une forme de précarité mais plutôt comme une condition nécessaire de la construction de leur personnalité et de leur positionnement progressif dans la société et l'économie.

Les recommandations de la mission commune dans ce domaine - dont les deux axes reposent sur un changement d'état d'esprit, même si M. Luc Ferry en a souligné la difficulté lors de son audition, et sur une évolution des structures - se fondent tout d'abord sur le constat lucide des défauts actuels de l'orientation, notamment dressé par le Haut Conseil de l'éducation dans son rapport d'activité pour 2008. Au cours de son audition, M. Michel Quéré, directeur du Centre d'études et de recherche sur les qualifications (CEREQ), a résumé les principaux enjeux en discernant les prodromes d'une tendance à la personnalisation de l'accompagnement pour les jeunes en errance après un échec dans l' enseignement supérieur et en signalant que de tels signes n'étaient pas, en revanche, perceptibles pour les jeunes sortant sans diplôme de l' enseignement secondaire . Estimant souhaitables les progrès de l'orientation active, il a observé que l'accompagnement personnalisé est efficace mais coûteux , ce qui implique de procéder à de difficiles arbitrages financiers.

A. L'ORIENTATION SCOLAIRE : UNE CASCADE D'EXCLUSIONS SUCCESSIVES BASÉES SUR DES CRITÈRES PARFOIS CONTESTABLES

A l'issue du collège , l'orientation fonctionne comme un couperet pour de nombreux élèves : ils sont quatre sur dix environ à considérer que leur orientation a été plus subie que voulue . L'orientation provoque alors un sentiment d'injustice alors que mieux mise en oeuvre, elle devrait permettre à chacun d'exploiter tout son potentiel et de s'insérer professionnellement.

1. Des critères de sélection réducteurs et un phénomène de « reproduction sociale » plus inacceptable que jamais

M. Luc Ferry a rappelé, au cours de son audition, l'importance des grandes écoles dans la structuration sociale et éducative de notre pays. Par ailleurs, analysant le processus de « distillation sociale » qui a abouti à l'interruption de leur démocratisation à partir des années 1980, le rapport d'information 34 ( * ) de la commission des affaires culturelles du Sénat de 2007, visant à remédier aux discriminations sociales et territoriales dans l'accès aux classes préparatoires aux grandes écoles, préconise de mettre fin à une forme de « délit d'initié ». De même, le Haut Conseil de l'éducation précise les caractéristiques de l'orientation qui enclenche, très tôt dans la scolarité, ce phénomène de reproduction.

a) L'orientation consiste à trier les élèves en fonction de leurs seuls résultats scolaires dans les savoirs abstraits

Ce tri s'effectue sans que, par ailleurs, on ait vraiment cherché à détecter leurs aptitudes à réussir dans des apprentissages propres à la voie professionnelle et à ses spécialités, apprentissages qui partent du concret et privilégient une approche plus expérimentale. Le collège reste largement marqué par cette conception de la réussite scolaire. La mission s'insurge contre cette vision réductrice qui porte un grave préjudice à notre pays : en particulier, l'insuffisante valorisation de l'intelligence de la main de nos jeunes constitue non seulement une injustice mais aussi une hérésie économique, sociale et humaine .

* 34 Rapport n° 441 (2006-2007) de la mission d'information créée par la commission des affaires culturelles, présidée par M. Jacques Legendre et dont M. Yannick Bodin était le rapporteur, sur « l'égalité des chances dans la composition des classes préparatoires aux grandes écoles ».

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