d) La médecine du travail

Mise en place en 1946, la médecine du travail a marqué l'aboutissement de la prise en compte, en tant que telles, des maladies professionnelles. Elle est une médecine exclusivement préventive , ce qui signifie que les médecins du travail ne prescrivent pas de traitement mais adressent, le cas échéant, à un confrère extérieur les malades qu'ils examinent. Elle a pour objet d'éviter toute altération de la santé des salariés du fait de leur travail, notamment en surveillant leur état de santé, les conditions d'hygiène du travail et les risques de contagion.

La médecine du travail est exercée au sein d'un service de santé au travail et est obligatoirement organisée, sur le plan matériel et financier, par les employeurs. Elle est placée sous la surveillance des représentants du personnel et le contrôle des services du ministère du travail. La médecine du travail bénéficie à tous les salariés, quelle que soit la taille de l'entreprise. Dans l'entreprise, l'adresse et le numéro de téléphone du médecin du travail ou du service de santé au travail compétents pour l'établissement doivent être affichés, sous peine d'amende.

Les services de santé au travail sont organisés, en fonction de la taille de l'entreprise :

- soit sous la forme d'un service autonome intégré à l'entreprise ;

- soit sous la forme d'un service interentreprises, géré par une structure associative.

Une entreprise peut créer un service autonome de santé au travail dès qu'elle a plus de 412,5 salariés ou plus de 400 examens médicaux par an. Elle a l'obligation de le faire dès qu'elle compte plus de 2 200 salariés ou 2 134 examens par an.

Une institution en crise

Les auditions auxquelles a procédé la mission ont montré que les médecins du travail s'interrogent sur l'avenir de leur profession.

La relation de confiance qui devrait unir salariés et médecins du travail ne semble pas toujours établie. La médecine du travail pâtit d'une image de marque dégradée et d'un manque de visibilité dans l'entreprise. Les salariés ne comprennent pas toujours l'intérêt des visites obligatoires et hésitent parfois à consulter le médecin du travail en cas de problème, de peur qu'il émette un avis d'inaptitude, synonyme pour eux de licenciement.

Certains salariés perçoivent la médecine du travail comme la médecine de l'employeur. Plusieurs interlocuteurs de la mission ont estimé que l'indépendance de la médecine du travail vis-à-vis de l'employeur n'est pas toujours parfaitement assurée, en dépit de leur protection statutaire. Un employeur mécontent des rapports d'un médecin du travail peut demander au service interentreprises que ce médecin soit remplacé par un de ses collègues. Lorsque le service de santé est organisé en interne, le médecin du travail est un salarié de l'entreprise et peut être l'objet de diverses manoeuvres d'intimidation.

Le docteur Bernard Salengro 91 ( * ) , président du Syndicat général des médecins du travail (SGMT) et secrétaire national de la CFE-CGC, a par ailleurs critiqué un certain laxisme des pouvoirs publics : selon lui, aucun service de santé au travail ne s'est jamais vu retirer son agrément 92 ( * ) , même lorsque des déficiences sont constatées dans son fonctionnement, en raison des pressions que subiraient les directions régionales du travail de la part des entreprises, voire des élus. Les règles prévues actuellement par le code du travail pour garantir effectivement l'indépendance des médecins du travail ne seraient donc pas correctement appliquées.

En outre, le métier de médecin du travail est souvent jugé peu attractif , de sorte qu'une crise démographique menace la profession : sur les 6 500 médecins en activité, 1 700 devraient prendre leur retraite d'ici à 2012. La pénurie de médecins du travail est aggravée par le fait que la moitié d'entre eux, généralement des femmes, exerce à temps partiel. Les étudiants ne sont guère sensibilisés à l'intérêt de la médecine du travail et se tournent rarement vers cette spécialité.

Enfin, le métier de médecin du travail a évolué, sous l'effet notamment de l'émergence des nouveaux risques professionnels : aux problèmes classiques liés au bruit, à la poussière ou au port de charges lourdes s'ajoutent les problèmes d'épuisement ou de détresse psychologique.

La réforme attendue de la médecine du travail

Lors de son audition par la mission d'information, Eric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique, a présenté les grandes orientations de la réforme de la médecine du travail en préparation :

- généraliser les équipes pluridisciplinaires, coordonnées par le médecin du travail, associant des spécialistes et des techniciens ;

- mieux couvrir tous les salariés, notamment les intérimaires ;

- tenir compte de la démographie médicale, 75 % des médecins du travail ayant plus de cinquante ans ;

- mieux prévenir la désinsertion professionnelle en cas d'inaptitude : les salariés déclarés inaptes à leur poste de travail doivent pouvoir se reconvertir, par exemple grâce à un tutorat.

Il a ajouté que la réforme sera articulée, dans son contenu et son calendrier, avec celle des retraites, en ce qui concerne la pénibilité et l'emploi des seniors.

La mission prend acte de la volonté du ministre mais fait observer que la réforme de la médecine du travail a déjà été annoncée, puis reportée. Au mois de janvier, le prédécesseur d'Eric Woerth, Xavier Darcos, avait en effet affirmé qu'un texte serait examiné par le Parlement avant l'été. La mission constate que le contenu de la réforme des retraites a été dévoilé au mois de juin mais qu'il ne s'est accompagné d'aucune annonce concernant la médecine du travail.

La mission rappelle également que les partenaires sociaux ont négocié sur la réforme de la médecine du travail, de janvier à septembre 2009, mais ont échoué à trouver un accord. Organisations patronales et syndicales se sont affrontées, notamment, sur l'espacement des visites médicales obligatoires, la réforme du régime de l'inaptitude, le financement et la gouvernance des services de santé au travail.

Les réactions des syndicats de médecin du travail confirment que la réforme est peu consensuelle. Le docteur Bernard Salengro a admis que le projet de réforme présente quelques aspects positifs, par exemple la possibilité pour un médecin généraliste d'être formé en alternance à la médecine du travail ou l'obligation pour l'employeur de répondre par écrit aux observations du médecin du travail, ce qui devrait donner plus de poids à leurs recommandations. Mais il a jugé qu'elle risque, dans l'ensemble, d'avoir des effets néfastes : une part des pouvoirs des médecins du travail serait transférée à un directeur nommé par l'employeur, et certaines de ses attributions reviendraient à des infirmiers ou à des médecins généralistes.

La mission est elle aussi réservée sur l'idée de confier à des généralistes des tâches exercées par les médecins du travail, ces derniers étant les seuls formés à l'analyse des liens entre activité professionnelle et santé.

Deux orientations essentielles

Dans l'attente du projet de réforme définitif, la mission souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur deux points qui lui paraissent essentiels :

- il est d'abord urgent de revaloriser la profession de médecin du travail ; sur ce point, le Gouvernement peut s'appuyer sur les recommandations d'un rapport 93 ( * ) , qui lui a été remis au mois de mai 2010, et qui formule plusieurs recommandations : renforcer les prérogatives des médecins du travail, valoriser leurs pratiques professionnelles grâce à des recommandations de bonnes pratiques, améliorer la coordination des soins entre professionnels de santé, sensibiliser employeurs et salariés à la santé au travail... ;

- il est ensuite souhaitable de conforter l'indépendance des médecins du travail : à cette fin, la mission est favorable à une gestion paritaire des services de santé au travail, qui pourraient être rattachés aux Carsat ou gouvernés par une structure ad hoc ; une telle évolution institutionnelle irait dans le sens de la responsabilisation des partenaires sociaux et mettrait un terme aux doutes récurrents sur l'indépendance des médecins du travail. Se pose également la question de la protection à accorder aux membres des équipes pluridisciplinaires qui ne sont pas médecins du travail ; pour la mission, il ne serait pas cohérent de vouloir renforcer l'indépendance des médecins du travail sans offrir de garanties aux autres professionnels amenés à travailler avec eux.

A cette condition, la pluridisciplinarité peut constituer une réelle avancée. La mission souligne l'apport qui peut être celui des ergonomes, dont l'approche globale des conditions de travail peut aider à concilier efficacité et bien-être des travailleurs.


* 91 Audition du docteur Bernard Salengro, président du Syndicat général des médecins du travail (SGMT) et secrétaire national de la CFE-CGC, mercredi 26 mai 2010.

* 92 L'article R. 4622-15 du code du travail prévoit que la création d'un service médical d'entreprise ou d'établissement est soumise à l'agrément préalable du directeur régional du travail. L'agrément doit être renouvelé tous les cinq ans.

* 93 « La santé au travail. Vision nouvelle et profession d'avenir », rapport rédigé par Christian Dellacherie, membre du CESE, Paul Frimat, professeur de médecine du travail à l'université de Lille II et Gilles Leclerc, médecin-conseil, mai 2010.

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