2. Un premier bilan

Aux termes d'une dizaine d'années d'analyses (les premières analyses ont été effectuées sur l'eau en 1999 à la demande de M. Eric Godard, alors ingénieur sanitaire), on peut estimer à 12 000-13 000 le nombre des analyses effectuées pour détecter et quantifier la présence de chlordécone dans les différentes composantes de l'environnement antillais.

Ces analyses sont de nature extrêmement différentes, suivant les matrices et suivant les buts recherchés (recherche, protection sanitaire, cartographie, prescriptions de mise en culture).

Elles se sont caractérisées par une « endogamie ministérielle » importante 46 ( * ) :

- les analyses de végétaux ont été effectuées dans le laboratoire de la Drôme (pour les besoins de recherche) ou au Groupement interrégional de recherche sur les produits agropharmaceutiques (GIRPA) d'Angers lorsqu'elles étaient commandées par le ministère de l'Agriculture,

- les analyses de matrices animales ont été faites dans la Drôme (recherche) ou au Laboratoire départemental de la Sarthe (commande des services vétérinaires), ou encore au laboratoire de l'IFREMER à Brest,

- les analyses de sols ont été principalement effectuées dans la Drôme,

- les analyses menées par la DGCCRF ont, jusqu'ici, été réalisées au laboratoire du ministère des Finances de Massy, et sont, depuis peu, menées conjointement par le laboratoire du ministère des Finances de Jarry en Guadeloupe, ceci pour les seules analyses portant sur la chlordécone.

Le coût de ces analyses est variable suivant les matrices analysées et les quantités, mais le tableau ci-après fourni par le laboratoire départemental de la Drôme en donne une illustration :

Coût de l'analyse

Chlordécone seule : 67,08 € HT

Chlordécone et autres organochlorés : 109,31 € HT

Coût de la préparation

Solides (gras, végétaux) : 24 € HT

Sols, eau : gratuit

TVA

Contrôle sanitaire de l'eau : 5,5 %

Autres cas : 19,6 %

Transport

Le laboratoire envoie le flaconnage vide. Le retour est à la charge du demandeur. En cas d'urgence les livraisons sont assurées par Chronopost. Le retour d'une glacière de 10 kg coûte environ 160 €.

3. Des questions en suspens

a- La fiabilité des analyses

Les enjeux représentés par la qualité des analyses sont doubles :

- leur fiabilité conditionne l'exactitude de l'effort de recherche mené pour caractériser le comportement environnemental de la molécule, en particulier celui qui vise à affiner les transferts sol-plantes ;

- l'introduction des nouvelles LMR depuis juillet 2008 fixant une limite en teneur en chlordécone de 20 ug/kg de produits frais, conditionne, à rebours, les mises en culture, la survie de certains élevages aquacoles ou l'édiction d'interdiction de zones ou d'espèces de pêches.

L'offre analytique est-elle à la hauteur de ces enjeux ?

Le passé récent et notamment les analyses effectuées de sol et de végétaux depuis les arrêtés préfectoraux et les programmes de recherche ont mis en évidence des erreurs sur la détection de la molécule. Ceci grâce à des essais en double.

C'est pourquoi l'AFSSA a édicté à compter de 2006 des protocoles d'extraction précis pour les matrices végétales et animales (cf. supra).

Si on peut estimer que l'homogénéisation des procédés d'extraction a amélioré la fiabilité de la détection - encore que des vérifications croisées entre chaque filière d'analyse ne seraient pas superflues - la quantification exacte de la chlordécone dans les matrices analysées pose encore question .

C'est, au demeurant, un problème qui n'est pas propre aux analyses de quantification de la chlordécone. Il existe une procédure de contrôle interlaboratoire dirigée par l'association AGLAE (Association générale des laboratoires d'analyse de l'environnement). Huit fois par an sont envoyés à 50 laboratoires accrédités des dosages artificiels de contaminant des eaux.

Ces laboratoires font deux analyses des échantillons. Or, les résultats de ces analyses font apparaître un coefficient de novation (écart type à la moyenne) qui donne un intervalle de confiance de 25 %.

Pour la chlordécone, on constate, de plus, une hétérogénéité supplémentaire des résultats :

- suivant les matrices : la fiabilité des analyses d'eau est plus forte que celle des autres matrices (20 % pour l'eau, 30-35 % pour les autres matrices),

- et suivant la teneur en polluant des échantillons . Plus on s'éloigne de la limite de quantification (10 ug/kg) plus le niveau d'incertitude diminue, mais cette croissance de la fiabilité de la quantification n'est que très progressive. Par exemple, pour des échantillons contenant 10 fois la limite de quantification, soit 100 ug/kg, l'intervalle de confiance est de 20 % pour la plupart des matrices.

Compte tenu des degrés d'incertitude qui existent, sur la quantification de la chlordécone dans les matrices analysées et sur l'homogénéité de certains types de prélèvement, on conçoit que l'application des nouvelles limites maximales des résidus (20 ug/kg) puisse faire débat dans certains cas.

L'application d'un intervalle de confiance de 35 % à cette limite de 20  ug/kg donne une marge entre 13 ug/kg et 27 ug/kg.

Par exemple, un élevage aquacole dont des échantillons avaient été testés à 26 ug de chlordécone/kg, est resté ouvert car il se situait dans la marge d'incertitude.

Sur ce point, il serait souhaitable que l'ensemble des ministères concernés (agriculture, santé, finances) qui sont habilités à prendre les mesures administratives ou même à diligenter des poursuites, adoptent une attitude commune, en prenant en considération une marge d'erreur qui demeure importante.

b- La localisation d'une partie des analyses dans les îles

les données du problème

Le coût des transports, la nécessité d'avoir un retour d'information rapide, le fait que l'on doive renforcer les capacités d'analyse des laboratoires antillais qui, comme tous les laboratoires des pays de l'Union européenne, auront, à terme, un plan de charge important de détection des pollutions environnementales, la perspective que l'on puisse « in situ » disposer d'une expertise internationale sur la chlordécone, utilisable par les pays de la région ; beaucoup de facteurs plaident en faveur d'une localisation d'une partie des analyses.

Rappelons-le, le renforcement des capacités d'analyses des laboratoires locaux fait partie des actions (actions 3 et 4) prévues par le « plan chlordécone ».

Cela afin qu'ils acquièrent les accréditations nécessaires (auprès du comité français d'accréditation - COFRAC) et l'agrément ministériel.

Les besoins en analyse

La demande en analyse des directions régionales est multiple :

- DSV : Plans de surveillance et de contrôle sur produits animaux (viandes, oeufs, volailles, lait, poissons, aquaculture, ...) (GDS : autocontrôles) ;

- DAF/SRPV : Plans de surveillance et de contrôle sur les végétaux, analyse des sols (FREDON : autocontrôles) ;

- DIREN : Surveillance des eaux et sédiments ;

- DSDS : Surveillance du réseau d'eau potable et des eaux embouteillées, programme JAFA (sols) ;

- DGCCRF : Contrôle des végétaux locaux et importés.

A ceux-ci, s'ajoutent les analyses qui soustendent les projets les recherches sur le comportement environnemental de la molécule ou les études épidémiologiques (CIRAD-INRAD, BRGM, IRD, IFREMER, INSERM-CHU de Pointe-à-Pitre, Université des Antilles et de la Guyane).

Pour le seul exercice 2009, la mission d'appui technique envoyée aux Antilles en septembre 2008, pour examiner le renforcement des capacités d'analyse des laboratoires antillais, les chiffre à 8 000, presque à parité entre les deux îles.

Si l'on peut estimer que les flux d'analyses de sol (2000 en 2009) commandées par les Directions régionales de la Santé et du développement social (DSDS), au titre de l'action concernant les jardins familiaux (JAFA), sont appelés à se tarir, le besoin en analyse des différentes matrices susceptibles de contenir de la chlordécone restera à un niveau élevé.

Sur les exercices 2010, 2011 et 2012, la mission d'appui précitée évalue le nombre d'analyses nécessaires entre 3 000 et 4 000 par an, sans prendre en compte les besoins d'analyses des organismes de recherche.

L'état d'accréditation des laboratoires locaux et le problème de la répartition des analyses

Vos rapporteurs ont rencontré les responsables des trois laboratoires locaux, le laboratoire départemental de la Martinique, l'institut Pasteur de la Guadeloupe et le laboratoire de la DGCCRF de Jarry en Guadeloupe. Ils peuvent témoigner de la qualité de chacune de ces équipes.

L'état d'avancement de la formation et de l'équipement de chacune de ces équipes en vue d'effectuer des analyses de matrices polluées à la chlordécone est le suivant :

- Laboratoire départemental de la Martinique

Les équipements ont été acquis, des analyses en double sont effectuées avec le laboratoire départemental de la Drôme qui a, par ailleurs, assuré une partie de la formation du personnel.

L'accréditation COFRAC pourrait intervenir à compter de février 2010 sur les matrices d'eau et de sol.

- L'institut Pasteur de la Guadeloupe

Ce laboratoire a répondu un appel d'offres de la DSDS de la Guadeloupe et a été choisi pour l'analyse des matrices de sol dans le cadre de l'action relative aux jardins familiaux (JAFA). Il a également été choisi pour l'analyse des échantillons d'eau par l'INRA dans le cadre du programme de recherche chlordexpo.

L'accréditation COFRAC pourrait intervenir dès juillet 2009 pour l'analyse des matrices de sol.

- Le laboratoire de la répression des fraudes de Jarry

Ce laboratoire est destiné à assurer les analyses des matrices de végétaux qui étaient auparavant effectuées par le laboratoire national de Massy.

En 2009, il effectuera les analyses de chlordécone couvrant les plans de contrôle menés par les DGCCRF en Guadeloupe et en Martinique. Le laboratoire national de Massy continuera à assurer les analyses correspondant aux plans de surveillance et les analyses multirésidus des pesticides.

De ce qui précède, on peut inférer qu'en dépit des efforts très réels de mise à niveau accomplis par les laboratoires locaux, ils n'ont pas encore constitué une offre permettant de répondre rapidement à la totalité des demandes d'analyses sur l'ensemble des matrices contenant de la chlordécone.

Ce qui ne signifie pas qu'il n'est pas nécessaire, dans une perspective de long terme, de poursuivre la mise à niveau de ces laboratoires.

Quelle pourrait être à terme la répartition des analyses entre ces trois laboratoires ?

La réponse à cette question qui pourrait relever d'une simple recherche de l'efficacité administrative est oblitérée par plusieurs facteurs.

- le laboratoire de Jarry est très spécialisé dans les analyses de végétaux qui peuvent déboucher directement sur des conséquences pénales, liées à sa mission de répression des fraudes. Il semble peu opportun d'étendre cette mission à l'analyse d'autres matrices et, s'agissant des végétaux, de mettre ses responsables en situation de juge et partie en lui confiant d'autres analyses de végétaux que celles qui relèvent de ces plans de contrôle et de surveillance ;

- la recherche d'une solution idéale de localisation d'une partie des analyses de chlordécone doit prendre en considération le fait que la plupart des plans d'analyses concernés doivent faire l'objet d'un appel d'offres, ce qui ne garantit en aucun cas leur attribution aux laboratoires locaux.

Certes, comme le souligne la mission d'appui, il est toujours possible d'introduire dans les cahiers des charges des dispositions sur la rapidité d'obtention des résultats et sur la diminution des émission de gaz à effet de serre qui pourraient infléchir l'équilibre des appels d'offres en faveur des laboratoires locaux mais ceux-ci sont, par ailleurs, défavorisés par les coûts de main d'oeuvre élevés des Antilles ;

- enfin, les sentiments d'altérité réciproques de chacune des deux îles font qu'il semble difficile qu'un partage rationnel des analyses entre la Guadeloupe et la Martinique soit mis en oeuvre. Tout au moins, vos rapporteurs estiment-ils souhaitable que la proposition de la mission d'appui, de création d'un GIS commun 47 ( * ) à constituer entre ces laboratoires pour faciliter la coopération technique entre eux et favoriser des réponses coordonnées aux appels d'offres soit mise en oeuvre.

Des interrogations sur la procédure ministérielle d'agrément

Les questions relatives à la localisation des analyses de résidus de pesticides ont permis à vos rapporteurs de déceler certains problèmes dans l'organisation de la procédure ministérielle d'agrément des laboratoires.

En premier lieu et au regard de l'accroissement prévisionnel de la demande d'analyses dans le domaine de la détection des pesticides (action de l'Union européenne réduisant le nombre de molécules autorisées, plan éco-phyto 2018), les moyens matériels du ministère de la Santé sont insuffisants. En 2008, seules deux personnes à mi-temps ont été affectées au traitement des demandes d'agrément de quinze laboratoires et de soixante demandes d'extension d'agrément.

Par ailleurs, la procédure est trop longue (dépôt d'un dossier avant le 30 juin pour un agrément donné à compter du 1 er janvier de l'année suivante et le système informatique qui gère ces demandes n'est pas assez performant).

Enfin, l'exigence d'une exhaustivité de capacité d'analyse pour toute une famille de produits, à défaut de laquelle l'agrément ne peut être obtenu, n'est pas toujours justifiée.

On comprend bien le souci du ministère de la Santé de disposer d'une offre d'analyse complète pour ne pas créer de produits « orphelins » dont l'analyse, trop rare et donc non rentable, ne serait pas possible.

Mais, il devait être envisagé d'appliquer cette réglementation avec souplesse en tenant compte des circonstances locales.

A titre d'illustration, s'agissant des analyses d'eau, les analyses de mercure ne sont d'aucun intérêt pour la Guadeloupe et la Martinique (mais elles sont indispensables en Guyane).

Néanmoins, pour avoir une accréditation sur les paramètres chimiques élémentaires, il est nécessaire d'être équipé pour détecter le mercure.

Il devrait être possible d'assouplir la délivrance des agréments par famille de produits, en y apportant des aménagements mineurs, prévoyant des agréments partiels ne portant que sur les produits qu'il est utile de détecter et de quantifier dans chaque département d'outre-mer.

* 46 Hors, les échantillons de sang qui sont analysés à Liège qui est un des seuls laboratoires européens capable de les effectuer

* 47 Dont la localisation, pour éviter de renvoyer au même problème, pourrait faire l'objet d'une alternance ou être virtuelle...

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