III. AUDITIONS DU 18 FÉVRIER 2009

A. M. MICHEL CAMDESSUS, PRÉSIDENT DE LA SFEF

M. Jean Arthuis, président , a rappelé le rôle de la SFEF et la portée de la garantie de l'Etat dont elle bénéficie pour ses émissions sur les marchés. Cette société contribue au refinancement des banques en leur pourvoyant des liquidités sur le moyen terme, et s'apparente en cela à un « second cercle de la banque centrale ». Il a également souhaité connaître l'analyse que M. Michel Camdessus , en tant qu'ancien directeur général du Fonds monétaire international, peut livrer sur la crise financière, en particulier sur son caractère structurel et le rôle éventuellement joué par la faillite de la banque Lehman Brothers.

M. Michel Camdessus , président de la SFEF, a présenté la SFEF comme une sorte de « pompe aspirante et refoulante », dotée d'une petite équipe de sept personnes et chargée d'intervenir en substitution du marché défaillant pour soutenir le crédit interbancaire. La SFEF emprunte avec la garantie de l'Etat auprès d'une gamme diversifiée d'investisseurs, puis octroie des prêts non bonifiés aux établissements de crédit pour qu'ils puissent à leur tour prêter aux agents économiques. Le plafond théorique de la garantie de l'Etat, d'un montant de 265 milliards d'euros, ne sera sans doute pas atteint, la SFEF ayant vocation à ne plus exister après le 31 décembre 2009.

Compte tenu de l'émission en cours, libellée en dollars, le montant total des huit émissions de la SFEF devrait atteindre 33,2 milliards d'euros. Les prêts aux banques sont assortis de plusieurs conditions, tenant au respect des ratios réglementaires de solvabilité et d'une convention conclue par chaque établissement avec l'Etat. Cette convention prévoit un objectif, qu'il a qualifié d'ambitieux, d'augmentation de 3 % à 4 % en 2009 (par rapport à 2008) de l'encours de crédit aux agents économiques, et une clause d'ordre éthique portant sur la normalisation des rémunérations octroyées aux dirigeants et aux professionnels des marchés.

En réponse à une observation de M. Jean Arthuis, président, qui considère que cet objectif d'accroissement des crédits apparaît « mystérieux » au regard du constat récemment formulé par les banques, portant sur une contraction de la demande de crédit, il a affirmé que la progression de l'offre de crédit est pour l'instant conforme à la convention.

Il a ajouté que les émissions obligataires et les modalités de fonctionnement de la SFEF sont bien accueillies par l'ensemble des investisseurs internationaux sollicités, notamment américains, japonais et coréens. Ces investisseurs attribuent à la SFEF certains avantages par rapport aux émetteurs étrangers analogues, en particulier une garantie indirecte et globale plutôt que directe et individuelle aux banques, ce qui assure un marché secondaire plus profond.

En réponse à une question de M. Jean Arthuis, président , il a précisé que l'écart de taux par rapport aux émissions de France Trésor est de seulement 10 points de base, mais que l'émetteur de référence est plutôt la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW) allemande, avec laquelle la SFEF est en compétition.

M. Jean-Yves Colin, directeur général de la SFEF , a ajouté que la SFEF et la KfW sont perçus comme les deux meilleurs émetteurs en Europe après les Etats allemand et français, et que la SFEF n'a pas été soumise à un « parcours initiatique », en dépit de l'historique de la KfW sur les marchés. En réponse à une question de M. Jean-Jacques Jégou , il a également indiqué que les conditions d'émission de la SFEF sont légèrement meilleures que celles de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES).

Revenant sur les engagements « éthiques » des banques, M. Michel Camdessus a précisé les nouvelles conditions afférentes aux rémunérations : elles doivent refléter la performance réelle des dirigeants, les indemnités de départ sont plafonnées à deux années de rémunération fixe, la distribution de stock-options et d'actions gratuites sans condition de performance est prohibée, et un nouveau régime de rétribution des « traders » a été mis en place. En réponse à une question de M. Jean Arthuis, président , il a ajouté que les rachats d'actions par les banques sont également interdits, mais que ce point relève de la Société de prise de participation de l'Etat (SPPE).

Il a ensuite exposé la répartition des prêts accordés par la SFEF aux 13 banques bénéficiaires (qui représentent environ 85 % du marché français des crédits), en fonction de la taille de leur bilan et de leur part de marché. Les deux filiales de crédit des constructeurs automobiles français, RCI Banque et Banque PSA Finance, ont également bénéficié des concours de la SFEF, pour un milliard d'euros chacune. Les prêts ainsi accordés se sont révélés plus attractifs, à hauteur de 50 à 90 points de base, que les financements de maturité équivalente qui auraient été obtenus sur le marché.

En réponse à une interrogation de M. Jean Arthuis, président , il a précisé que la Commission européenne a accepté une diminution de la rémunération de la garantie de l'Etat, à 20 points de base au lieu des 50 points de base qu'elle demandait initialement. A cette rémunération s'ajoute, dans le taux des prêts octroyés par la SFEF, un « spread » correspondant à la qualité de signature de chaque banque, dont M. Jean-Yves Colin a estimé l'amplitude à 50 à 90 points de base.

Répondant à Mme Nicole Bricq , M. Michel Camdessus a ensuite indiqué que le taux de l'émission en dollars de la SFEF en cours est de 2 %. M. Jean-Yves Colin a ajouté que le taux a varié entre 2 % et 3 % selon les opérations, et que les prêts de la SFEF sont accordés aux banques dans les mêmes conditions de maturité et de devise que l'émission correspondante, ce qui permet à la SFEF d'écarter tout risque de discordance entre actif et passif.

Les modalités de la décote sur le taux des prêts, pratiquée selon la qualité des collatéraux remis en garantie par chaque banque, sont fixées par un arrêté ministériel du 20 octobre 2008, et pour les collatéraux en euros relatifs à une opération en dollars, par un arrêté de janvier 2009. Au final, le taux des concours de la SFEF avoisine en moyenne 4 %, aucun profit n'étant enregistré par la SFEF puisqu'elle n'agit que comme un « sas ».

En réponse à une question de Mme Nicole Bricq sur les intérêts reversés à l'Etat, M. Michel Camdessus a estimé qu'en se fondant sur un montant global de 80 milliards d'euros de prêts en 2009, une maturité moyenne de deux ans et demi et un coût moyen de 57 points de base pour les banques (hors rémunération de la garantie), l'Etat percevrait environ 1,2 milliard d'euros dès 2009. M. Jean-Yves Colin a ajouté que 441 millions d'euros de commissions ont d'ores et déjà été perçues par l'Etat depuis fin 2008, au moment du règlement de chaque opération.

M. Jean Arthuis, président , a considéré que ces sommes ne devraient pas apparaître en recettes dans la comptabilité budgétaire de l'Etat. Une telle procédure de « pré-paiement » témoigne d'un « excès de créativité » et la perception des intérêts devraient être étalée sur la durée correspondant à la maturité des prêts. M. Michel Camdessus a souscrit à cette proposition, tout en rappelant que la SFEF n'a pas à intervenir dans ces considérations budgétaires.

M. Jean-Jacques Jégou s'est interrogé sur le fonctionnement de la SFEF ainsi que sur l'impact de l'abaissement à 2 % du principal taux directeur de la Banque centrale européenne sur les conditions de refinancement des banques et une éventuelle répercussion de ces marges sur les crédits qu'elles consentent.

M. Michel Camdessus a précisé que le capital de la SFEF est détenu pour 34 % par l'Etat et pour 66 % par les sept principales banques françaises. Les taux directeurs de la BCE n'ont quant à eux guère d'impact sur les conditions de prêt de la SFEF, dans la mesure où ces deux structures couvrent deux segments distincts de refinancement, respectivement le court (jusqu'à six mois) et le moyen termes. La SFEF n'a pas non plus d'action particulière à exercer en matière de surveillance des marges des banques.

En réponse à une question de M. Aymeri de Montesquiou sur la participation des fonds souverains aux émissions de la SFEF, il a estimé qu'ils ont sûrement souscrit, sans pouvoir être plus précis. Il a distingué trois catégories de souscripteurs - banques centrales, investisseurs institutionnels et établissements de crédit - dont 70 à 80 % sont étrangers.

Evoquant les craintes souvent exprimées sur une raréfaction du crédit, M. Pierre Bernard-Reymond a demandé à M. Michel Camdessus son sentiment sur les perspectives en la matière pour 2009. Ce dernier a fait part de sa vive inquiétude, compte tenu de l'absence de visibilité et de l'ampleur des plans budgétaires de relance aux Etats-Unis, en Europe et bientôt au Japon, qui risquent de conduire à une brutale remontée des taux d'intérêt. Il a également confirmé l'appréciation de M. Jean Arthuis, président , selon laquelle ce type de crise pourrait inciter à la création monétaire, facteur de relance de l'inflation.

Puis en réponse à deux questions de Mme Nicole Bricq sur le soutien à Dexia et la possible résurgence de tensions sur la liquidité des banques en 2009, il a précisé que la SFEF n'est pas intervenue en faveur de Dexia, qui bénéficie d'une garantie directe de l'Etat à hauteur de 55 milliards d'euros. Concernant la liquidité du marché interbancaire, il a considéré que le refinancement à court terme ne pose pas de réelles difficultés, grâce à l'action efficace de la BCE, mais s'est déclaré plus inquiet sur le segment du moyen terme en raison du « télescopage » des besoins de financement des émetteurs privés et publics.

M. Michel Camdessus a ensuite livré sa perception de la crise économique et financière. Il l'a présentée comme « la crise de trop », qui ne serait sans doute pas advenue si on avait pleinement tiré les leçons des crises mexicaine et asiatique dans les années quatre-vingt dix, et mis en oeuvre les mesures consensuelles qui avaient été proposées en 1997 et 1998 sur le rôle du FMI en matière d'alerte et de surveillance du secteur financier. Depuis, les marchés financiers ont prospéré sur les lacunes de la réglementation financière, contribuant à la croissance économique mais aussi à un dévoiement manifeste des pratiques.

Il a rappelé que la délégation française avait proposé, lors des travaux sur la modernisation du FMI de la fin des années quatre-vingt dix, une extension de son mandat au secteur financier, un renforcement de la composante politique du processus décisionnel et un élargissement de la représentation des pays émergents et en développement. Les textes modifiant les statuts du FMI étaient prêts et il ne restait plus qu'à en fixer la date d'application ; aussi a-t-il déploré que cette réforme majeure ait depuis été oubliée.

Il a salué l'ampleur et les objectifs des travaux préparatoires aux prochains sommets du G20, qui abordent enfin des sujets sensibles tels que les agences de notation, l'encadrement des fonds spéculatifs, les centres off shore ou la procyclicité des normes comptables internationales. Il a jugé que l'on ne peut désormais plus se contenter de demi-mesures.

En réponse à une question de M. Jean Arthuis, président , il a estimé que la crise, bien qu'apparue à la faveur des défaillances sur les prêts « subprimes », était inéluctable en raison du « pari » qui avait été pris sur la liquidité et du fait que l'on ne s'était pas vraiment donné les moyens de prévenir ce type de crise. Il a ainsi fait référence aux déclarations d'Alan Greenspan sur « l'exubérance irrationnelle des marchés » dès 1996, et au vote à l'unanimité, par le comité intérimaire en 1998, du principe de la réforme des statuts du FMI.

M. Philippe Adnot a constaté que l'on pallie aujourd'hui une crise de surfinancement privé par un surfinancement public.

M. Michel Camdessus a estimé qu'il est certes nécessaire de prendre des mesures proportionnés sur le court terme pour faciliter la relance économique et la liquidité, mais surtout de s'attacher rapidement aux problèmes structurels et de long terme, parmi lesquels le surendettement public et privé. Il a ainsi fait référence à son rapport de 2004 sur la croissance française et au rapport de M. Michel Pébereau sur la dette publique, remis fin 2005.

Evoquant le mandat du FMI, centré sur les questions monétaires et de change, M. Joël Bourdin s'est interrogé sur les évolutions institutionnelles qui doivent aujourd'hui être mises en oeuvre.

M. Michel Camdessus a exposé trois moyens traditionnellement utilisés pour remédier aux grandes crises de crédit et d'endettement : l'inflation, qui selon lui « lamine » les classes moyennes ; le report du coût sur les actionnaires par des faillites bancaires ; et le transfert de la charge sur les générations suivantes. Il a confirmé la nécessité d'élargir le mandat du FMI pour en faire une autorité mondiale en matière financière. Cette évolution, malgré la prise de conscience consécutive aux crises mexicaine et asiatique, s'est cependant heurtée à des résistances durant l'actuelle décennie, nées de la croyance en l'autorégulation des marchés. Les principes de la réforme, tant sur le mandat du FMI que sur sa gouvernance plus politique, étaient pourtant inscrits dans les statuts du Fonds dès les Accords de la Jamaïque de janvier 1976.

Le FMI est également confronté à un sérieux problème de ressources. Pour que la taille du bilan du FMI soit cohérente avec l'évolution des volumes traités sur les marchés financiers, il serait, selon lui, nécessaire de doubler les quote-parts des Etats membres. Compte tenu du délai requis par le processus de ratification dans chaque pays, le Fonds devrait, entretemps, pouvoir emprunter auprès de ses membres ou des fonds souverains.

Il a également confirmé l'appréciation de M. Pierre Bernard-Reymond sur l'impact, en termes d'endettement et de déséquilibre des flux mondiaux de capitaux, des besoins de financement des Etats-Unis pour mener deux guerres, comme ce fut déjà le cas avec la guerre du Vietnam. Les intérêts des Etats-Unis, qui s'endettent auprès du reste du monde, convergent cependant avec ceux des grands pays émergents, qui disposent d'importantes réserves, le cas échéant amplifiées par la sous-évaluation de leur devise. Il a donc jugé aujourd'hui nécessaire d'accroître le taux d'épargne des ménages américains et de réévaluer le yuan chinois.

M. Michel Camdessus a ensuite partagé l'avis de M. Jean Arthuis, président, sur l' « indécence » des bonus versés par certaines banques américaines pour leurs activités de marché, alors même qu'elles ont pu bénéficier du soutien de l'Etat. Ce constat rejoint la triple nature de la crise actuelle, qui porte à la fois sur les failles de la régulation - manifestées par l'ampleur du hors-bilan et des crédits hypothécaires -, l'architecture financière dans son ensemble - du fait de l'absence de surveillance centralisée -, et le défaut d'éthique qui exacerbe l'appât du gain.

S'il est difficile de mettre en oeuvre une réforme d'ordre éthique, il faut à tout le moins « sortir du déni » et se livrer à une prise de conscience collective. Les professions financières devraient ainsi, selon lui, se doter de codes de déontologie beaucoup plus exigeants, notamment en matière de formation à la commercialisation des produits, actuellement trop axée sur la maximisation du profit par opération. De même, il a appelé à une meilleure promotion de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises.

Enfin, en réponse à une question de M. Philippe Adnot sur les leçons de la crise asiatique de la fin des années quatre-vingt dix, il a souligné que si cette crise n'est pas exactement de même nature que l'actuelle, les pays d'Asie concernés, en particulier la Corée, n'en ont pas moins accepté des ajustements de grande ampleur et conduit des réformes structurelles qui leur ont permis de s'extraire d'une situation de quasi-banqueroute en moins de deux ans. A l'inverse, le Japon a longtemps tardé à prendre les mesures nécessaires.

M. Jean Arthuis, président , a conclu en appelant la France à des réformes centrées sur la compétitivité.

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