EXAMEN EN COMMISSION - MERCREDI 20 OCTOBRE 2010

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La commission procède à l'examen des conclusions du rapport d'information de MM. Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur sur les sondages en matière électorale.

M. Hugues Portelli , co-rapporteur du groupe de travail sur les sondages . - Notre réflexion s'est engagée à la suite des nombreux débats soulevés dans l'opinion sur la façon dont les sondages sont commandités, réalisés et publiés dans la presse. On ne peut aussi que constater que les organes de presse et les media en général usent de moyens de plus en plus difficiles à qualifier et que rien n'empêche pourtant de se prévaloir de l'appellation de sondage. Ajoutons qu'au sein de la Commission des sondages, des interrogations se sont manifestées quant aux modalités d'exercice des missions confiées à ses membres.

Nous avons mené de nombreuses auditions, qui se sont déroulées dans un excellent climat, sans controverse. Tous les instituts de sondage ont été entendus, y compris les plus récents. Nous avons également entendu toutes les personnalités compétentes en matière d'opinion et de statistiques. Les sondages, en France, utilisent la méthode des quotas, à la différence de ce qui prévaut parfois ailleurs, comme aux États-Unis, où les instituts de sondage usent de la méthode aléatoire. Nous avons demandé aux statisticiens de nous éclairer sur les vertus comparées des deux systèmes. Nous avons également interrogé les commanditaires des sondages, ce qui nous a valu la découverte de cofinanceurs dont nous ignorions l'existence.

Notre rapport dresse tout d'abord plusieurs constats. La loi de 1977 n'a pas défini ce que sont les sondages. Or, pour combattre les faux sondages, il est indispensable de disposer d'une définition, visant clairement un type d'enquête respectant certaines règles de collation des données et de publication.

Quel type de sondages devions-nous viser ? Il nous est apparu que les sondages politiques ne constituent qu'une infime partie de l'ensemble, sauf pour Viavoice, dont les sondages commandités par Libération représentent un quart du chiffre d'affaires. Pour les autres, le taux reste à 5 % ou 10 % ; autant dire que ce n'est pas là, pour les instituts, l'activité la plus lucrative.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Et l'Ifop ?

M. Hugues Portelli , co-rapporteur . - L'Ifop, aujourd'hui dirigé par Laurence Parisot, a une longue histoire. Fondé en 1938, l'institut a produit les premiers sondages... sur les accords de Munich. Il en ressortait qu'une majorité de Français se déclarait favorable à leur signature... L'institut a vécu dans un certain anonymat jusqu'en 1965, date à laquelle Pierre Lazareff lui a commandé un sondage sur les intentions de vote au premier tour aux élections présidentielles, qui, concluant à un score de 43,5 % pour le général de Gaulle, fut publié, dans la deuxième édition de France Soir, aux côtés d'une autre enquête, effectuée par les renseignements généraux, qui pronostiquaient un score de 55 % des voix. L'histoire retiendra que le pronostic de l'Ifop s'est révélé exact, à la virgule près.

Tous les instituts créés depuis descendent un peu de l'Ifop, qui a formé toute une génération de sondeurs que l'on retrouve à l'origine de la Sofres, de CSA, de Louis Harris France, de BVA, auxquels se sont ajoutés ensuite Opinion way, Viavoice, LH2... Les cabinets de conseil sont eux-mêmes dans les mains d'anciens directeurs d'instituts de sondages, comme Pierre Giacometti. Nous avons donc affaire à un milieu assez homogène, qui s'est montré cependant ouvert à la discussion.

Nos débats ont porté sur la façon dont les sondages sont conduits, ce qui nous a amenés à poser la question de la fiabilité des sondages par quotas. M. Sueur, issu d'une longue lignée de forts en maths, a su creuser la question, cruciale eu égard à l'impact sur la réception du sondage, de la marge d'erreur dans les sondages par quotas... dont tous les instituts affirment qu'elle n'est pas calculable. Il vous exposera ce qu'il faut en penser.

Autre question cruciale, celle de la mécanique par laquelle un sondage est élaboré. Il n'est pas anodin de déterminer qui fait quoi, entre celui qui paye, celui qui commande, celui qui diffuse, sachant qu'il existe aussi aujourd'hui beaucoup de sondages dits « omnibus », regroupant les questions de plusieurs commanditaires, car la presse écrite et les diffuseurs en général n'ont plus les moyens de s'offrir seuls un sondage. Surgit du même coup la question du sponsoring... et l'on sait que les estimations électorales sont toutes sponsorisées : la question est donc de savoir qui paye...

Sur le périmètre concerné, nous émettons plusieurs recommandations. La première est de ne plus s'en tenir, dans la loi, aux seuls sondages électoraux, mais bien de viser tous les sondages politiques, la distinction entre les uns et les autres n'étant plus guère pertinente. De fait, on voit lancer, dès les lendemains d'élections présidentielles, des sondages sur les élections suivantes. Et sous quel registre ranger les sondages qui s'interrogent sur la popularité d'une personnalité ? Bref, tous les sondages politiques sont, de près ou de loin, liés aux élections. Ils ont toujours une conséquence électorale.

La deuxième tend à permettre à la Commission des sondages de travailler dans les meilleures conditions, grâce à une plus grande transparence dans l'élaboration et la publication des sondages. Qui paye ? Qui publie ? Quelle est la marge d'erreur ? J'avoue que sur ce dernier point, nous nous sommes heurtés à la résistance des instituts, qui n'aiment guère « que l'on entre dans leurs cuisines ». A croire que si les voies d'élaboration des sondages sont scientifiques, dès lors que l'on aborde la question de la méthode des redressements... on entre dans l'assaisonnement.

M. Jean-Pierre Sueur , co-rapporteur du groupe de travail sur les sondages . - Nous avons travaillé, je le confirme, dans un excellent climat. Il ressort de nos travaux qu'il est essentiel de revoir la loi de 1977 sur les sondages. Nous faisons des propositions extrêmement précises.

En premier lieu, nous dressons la liste exhaustive de ce qui doit être publié en même temps que le sondage politique :

- le nom de l'institut qui a réalisé le sondage ;

- le nom et la qualité du commanditaire du sondage ou de la partie du sondage, ainsi que ceux de l'acheteur s'il est différent ;

- le nombre des personnes interrogées ;

- la ou les dates auxquelles il a été procédé aux interrogations ;

- le texte intégral des questions posées ou un résumé qui en reflète fidèlement la teneur ;

- le cas échéant, les observations méthodologiques de la commission des sondages dans le mois précédant un scrutin : j'y reviendrai ;

- une mention indiquant le droit de toute personne à consulter la notice méthodologique.

Nous prévoyons en effet que dans les vingt-quatre heures précédant la publication d'un sondage, tout organisme qui réalise un sondage politique devra déposer une notice à la Commission des sondages. Nous proposons que cette notice soit accessible à tout le monde sur le site Internet de la Commission des sondages afin que chacun, journalistes, statisticiens, universitaires, puisse en prendre connaissance. Elle devra mentionner :

- toutes les mentions qui doivent être publiées en même temps que le sondage politique et que je viens d'énumérer ;

- l'objet du sondage ;

- la méthode selon laquelle les personnes interrogées ont été choisies, le choix et la composition de l'échantillon ;

- les conditions dans lesquelles il a été procédé aux interrogations ;

- le texte intégral des questions posées s'il ne figure pas déjà parmi les mentions accompagnant la publication ou la diffusion du sondage ;

- la proportion des personnes n'ayant pas répondu à chacune des questions.

Mme Jacqueline Gourault . - C'est très important.

M. Jean-Pierre Sueur , co-rapporteur . - En effet, car lorsque seuls 10 % de l'échantillon ont répondu à une question, ce sous-échantillon reste-t-il représentatif ? Nous proposons également que la notice comporte deux éléments supplémentaires - et je dois dire que cela ne plait guère aux sondeurs, qui sont restés très soudés dans leurs objections...

Les instituts nous disent que leur méthode est scientifique. Nous leur disons « banco », cette méthode doit donc être transparente et reproductible ; par conséquent, elle doit indiquer la marge d'erreur. Tous objectent que la méthode des quotas ne permet pas de calculer la marge d'erreur. Cela est faux. Nous publions en annexe du rapport des développements statistiques qui montrent que l'on peut calculer une marge d'erreur avec la méthode aléatoire, et que l'on ne le peut pas avec la méthode des quotas... sauf si l'on applique pour cette marge la méthode aléatoire à un échantillon de même type que ce qui est fait avec la méthode des quotas : le résultat est alors quasiment le même. Comprenez bien que nous ne demandons pas que de telles informations soient publiées dans le journal : plus personne ne commanderait de sondages. Reste que c'est une information essentielle. Soit un résultat respectif de 49 % et 51 % pour deux candidats, pour un sondage effectué sur 600 personnes. Le résultat peut varier respectivement de 46 % à 52 % et de 48 % à 54 %, ce qui peut conduire à une inversion des résultats. Avec un échantillon de mille personnes, on passe à plus ou moins deux points. J'ajoute que le résultat n'est pas équiprobable. Un taux de 49 % indique que le résultat réel a plus de chances d'être de 48 % que de 47 %. Nous demandons par conséquent que le calcul de la marge d'erreur soit effectué sur la base de la méthode aléatoire, parce qu'il fournit, comme vous le voyez, certaines indications...

Doivent également être indiqués dans la notice les critères de redressement. Les instituts nous répondent tous que l'on ne demande jamais à un cuisinier de dévoiler sa recette. Nous leur répliquons que, puisqu'ils affirment que leur méthode est scientifique, le redressement ne peut pas se faire « au doigt mouillé »... Ils indiquent alors que le redressement se fait sur le fondement de séries : dans un nombre n d'élections, on a constaté telle différence entre ce que les gens disent de leur vote et la réalité du vote, et c'est cette différence qui est appliquée. Vous comprenez que notre rôle est de nous approcher au plus près de la vérité, même si cela ne plaît pas toujours aux sondeurs...

M. Hugues Portelli , co-rapporteur . - Nous nous sommes également posé la question de la publication des sondages en périodes électorales. Nous nous proposons d'encadrer les sondages menés avant le premier tour sur le second tour. On a vu des cas, y compris en 2008, de sondages effectués sur des second tours, sans qu'aient été sondés à aucun moment les résultats du premier. Ce n'est pas cohérent.

Nous recommandons de maintenir l'interdiction de publication de sondages 48 heures avant un scrutin, sous réserve de deux aménagements :

- les sondages politiques publiés ou diffusés avant le vendredi minuit doivent pouvoir continuer à faire l'objet de commentaires et, le cas échéant, demeurer en ligne ;

- l'interdiction de publication des sondages s'impose pour l'ensemble du territoire national à partir du vendredi minuit, y compris pour les parties du territoire qui votent le samedi. Nous savons bien que cela n'empêchera pas la publication de sondages en Belgique, ou en Suisse, mais il faut en faire une question de principe.

Nous recommandons d'uniformiser les heures de clôture des bureaux de vote sur le territoire métropolitain, pour les élections nationales, afin d'éviter les risques de fuites des estimations dont disposent déjà les bureaux de vote fermant à 18 heures.

Pour éviter les interférences entre l'outre-mer et la métropole, nous suggérons qu'aucun bureau de vote outre-mer ne puisse fermer après la clôture des bureaux de la métropole, ce qui suppose que le vote outre-mer intervienne le samedi. Devra être corrélativement interdite la communication des résultats du vote outre-mer avant la clôture du vote en métropole.

M. Jean-Pierre Sueur , co-rapporteur . - Nous avons également réfléchi à la composition de la Commission des sondages, constituée pour l'essentiel de magistrats, qui y siègent à neuf aux côtés de deux personnalités qualifiées.

Nous proposons une composition plus équilibrée, réunissant six magistrats - deux nommés par le Conseil d'Etat, deux par la Cour de cassation, deux par la Cour des comptes - et cinq personnalités qualifiées, désignées non point par les autorités politiques mais par l'Académie des sciences, le CNRS, la Conférence des chefs d'établissements d'enseignement supérieur, l'École pratique des hautes études en sciences sociales et l'Insee, chacune de ces institutions désignant une personnalité. Il s'agit de garantir la présence de scientifiques spécialistes des questions touchant à la science politique, à la statistique et aux sondages. Cela ne fera pas plaisir à tout le monde, mais nous estimons de telles compétences nécessaires.

Nous proposons de conférer à la Commission des sondages une compétence générale pour vérifier que les sondages électoraux ont été commandés, réalisés et publiés conformément à la loi et aux textes réglementaires applicables ; de la doter d'une compétence pour établir, dans le mois précédant le premier tour, des observations quant à la méthodologie, obligatoirement publiées en même temps que le sondage. La commission doit pouvoir à tout moment ordonner au commanditaire d'un sondage violant les dispositions légales et réglementaires de publier une mise au point, comprenant indication des manquements à ces dispositions. Un délit d'entrave à l'action de la Commission des sondages devrait être institué, assorti d'une amende. Nous proposons enfin de consacrer le principe d'autonomie budgétaire de la Commission, aujourd'hui annexe du Conseil d'Etat et hébergée gracieusement par celui-ci. Rappelons que les crédits de certaines autorités administratives indépendantes comme le Médiateur de la République, la CNDS, la CADA ou le CSA, sont déjà regroupés au sein d'un programme spécifique.

M. Christian Cointat . - Je partage beaucoup des conclusions du groupe de travail et n'émettrai que quelques remarques. Ne conviendrait-il pas d'interdire, au lieu de se contenter d'encadrer, la publication avant le premier tour de sondages sur le second tour ? Ces sondages ont une forte connotation politique et visent clairement à influencer l'électeur en montrant qu'un candidat est le meilleur cheval pour battre le sortant.

Je m'interroge également sur l'harmonisation des horaires de fermeture des bureaux : est-il raisonnable d'obliger toutes les petites communes à fermer à 20 heures ?

M. Patrice Gélard . - Ce débat me ramène 40 ans en arrière. Je constate que les choses n'ont guère changé et que le manuel de Madeleine Grawitz reste d'actualité...

Je m'interroge sur le comportement des sondeurs, qui restent toujours les mêmes, avec ce résultat que leurs panels restent inchangés et ne correspondent plus aux nouvelles réalités sociologiques.

J'observe que la méthode des quotas est elle aussi aléatoire, puisque la sélection des sondés relève de l'aléatoire. La marge d'erreur est donc réelle, d'autant plus lorsqu'on arrive en fin de liste. Quand il s'agit de trouver un sondé de tel sexe, qui habite Paris, qui paye tant d'impôt, cela crée une marge d'erreur complémentaire...

Vous proposez de modifier la composition de la commission des sondages, pourquoi pas ? Je suis en revanche sceptique sur le choix des organismes appelés à désigner les personnalités qualifiées. Pourquoi l'Académie des sciences, et pas celle des sciences morales et politiques ? Je crains que le CNRS et la Conférence des chefs d'établissements d'enseignement supérieur ne viennent à proposer les mêmes personnalités. Vos cibles sont bien les professeurs de sciences politiques, spécialistes des sondages, l'équivalent des Charlot ou des Lancelot d'autrefois. On les connaît, il n'est pas difficile de les identifier. J'ajoute que l'on ne peut pas mettre sur le même pied la Conférence des présidents d'université et l'Insee ou l'EHESS. Et pourquoi avoir omis l'Institut de France, qui compte les professeurs les plus qualifiés, les meilleurs d'entre nous, en quelque sorte...

Quant à proposer la fermeture de tous les bureaux de vote aux mêmes heures, il me semble qu'elle témoigne d'une certaine ignorance de ce que sont les réalités dans les petites communes rurales. C'est tout simplement impossible. Je serais plutôt partisan de nous acheminer vers un système à l'anglaise, ou à la belge, où l'on organise le vote en semaine, sur une tranche horaire plus large.

Ce qui me frappe, surtout, dans les résultats de vos travaux, c'est qu'ils amènent à constater que le caractère pseudo scientifique des sondages n'a pas évolué d'un iota depuis 40 ans. A ceci près que l'on a réduit le panel : dans les années 1970, il était de 1 000 à 1 100 personnes, aujourd'hui, il n'est plus que de 600, sous prétexte que les méthodes sont devenues plus scientifiques... Permettez-moi d'émettre quelques doutes.

M. Yves Détraigne . - Dans un pays « drogué aux sondages », il est rassurant de voir des élus se pencher sur la question. Une question de bon sens : si l'on considère que la méthode des quotas est aussi fiable que la méthode aléatoire, comment justifie-t-on les redressements ? On trouve parfois deux sondages, provenant d'instituts différents, publiés dans des journaux différents, avec des résultats différents. Comment faut-il l'interpréter ? Les résultats en amont n'étaient-ils pas les mêmes ou est-ce le redressement qui a produit la distorsion ? En l'absence de justification scientifique de la méthode de redressement, les résultats se trouvent entachés de suspicion.

Ma deuxième remarque porte sur l'ouverture de tous les bureaux jusqu'à 20 heures : quand on sait les difficultés que l'on a, dans les petites communes, pour trouver des volontaires pour tenir les bureaux, on comprend que la proposition est inapplicable.

M. Jean-Pierre Sueur , co-rapporteur . - Notre proposition ne vise que les scrutins nationaux, pas les élections municipales.

M. Jean-Claude Peyronnet . - Vous préconisez, dans le document qui nous a été remis, l'interdiction de servir des gratifications aux personnes sondées. A quoi cela fait-il référence ?

M. Hugues Portelli , co-rapporteur . - Nous visons essentiellement les enquêtes sur Internet.

M. Jean-Pierre Sueur , co-rapporteur . - Ces enquêtes où l'on promet à ceux qui y participent un abonnement gratuit ou quelque loterie avec un voyage aux Bahamas à la clé... Il est clair que de telles pratiques faussent totalement l'échantillon...

M. Jean-René Lecerf . - Vous n'abordez pas la problématique des comptes de campagne. Doit-on comprendre que la situation actuelle vous convient ? Je rappelle qu'elle prévoit que les sondages de prévision des résultats ne sont pas intégrés aux comptes de campagne, tandis que les sondages relatifs aux préoccupations des électeurs le sont.

Autre question : on voit se développer des sondages artisanaux, réalisés par des associations proches de partis politiques, et qui ne sont pas destinés à la publication mais à l'information des intéressés. Peut-on considérer que de tels travaux sont réguliers et légaux dès lors qu'ils ne sont pas publiés ?

M. Charles Gautier . - Je comprends que la réticence des sondeurs à évoquer la marge d'erreur vous préoccupe, mais ne peut-on considérer que la valeur du sondage tient surtout à l'évolution qu'il retrace au fil du temps. Chaque institut a sa méthode personnelle de réduction de la marge, soit, mais cette méthode ne change pas. Si l'on compare les sondages d'un même institut, de ce point de vue, peut-on considérer que la marge d'erreur étant la même, la tendance qui ressort est fiable ?

Votre sixième recommandation, portant sur l' « encadrement » de la publication de sondages, vise-t-elle ou non une interdiction ? Peut-on interdire la référence en France à des sondages publiés à l'étranger ? (M. Sueur indique qu'on le peut) Si un journaliste a le droit de faire référence à des résultats de sondage publiés à l'étranger, votre proposition ne dressera qu'un mur de sable. Ne vaut-il pas mieux, dans ces conditions, permettre à tous les Français d'être directement informés ?

Vous proposez que les élections outre-mer aient lieu avant la clôture des bureaux dans l'hexagone. Je suppose que vous considérez également que le dépouillement ne peut avoir lieu outre-mer avant qu'il ne commence dans la métropole ? Faute de quoi, on pourrait avoir connaissance de résultats partiels outre-mer, ce qui constituerait une indication... Envisagez-vous d'interdire également le sondage à la sortie de l'isoloir ?

M. Jean-Pierre Sueur , co-rapporteur . - Absolument : de tels sondages, qui du reste ont quasiment disparu, sont déjà interdits de publication avant la clôture du vote. Nous ne proposons pas de revenir sur cette interdiction.

M. Charles Gautier . - Les assesseurs sont certes les gardiens des urnes, comme les oies du Capitole. Mais il suffit de réaliser des sondages à la porte des bureaux de vote pour tourner la difficulté...

M. Jacques Mézard . - Jusqu'où va la définition du sondage politique ? Y incluez-vous, par exemple, les questions posées deux ans avant l'élection municipale pour savoir si les électeurs considèrent le maire ou le président d'agglomération comme un bon gestionnaire ? Car c'est là un instrument de communication d'une influence redoutable sur les électeurs...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Je rejoins les observations de M. Mézard, qui conduisent également à poser la question des moyens de réglementer la commande de sondages.

M. Alain Anziani . - Doit-on défendre la ligne Maginot ? Vous proposez d'interdire la publication le vendredi, mais au-delà des frontières ? N'est-ce pas là une façon de se donner bonne conscience ?

M. Jean-Pierre Sueur , co-rapporteur . - Je vous remercie de toutes ces remarques, très riches. Nous proposons, dans notre rapport, de définir le sondage comme une opération visant à donner une indication quantitative des opinions, attitudes et comportement d'une population par l'interrogation d'un échantillon représentatif de celle-ci. A l'aune de cette définition, les journaux publient tous les jours des enquêtes qui ne sont en rien des sondages. Même chose pour les sites Internet qui demandent aux visiteurs de répondre à une question. Il suffit de demander à 200 amis de cliquer pour obtenir l'avantage... Nous proposons donc que la notion de sondage ne puisse pas être utilisée pour tout ce qui n'entre pas dans notre définition.

Sur les sondages de second tour, nous avons repris les travaux législatifs qui ont précédé la loi de 1977. L'intention du législateur était bien de prévoir que les hypothèses testées dans un sondage relatif au second tour d'une élection, publié ou diffusé avant le premier tour, doivent correspondre aux données qui résultent d'un sondage de premier tour, obligatoirement publié ou diffusé en même temps. En clair, tout sondage de second tour doit aussi tester le premier tour : on ne doit pas pouvoir faire un sondage de deuxième tour comme si le premier tour n'existait pas.

Je partage les observations du doyen Gélard sur le caractère aléatoire de la méthode des quotas. Le choix des organismes appelés à désigner les personnalités qualifiées au sein de la Commission des sondages doit permettre de voir désignés non seulement des professeurs de sciences sociales, mais aussi des statisticiens.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - La statistique n'est pas étrangère aux magistrats de la Cour des comptes. Et les énarques...

M. Jean-Pierre Sueur , co-rapporteur . - ...la connaissent un peu, mais fort peu.

La fermeture de tous les bureaux à 20 heures fait partie des recommandations d'instances comme le Conseil constitutionnel, le CSA et la Commission nationale de contrôle des élections présidentielles.

Le système, pervers, de la gratification se développe beaucoup sur Internet. Il faut des dispositions pour prévenir son extension, car il provoque un important biais...

M. Lecerf remarque très justement qu'il convient de bien distinguer, pour l'inclusion dans les comptes de campagne, les cas où le candidat commande un sondage, dès lors qu'il le publie. Quant aux sondages artisanaux, ils sont couverts par la loi.

Je souscris à l'observation de M. Gautier sur la valeur du sondage « au fil du temps », pour autant que l'on suive le même institut.

Mme Des Esgaulx et M. Anziani soulignent à juste titre qu'il convient de bien distinguer entre ce qui est sondage et ce qui ne l'est pas, d'où l'importance d'une définition. Ce qui nous importe, c'est la transparence -savoir qui commande, qui paie, qui publie- ce dont on doit informer le lecteur, ce qui doit être déposé devant la Commission des sondages et pouvoir être consulté par tous. Les sondeurs ne sont pas d'accord, mais c'est à notre sens une condition de la transparence, et nous estimons qu'il faudra être exigeants sur ce point. L'important est aussi que, dans le mois précédant l'élection, la Commission puisse ordonner la publication d'observations méthodologiques, en cas de violation des règles d'objectivité et de sincérité des sondages. Nous savons bien que la question des dernières 24 heures est insoluble...

M. Hugues Portelli , co-rapporteur . - La transparence doit s'appliquer aussi en interne aux méthodes de redressement. Nous savons qu'aujourd'hui pour le second tour, les sondeurs demandent aux sondés leur vote du premier tour et que ce critère est la clé du redressement des votes extrêmes. Or les erreurs de sondage les plus importantes ont porté sur le vote pour les extrêmes ; c'est bien pourquoi nous tenons à ce que ces méthodes de redressement soient connues.

Nos propositions sont réalistes, mais exigeantes. Nous avons placé la barre haut, parce que nous savons que les instituts de sondages, qui ne manquent pas d'appuis ni de relations, vont chercher à édulcorer nos propositions.

M. Jean-Claude Peyronnet . - Le redressement a-t-il évolué avec le temps, pour les votes extrêmes ?

M. Jean-Pierre Sueur , co-rapporteur . - Le redressement concerne tous les extrêmes. Par ailleurs, de plus en plus d'électeurs ne déterminent leur choix qu'au moment de voter, ce qui rend d'autant moins fiables les sondages des semaines précédant le vote.

M. Hugues Portelli , co-rapporteur . - Cette propension à choisir tardivement augmente avec le taux de participation : elle concernait un électeur sur sept lors de la présidentielle.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Je n'ai pas le sentiment que le décalage dans l'heure de fermeture des bureaux de vote entre les grandes villes et le reste de l'Hexagone ait une incidence sur le vote, ni sur sa confidentialité. Mais si tous les bureaux de vote fermaient à 20 heures, les instituts de sondages seraient gênés pour publier leurs résultats de sortie des urnes à cette même heure, et il faudrait probablement attendre jusqu'à 21 ou 22 heures. Nous devons donc bien peser les avantages et les inconvénients d'un alignement sur les bureaux de vote qui ferment le plus tard. Du reste, en France on dépouille immédiatement les urnes, ce qui ne signifie pas une publication immédiate des résultats.

De même, je ne suis pas certain qu'on gagne à préciser comme vous le faites la composition de la commission des sondages.

M. Hugues Portelli , co-rapporteur . - Les remarques sont suffisamment nombreuses et concordantes, pour que nous y regardions à deux fois sur ces deux sujets.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Nous allons autoriser la publication de votre rapport et de vos recommandations, ce qui ne vaut pas adhésion de tous à toutes vos propositions ; nous y joindrons le compte rendu des débats que nous venons d'avoir. Suivra une proposition de loi, que nous espérons voir inscrite à notre ordre du jour dans des délais raisonnables.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

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