B. L'ETAT, UN « BON » LOCATAIRE TROP PEU ÉCONOME DE SES DENIERS

Au vu des éléments recueillis par votre rapporteure spéciale, l'Etat se présente comme un locataire relativement dispendieux, qui supporte des loyers parfois excessifs. Des efforts pour réduire ces coûts ont bien été constatés, mais ils s'avèrent encore tout récents.

1. Des loyers parfois déraisonnables

a) Les données synthétiques

Les états précités transmis par le service France Domaine, en 2008, à la demande du rapporteur spécial 12 ( * ) , avaient permis de se faire une première idée de la situation de « l'Etat locataire » en Ile-de-France.

D'une part, 88 baux pour la location de bureaux, d'un montant individuel supérieur à 500.000 euros (hors taxes et hors charges), avaient été recensés en Ile-de-France . Ces baux représentaient un total de 240 millions d'euros de loyers annuels, pour une surface utile brute globale de 543.500 m 2 , soit un loyer moyen de 2,7 millions d'euros et d'environ 440 euros/m 2 .

D'autre part, 53 baux pour la location de bureaux, d'un montant individuel supérieur à 500.000 euros (hors taxes et hors charges) avaient été recensés à Paris . Ces baux représentaient au total 160 millions d'euros de loyers annuels, pour une surface utile brute globale de 330.600 m 2 , soit un loyer moyen de 3 millions d'euros et de 512 euros/m 2 . Cette dernière série de baux avait été classée selon l'importance du montant du loyer annuel rapporté à la surface utile brute, et les dix premiers baux de cette liste désignés, par commodité, comme son « top 10 ». Le programme de contrôle de votre rapporteure spéciale, comme cela a déjà été signalé, a été organisé à partir de cette liste.

L'actualisation effectuée par le service France Domaine à l'initiative de votre rapporteure spéciale, corrigée des erreurs constatées à partir des éléments recueillis lors des contrôles sur pièces et sur place, permet de dresser un nouveau bilan en ce qui concerne les baux pris par l'Etat, pour des locaux de bureaux, dans la capitale. Ainsi, à la mi - juin 2009 , on a pu dénombrer, dans Paris , 72 baux d'un montant individuel supérieur à 500.000 euros (hors taxes et hors charges). Ces baux représentaient un total de 189,5 millions d'euros de loyers annuels , soit un loyer moyen de 2,6 millions d'euros, pour une surface utile brute globale de 383.580 m 2 induisant un coût moyen de près de 494 euros/m 2 .

Il convient de souligner que, par rapport au décompte réalisé en 2008, ce sont de la sorte 19 baux de plus qui se trouvent recensés . Un effet de seuil a pu jouer, expliquant une partie de ces « entrées » dans la liste, certains baux, du fait de leur réévaluation annuelle, se trouvant dans le décompte de 2009 alors qu'ils n'avaient pas à figurer, en fonction du critère de montant retenu, dans celui de 2008. Néanmoins, il n'est pas douteux que l'état dressé en 2008 présentait d'importantes lacunes. Eu égard à la méthode de recensement mise en oeuvre par le service France Domaine en l'absence de « tableau de bord » préexistant 13 ( * ) , rien ne garantit que l'état fourni pour 2009 n'ait pas conservé de semblables déficiences.

On observera également qu'un peu plus du tiers des implantations correspondantes à ces baux (27 sur le total de 72) se situent dans les arrondissements « centraux » de la capitale (du I er au IX e arrondissements). Les ministères les plus fortement représentés dans la liste sont ceux en charge du budget , de la justice et de l' intérieur , représentant à eux trois exactement la moitié des implantations locatives dénombrées. On doit encore relever que sept autorités administratives indépendantes entrent dans ce recensement 14 ( * ) .

Baux pris par l'Etat, dans Paris, pour des immeubles de bureaux (loyers supérieurs à 500.000 euros hors taxes et hors charges, juin 2009)

Institutions *

Nombre de baux

Ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique

13

Ministère de la justice

12

Ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités locales

11

Autorités administratives indépendantes**

7

Ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité

7

Ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi

6

Ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative

6

Ministère de l'éducation nationale

3

Ministère de la culture et de la communication

2

Services du Premier ministre

2

Ministère de l'agriculture et de la pêche

1

Ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (MEEDDAT)

1

Conseil d'Etat

1

Total

72

* Les dénominations des ministères sont celles qui étaient en vigueur à la date du 15 juin 2009.

** AERES, ARCEP, CNCCFP, CNIL, CSA, HALDE, Médiateur de la République.

Source : France Domaine et contrôles sur pièces et sur place

b) Le « top 10 » des loyers parisiens de l'Etat

En fonction de l'importance du montant du loyer annuel rapporté à la surface utile brute, le « top 10 » de l'état révisé fourni par le service France Domaine fait apparaître, en première position , l'immeuble qui héberge la MILDT , le Conseil national consultatif d'éthique et le Haut Conseil à l'intégration (instances rattachées aux services du Premier ministre), rue Saint-Georges dans le IX e arrondissement de Paris. Le coût de cette location, en effet, s'élève à 998,6 euros du mètre carré (2,1 millions d'euros annuels, pour une surface de 2.124 m 2 ). Cependant, ce bail, qui arrive à échéance fin 2009, ne sera pas renouvelé : les administrations concernées, d'après les informations recueillies, devraient se trouver relogées dès l'automne dans les immeubles domaniaux occupés par les services du Premier ministre. L'Etat se débarrassera ainsi, opportunément, de la plus onéreuse de ses locations parisiennes de bureaux au mètre carré.

Les autres baux de ce « top 10 » sont présentés dans le tableau ci-après. On observera notamment que le ministère de la justice occupe les deuxième, troisième et quatrième places du classement, avec les immeubles abritant :

- la direction des affaires civiles et du Sceau, boulevard de la Madeleine dans le VIII e arrondissement (995 euros/m 2 ) ;

- « l'annexe » de la Cour de cassation, boulevard Saint-Germain dans le VI e arrondissement (865,3 euros/m 2 ) ;

- et le pôle financier du TGI de Paris, rue des Italiens dans le IX e arrondissement (751,8 euros/m 2 ).

Cependant, il n'est pas tenu compte, ici, du bail pris pour l' Inspection générale des services judiciaires , place Vendôme dans le I er arrondissement. En effet, un avenant conclu en mars 2009 a organisé la fin de ce bail au 30 juin 2009 . C'est encore là un loyer très onéreux que l'Etat vient de quitter : il représentait un coût de 816,9 euros du mètre carré (3,16 millions d'euros annuels, pour une surface de 1.114 m 2 ).

Par ailleurs, il convient de noter que trois autorités administratives figurent dans ce « top 10 » , respectivement aux cinquième, sixième et dixième positions ; il s'agit, dans cet ordre, de la HALDE (706,3 euros/m 2 ), de l' AERES (695,6 euros/m 2 ) et du CSA (643 euros/m 2 ).

On signale en outre que presque tous ces baux se trouvaient déjà, à tel ou tel rang, dans la liste des dix loyers parisiens de l'Etat les plus coûteux au mètre carré fournie par France Domaine en 2008, et sur laquelle a été fondé le présent contrôle. La seule exception à cette situation tient au bail de l'immeuble qui relevait, à la date du recensement, du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (MEEDDAT) 15 ( * ) , et qui loge, rue du général Camou dans le VII e arrondissement, l'Institut de formation de l'environnement (IFORE) et la Commission nationale du débat public. Ce bail constitue une « nouvelle entrée » dans le « top 10 » ; il n'a pas donné lieu à un contrôle sur pièces et sur place de la part de votre rapporteure spéciale.

Le « top 10 » des loyers parisiens de l'Etat les plus onéreux rapportés à la surface occupée (loyers supérieurs à 500.000 euros hors taxes et hors charges, juin 2009) *

Rang

Institutions **

Surface louée

(en m 2 )

Montant du loyer annuel

(en euros)

Coût du mètre carré

(en euros/m 2 )

1

Services du Premier ministre :

- Mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie ( MILDT )

- Conseil national consultatif d'éthique

- Haut Conseil à l'intégration

rue Saint-Georges, Paris IX e

2.124

2,1 millions

998,6

2

Ministère de la justice : direction des affaires civiles et du Sceau

boulevard de la Madeleine, Paris VIII e

3.184

3,1 millions

995

3

Ministère de la justice : Cour de cassation

boulevard Saint-Germain, Paris VI e

4.904

4,2 millions

865,3

4

Ministère de la justice : TGI de Paris (pôle financier)

rue des Italiens, Paris IX e

7.384

5,5 millions

751,8

5

Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE)

rue Saint-Georges, Paris IX e

2.126

1,5 million

706,3

6

Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES)

rue Vivienne, Paris II e

3.003

2,1 millions

695,6

7

Ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités locales préfecture de police de Paris : commissariat du III e arrondissement

rue aux Ours, Paris III e

3.513

2,4 millions

686,8

8

Ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (MEEDDAT) :

- Institut de formation de l'environnement ( IFORE )

- Commission nationale du débat public

rue du général Camou, Paris VII e

1.140

770.500

675,8

9

Ministère du budget , des comptes publics, de la fonction publique : direction des personnels et de l'adaptation de l'environnement professionnel (DPAEP)

place des Vins-de-France, Paris XII e

10.176

6,6 millions

647,8

10

Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA)

quai André Citroën, Paris XV e

6.882

4,4 millions

643

* Classement hors bail de l'Inspection générale des services judiciaires, résilié au 30 juin 2009.

** Les dénominations des ministères sont celles qui étaient en vigueur à la date du 15 juin 2009.

Source : France Domaine et contrôles sur pièces et sur place

Trois précisions doivent encore être apportées.

En premier lieu, indépendamment d'éventuelles lacunes du recensement opéré par le service France Domaine, il est possible, sinon probable, qu'il existe dans Paris d'autres baux, pris par l'Etat pour la location de bureaux, dont le loyer rapporté à la surface égale, voire dépasse, les coûts du « top 10 » ci-dessus présenté. En effet, votre rapporteure spéciale rappelle que les données dont elle a disposé ne concernaient que les baux d'un montant annuel supérieur à 500.000 euros (hors taxes et hors charges). Il se peut donc que des baux d'un montant annuel inférieur, qui à ce titre n'entraient pas dans le champ du recensement mené par France Domaine, se révèlent au moins aussi onéreux, au mètre carré, que ceux du « top 10 ».

En deuxième lieu, faute des données nécessaires à cette entreprise, votre rapporteure spéciale n'a pas été en mesure de vérifier la conformité des loyers en cause aux prix du marché , ce qu'il faudrait apprécier, dans chaque cas, non seulement selon le quartier où se situe l'immeuble mais aussi en fonction de la date à laquelle le bail a été conclu. Cependant , on peut légitimement soupçonner que le niveau de ces loyers a résulté, pour partie, d'un effet « Etat locataire » : il est vraisemblable que l'identité du locataire l'Etat a pu entraîner, çà et là, sinon une hausse, du moins une « non baisse » des prix, faute de négociations suffisantes, avec les bailleurs, de la part d'administrations sans doute mal préparées à cet exercice. Force est de constater que celui-ci, de fait, entre rarement dans leur « coeur de métier ».

Au demeurant, il est certain que le montant de ces loyers, à supposer même qu'il corresponde bien aux niveaux du marché, reste objectivement « déraisonnable » pour l'administration, tout particulièrement dans le contexte actuel de nos finances publiques.

En dernier lieu, le contrôle a mis en évidence qu' une augmentation parfois très forte, dans la période récente, a pu affecter les loyers indexés sur l'évolution de l'indice du coût de la construction . A cet égard, on rappelle que le nouvel indice défini, pour les loyers commerciaux, par la loi de modernisation de l'économie (dite « LME ») du 4 août 2008, ne bénéficie pas aux baux portant sur des locaux à usage exclusif de bureaux 16 ( * ) .

Cet indice du coût de la construction, en 2008, a augmenté de 8 % au premier trimestre, 8,8 % au deuxième et 10,5 % au troisième ; 3,2 % seulement au dernier trimestre. Ainsi, par exemple, le loyer du pôle financier du TGI de Paris a fait l'objet pour 2009 d'une réévaluation à hauteur de 8,85 % par rapport à 2008, soit une hausse automatique de l'ordre de 500.000 euros. Il apparaît donc nécessaire à votre rapporteure spéciale que les baux conclus par l'Etat, lorsque le loyer fait l'objet d'un mécanisme d'indexation, prévoient systématiquement une clause de plafonnement de la réévaluation , afin d'éviter une dérive des coûts « automatique » et imparable.

D'ailleurs, il convient de souligner que l'Etat, dans la mesure où il représente un « bon » locataire, toujours solvable, est fortement apprécié des bailleurs . Ces derniers le préfèrent, en général, à un locataire privé dont le risque de défaillance de paiement est bien sûr très supérieur. De fait, l'administration devrait souvent être en position de force dans les négociations de bail. Le contrôle l'a prouvé par l'exemple, en mettant au jour de récents efforts de réduction des coûts en la matière.

* 12 Alors, notre ancien collègue Paul Girod.

* 13 Cf. supra , A.

* 14 Ce sont l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES), l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), la la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) et le Médiateur de la République.

* 15 On rappelle que le périmètre et l'intitulé du MEEDDAT ont été modifiés à l'occasion du remaniement gouvernemental du 23 juin 2009.

* 16 En vue de ralentir l'augmentation des loyers, la loi « LME » a prévu un nouvel indice (facultatif) pour l'indexation des baux commerciaux, composé à hauteur de 50 % de l'indice des prix à la consommation, de 25 % de l'indice du coût de la construction et 25 % de l'indice du chiffre d'affaires dans le commerce de détail en valeur, corrigé des variations saisonnières et des jours ouvrables. Ce nouvel indice est applicable aux indexations des baux de locaux dans lesquels sont exercées des activités commerciales, y compris celles concernant des artisans, mais non pas pour les baux de locaux à usage exclusif de bureaux, y compris les plateformes logistiques, ni pour les baux de locaux dans lesquels sont exercées des activités industrielles. Pour mémoire, dans un même but, en ce qui concerne les particuliers, l'indice de référence des loyers a été révisé par la loi pour le pouvoir d'achat du 8 février 2008. Alors que cet indice, auparavant, reflétait à 60 % les prix à la consommation, à 20 % le coût des travaux d'entretien et d'amélioration du logement et à 20 % l'indice du coût de la construction, il traduit désormais la seule évolution des prix à la consommation, hors tabac et hors loyers. Il est obligatoire pour la révision annuelle des loyers, si le bail en prévoit une.

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