Audition d'Henri LACHMANN, président du conseil de surveillance
de Schneider Electric,
et de Muriel PÉNICAUD, directrice générale des ressources humaines
du groupe Danone,
auteurs du rapport « Bien-être et efficacité au travail
(mercredi 19 mai 2010)

La mission a entendu Henri Lachmann, président du conseil de surveillance de Schneider Electric, et Muriel Pénicaud, directrice générale des ressources humaines du groupe Danone , auteurs du rapport « Bien-être et efficacité au travail ».

Henri Lachmann a tout d'abord indiqué que les trois auteurs du rapport, Muriel Pénicaud, Christian Larose et lui-même ont souhaité « positiver » la question de la santé psychologique au travail, considérant qu'il existe, sur ce sujet, une communauté d'intérêts entre le salarié et son entreprise.

Les mutations de l'environnement dans lequel les entreprises évoluent ont une influence directe sur les conditions de travail : la peur du chômage, la mondialisation, l'accélération des changements qui tendent à éloigner les managers des salariés, l'utilisation abusive des nouvelles technologies de l'information qui, tout à la fois, connectent et isolent, la financiarisation de l'économie et des entreprises, les temps de trajets dans les grandes villes, le déficit de collectif et l'excès d'individualisme sont autant d'éléments que les entreprises ne peuvent ignorer

Alors que les Français entretiennent traditionnellement un rapport particulier au travail, mêlant fierté et besoin de reconnaissance, l'entreprise tend de plus en plus à devenir le dernier refuge du lien social.

Muriel Pénicaud a ensuite présenté les dix propositions du rapport, qui concernent principalement l'organisation de l'entreprise et son management, les problèmes devant d'abord être traités en amont.

Les quatre premières visent à mobiliser les acteurs les plus directement concernés :

- la direction générale et le conseil d'administration : beaucoup de décisions relèvent de ces instances dans la mesure où le stress découle souvent de l'organisation même du travail. Le conseil d'administration ne peut s'intéresser aux seules données financières de l'entreprise ;

- les managers : alors que le management de proximité est une des clés de la santé au travail, on constate que le manque d'autonomie des cadres sur le terrain favorise les risques psychosociaux. Dans les centres d'appel, par exemple, l'obligation de suivre une procédure extrêmement formatée est très préjudiciable au bien-être des salariés. En outre, les entreprises nomment souvent à ces postes managériaux des jeunes tout juste sortis de l'école, qui n'ont pas reçu de formation à la gestion d'équipes. Il faudrait, en conséquence, prévoir des formations en sciences sociales et humaines dans les cursus des écoles de commerce.

En réponse à une question d' Annie David , présidente, Muriel Pénicaud a précisé que les entreprises, autrefois, ne nommaient pas uniquement des jeunes à ces postes managériaux, mais également des salariés issus de la promotion interne. Cette mixité favorisait les échanges et limitait les difficultés.

Henri Lachmann a estimé que les « process » sont trop devenus des substituts au management, alors que les attitudes et les comportements individuels sont essentiels.

Muriel Pénicaud a poursuivi en évoquant le rôle des salariés et des partenaires sociaux :

- en France, les salariés « surinvestissent » souvent leur travail, qui devient un élément identitaire. Pour prévenir le stress, il semble important de leur accorder plus d'autonomie et de redonner toute son importance au collectif ;

- au-delà des institutions représentatives du personnel, le dialogue avec tous les salariés doit être recherché. Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ne se voit pas toujours reconnaître l'importance qu'il mérite et son périmètre d'intervention est souvent trop restreint ; alors qu'il existe un comité central d'entreprise, il n'existe pas de comité central d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Au-delà, le rapprochement entre les différentes instances de concertation et de dialogue devrait être engagé pour une appréhension plus globale des sujets.

Par ailleurs, mesurer les conditions de santé et de sécurité, de manière adaptée à chaque entreprise ou établissement, favoriserait le bien-être au travail, car un nombre limité d'indicateurs simples, stables dans la durée et intégrés dans l'évaluation de la performance des cadres, aurait naturellement une influence sur les comportements.

On constate trop souvent que les restructurations de l'entreprise sont bien préparées au niveau financier et administratif, mais pas assez sur le plan humain. Il est souhaitable de mieux anticiper et prendre en compte l'impact humain du changement. En cas de licenciements, il serait utile que les salariés qui quittent l'entreprise puissent continuer d'être suivis par les services de santé au travail, ces personnes se retrouvant souvent isolées alors qu'elles vivent des moments difficiles. L'entreprise doit également tenir compte de son environnement, notamment ses fournisseurs, lorsqu'elle prend ses décisions.

Les salariés en difficulté doivent être accompagnés grâce à une mobilisation de l'ensemble des acteurs, médecins, syndicats, direction des ressources humaines, etc.

Annie David , présidente, a demandé comment le rapport, qui remet en cause l'organisation du travail de nombreuses entreprises, a été accueilli par les managers.

Henri Lachmann s'est montré optimiste sur le fait que les entreprises se saisissent de ces questions, en dépit du « court-termisme » auquel incitent les marchés financiers. Certaines organisations patronales ont cependant tendance à mettre en doute l'ampleur du problème.

Muriel Pénicaud a estimé que le rapport sert régulièrement de base de discussion dans les entreprises, même si certains dirigeants s'inquiètent d'une possible multiplication des recours contentieux. Une minorité d'entre eux considère que le problème provient d'abord des individus, dont certains seraient trop fragiles, et non des entreprises.

Alain Gournac a demandé dans quel cadre ce rapport a été commandé et quelle est la politique suivie par Danone et Schneider Electric sur ces sujets.

Françoise Henneron s'est étonnée que les entreprises recrutent des jeunes qui n'ont pas suivi de formation adaptée pour le management.

Voyant ce rapport comme un guide de bonnes pratiques pour les entreprises, Annie Jarraud-Vergnolle s'est d'abord interrogée sur les objectifs du Premier ministre lorsqu'il l'a commandé. Puis elle a souhaité savoir si les entreprises publiques ont également été étudiées et si la mise en place des trente-cinq heures a eu un effet défavorable sur le bien-être au travail. Plus généralement, les risques psychosociaux devraient-ils être pris en compte, au titre de la pénibilité, en vue de la retraite ?

Muriel Pénicaud a précisé que le Premier ministre leur a confié, le 5 novembre 2009, la mission de lui proposer des mesures d'amélioration des conditions de santé psychologique au travail, avec une complète autonomie dans la conduite de leurs travaux. Le secteur public n'entrait pas dans leur champ d'investigation, mais ils ont recommandé qu'une étude complémentaire soit menée sur ce sujet.

Chez Danone, un observatoire du stress a été créé, il y a deux ans, et un accord a été signé avec les organisations syndicales ; une attention particulière a été portée à la notion de management de proximité, essentielle pour la santé psychologique au travail. En ce qui concerne la pénibilité, les risques psychosociaux sont difficilement quantifiables et évoluent en permanence dans le temps, si bien qu'ils ne peuvent guère être pris en compte dans le cadre des retraites.

Henri Lachmann a souligné que la politique menée chez Schneider varie en fonction du pays d'implantation du fait de l'originalité de chaque culture nationale. Par ailleurs, la lettre de mission du Premier ministre évoquait trois thèmes : les facteurs de stress, les bonnes pratiques et les mesures à prendre en cas de restructuration. Enfin, la question des trente-cinq heures n'a jamais été évoquée au cours des auditions auxquelles la mission a procédé.

Même si la formation initiale présente des déficiences en matière de management, Jacky Le Menn a fait observer que les entreprises disposent de crédits importants pour la formation continue. Des instituts et écoles dispensent des enseignements qui devraient aider les jeunes inexpérimentés à acquérir les compétences adéquates.

Muriel Pénicaud a regretté que ces enseignements, à caractère optionnel, soient trop rarement choisis par les étudiants. Danone a modifié, il y a trois ans, ses règles de rémunération variable des principaux managers : un tiers dépend maintenant de critères environnementaux ou sociaux ; de ce fait, les habitudes changent et ces propositions de formation rencontrent plus de succès.

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