IV. L'ACTUALITÉ GÉOPOLITIQUE

A. LA GUERRE EN AFGHANISTAN

La Commission de défense a présenté un rapport sur la situation en Afghanistan, dans un contexte de recrudescence des tensions et de redéfinition de la stratégie des forces militaires internationales en Afghanistan , alors que des élections présidentielles déterminantes pour l'avenir du pays auront lieu le 20 août 2009. Deux membres de la délégation française, Mme Françoise Hostalier (Nord - UMP), et M. Jean-Pierre Kucheida (Pas-de-Calais - SRC), ont été chargés de la rédaction de ce rapport important. Forts de leur expérience sur le terrain, les rapporteurs ont longuement présenté le rapport et ses conclusions. M. Kucheida fut le premier orateur :

« Huit années après le déclenchement de la guerre en Afghanistan, je suis donc amené à vous présenter ce nouveau rapport sur la situation afghane, sous des angles plus divers encore que lorsque nous avons eu à débattre, en juin 2006, des « leçons à tirer sur les forces européennes engagées en Afghanistan ».

Ce second rapport intervient donc après une mission que nous avons achevée à la mi-mai, à laquelle participaient le Président de la commission de défense, le Président de notre Organisation, ainsi que M. Brito et l'amiral Combarieu. Il est - et sans doute faudrait-il regretter une telle constatation - un nouveau bilan dans un parcours qui s'allonge en Afghanistan, alors que l'impact de la réplique conduite dans ce pays au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 laissait entendre que la guerre ne trouverait pas à se prolonger sine die.

Le premier point de mon rapport concerne la souveraineté, l'indépendance et l'autonomie. Ces trois termes sont à la fois les enjeux de l'engagement international en Afghanistan et, huit années après le début de la guerre, des acquis qui demandent à être consolidés dans le respect des règles qui, selon le droit international, reconnaissent l'existence d'un Etat.

Depuis 2006, l'Afghanistan est parvenu à affirmer une souveraineté et une indépendance, qualités que le projet de recommandation énonce comme appelant le respect de la communauté internationale. Si les progrès quant à l'architecture de l'Etat sont visibles depuis 2006, il n'en demeure pas moins que la consolidation, la sauvegarde de ces deux piliers passent par l'édification d'une autonomie.

L'autonomie, politique, économique, sociale, juridique, reste difficile, car l'Afghanistan est en proie à des tensions internes qui déstabilisent une telle ambition . L'engagement international aux côtés de l'Afghanistan apparaît donc comme nécessaire, néanmoins cette notion a sensiblement évolué. L'engagement militaire de la coalition, s'il doit se perpétuer, ne peut plus s'opérer selon les mêmes conditions que dans les mois qui ont suivi le 11 septembre 2001. Il s'agit d'esquisser un engagement militaire qui se veuille être au service de l'autonomisation des forces militaires et policières afghanes, c'est-à-dire « l'afghanisation », plutôt que le seul acteur de la sécurité du pays.

Parallèlement, le projet de recommandation met en évidence un paradoxe qu'il faut s'employer à réduire : si le déblocage de soutiens humains et logistiques de type militaire ne semble pas présenter de difficultés particulières, il n'en va pas de même de la mobilisation des aides financières destinées à l'émancipation civique et citoyenne, à la reconstruction et au financement de l'économie.

La réponse militaire dont la nature a évolué et doit évoluer, ne peut se départir d'une aide financière à vocation civile , à plus forte raison dans un contexte où les progrès humanitaires demeurent restreints.

J'en viens à la seconde partie du rapport : la situation militaire en Afghanistan.

Nous avons souhaité dépasser la dimension descriptive de la tactique militaire pour travailler la réflexion sur les enjeux stratégiques de l'engagement international en Afghanistan, même si les événements du mois d'août 2008 restent dans toutes les mémoires, en particulier dans les nôtres, en tant que Français.

Le déplacement de notre mission nous a permis d'observer des constantes, qui sont là depuis 2006, voire depuis 2001 : les combats n'ont pas cessé ; la corruption reste un obstacle ; l'adhésion de la population afghane aux motivations de la présence étrangère en Afghanistan ne semble pas acquise ; la culture du pavot résiste à l'implantation de cultures alternatives ; des divergences d'objectifs et d'enjeux de la guerre en Afghanistan existent entre les États-Unis et les États européens ; la mainmise des Américains sur le commandement de la FIAS et de « Liberté immuable » hiérarchise les objectifs de l'engagement international en Afghanistan.

Mais notre déplacement met en exergue la projection extérieure du conflit. L'enjeu stratégique a été résumé comme suit : « le but est de saturer Kaboul, le sud et l'est du pays, par les renforts, pour interdire aux talibans et aux groupes armés d'opposants l'entrée sur le territoire afghan ».

En l'occurrence, les ramifications des cellules des opposants sont établies à l'est et au sud du pays et pénètrent largement les frontières pakistanaises.

En 2006, l'état des forces internationales - dix-huit États engagés - était de 31 000 soldats et officiers et de 1000 soldats de l'opération « Liberté immuable ». L'armée nationale afghane comptait alors 34 000 hommes. Actuellement, ce sont 80 000 hommes qui composent les rangs de l'armée nationale afghane , avec un objectif de 134 000 d'ici à cinq ans. Cela montre un réel progrès dans l'afghanisation de l'armée. La FIAS compte 55 000 soldats, dont 25 000 Américains ; quarante et un pays sont engagés, marquant la forte internationalisation du conflit. « Liberté immuable » représente 18 000 soldats américains et 17 000 sont attendus en renfort venant d'Irak, ainsi que 2 000 à 3 000 soldats européens.

Toutes forces confondues, dont la police sur laquelle on ne peut réellement compter dans la mesure où elle est sans doute plus corrompue que n'importe quel corps, l'effectif avoisine les 300 000 hommes . Il serait difficile de les tenir en échec, malgré des menaces régulières et asymétriques. Pour autant, on ne peut pas s'attendre à voir les résistances s'éteindre rapidement. L'actualité nous le rappelle régulièrement.

Mon troisième point portera sur la réponse civile.

La réponse militaire semble plus facile à mobiliser que l'investissement financier à destination de la reconstruction civile, politique, économique et sociale du pays - reconstruction qui se heurte aux problèmes culturels, malgré une bonne volonté manifeste.

Les investissements internationaux promis selon le Pacte pour l'Afghanistan et la Conférence de Paris en 2008 débloqueraient de cinq à douze dollars d'aide par habitant et par an, soit environ 20 millions de dollars d'aide annoncée, mais non effective... J'espère qu'elle le sera et qu'elle ira en outre au-delà, car c'est le prix à payer si nous voulons voir la situation évoluer, même si nous ne pouvons que regretter l'évaporation qui a lieu en cours de route.

Dans un contexte où la culture, le religieux, les valeurs, les hiérarchies priment dans la vie sociale, il est impossible d'importer des modèles occidentaux, européens, sans soulever de réticences. De la même manière, il est impossible de dire que « l'Afghanistan s'émancipe de la tutelle étrangère ». Nous sommes donc confrontés à un profond paradoxe.

Que dire en conclusion ? L'extension du conflit témoigne d'une projection externe certaine. Si la résistance des talibans n'est plus que concentrée sur certaines régions, les ripostes qu'elle déploie ont contraint les forces internationales alliées à modifier leur stratégie. Les embuscades et les combats rapprochés sont plus nombreux, les pertes plus lourdes, avec des dommages collatéraux. La réponse militaire reste nécessaire, mais elle ne suffit pas à répondre aux enjeux de la reconstruction de l'Afghanistan.

Difficile cependant de mobiliser les ressources financières pour développer les projets de développement social, économique ... Les rares progrès en matière scolaire concernent les zones urbaines, avec ici ou là, des cas d'espèce, alors que la population est, dans sa très grande majorité, rurale. Les éléments d'autonomie en matière de sécurité sont en voie de création avec la formation de l'armée et de la police afghanes. L'armée que nous avons découverte dans les camps de formation nous a semblé crédible. Constituée d'un patchwork d'ethnies, nous avons pu saisir sur le terrain à quel point il était difficile d'organiser une armée composée de Pachtounes, d'Ouzbeks, d'Azéris et de Tadjiks. Quant à la police, elle est aussi en formation, mais paraît beaucoup plus aléatoire, plus mal prise en compte, et plus mal payée que l'armée, ce qui engendre de multiples dérives.

Les hommes sont donc peu valorisés, mal rétribués et sensibles aux appels des groupes armés d'opposants, bien mieux rétribués par l'argent qui vient, comme disent certains, du Golfe.

Il faut pouvoir construire une solution civile pérenne, qui réponde aux attentes et respecte la culture afghane pour sortir de l'ornière militaire.

La mission que nous avons conduite en mai dernier fait état d'un climat qui reste difficile, même trois ans après le dernier rapport paru sur la question au sein de notre Assemblée. Les confrontations subsistent, et de manière plus affirmée à l'est et au sud du pays, à proximité et au-delà des frontières pakistanaises. L'actualité nous le rappelle. L'Afghanistan est un pays de 600 000 kilomètres carrés composé essentiellement de montagnes. C'est donc un Etat, une région clé au sein de l'Asie centrale. Il constitue un carrefour et un rempart au coeur d'un continent qui compte parmi eux les pays les plus sensibles à l'intérêt de la communauté internationale : l'Iran, les pays du Golfe et, à proximité, la poudrière du Proche-Orient.

L'année 2009 marque une année clé pour l'Afghanistan. C'est une année essentielle, les élections étant prévues le 20 août prochain. Elles ont été décalées, mais la date est aujourd'hui fixée. C'est un nouveau test pour éprouver la stabilité et l'établissement d'une souveraineté large au sein des frontières afghanes, même si ces élections nous semblent sans surprise, puisque M .Karzaï est le seul candidat officiel.

Le renforcement de la présence américaine dans ce pays peut parfaitement se comprendre au vu des velléités qui peuvent être les siennes dans un cadre stratégique. Les intentions dévoilées par le Dr. Sherwood McGinnis, conseiller politique au département d'Etat des États-Unis, pour son service de rattachement, au cours de notre dernière réunion avant de quitter l'Afghanistan, sont parfaitement claires : les Américains veulent asseoir leur présence et leur domination sur l'ensemble des opérations militaires en Afghanistan. On peut percevoir les avantages de cette mainmise américaine sur les théâtres afghans. Mais sachons toutefois que quelques petits problèmes se sont posés s'agissant de l'unité de commandement pour la coalition.

Ajoutons au titre des avantages, des moyens énormes et la responsabilisation des États participants qui ont donné leur aval à l'engagement américain. Un soldat que nous interrogions, après la déclaration de M. McGinnis, nous a dit que l'arrivée et la prise de commandement par les Américains était quelque chose d'extrêmement positif, au vu des moyens énormes qui allaient être mis à disposition. Mais c'est un élément extrêmement négatif quand on sait de quelle manière les Américains ont l'habitude de gérer les problèmes avec les populations et les militaires.

Vous le voyez, il y a dans cette affaire à boire et à manger. Nous devons donc rester vigilants. Au regard de la situation politique et stratégique de la région, il est à craindre que cette uniformisation du commandement sous la bannière américaine, ne vienne crisper certains pays, tels que l'Iran ou le Pakistan - pays dans lesquels je souhaite, tout comme le Président Obama, que les choses continuent à évoluer.

L'objectif unitaire peut porter en son sein le germe de la dissolution de la coalition. Fondée sur le volontariat, elle pourrait en effet connaître quelques difficultés. En tout cas, je crains que si, politiquement, nous souhaitons la fin des interventions, celle-ci ne s'éloigne de plus en plus. D'autant que l'actualité modifie en permanence la donne ».

Mme Hostalier s'est ensuite exprimée en ces termes, pour compléter les propos de son collègue :

« Mes chers collègues, vous en avez conscience, nous sommes tous concernés par ce conflit en Afghanistan, puisque la plupart des pays que nous représentons dans cette enceinte y sont engagés militairement ou civilement. Notre Assemblée rend régulièrement compte de la situation et le rapport que nous vous présentons aujourd'hui s'inscrit dans cette continuité.

Il faut noter que la situation évolue chaque jour, non seulement en Afghanistan, mais également au Pakistan ; on le voit à travers les récents attentats et les enlèvements qui se multiplient dans ce pays. La communauté internationale a pris conscience qu'il convenait de changer très vite de stratégie dans cette zone . C'est exactement ce que nous a dit hier le Secrétaire général de l'OTAN, M. Jaap de Hoop Scheffer.

Trois éléments principaux de l'évolution sont à relever.

D'abord, la prise de conscience que le tout militaire n'est pas la solution et qu'il faut axer toutes nos actions et nos priorités sur une approche globale, appelée aussi « afghanisation ».

Ensuite, l'accélération de l'enjeu régional avec la recrudescence d'actes terroristes au Pakistan, notamment dans la vallée de Swat, et la prise de conscience qu'il nous faut maintenant associer d'autres partenaires, tels que la Russie ou l'Iran.

Enfin, un événement important dont l'évaluation est encore difficile à faire, à savoir l'élection présidentielle du 20 août prochain, au cours de laquelle la communauté internationale jouera sa crédibilité.

La situation générale est très contrastée . D'un côté, il faut noter, depuis la fin de la guerre, des progrès évidents : 6 000 enfants scolarisés, des dispensaires, des écoles et une université construits, le retour de 5 millions de réfugiés. De l'autre, il reste encore beaucoup à faire, face à la situation sécuritaire qui s'aggrave et à la condition des femmes qui n'évolue pas.

Des conférences internationales s'enchaînent avec chaque fois des promesses de dons qui ne se concrétisent pas, du fait de la corruption et du manque d'organisation sur le terrain.

La plupart des pays présents en Afghanistan viennent de nommer un représentant spécial, dont la mission est de coordonner les actions civiles et militaires, mais aussi de développer une action de liaison entre eux pour une meilleure coordination de l'ensemble des actions militaires, civiles et humanitaires.

Il est important, effectivement, de parvenir à une véritable coordination et harmonisation des actions . Il existe, par exemple, près de 90 « caveat », c'est-à-dire 90 procédures d'engagement différentes, ce qui crée une perturbation importante au niveau de la préparation purement militaire.

Mais se posent également des problèmes en ce qui concerne l'harmonisation au niveau civil. Je pense notamment aux PRT (équipes de reconstruction provinciale).

Apparemment, il n'y a pas de pilote dans l'avion : chaque nation fait ce qu'elle a envie de faire dans la zone où elle est en responsabilité de sécurité, de sorte que les Allemands font quelque chose dans le Nord, les Français à l'Est, les Britanniques ailleurs, mais il semble qu'il n'y ait pas d'harmonisation générale ni même de concertation. Or, pour les membres du gouvernement afghan, cette situation est problématique, car nous sommes tous là pour les aider, eux-mêmes sont en attente, et nul ne sait très bien qui est en capacité de diriger quoi. D'où l'impérieuse nécessité de parvenir à ce que l'on appelle « l'afghanisation ».

Pour terminer, je dirai qu'on a l'impression d'atteindre à ce jour en Afghanistan la quadrature du cercle, l'équation impossible, dans la mesure où il faut à la fois développer économiquement ce pays, lui permettre d'accéder à tous les relais économiques modernes, tout en respectant sa culture et ses traditions, étant entendu que j'apporte là quelques bémols.

Il est un autre paradoxe également complexe : il faut placer le gouvernement afghan au coeur de ces politiques tout en sachant que cet Etat est corrompu à tous les niveaux. Il faut évidemment s'appuyer sur une administration, laquelle est complètement défaillante et non formée, et sécuriser à marche forcée l'Afghanistan, quand le danger vient aujourd'hui essentiellement du Pakistan.

Pour terminer, je dirai que nous n'avons pas le droit d'échouer, que nous n'avons pas d'autre issue que celle de réussir : réussir pour le peuple afghan, réussir pour les femmes de ce pays, réussir pour les quelque 14 millions de jeunes de moins de 14 ans, réussir pour les 1151 soldats étrangers officiellement morts dans ce pays, réussir pour les milliers de civils tués et les millions de personnes déplacées. Nous devons réussir également pour notre propre sécurité dans ce pays, champion du monde du trafic d'opium ainsi que du trafic d'armes ».

Le débat qui a suivi s'est caractérisé par un grand nombre d'interventions, portant pour la plupart sur quatre sujets principaux : la destination réelle des fonds affectés par la communauté internationale et le problème de la corruption ; la culture du pavot et ses conséquences négatives, sources de grande préoccupation ; la situation au Pakistan, confronté aux extrémismes, et son attitude parfois ambiguë dans la lutte contre le terrorisme ; la condition des femmes en Afghanistan. Sur ce dernier point, on retiendra surtout l'intervention de Mme Maryvonne Blondin (Finistère - Soc) :

« La question afghane est effectivement au coeur de nos préoccupations depuis plusieurs sessions. L'excellent rapport de nos collègues vient une nouvelle fois souligner l'extraordinaire complexité de la situation sur place et nous renvoie l'image d'un bourbier dans lequel nos marges de manoeuvre tendent à s'épuiser.

Désormais, un certain nombre de membres de l'État-major américain plaident pour la recherche d'une solution de type non militaire pour pouvoir rompre avec l'enlisement inéluctable de la situation. Le volet civil, comme le Secrétaire général de l'OTAN le rappelait hier, est désormais inhérent à toute action extérieure : notre Assemblée ne cesse de le répéter depuis des années : Cependant, comme nous l'avons vu, la recherche d'interlocuteurs en accord avec nos positions s'avère plus délicate que prévue.

Dans un pays en manque d'unité, traversé par des réflexes ethniques, voire claniques, comme l'a souligné M. Hancock, Kaboul n'a pas su incarner une alternative crédible, l'ambition initiale d'une vaste réforme du pays se heurtant à de véritables prébendes locales difficilement contournables.

Nous sommes entrés en Afghanistan dans une ère de compromis qui retarde, pour ne pas dire plus, toute oeuvre de modernisation. Même ceux qui incarnaient à nos yeux cette oeuvre de modernisation, je pense ici à Hamid Karzaï, ont tenté, comme l'ont souligné plusieurs intervenants, de réunir les inconciliables dans la vie politique afghane.

Récemment, les débats autour de la loi sur la nouvelle famille afghane ont pu laisser envisager quelque espoir. Deux lectures de ce texte sont en effet possibles : premièrement, une vision optimiste qui soulignera que l'âge de la majorité sexuelle des jeunes filles est relevé de 9 ans à 16 ans ; deuxièmement, une étude plus acérée qui verra le retour d'un certain nombre de thématiques proches des orientations talibanes, à l'image de l'interdiction faite aux femmes chiites de sortir de chez elle ou d'aller chez le médecin sans la permission de leur époux. Le statut ignoble de la femme afghane sous le régime des talibans, amplement médiatisé au début de la décennie, faisait partie des motivations occidentales en faveur d'un renversement du pouvoir à Kaboul. Même si ce projet de loi a été retiré, une telle inclinaison d'un gouvernement, pourtant soutenu par la communauté internationale, laisse plus que songeur.

Un certain nombre de reculs sont observables au sein de la société civile et je ne parle pas, puisqu'on l'a déjà évoquée, de l'addiction de l'économie locale à la drogue, faute de mise en oeuvre de projets innovants.

Sans porter atteinte à la souveraineté du pouvoir en place, démocratiquement élu, les Nations-Unies doivent optimiser leur rôle de conseiller et de gestionnaire de l'aide humanitaire et favoriser l'émergence de nouvelles élites politiques, mues par une ambition nationale et non ancrée dans une logique régionale.

Espérons que le Sommet Europe-Pakistan du 17 juin pourra déboucher sur des propositions concrètes. La survie de l'Afghanistan est aussi à ce prix. »

M. Laurent Béteille (Essonne - UMP), a dressé un portrait très sombre de l'Afghanistan, insistant sur l'état de guerre qui affaiblit ce pays depuis des années et sur la corruption qui gangrène l'administration, mais concluant toutefois sur une note optimiste :

« Monsieur le Président, mes chers collègues, l'excellent rapport de Françoise Hostalier et de Jean-Pierre Kucheida vient nous rappeler l'urgence de nouvelles réponses aux profondes difficultés que rencontre l'Afghanistan huit ans après l'arrivée des troupes dans ce pays. La situation s'enlise parce que nous avons sous-estimé la difficulté de cette opération, dans un pays qui n'a aucune tradition administrative et que l'on veut faire passer directement d'un Etat quasi féodal à un Etat moderne. Dans un pays qui est ancré depuis plusieurs générations dans la guerre - contre l'ex-URSS, les guerres internes qui ont opposé les talibans contre les troupes du commandant Massoud - et dont la drogue représente la moitié du PIB. Dans un pays où cette économie du pavot alimente clairement à la fois la guerre et la corruption qui atteint là un niveau très élevé.

Le rapport de nos collègues parle d'acquis, qui sont certes incontestables et qui, heureusement, sont là pour justifier cette opération, mais qui demeurent extrêmement fragiles. Nos troupes sont souvent perçues comme des troupes d'occupation et, en conséquence, tout peut basculer rapidement si nous n'y prenons garde.

Que faire dans ces conditions ? Je crois effectivement, tout comme Mme Hostalier, qu'il faut à tout prix tenir. Mais tenir en développant « l'afghanisation » de ce pays, en permettant aux afghans de prendre leur destin en main. Cela suppose de trouver de véritables leaders, capables de gagner la bataille de l'opinion afghane. Cela suppose aussi que l'on sache traiter le problème de la drogue et apporter une aide efficace aux populations.

M. Dorum disait tout à l'heure qu'il fallait peut-être passer au-dessus de l'administration. Certes, mais on comprend bien que cette solution n'est peut-être pas forcément l'idéal, dans la mesure où l'on décrédibilisera une administration dont l'image a, bien au contraire, besoin d'être réhabilitée dans l'opinion.

De plus, on apporte une aide pour développer l'armée afghane, la police, mais on oublie la justice. Or, si nous voulons que le régime afghan parvienne à s'imposer, cela suppose de lutter contre la corruption au moyen d'une justice indépendante, crédible et forte. C'est une bataille que nous ne menons probablement pas suffisamment. »

A l'issue du débat, M. Kucheida a émis quelques commentaires et apporté les précisions suivantes :

« Je tiens d'abord à souligner que j'ai été frappé par la qualité des interventions, qu'elles aient été prononcées par les représentants des groupes politiques ou à titre individuel. Certaines, comme celle de Mme Memecan, étaient même empreintes d'une certaine émotion, d'autres étaient marquées par une générosité forte, montrant bien que tous les représentants de l'UEO ici présents souhaitent trouver une solution dans un contexte difficile où les ambigüités sont légion et les contradictions permanentes.

Je reviendrai sur quelques points sur lesquels nous n'avons peut-être pas suffisamment insisté. Françoise Hostalier en relèvera probablement d'autres.

J'insisterai sur la culture du pavot, que nombre d'entre vous ont évoquée. Il s'agit d'un problème majeur qui nous touche tous, puisqu'il finit toujours par gangréner nos sociétés occidentales. Produit là-bas, il nous arrive par des circuits très divers sur lesquels il conviendrait parfois de s'interroger davantage que sur la culture elle-même. Si nous étions capables de casser ces circuits, il serait sans doute plus facile aussi de résoudre les problèmes liés aux cultures.

S'agissant de la culture, force est de constater que loin d'être en diminution, elle est - hélas ! - en augmentation. Chacun d'entre vous doit en être pleinement conscient. Il est extrêmement grave d'en être là. C'est précisément pour lutter contre la culture du pavot que l'aide économique doit parvenir rapidement et être utilisée rapidement en Afghanistan. Nous pouvons nous demander si nous n'aurions pas intérêt à mettre en place en Afghanistan des mécanismes comparables à ceux que nous avons mis en place en Europe, destinés à remplacer progressivement la culture du pavot par celle de plantes vivrières, notamment par une aide à l'achat de ces productions.

Chercher à éliminer la culture du pavot par des bombardements, comme on a commencé à le faire, ne sert à rien. Il convient donc d'adopter une démarche totalement différente, c'est-à-dire une démarche éducative, à même de faire comprendre aux paysans afghans que leur intérêt se trouve ailleurs. Cela est très difficile et passe par une action culturelle, par la connaissance des langues et par certaines structures politiques afghanes qui ont intérêt à ce que cette culture continue.

Le deuxième sujet important évoqué par la plupart d'entre vous est le Pakistan. Il existe un double problème et je ne suis pas sûr que nous soyons nous-mêmes capables de le régler.

Le Pakistan compte 150 millions d'habitants. Il faut prendre en compte la réalité des chiffres, sans oublier, comme vous l'avez rappelé, qu'il détient la bombe atomique. Que faire dans ce contexte ? Doit-on demander à ce pays de revenir sur la frontière Ouest et abandonner la frontière Est quand on connaît le problème qui subsiste entre le Pakistan et l'Inde depuis la quasi-partition ? Le croire reviendrait à se bercer d'illusions. J'ai assisté aux premières grandes manifestations qui eurent lieu à Peshawar sur la question du Cachemire au Pakistan. Presque cinquante ans se sont écoulés et le problème demeure entier. Personne ne sait comment il sera réglé. Le Pakistan a d'autant moins de possibilités de faire des choix politiques forts que l'armée mène sa politique propre dans ce pays. Il ne faut pas l'oublier.

Nous sommes confrontés à une multitude d'incertitudes. La nouvelle donne américaine peut permettre - le disant, je reste prudent - d'apporter quelques réponses ou solutions par le poids qu'elle est susceptible d'exercer sur l'Inde et sur le Pakistan, pour permettre à l'Afghanistan d'évoluer dans un sens plus positif.

Notre ami italien, M. Farina, l'a dit : nous sommes tous dépendants de l'avenir de l'Afghanistan, du traitement du problème de l'opium, des talibans et d'autres encore qui se posent de façon aiguë. Nous en sommes tous profondément tributaires. Je vous remercie. »

Mme Hostalier a rapidement complété les propos de son collègue :

« Je n'ajouterai que peu de choses. Je veux remercier et féliciter l'ensemble des orateurs pour la qualité de leurs connaissances du pays et leur excellente contribution à l'évolution du présent rapport.

Même si celui-ci est issu de la Commission de défense, il convient de souligner l'importance des actions à mener en Afghanistan en direction des populations civiles. De nombreux orateurs ont évoqué la question des femmes. Notre engagement doit rester total par rapport à la population civile et aux femmes. Comme dans bien des pays en voie de développement, beaucoup se fera par les femmes. Il ne faut pas les abandonner ! ».

Au total, l'examen de ce rapport très détaillé et bien documenté, qui décrit particulièrement bien la géostratégie de la région, a permis à l'Assemblée de démontrer la grande connaissance et l'implication des parlementaires sur la question afghane. Il a également mis en valeur leurs préoccupations communes et le consensus qui existe sur la nécessité d'apporter une aide financière dans le domaine économique et social, au-delà de la présence militaire, et d'en vérifier la bonne utilisation. En outre, les parlementaires conviennent tous de la nécessité d'impliquer le Pakistan - voire l'Iran - dans le règlement de la question afghane. Enfin, l'éradication de la culture du pavot et de la corruption constituent des préalables indispensables à toute évolution vers un Etat de droit stable et pacifié, confié aux citoyens afghans. Avant toute chose, les forces internationales présentes devront veiller à se concerter afin de coordonner leur action.

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