B. QUEL SORT POUR LES DETTES NOUVELLES ISSUES DES DÉFICITS À VENIR ?

Alors que la Cades vient à peine de reprendre 27 milliards d'euros de dette au régime général de la sécurité sociale et au FSV, la reconstitution immédiate d'un déficit massif en 2009 et vraisemblablement en 2010 repose dès à présent la question du sort de cette nouvelle dette. D'après les prévisions de la commission des comptes de la sécurité sociale, le déficit du régime général et du FSV atteindra, on l'a dit, 22,2 milliards d'euros en 2009. Selon le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, ce même déficit pourrait s'établir à plus de 30 milliards d'euros en 2010.

Ainsi, d'ici à la fin de l'année 2010, une nouvelle dette sociale de plus de 50 milliards d'euros pourrait s'être reconstituée . Dans ces conditions, des choix lourds de conséquences devront être opérés.

1. Les limites du recours aux ressources non permanentes de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss)

Face à la reconstitution d'un déficit considérable, le Gouvernement n'a pour l'instant prévu que de relever par décret le plafond des ressources non permanentes de l'Acoss, fixé à 18,9 milliards d'euros par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Ce plafond devrait en effet être dépassé dès l'automne.

Dans la limite des plafonds qui lui sont fixés, l'Acoss recourt actuellement à deux types de financement :

- un financement par la Caisse des dépôts et consignations dans le cadre d'une convention signée en 2006 par les deux organismes, qui permet à l'Acoss de bénéficier d'un financement moins coûteux que celui qui pourrait lui être consenti par les banques ;

- l'émission de billets de trésorerie dans la limite d'un plafond de 11,5 milliards d'euros. En réalité, l'Acoss n'a jamais jusqu'à présent placé sur le marché plus de 5 milliards d'euros de billets de trésorerie. En revanche, au cours des dernières années, et notamment à la fin de l'année 2008, des billets de trésorerie ont été acquis directement par l'Etat.

Les relations entre l'Acoss et la Caisse des dépôts et consignation (CDC)

Les rapports entre l'Acoss et la CDC, partenaire financier traditionnel du régime général, sont régis par la convention 2006-2010 du 21 septembre 2006.

Celle-ci prévoit différents types d'avances : les avances prédéterminées (demandes d'emprunt formulées au moins sept jours avant l'échéance), les avances à 24 heures et les avances le jour même. Plus la demande de fonds intervient tôt, plus la marge sur le taux Eonia 6 ( * ) qui sert de référence est faible.

L'Acoss adresse chaque mois des prévisions de tirages pour les trois mois suivants, qui déterminent un « tunnel » : si les avances effectivement demandées à la CDC sont supérieures ou inférieures aux bornes notifiées pour le tunnel, des pénalités sont appliquées.

En 2008, la CDC a notifié à l'Acoss que les conditions conventionnelles de financement ne s'appliqueraient qu'à hauteur de 25 milliards d'euros. Au-delà de ce plafond, les avances de trésorerie de la CDC devraient prendre en compte les conditions de marché, sur la base du taux Euribor 3 mois 7 ( * ) . L'Acoss n'a cependant pas eu à recourir à cette deuxième tranche.

Pour 2009, la CDC, considérant que l'application de la convention de 2006 lui a causé en 2008 une perte de 25 millions d'euros environ, a fait part à l'Acoss de son intention de modifier la convention par voie d'avenant, un an avant l'échéance de renouvellement (une nouvelle convention doit être signée en juin 2010). Les négociations relatives à cet avenant sont en cours d'achèvement.

Au cours de son audition par la commission des affaires sociales, le 2 juillet 2009, Pierre Burban, président du conseil d'administration de l'Acoss, a précisé que l'avenant en discussion comporte trois points :

- le premier concerne les volumes que la CDC pourra honorer, à savoir 25 milliards d'euros à des conditions prédéterminées, et en tout état de cause pas plus de 31 milliards ;

- le deuxième est relatif au coût des sommes prêtées par la CDC, le principe retenu étant que celle-ci ne devra ni perdre ni gagner de l'argent à l'égard de la sécurité sociale ;

- le troisième point expose les autres conditions et notamment l'engagement de l'Acoss à fournir très régulièrement à la CDC les prévisions les plus précises possible sur le profil de ses besoins. En contrepartie, la caisse a accepté de laisser une plus grande marge de manoeuvre à l'Acoss pour gérer ses émissions de billets de trésorerie.

Enfin, l'Acoss a obtenu qu'une évaluation des conditions tarifaires proposées par la CDC dans cet avenant puisse être effectuée d'ici quelques mois par un organisme tiers, évaluation indispensable pour aborder dans de bonnes conditions la négociation de la prochaine convention.

Compte tenu des prévisions de déficit du régime général pour 2009, le plafond des ressources non permanentes de l'Acoss, fixé à 18,9 milliards d'euros par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, sera atteint dès le début de l'automne. Devant la commission des comptes de la sécurité sociale réunie le 15 juin 2009, Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, a indiqué que le plafond des ressources non permanentes de l'Acoss serait relevé de près de 10 milliards d'euros par décret d'ici le mois d'octobre. Il a surtout précisé que le traitement de cette nouvelle dette interviendrait lorsque le retour de la croissance le permettra, le Gouvernement s'engageant à ce que l'Acoss dispose des moyens de trésorerie nécessaires pour passer le cap de l'année 2010 .

Il conviendra que cet engagement de l'Etat se manifeste de manière particulièrement explicite pour éviter que la crédibilité de l'Acoss ne se trouve mise à mal.

Une possibilité consisterait à relever le plafond d'émission des billets de trésorerie, l'Etat ou d'autres entités publiques se portant acquéreurs d'une partie substantielle des billets émis.

Ainsi, l'Acoss devra prendre en charge par des ressources non permanentes les déficits cumulés du régime général sur les années 2009 et 2010, soit au total une somme avoisinant 50 milliards d'euros. Dans ces conditions, le plafond des ressources non permanentes, qui pourrait s'établir à près de 30 milliards d'euros en 2009 après réévaluation par décret, devrait être fixé entre 50 et 60 milliards d'euros pour 2010 . Jamais ce plafond n'a jusqu'à présent été fixé à un niveau aussi élevé.

Ce changement d'échelle de la gestion de trésorerie de l'Acoss pose plusieurs difficultés :

- comme le souligne avec constance la Cour des comptes, le plafond des ressources non permanentes de l'Acoss est en principe destiné à couvrir un besoin de trésorerie courant et non un déficit provenant du décalage entre les dépenses et les recettes de sécurité sociale ;

- par ailleurs, les taux d'intérêt à court terme sont aujourd'hui particulièrement faibles, ce qui permet à l'Acoss de se financer dans des conditions avantageuses. Une telle situation pourrait cependant ne pas durer et la remontée des taux d'intérêt pourrait faire exploser les charges d'intérêt payées par l'Acoss ;

- enfin, comme l'a fait valoir le Premier président de la Cour des comptes devant votre commission, le recours à l'émission de billets de trésorerie n'est pas sans limites, dès lors que le marché de ces billets est relativement étroit et que l'Acoss en est déjà le principal acteur. Il est cependant vrai que l'Etat ou d'autres entités publiques pourraient se porter acquéreurs de billets de trésorerie émis par l'Acoss.

Dans ces conditions, il est indispensable de réfléchir dès à présent au sort de la nouvelle dette sociale en cours de constitution du fait des déficits prévisibles en 2009 et 2010.

2. Quelle reprise de dette ?

Inévitablement, l'accumulation de nouveaux déficits sociaux d'une ampleur jusqu'alors inconnue justifiera une prochaine reprise de dette. Or, si plusieurs solutions sont envisageables, les pouvoirs publics n'auront à choisir qu'entre des inconvénients différents, aucune hypothèse n'apparaissant pleinement satisfaisante.

Devant la commission des comptes de la sécurité sociale, le ministre du budget et des comptes publics a ainsi présenté la situation :

« Les différents scénarios de traitement de la dette sociale sont connus :

- une reprise de la dette sociale par la Cades rend nécessaire une augmentation des recettes qui lui sont affectées ;

- une reprise de la dette sociale par l'Etat est juridiquement possible mais reviendrait sur le principe vertueux du cantonnement de la dette sociale ;

- certains ont avancé comme option une reprise de la « dette de crise » dans un organisme spécifique du type " caisse d'amortissement de la dette publique " ».

Il est difficile de percevoir l'intérêt que présenterait la création d'un nouvel organisme spécifique appelé à porter l'ensemble de la dette de crise.

De la même manière, la commission des affaires sociales considère que la dette sociale est gérée dans de bonnes conditions par la Cades et qu'une reprise de la nouvelle dette par l'Etat présenterait plus d'inconvénients que d'avantages :

- le mélange de la dette de l'Etat et d'une partie de la dette sociale remet en cause le principe du cantonnement de cette dernière, dont les vertus pédagogiques sont essentielles ;

- actuellement, la dette sociale est gérée de manière souple et efficace par la Cades, dont les conditions de financement sont certes légèrement moins avantageuses que celles de l'agence France Trésor, mais sans que cet écart justifie de renoncer à l'autonomisation de la dette sociale. L'existence de deux signatures portant chacune une partie de la dette de la France peut même être un avantage auprès de certaines banques centrales dont les portefeuilles font l'objet de quotas par pays et par signature.

Dans ces conditions, la meilleure solution de gestion de la nouvelle dette en cours de constitution demeure la Cades.

Néanmoins, le recours à celle-ci posera à l'avenir de sévères difficultés. L'article 20 de la loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale a modifié l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale pour prévoir qu'à toute nouvelle reprise de dette par la Cades doivent être associées les ressources supplémentaires nécessaires pour ne pas allonger la durée estimée de son mandat, qui devrait en principe s'achever en 2021 .

Ce dispositif adopté à l'initiative de l'Assemblée nationale, et dont le Conseil constitutionnel a estimé qu'il revêtait un caractère organique, visait à empêcher le report de la dette sociale sur les générations futures.

Le « tarif » des futures reprises de dette par la Cades

La mise en oeuvre de l'article 20 de la loi organique du 2 août 2005 a conduit la Cades à estimer le montant de ressources supplémentaires nécessaires au transfert de nouvelles dettes, à l'aide d'un modèle d'adossement actif-passif de la caisse.

Ainsi, le « tarif » qui a été déterminé pour la dernière reprise de dette intervenue à la fin de l'année 2008 et au début de l'année 2009 était de 0,07 point de CRDS par tranche de 10 milliards d'euros de dette. Ayant exclu toute augmentation des prélèvements, le Gouvernement a proposé de transférer une part de la CSG affectée au FSV à la Cades. Celle-ci a alors évalué à 0,189 point de CSG la ressource nécessaire au transfert de la dette de 27 milliards d'euros accumulée à la fin de l'année 2008. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a affecté 0,2 point de CSG à la Cades.

Dans la perspective de la reprise éventuelle d'une nouvelle dette sociale, la Cades a calculé les « tarifs » de cette reprise :

- pour reprendre 10 milliards de dette le 4 janvier 2010, il faudrait augmenter le taux de CRDS de 0,077 point;

- pour reprendre 10 milliards de dette le 3 janvier 2011, il faudrait augmenter le taux de CRDS de 0,085 point ;

- pour reprendre 10 milliards de dette le 2 janvier 2012, il faudrait augmenter le taux de CRDS de 0,095 point.

Ainsi, plus la reprise de dette interviendra tardivement, plus elle sera coûteuse. La reprise de 50 milliards d'euros de dette en 2011 par la Cades impliquerait d'augmenter la CRDS de 0,425 point, ce qui représenterait pratiquement un doublement de son taux, actuellement fixé à 0,5 %.

Dans les conditions actuelles de reprise de dette, telles qu'elles résultent de la loi organique du 2 août 2005, les transferts de dettes deviendront pratiquement impossibles d'ici quatre à cinq ans.

Compte tenu du coût de plus en plus prohibitif de toute reprise de dette par la Cades au fur et à mesure qu'approchera la date prévue pour l'extinction de la dette sociale, il sera vraisemblablement difficile d'éviter un débat sur une éventuelle prolongation de la durée de vie de la caisse au moyen d'une modification de l'ordonnance de 1996 par le biais d'une loi organique.

En effet, s'il se révèle absolument impossible d'éteindre la dette sociale à l'horizon prévu, il n'est pas certain que la création d'une nouvelle structure de cantonnement serait plus efficace que la prorogation d'un outil qui a fait la preuve de la qualité de sa gestion.

Il reste que supprimer le verrou posé par le législateur organique en 2005 pourrait conduire à une pérennisation durable de la Cades, à une banalisation de la dette sociale et à un report de cette dette sur les générations futures que le législateur a précisément souhaité empêcher jusqu'à présent.

Dans ces conditions, une éventuelle modification de la loi organique sur ce point ne devrait intervenir qu'en encadrant très strictement la prolongation de la durée d'existence de la Cades, celle-ci devant au minimum être accompagnée d'un transfert de ressources nouvelles, afin de marquer la détermination des pouvoirs publics à conserver un horizon raisonnable pour le remboursement des dettes que provoqueront les déficits en cours de formation.

* 6 Euro overnight index average : taux interbancaire au jour le jour.

* 7 Taux des emprunts interbancaires à trois mois.

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