TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITIONS DU 2 JUIN 2010 SUR LE RENDEZ-VOUS 2010 POUR LES RETRAITES

Réunie le mercredi 2 juin 2010, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a procédé à l'audition de M. Frédéric Buffin, directeur de la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF, Mme Nathalie Droulez, directeur par intérim de la caisse de retraite du personnel de la RATP, MM. Serge Gayraud, directeur délégué du service des ressources humaines de la SNCF, et Paul Peny, directeur général adjoint chargé de l'innovation sociale à la RATP, dans le cadre du « rendez-vous 2010 » pour les retraites.

M. Jean Arthuis , président . - Nous abordons à présent le sujet des régimes spéciaux.

M. Frédéric Buffin, directeur de la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF . - Je ne suis pas moi-même issu de la SNCF et je ne parle qu'en tant que directeur de la caisse de retraite du personnel. Il serait illusoire, à mon sens, de vouloir dresser dès aujourd'hui le bilan de la réforme des régimes spéciaux : les réformes Balladur de 1993 et Fillon de 2003 n'avaient pas produit leurs effets deux ans après leur entrée en vigueur. Mais celle de 2008 a déjà eu pour résultat de faire mieux connaître les règles des régimes spéciaux aux administrations. La collaboration étroite entre ces dernières et la caisse a permis d'appliquer sans retard la réforme, notamment la décote, qui entrera en vigueur le 30 juin de cette année. En revanche, le Conseil d'Etat considère que le règlement de la caisse ressemble encore trop à un règlement d'entreprise et n'est pas conforme aux canons de la légistique. Par ailleurs, le calcul des pensions prend toujours en compte des éléments de rémunération liés à la carrière de l'agent ou à sa situation familiale, de sorte qu'il n'est pas possible de simplifier les règles de gestion sur la seule base des cotisations déclarées par l'entreprise.

Le principal effet de la réforme est que la SNCF ne met plus systématiquement ses agents à la retraite d'office à cinquante ou cinquante-cinq ans. En conséquence, le nombre annuel de demandes de liquidation des droits à retraite diminue : il est passé de 7 000 en 2007 à 5 800 en 2008 et à 4 800 en 2009. Les économies ainsi réalisées sont supérieures de 100 millions d'euros aux prévisions. Mais nul ne sait quel sera à l'avenir le comportement des agents.

M. Jean Arthuis , président . - Je lis qu'il y a aujourd'hui 300 000 pensionnés de la SNCF.

M. Frédéric Buffin . - En effet : 190 000 pensionnés de droit direct et 110 000 titulaires d'une pension de réversion.

M. Jean Arthuis , président . - Les cotisants sont 161 500, le montant des prestations servies s'élève à 5,2 milliards d'euros et celui de la subvention de l'Etat à 3,12 milliards, soit 60 % du total.

M. Frédéric Buffin . - Cela résulte de la directive européenne de 1969 sur les transports. Depuis le début de l'année, l'âge moyen de départ en retraite recule pour atteindre cinquante-six ans. Les salariés entendent ainsi profiter des avantages acquis lors de la négociation, comme la création d'un dixième échelon, l'élargissement de l'assiette de liquidation aux mesures d'accompagnement des fins de carrière et aux avantages familiaux, ainsi que la prise en compte de la pénibilité.

M. Jean Arthuis , président . - L'État n'a donc rien gagné !

M. Frédéric Buffin . - Je m'inscris en faux contre ce type d'affirmation, comme je l'ai indiqué à Dominique Leclerc , rapporteur de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS). Au plan technique, nous avons fait des économies. Il faut dissocier la situation de la caisse de retraite, devenue autonome, des effets de la réforme sur l'entreprise. Certes, le fait que la SNCF garde plus longtemps ses employés âgés et qu'elle ait dû leur accorder divers avantages lui coûte de l'argent. Mais je suis hostile à la consolidation des résultats de l'entreprise et de la caisse car, depuis 2007, celle-ci est un établissement autonome.

M. Jean Arthuis , président . - Vous voulez dire que les économies réalisées par la caisse se sont traduites par des charges supplémentaires pour l'entreprise ?

M. Serge Gayraud, directeur délégué du service des ressources humaines de la SNCF. - Il faut distinguer les mesures d'accompagnement des fins de carrière des conséquences démographiques inévitables de la réforme. Nul n'ignore qu'un employé de plus de cinquante-cinq ans est mieux payé qu'un jeune de vingt-deux ans !

M. Jean Arthuis , président . - La SNCF a-t-elle réduit ses recrutements ?

M. Serge Gayraud . - Bien entendu.

M. Jean Arthuis , président . - Quelle est la rémunération moyenne d'un agent en début et en fin de carrière ?

M. Serge Gayraud . - Elle passe de 1 200 euros à 2 000 ou 2 500 euros net environ.

M. Jean-Paul Alduy . - Mais il faut tenir compte des primes !

M. Frédéric Buffin . - La caisse constate chaque année une diminution du nombre de ses affiliés. Nous avions évalué les économies tirées de la réforme à 200 millions d'euros par an sur vingt-cinq ans, mais, au vu des deux premières années, elles pourraient être de 300 millions d'euros par an. Cela résulte de la baisse tendancielle des pensions, due à la décote, de la faiblesse des progressions de carrière et de l'augmentation des cotisations. Pour ce qui concerne la SNCF proprement dite, il est vrai que les salariés qui restent plus longtemps dans l'entreprise lui coûtent plus cher.

M. Jean Arthuis , président . - Avez-vous établi les résultats consolidés de la réforme ?

M. Serge Gayraud . - Il est encore trop tôt. En 2009, les mesures d'accompagnement ont coûté 125 millions d'euros, et l'évolution démographique 50 millions d'euros. Mais d'après nos hypothèses sur le comportement des agents et l'évolution des salaires, le coût lié à la démographie pourrait, à terme, excéder 150 millions d'euros par an.

M. Jean Arthuis , président . - Pouvez-vous nous rappeler les principales caractéristiques du contrat de travail et du régime de retraite à la SNCF ?

M. Serge Gayraud . - L'âge d'ouverture des droits est resté fixé à cinquante-cinq ans et à cinquante ans pour les conducteurs. Mais la durée de cotisation pour bénéficier du taux plein augmentera progressivement à cent soixante-quatre trimestres. La part liquidable équivaut à environ 90 % de la rémunération. Les pensions de réversion sont égales à la moitié des pensions de droit direct.

M. Frédéric Buffin . - Ajoutons que le taux de remplacement est assez faible - 66 % - car les cheminots partis tôt à la retraite n'ont pas cotisé assez longtemps pour bénéficier d'une pension à taux plein. La pension annuelle moyenne de droit direct est de 24 500 euros, la pension de réversion moyenne étant de 9 500 euros, soit moins que dans d'autres fonctions publiques.

M. Jean Arthuis , président . - Pour résumer, la réforme de 2008 avait pour objectif d'aligner les régimes spéciaux de la SNCF et de la RATP sur les règles valables dans le reste de la fonction publique : passage progressif de 37,5 à 40, puis 41 annuités de cotisation, décote et surcote éventuelles, indexation des pensions sur les prix, suppression des bonifications en vigueur pour les salariés embauchés après le 1 er janvier 2009 et libre choix du moment de départ à la retraite sans « clause couperet » à cinquante ou cinquante-cinq ans.

M. Frédéric Buffin . - Le plus important est le véritable « changement culturel » introduit dans l'entreprise : les salariés doivent désormais demander la liquidation de leurs droits alors qu'avant ils étaient mis d'office à la retraite. La réforme de 2008 ne fut pas une réformette ! Il ne faut pas sous-estimer l'ampleur des modifications apportées au régime spécial. Ses effets devront être appréciés à long terme.

M. Jean Arthuis , président . - Le régime spécial de la SNCF s'est-il rapproché du régime général ?

M. Frédéric Buffin . - Hormis quelques spécificités, ses règles ont été alignées sur celles de la fonction publique. Toute modification de ces dernières affectera le régime de la SNCF de manière toutefois différée pour tenir compte du calendrier particulier mis en place en 2008.

M. Jean Arthuis , président . - Quel est le taux des cotisations salariales ?

M. Frédéric Buffin - Il est de 7,85 %.

Mme Nathalie Droulez, directeur par intérim de la caisse de retraite du personnel de la RATP. - A la RATP il est de 12 %, car il est prévu d'adosser ce régime spécial sur le régime général.

M. Serge Gayraud . - L'adossement n'a jamais été envisagé pour la SNCF, contrairement à la RATP et aux industries électriques et gazières.

M. Jean Arthuis , président . - Faut-il le mettre à l'ordre du jour ?

M. Frédéric Buffin . - Le régime général et l'Etat n'y sont guère favorables en raison de la masse financière qu'il faudrait dégager pour cela. Celle-ci est évaluée à 15 milliards d'euros pour assurer la neutralité de l'opération.

M. Jean Arthuis , président . - La SNCF devrait donc verser cette somme au régime général sous forme de soulte ?

M. Frédéric Buffin . - En effet.

Mme Nathalie Droulez. - A la RATP l'adossement, prévu dans les textes depuis 2007, n'a pas encore été mis en place. Les négociations, alors soumises à un avis favorable de la commission européenne, n'ont pas été rouvertes avec la caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) depuis la création de la caisse.

M. Jean Arthuis , président . - Pourquoi ce blocage ?

Mme Nathalie Droulez. - Nous attendons de nos autorités de tutelle l'autorisation de procéder à de nouveaux calculs avec la CNAV.

M. Jean Arthuis , président . - Si la SNCF devenait une société anonyme, ne faudrait-il pas adosser son régime de retraite au régime général ?

M. Serge Gayraud . - Je ne suis pas sûr que cet adossement s'impose juridiquement.

M. Jean Arthuis , président . - Quel serait le montant de la soulte versée par la RATP ?

Mme Nathalie Droulez. - En 2004, elle avait été évaluée à 700 millions d'euros, mais entretemps est intervenue la réforme de 2008 et les paramètres ont donc changé.

M. Jean Arthuis , président . - Revenons à la question des taux de cotisations. Quels sont-ils à la SNCF ?

M. Frédéric Buffin . - Le taux des cotisations salariales est de 7,85 %. Le taux des cotisations patronales se décompose en un taux T1 et un taux T2. Le taux T1 est déterminé chaque année afin de couvrir, déduction faite du produit des cotisations salariales, les montants qui seraient dus si les salariés relevaient du régime général : il est cette année de 22,56 %. Le taux T2 est destiné à financer les avantages liés au régime spécial : il s'élève à 12,73 %. La SNCF contribue donc davantage en tant qu'employeur que dans l'hypothèse où ses salariés relèveraient du régime général.

M. Philippe Marini , rapporteur général . - Je reviens à la soulte : la même règle doit s'appliquer à France Télécom, à la Poste et à la SNCF ! Pourquoi cette différence de traitement ?

M. Jean Arthuis , président . - Cela impliquerait de dégager 15 milliards d'euros. Peut-être pourrait-on transférer la dette à Réseaux ferrés de France ...

M. Philippe Marini , rapporteur général . - Ou peut-être faut-il renoncer au changement de statut...

M. Serge Gayraud . - Le régime de la SNCF souffre d'un déficit structurel lié à la démographie : il y avait 500 000 cheminots en 1945, on n'en compte plus que 150 000.

M. Jean Arthuis , président . - A la RATP, on compte 44 200 cotisants pour 44 000 pensionnés ; le montant des prestations servies s'élève à 912 millions d'euros, celui de la subvention de l'État à 526 millions euros, soit 58 %. J'ajoute qu'une dette de 600 ou 700 millions d'euros devra un jour être payée sous forme de soulte.

Mme Nathalie Droulez. - Ce montant devra sans doute être revu à la hausse. Comme à la SNCF, la réforme du régime spécial de la RATP est, avant tout, d'ordre culturel : les salariés n'ont plus affaire pour leur retraite à un service interne, mais à une caisse autonome. Au titre des négociations tripartites menées entre 2007 et 2008, il a été décidé que les mesures d'accompagnement se prolongeraient davantage qu'à la SNCF : jusqu'au 30 juin 2012, les affiliés qui avaient prévu de liquider leurs droits avant cette date se verront verser une compensation par l'entreprise. La réforme n'aura donc pas d'incidence sur les prestations versées avant 2014.

L'âge de départ à la retraite est resté fixé à soixante ans. Mais il existait, d'une part, une bonification de cinq ans, d'autre part, des mesures liées à certains tableaux de retraite comme l'abaissement de deux ans de l'âge de départ pour cinq ans travaillés dans le tableau B. Un agent ayant relevé du tableau B pendant toute sa carrière pouvait ainsi partir à cinquante ans, à condition d'avoir accompli vingt-cinq années de services effectifs. La réforme de 2008 n'a pas modifié cette règle : seule la bonification a disparu.

M. Jean Arthuis , président . - On peut donc toujours partir à cinquante ans !

Mme Nathalie Droulez. - Oui, mais il faudra tenir compte de la décote éventuelle, qui diminuera le montant de la pension. Le taux de remplacement n'a guère varié depuis la réforme : il est resté aux alentours de 70 %. Mais les salariés ont compris que les règles changeraient à compter du 1 er juillet 2012.

M. Jean Arthuis , président . - Monsieur Peny, nous avons vu le procès injuste qui est fait à la SNCF : qu'en est-il à la RATP ?

M. Paul Peny, directeur général adjoint chargé de l'innovation sociale à la RATP. - Les deux régimes sont équivalents, à ceci près que chacune des entreprises a pris des mesures transitoires particulières pour appliquer la réforme de 2008. Quand nous serons en vitesse de croisière, en 2016-2018, nous pourrons parler d'une pleine convergence avec le régime de la fonction publique. Quant à la bonification, elle ne concerne plus les agents recrutés après 2009.

M. Jean Arthuis , président . - Voilà qui est clair. Cependant, nous n'excluons pas de modifier encore les dispositions relatives à la retraite dans la fonction publique, et dans les régimes spéciaux en particulier.

M. Paul Peny. - De fait, la convergence est là et toute mesure concernant la fonction publique a vocation à s'appliquer de façon différée à la RATP.

M. Jean Arthuis , président . - Quand le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique disait qu'il ne toucherait pas aux régimes spéciaux, il entendait peut-être dire que la réforme y avait déjà été conduite à son terme...

M. Paul Peny. - C'est le cas. Les différences subsidiaires tiennent au calendrier et aux mesures transitoires.

M. Jean Arthuis , président . - Je vous remercie.

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