2. Pour une commission des sondages plus puissante
a) Une commission parfois trop « timide »

Si vos rapporteurs comprennent que la commission des sondages souhaite faire un usage prudent de certaines de ses attributions afin de maintenir un climat de dialogue serein avec les instituts, il reste que certaines méconnaissances de la loi de 1977 sont, assez étonnamment, peu sanctionnées par la commission.

Comme indiqué plus haut, la possibilité d'ordonner la publication de mises au point constitue l'arme la plus efficace de la commission.

Or, il est apparu, au cours des auditions, que cette dernière en fait un usage plutôt timide . Les exemples suivants ont été donnés :

- les présentations graphiques tendancieuses de sondages, c'est-à-dire l'illustration des résultats d'un sondage sous forme, par exemple, d'un histogramme ou d'un camembert qui ne respecte pas fidèlement les proportions du sondage, mériteraient systématiquement une mise au point, ce qui est loin d'être le cas à l'heure actuelle ;

- de même, l'obligation, prévue à l'article 2 de la loi de 1977, d'indiquer le droit de toute personne à consulter la notice méthodologique est très rarement respectée mais ne donne pas lieu pour autant à des mises au point de la commission. Étonnamment, les organes d'information indiquent souvent que le sondage a été réalisé selon la méthode des quotas et que les personnes interrogées sont âgées de 18 ans et plus, mentions non obligatoires, alors que l'existence de la notice est, elle, régulièrement oubliée dans les indications qui accompagnent la publication d'un sondage. La commission des sondages fait preuve d'un manque de fermeté certain dans ce domaine : dans son rapport d'activité sur le référendum du 29 mai 2005 sur l'approbation du projet de loi autorisant la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe, elle a rejeté une réclamation fondée sur le fait qu'un journal ne mentionnait pas le droit pour toute personne de consulter la notice technique. Elle a considéré que, « compte tenu du caractère fréquent de cette omission - la plupart des sondages publiés ne comportant pas cette mention - la commission, après en avoir délibéré, a considéré qu'une lettre adressée aux principaux organes de la presse quotidienne et leur rappelant leurs obligations en matière de publication des sondages constituait une réponse plus appropriée qu'une mise au point au journal en cause ». Si on peut admettre cette démarche comme première réponse de conciliation à ce problème, il n'en demeure pas moins que les organes de presse n'ayant tenu aucun compte de ce courrier, la commission des sondages aurait dû mettre en oeuvre une « riposte graduée » et imposer, après ce « rappel à la loi » infructueux, des mises au point systématiques pour faire respecter la volonté du législateur, ce qu'elle n'a jamais fait ; on notera que c'est sans doute en grande partie ce qui explique que la commission a été saisie d'un très faible nombre de demandes de consultation de la notice depuis 2002, deux ou trois seulement par élection ;

- autre exemple : la loi prévoit que lors de la publication d'un sondage, « les données relatives aux réponses des personnes interrogées doivent être accompagnées du texte intégral des questions posées » (article 3-1). La commission des sondages, tout en reconnaissant, sur son site Internet, qu' « il est regrettable que cette nouvelle obligation reste encore trop souvent méconnue », n'a jamais, semble-t-il, ordonné de mises au point pour faire respecter cette obligation ;

- par ailleurs, nous avons eu l'occasion d'indiquer que le sondage ne relevant pas de la science exacte, il est nécessairement affecté d'une marge d'erreur , dite aussi marge d'incertitude ou intervalle de confiance, qui progresse à mesure que la taille des échantillons utilisée par les instituts se réduit. C'est pourquoi la commission des sondages a eu l'occasion de recommander aux instituts de préciser à leurs clients que certains sondages doivent être interprétés avec la plus grande prudence lorsque les tailles d'échantillon sont très faibles. Cette recommandation n'a, là encore, pas été suivie d'effets, ce qui aurait dû conduire à la commission à ordonner des mises au point lors de cas ultérieurs analogues, ce qu'elle n'a pas fait.

Enfin, vos rapporteurs ont constaté que la commission des sondages n'a pas fait un usage actif - tant s'en faut - de sa faculté de saisir le parquet en cas manquement aux règles sur les sondages. En effet, alors que l'article 12 de la loi sur les sondages punit d'une amende de 75.000 euros le fait de contrevenir aux obligations de ladite loi, le ministère public a été très peu saisi, non seulement en raison d'une sorte de timidité de la commission des sondages mais aussi, selon cette dernière, en raison des décisions quasi-systématiques du parquet de classer sans suite ce type de dossiers 34 ( * ) .

A cet égard, vos rapporteurs demandent à Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, de prendre dans de brefs délais une circulaire de politique pénale invitant le ministère public à plus de fermeté en cas de manquements à la législation sur les sondages.

b) Des pouvoirs à élargir

La commission des sondages considère que la seule possibilité d'imposer des mises au point à la presse lui a suffi « à asseoir une autorité incontestée » .

Telle n'est pas la position de vos rapporteurs qui jugent indispensable d'accorder à la commission de nouveaux pouvoirs 35 ( * ) :

- garantir en toutes circonstances la visibilité des mises au point de la commission des sondages ; rappelons qu'en 2002 le législateur a renforcé, pendant la période de deux mois précédant le scrutin , les obligations en matière de publication ou de diffusion des mises au point de la commission des sondages.

A été prévu que, dans ces circonstances, « la mise au point demandée par la commission des sondages doit être, suivant le cas, diffusée sans délai et de manière que lui soit assurée une audience équivalente à celle de ce sondage, ou insérée dans le plus prochain numéro du journal ou de l'écrit périodique à la même place et en mêmes caractères que l'article qui l'aura provoquée et sans aucune intercalation. »

L'objectif était que la mise au point demandée soit publiée dans les délais les plus brefs et d'une manière susceptible de susciter un écho comparable à celui du sondage lui-même.

S'il s'agit d'un sondage dont les résultats ont été diffusés sur une chaîne de télévision ou de radio, la mise au point demandée doit être diffusée, au plus tard, dans un délai de vingt-quatre heures, et surtout « de manière que lui soit assurée une audience équivalente » à celle de ce sondage, pour reprendre une formule retenue par la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, à propos du droit de réponse.

S'il s'agit d'un sondage publié dans la presse écrite, la mise au point doit être publiée dans le plus prochain numéro du journal ou de l'écrit périodique. L'insertion doit figurer « à la même place et en mêmes caractères que l'article qui l'aura provoquée et sans aucune intercalation », selon la formule de la loi 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, à propos du droit de réponse également.

Vos rapporteurs proposent d'étendre ce régime et de supprimer la condition restrictive « des deux mois précédant le scrutin ». En effet, comme le souligne la commission des sondages dans son rapport d'activité 2008-2009 (page 11) les organes de presse qui publient les mises au point, en dehors de la période des deux mois, ne leur accordent généralement pas une place équivalente à celle qui avait été réservée au sondage litigieux. La publication de la mise au point est fréquemment faite selon une typographie plus modeste et dans un espace moindre que la publication des résultats du sondage. Elle est même parfois cantonnée à la rubrique du courrier des lecteurs.

En conséquence, vos rapporteurs considèrent que la loi doit être modifiée pour garantir qu' en toutes circonstances , et non seulement à l'approche d'un scrutin, les mises au point demandées par la commission des sondages reçoivent un écho comparable à celui du sondage litigieux.

- établir, dans certains cas, des observations méthodologiques, comme indiqué précédemment ;

- prévoir un dispositif pénal plus clair et plus large pour renforcer l'efficacité à la commission des sondages : le législateur a choisi d'établir une liste des manquements à la loi de 1977 passibles d'une amende de 75.000 € (article 12 de la loi). Ce faisant, elle a affaibli l'arsenal répressif de la loi ; à titre d'exemple, est puni d'une telle amende le fait de refuser de publier les mises au point demandées par la commission des sondages, mais pas le fait d'accepter ces mises au point avec une médiocre visibilité. Il serait préférable que la loi prévoie une rédaction beaucoup plus générale, telle que :

« Est puni d'une amende de 75.000 € le fait de commander, réaliser ou laisser publier un sondage en violation des dispositions de la présente loi et des textes réglementaires applicables. »

Pourrait également être puni de la même peine le fait de faire obstacle aux pouvoirs de vérification de la commission des sondages. Autrement dit, il s'agirait de créer un délit d'entrave à l'action de la commission des sondages.

c) Des effectifs à renforcer, une autonomie budgétaire à consacrer

Vos rapporteurs estiment que l'extension du champ de la compétence de la commission des sondages à tous les sondages à caractère politique, qu'ils soient, ou non, électoraux, imposera à cette commission une charge de travail sensiblement plus forte qu'aujourd'hui, ce qui devrait nécessiter le recours à plusieurs experts supplémentaires (la commission en compte trois à l'heure actuelle). Le coût engendré par une telle évolution serait toutefois très limité puisque chaque expert est rémunéré à hauteur d'environ 2.000 euros par trimestre.

Par ailleurs, vos rapporteurs jugent nécessaire de consacrer dans la loi de 1977 le principe d' autonomie budgétaire de la commission des sondages, comme d'ailleurs le Parlement vient de le faire à l'initiative de votre commission pour le Conseil supérieur de la magistrature (article 9 de la loi n° 2010-830 du 22 juillet 2010 relative à l'application de l'article 65 de la Constitution) et pour le Défenseur des droits (article 3 du projet de loi adopté par le Sénat le 3 juin 2010).

Ce principe implique que non seulement la Commission des sondages devra être autonome dans l'utilisation des crédits qui lui sont alloués mais également que son budget devra être sanctuarisé au sein d'un programme budgétaire spécifique. Il s'agit de neutraliser le principe, institué par la LOLF, de fongibilité des crédits au sein d'un même programme.

En effet, les crédits de la Commission des sondages étant mêlés à ceux du Conseil d'Etat, ils pourraient théoriquement servir de « variable d'ajustement » pour abonder les crédits de la Haute juridiction.

La nomenclature budgétaire devrait donc évoluer pour rattacher les crédits de la commission des sondages au programme « protection des droits et libertés » de la mission « direction de l'action du Gouvernement » ; rappelons que ce programme, créé fin 2008, est né de la volonté renouvelée du Sénat de préserver les crédits des autorités administratives indépendantes en charge de la protection des droits et libertés. Ce programme regroupe différentes autorités administratives indépendantes, telles que le Médiateur de la République, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité), la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH)...

*

* *

Réunie le mercredi 20 octobre 2010, la commission a autorisé
la publication du présent rapport


* 34 La commission des sondages n'a pas été en mesure de fournir à vos rapporteurs des données précises en la matière : nombre de transmissions au parquet depuis sa création, nombre de classements sans suite, de sanctions...

* 35 En revanche, une compétence actuelle mérite d'être supprimée : en effet, en 1977, la loi avait prévu que la commission des sondages s'assurerait que « les organismes réalisant des sondages destinés à être publiés ou diffusés ne procèdent pas par actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites, ou coalitions sous quelque forme et pour quelque cause que ce soit, ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d'empêcher ou de restreindre la même activité par d'autres personnes ou organismes » (article 5). Cette compétence n'a jamais été utilisée par la commission des sondages et, en tout état de cause, n'a plus lieu d'être depuis la création, en 1987, du Conseil de la Concurrence, devenue en 2008, l'Autorité de la concurrence.

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