B. UN COÛT DE LA RÉFORME QUI SE PRÉCISE

1. Un impact sur le solde structurel désormais évalué à 5,3 milliards d'euros

Les chiffrages de la réforme de la taxe professionnelle disponibles à l'appui de la discussion du projet de loi de finances pour 2010 ont toujours été présentés comme fragiles, car reposant sur des extrapolations à partir des recettes de taxe professionnelle de 2008. En outre, tant les profondes modifications apportées au texte à chacune des étapes du processus d'examen au Parlement que les incidences de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de finances pour 2010 rendent difficiles les comparaisons entre les montants annoncés en début de processus et ceux résultant des évaluations actualisées en juin 2010.

Lors de son audition au Sénat le 22 juin 2010, la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi a expliqué l'écart entre la prévision initiale de 4,3 milliards d'euros et le coût aujourd'hui envisagé essentiellement par l'actualisation des données de références (des données relatives à 2009 se substituant à celles de 2008) et par l'annulation par le Conseil constitutionnel de certaines dispositions relatives à la taxation des redevables employant moins de cinq salariés relevant du régime des bénéfices non commerciaux.

Ces nouvelles évaluations restent provisoires puisque seul le recouvrement effectif des nouvelles impositions, au cours de l'exercice 2010, pourra permettre de fournir un chiffrage définitif du coût de la réforme .

Incidence budgétaire de la transformation de la TP en CET

(en milliards d'euros)

Source : Ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi

2. Une sous-évaluation des dotations de compensation de la réforme de la taxe professionnelle

a) La volonté de limiter les dotations de l'Etat versées en compensation de la réforme

Au cours de l'examen du projet de loi de finances pour l'année 2010, votre commission des finances s'est efforcée, malgré les difficultés, de chiffrer précisément les effets de la réforme proposée, ses conséquences pour les finances de l'Etat et pour celles des collectivités territoriales.

Ces difficultés s'expliquent tout d'abord par le caractère nécessairement imparfait de projections de recettes concernant des impôts qui n'ont jamais encore été recouvrés et dont l'assiette elle-même n'est pas précisément connue, comme la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ou les composantes de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux. Elles s'expliquent également par les nombreuses modifications opérées d'abord à l'Assemblée nationale, puis au Sénat, en commission mixte paritaire et enfin par les amendements du Gouvernement adoptés en lecture des conclusions de la commission mixte paritaire relatives notamment aux transferts d'impôts d'Etat aux collectivités territoriales ainsi qu'aux transferts entre collectivités territoriales.

Concernant les collectivités territoriales, la réforme ne se traduit pas par un « coût » net mais par une perte de recettes fiscales . Cette perte se reflète exactement dans l'évaluation des dotations de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) versées à chaque catégorie de collectivités territoriales. En effet, le dispositif de compensation à l'euro près adopté dans la loi de finances pour 2010 prévoit de calculer, pour chaque catégorie de collectivités territoriales 9 ( * ) , le différentiel entre son panier de recettes fiscales avant et après la réforme. Pour chaque catégorie, l'Etat versera, à compter de l'année 2011, une DCRTP dont le montant est égal à ce différentiel.

Votre commission des finances a veillé , tout au long des débats sur la loi de finances pour 2010 et à partir des évaluations chiffrées parfois lacunaires dont elle disposait, à ce que le montant des DCRTP soit le plus faible possible , l'objectif étant de remplacer les ressources fiscales perdues par les collectivités territoriales par d'autres ressources fiscales, en limitant au maximum la compensation par des dotations de l'Etat.

b) Un niveau de dotations très supérieur à celui envisagé lors des débats sur le projet de loi de finances pour 2010

Votre commission des finances estimait que le montant global des DCRTP versées aux trois catégories de collectivités territoriales s'élèverait à environ 800 millions d'euros après adoption de son amendement de réécriture des articles relatifs à la réforme de la taxe professionnelle 10 ( * ) . Ce montant se répartissait de la manière suivante :

- 400 millions d'euros pour le « bloc communal » ;

- 200 millions d'euros pour les départements ;

- 200 millions d'euros pour les régions.

En raison des difficultés rencontrées dans le chiffrage de la réforme, ces montants devaient être pris avec beaucoup de précaution. Lors de sa réunion du 1 er juin 2010, le comité des finances locales a estimé pour sa part que la DCRTP était évaluée, lors des débats de la loi de finances, à 600 millions d'euros, soit un montant légèrement inférieur à celui établi par votre commission des finances.

Quelles que soient les incertitudes relatives au chiffrage de la DCRTP durant les débats parlementaire, il résulte du rapport remis par le Gouvernement au Parlement en application de l'article 76 de la loi de finances pour 2010 que le montant de la DCRTP sera en réalité très supérieur à ces estimations . En effet, le rapport fait état d'une « dotation de compensation [qui] devrait dépasser globalement les 2,5 milliards d'euros (dont 500 millions d'euros pour les régions, 1 milliard d'euros pour les départements et 1 milliard d'euros pour le secteur communal » 11 ( * ) . Votre commission des finances relève par ailleurs que ce montant reste encore à l'état d'évaluation, le montant définitif de la DCRTP ne pouvant être connu qu'une fois établies avec certitude l'ensemble des recettes fiscales de l'année 2010, y compris les impôts créés par la réforme.

Ce surplus de dotations, de 1,7 milliard d'euros par rapport aux estimations de votre commission des finances, se traduira par une perte de dynamisme supplémentaire pour les finances des collectivités territoriales. En effet, la loi de finances pour 2010 prévoit que le montant de la DCRTP est figé en euros courants.

c) Les explications avancées par le Gouvernement

Lors de remise, le 10 juin 2010, du rapport du Gouvernement au Parlement, une fiche explicative a été jointe pour répondre aux interrogations relatives à cet écart entre les évaluations initiales et celles du rapport « Durieux-Subremon ».

Le Gouvernement avance trois éléments d'explication pour justifier cet écart d'évaluation.

(1) L'actualisation des recettes fiscales de référence

Il indique que « le chiffre de 800 millions d'euros était construit sur la base de chiffres 2009 estimés, alors que le chiffre de 2,5 milliards d'euros est construit sur la base de chiffres 2010 pour partie estimés, pour partie observés ». Cette différence expliquerait à hauteur de 800 millions d'euros l'écart entre les deux prévisions.

Effets de la dynamique des bases fiscales entre 2009 et 2010

(en milliards d'euros)

Ressources avant réforme

Ressources après réforme

Réévaluation de la taxe professionnelle

+ 1,2

Réévaluation des recettes hors droits d'enregistrement transférés

+ 0,75

Réévaluation des droits d'enregistrement transférés

- 0,35

Total

+ 1,2

+ 0,4

Effet sur la DCRTP (= ressources avant réforme - ressources après réforme)

+ 0,8

Source : fiche explicative transmise par le Gouvernement

(2) Les conventions retenues pour la présentation des chiffrages

Le Gouvernement fait par ailleurs état de l'effet des différences conventionnelles retenues pour la présentation des chiffrages entre ses évaluations lors de l'examen du projet de loi de finances et celles du rapport « Durieux-Subremon » .

D'une part, le rapport « Durieux-Subremon » n'a pas pris en compte les dotations budgétaires nouvelles versées par l'Etat aux fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP), à hauteur de 100 millions d'euros . En effet, la réforme prévoit de garantir, pour une part, les ressources des FDPTP et les dotations budgétaires versées par l'Etat à ces fonds se retrouvent in fine dans les budgets des communes et des intercommunalités, ce qui explique qu'elles puissent être prises en compte dans l'augmentation du montant de la DCRTP. Ces 100 millions d'euros correspondent à une sous-estimation du montant de la DCRTP par la mission « Durieux-Subremon » par rapport aux estimations disponibles lors de l'examen de la loi de finances.

Par ailleurs, la fiche du Gouvernement évoque une surestimation du montant de la DCRTP dans le rapport « Durieux-Subremon » du fait de la non prise en compte de la substitution de la taxe sur les surfaces commerciales (TaSCom) à une part de dotation globale de fonctionnement (DGF), à hauteur de 600 millions d'euros . Le Gouvernement retient en effet comme chiffrage initial un montant de 800 millions qui prend en compte l'augmentation de l'ensemble des dotations budgétaires supplémentaires versées par l'Etat aux collectivités territoriales, y compris la DGF . Cela explique que la substitution entre 600 millions d'euros de TaSCom et 600 millions d'euros de DGF se traduise, pour les estimations du Gouvernement, par une minoration de 600 millions d'euros des dotations budgétaires. Le rapport « Durieux-Subremon », quant à lui, ne prend en compte que la DCRTP et non la DGF dans son évaluation de 2,5 milliards d'euros, ce qui neutralise l'effet de la substitution entre TaSCom et DGF.

Votre commission des finances ne partage par l'analyse du Gouvernement sur ce point . En effet, l'évaluation de 800 millions d'euros qu'elle avait fournie lors de l'examen du projet de loi de finances, comme celle de 600 millions d'euros évoquée dans la délibération du 1 er juin 2010 du comité des finances locales, portent exclusivement sur la DCRTP et n'englobent pas les effets de la réforme sur la DGF . Il n'est donc pas pertinent d'expliquer une part de l'écart entre ces évaluations et celle du rapport « Durieux-Subremon » par une substitution de la TaSCom à une part de la DGF.

(3) Les effets de la censure partielle du dispositif par le Conseil constitutionnel

Enfin, une partie de l'écart entre les évaluations initiales et celles actualisées du montant de la DCRTP résulte directement de la censure par le Conseil constitutionnel des dispositions relatives à l'assiette recettes des titulaires de bénéfices non commerciaux (BNC) de moins de cinq salariés. Comme l'indique le Gouvernement, « l'effet de cette censure a été une diminution de la CFE (disparition d'une partie de l'assiette) et une augmentation de la CVAE (les BNC taxés sur leurs recettes étaient hors champ de la CVAE, ils y rentrent) ».

Il résulterait donc de cette censure une moindre recette pour les collectivités territoriales de 400 millions d'euros , qui pèse exclusivement sur le « bloc communal », puisque lui seul est bénéficiaire de la CFE.

Explication de l'écart entre les montants de la DCRTP évalués initialement et actualisés par le rapport « Durieux-Subremon »

(en millions d'euros)

Evaluation initiale de la hausse des dotations budgétaires (DCRTP + DGF)

800

Actualisation 2010

+ 800

Substitution DGF / TaSCom et dotation aux FDPTP

+ 500

Décision du Conseil constitutionnel

+ 400

Nouvelle évaluation (DCRTP seule)

2 500

Source : fiche explicative transmise par le Gouvernement

Votre commission des finances rappelle que cette nouvelle évaluation reste imparfaite et que seules les données fiscales définitives relatives à l'année 2010 permettront de connaître le montant de la DCRTP de chacune des trois catégories de collectivités territoriales. Une fois ce montant déterminé, et s'il est effectivement plus élevé que celui estimé initialement par votre commission des finances, des ajustements pourront être envisagés afin de transférer de nouvelles ressources fiscales, dynamiques, aux collectivités territoriales, en substitution de dotations figées qui limitent leur autonomie financière .


* 9 Les trois catégories visées sont le bloc communal, qui rassemble les communes et les établissements publics de coopération intercommunale, les départements et les régions.

* 10 Rapport général n° 101 - Tome III - Volume 1 (2009-2010), projet de loi de finances pour 2010, fait par Philippe Marini au nom de la commission des finances.

* 11 « Evaluation des effets de la réforme de la taxe professionnelle sur la fiscalité des collectivités locales et sur les entreprises » - Rapport établi sous la supervision de MM. Bruno Durieux, inspecteur général des finances et Patrick Subremon, inspecteur général de l'administration, mai 2010.

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