ANNEXE 2 - LES EXPÉRIENCES ALLEMANDE ET ITALIENNE57 ( * )

Si plusieurs pays européens appliquent aujourd'hui une procédure pénale proche de celle envisagée par l'avant-projet de réforme élaboré par le Gouvernement, le groupe de travail a souhaité s'intéresser aux expériences de l'Allemagne et de l'Italie, d'une part, parce que ces deux pays se réclamaient, avant qu'ils ne suppriment le juge d'instruction, de la même tradition procédurale que la France et, d'autre part, parce que cette suppression étant intervenue voici 36 ans en Allemagne et plus de 20 ans en Italie, il est possible de mesurer les effets de la réforme et, éventuellement, les écarts entre les intentions initiales et l'application effective.

I. LA PROCÉDURE PÉNALE ALLEMANDE : UN CONSENSUS FONDÉ POUR UNE LARGE PART SUR L'INDÉPENDANCE DE FAIT DU MINISTÈRE PUBLIC

Le juge d'instruction a été supprimé en Allemagne par la loi relative à la réforme de la procédure pénale du 9 décembre 1974.

Dans l'ancienne procédure pénale allemande, codifiée en 1877 58 ( * ) , le pouvoir d'enquête se partageait entre le procureur de la République et le juge d'instruction compétent, à l'instar de son homologue français, pour les affaires criminelles et, à la demande du ministère public et si les nécessités de l'enquête le justifiaient, pour les délits. Ce système se caractérisait par la préférence donnée au juge d'instruction sur le parquet. Seul le premier, doté d'un statut d'indépendance par rapport au pouvoir politique et garant des libertés et des droits des personnes mises en cause, disposait de pouvoirs d'enquête coercitifs.

La réforme de 1974 a été motivée par quatre considérations :

- la recherche d'une plus grande efficacité . En effet, bien souvent, la saisine des juges d'instruction était motivée par l'impuissance du ministère public à faire avancer les investigations -ainsi les personnes convoquées devant lui n'étaient pas tenues de déférer non plus que déposer -le suspect n'étant, en tout état de cause, jamais tenu de déposer, même devant le juge d'instruction. Il en résultait une perte de temps préjudiciable à l'enquête ;

- par ailleurs, la qualité des investigations conduites par le juge d'instruction ne paraissait pas devoir justifier à elle seule le maintien de cette institution ;

- en outre, le nombre des instructions préparatoires n'avait cessé de se réduire au fil du temps pour ne plus représenter que 2 % des affaires pénales ;

- enfin, d'une manière plus générale, la procédure pénale devait être modernisée afin de respecter les exigences de la loi fondamentale allemande et d'intégrer certaines solutions jurisprudentielles, voire trancher les questions en débat.

Une conférence des ministres de la justice, réunie les 4 et 5 mai 1970, constitua un groupe de travail associant les länder et l'Etat fédéral afin d'élaborer un projet de réforme d'ensemble de la procédure pénale. Ce travail préparatoire aboutit à la loi du 9 décembre 1974 qui s'articule autour de deux grandes orientations.

La suppression du juge d'instruction et le transfert de ses compétences au procureur de la République

Les prérogatives du parquet sont ainsi accrues :

- obligation pour les témoins et les experts de comparaître devant le procureur de la République et de déposer, sauf dans les cas où la loi les autorise à ne pas faire de déclaration (en particulier en raison du lien de parenté entre le témoin et le suspect) ;

- obligation pour le suspect convoqué de comparaître, sans obligation de déposer ;

- droit de prendre connaissance des documents découverts lors d'une perquisition ;

- droit d'ordonner une autopsie en cas de risque de dépérissement des preuves ;

- droit d'ordonner l'aliénation du bien saisi.

L'autorisation des mesures de coercition par le juge des enquêtes

Le législateur allemand a institué un juge des enquêtes compétent pour ordonner, sur requête du ministère public, certaines mesures d'enquête présentant un caractère particulièrement coercitif.

A l'issue de l'enquête, il appartient au procureur de la République de décider si les charges sont suffisantes pour motiver le renvoi de la personne poursuivie devant la juridiction de jugement par la voie d'une mise en accusation .

S'ouvre alors le deuxième temps de la procédure, la mise en l'état de l'affaire, procédure écrite par laquelle le parquet envoie l'enquête et son réquisitoire définitif au président de la formation de jugement. Celui-ci adresse ce réquisitoire à la personne poursuivie et lui demande si elle entend formuler des demandes d'acte avant l'ouverture de l'audience dans un délai qu'il détermine. Le tribunal statue sur ces demandes par une ordonnance insusceptible de recours.

Le tribunal peut ordonner lui-même un complément d'information (article 202 du code de procédure pénale) même s'il use rarement de cette faculté. Si les décisions du tribunal sont insusceptibles d'appel, le refus de renvoyer l'affaire devant la juridiction de jugement peut toutefois être attaqué par le ministère public.

Enfin, le troisième temps est constitué par la phase de jugement susceptible de se dérouler sur plusieurs audiences.

L'organisation des juridictions pénales allemandes

1. Compétence en premier ressort

Le tribunal d'instance exerce la compétence de principe (affaires pour lesquelles la peine d'emprisonnement prononcée ne dépassera pas quatre ans). Il siège à juge unique dans les affaires pour lesquelles le minimum légal encouru est inférieur à un an d'emprisonnement et lorsqu'il apparaît probable que la peine prononcée ne sera pas supérieure à deux ans. Dans les autres cas, le tribunal est composé d'un juge et de deux échevins (il prend alors le nom de tribunal des jurés) -le parquet pouvant demander, selon la complexité de l'affaire, l'adjonction d'un deuxième juge ;

- le tribunal de grande instance est compétent pour les affaires pénales pour lesquelles une peine d'emprisonnement supérieure à quatre ans, un internement en psychiatrie ou une détention de sûreté sont susceptibles d'être prononcés. Il est également compétent pour les dossiers dont le parquet juge nécessaire, au regard de leur nature ou de l'intérêt de la victime, qu'ils doivent être portés devant cette juridiction.

Les formations pénales du tribunal de grande instance sont composées de trois juges et deux échevins ;

- les cours d'appel exercent une compétence en premier ressort pour les infractions terroristes. La formation de jugement est composée de cinq juges -ce nombre étant réduit à trois sur décision de la juridiction de jugement au début de l'audience.

2. Les juridictions en second ressort

Seules les décisions du tribunal d'instance peuvent être frappées d'appel. Les décisions prises en premier ressort par les autres juridictions ne peuvent être attaquées que par la voie d'un pourvoi en cassation examiné soit par la cour d'appel, soit par la cour fédérale de justice.

Le tribunal de grande instance connaît des appels formés contre les décisions du tribunal d'instance. Il est alors composé soit d'un juge et de deux échevins, soit de deux juges et de deux échevins lorsque le tribunal de premier ressort a statué avec deux juges.

Vos rapporteurs se sont attachés à analyser de manière plus détaillée quatre aspects fondamentaux de la procédure pénale allemande :

- les pouvoirs de la police et les conditions dans lesquelles elle peut arrêter et retenir un suspect ;

- le rôle du parquet dans l'enquête et les relations du ministère public avec le juge de l'enquête, d'une part, et la police judiciaire, d'autre part ;

- les conditions d'intervention de la défense ;

- l'articulation entre les phases de l'enquête et de l'audience.

A. LA RETENUE : UNE ÉTAPE INTERMÉDIAIRE AVANT LA DÉTENTION PROVISOIRE PLUTÔT QU'UN MOMENT CLEF DE L'ENQUÊTE

Le droit allemand ne connaît pas de garde à vue à proprement parler mais une retenue provisoire qui ne peut lui être réellement comparée car elle constitue l'« antichambre » de la détention provisoire.

L'organisation des services de police

Si les règles de procédure pénale sont déterminées par le législateur fédéral, l'organisation des services de police ainsi que les moyens qui leur sont affectés relèvent des länder 59 ( * ) .

A Berlin, l'organisation des services de police s'articule autour d'un service central de police judiciaire, d'une direction des tâches transversales et d'une direction de la sécurité publique divisée elle-même en directions territoriales dotées d'un nombre variable de commissariats.

Les infractions punies d'une peine d'emprisonnement dont le minimum encouru est égal ou supérieur à un an (désignées comme « crimes » en droit allemand) sont traitées par des unités d'investigation spécialisées rattachées à la direction territoriale 60 ( * ) .

Les infractions passibles d'une peine d'emprisonnement inférieure à un an, (qualifiées de « délits »), relèvent de la compétence des commissariats.

1. Une interpellation dont les conditions sont strictement encadrées

La retenue provisoire ne peut être mise en oeuvre que lorsque l'auteur est interpellé au moment de la commission de l'infraction ou, au plus tard, dans les trois jours suivant celle-ci. Au-delà de ce délai, l'interpellation de l'auteur fait suite à la délivrance d'un mandat d'arrêt lorsque les faits sont suffisamment graves pour envisager un placement en détention provisoire.

En outre, la retenue n'est possible que si les conditions de la détention provisoire sont réunies (article 127, deuxième alinéa, du code de procédure pénale). Elle doit répondre ainsi à trois ordres d'exigence.

En premier lieu, des indices graves et concordants laissent présumer que la personne a commis l'infraction.

Ensuite, l'un des trois critères suivants est réuni :

- le risque de fuite ;

- le risque d'entrave à l'enquête (destruction des preuves, pressions sur les coauteurs et les témoins) 61 ( * ) ;

- le risque de réitération des faits (au stade de la décision portant retenue provisoire, l'existence d'antécédents policiers suffit généralement à caractériser le risque de renouvellement des faits).

Enfin, la détention provisoire ne saurait être disproportionnée au regard de la peine susceptible d'être prononcée.

Aussi, l'exercice du pouvoir d'interpellation est-il, en pratique, réservé aux infractions criminelles au sens du droit allemand ou, à tout le moins, à celles pour lesquelles le prononcé d'une peine d'emprisonnement apparaît plausible.

Ainsi, lorsqu'un délit, toujours au sens du droit allemand, est commis en flagrance et son auteur appréhendé, les policiers se borneront le plus souvent à procéder au contrôle de son identité et à s'assurer qu'il ne fait pas l'objet d'une fiche de recherche et qu'il dispose d'un domicile connu.

Si l'identité peut être immédiatement vérifiée 62 ( * ) , que l'intéressé n'est pas recherché et qu'il dispose d'un domicile connu, il sera remis en liberté puis convoqué plus tard au commissariat de police pour être entendu.

2. Le déroulement de la retenue

- La durée

Aux termes de l'article 128 du code de procédure pénale, lorsqu'elle n'a pas été remise en liberté, la personne retenue doit être déférée devant un juge des enquêtes , au plus tard à l' achèvement du jour suivant son interpellation . En pratique, la durée de la retenue reste en-deçà de la limite maximale de 48 heures.

Le parquet peut ordonner la remise en liberté de la personne s'il estime qu'une mesure de placement en détention provisoire n'est pas nécessaire ou s'il en estime les critères non réunis.

S'il décide du défèrement de la personne devant le juge des enquêtes, ce juge, après avoir procédé à l'audition du mis en cause, peut ordonner sa remise en liberté ou son placement en détention provisoire.

- Les garanties reconnues à la personne retenue

Les services de police ne sont pas tenus d'informer le parquet d'un placement en retenue. L'information du ministère public procède de considérations purement pratiques : la nécessité de donner un délai suffisant au parquet pour prévenir le juge de l'enquête seul compétent pour décider d'une détention provisoire -encore faut-il noter qu'en cas d'impossibilité de joindre le ministère public, la police pourra, d'office, saisir directement le juge aux fins d'un placement en détention.

Sans préjudice des droits qui doivent lui être notifiés à chacune de ses auditions, la personne interpellée doit se voir notifier les droits suivants:

- droit d'être informée qu'elle doit être immédiatement présentée et, au plus tard, le jour suivant son interpellation, à un juge lequel décidera de son placement en détention;

- droit de se taire ou de faire des déclarations ;

- droit à consulter un avocat ;

- droit de formuler des demandes d'actes.

En outre, depuis le 1 er janvier 2010, sur les recommandations du comité de prévention de la torture, elle dispose aussi du droit de faire prévenir un proche ou une personne de confiance (sauf à ce que les nécessités de l'enquête s'y opposent) et de solliciter un examen médical par un médecin de son choix.

Si la retenue a pour objectif premier d'organiser le défèrement de l'auteur de l'infraction en vue de son placement en détention provisoire, elle peut aussi être utilisée pour interroger le suspect ou mener des perquisitions à son domicile.

Selon M. Jörg Dessin, commissaire de police à Berlin, la fouille est pratiquée en cas d'arrestation mais la retenue ne paraît pas comporter de manière aussi systématique qu'en France la privation d'objets tels que les lunettes ou, pour les femmes, le soutien-gorge.

Chaque audition doit être précédée d'une notification des droits (faits reprochés, droit de garder le silence ou de s'exprimer, droit de consulter un avocat, droit de faire des demandes d'actes). Cette information doit être donnée par écrit dans une langue comprise par l'intéressé.

Le défaut d'information n'est pas une cause de nullité. Il a cependant pour effet d'interdire d'utiliser la teneur des déclarations de l'intéressé comme élément de preuve au cours du procès.

Le droit de consulter un avocat ne s'exerce qu'à la demande expresse de la personne interpellée. Cette consultation peut avoir lieu dans les locaux de la police ou par téléphone. Pour faciliter l'exercice de ce droit, les commissariats de police doivent mettre à disposition de la personne une liste de numéros de téléphone d'avocats ainsi que les coordonnées téléphoniques de la permanence organisée par le barreau.

En revanche, l' assistance de l'avocat pendant l'interrogatoire n'est pas prévue par la loi. Toutefois, comme l'a confirmé M. Jörg Dessin à votre délégation, les policiers jugent généralement cette présence utile et l'admettent pour des raisons tactiques plutôt que juridiques. En effet, d'une part, en l'absence de l'avocat, le prévenu exerce le plus souvent son droit au silence.

D'autre part, lorsque les preuves sont incontestables, la défense peut convaincre le prévenu de l'intérêt de reconnaître les faits pour bénéficier d'une peine diminuée.

Toutefois, l'exercice du droit au silence est très fréquent. Il est en effet recommandé par l'avocat qui préfère attendre d'avoir accès aux pièces du dossier, ce qui n'est pas possible dans les locaux des services de police. Cette attitude est érigée en consigne générale auprès des délinquants d'habitude.

L'accès de l'avocat aux pièces de la procédure comportant les éléments d'accusation est subordonné à l'autorisation du parquet 63 ( * ) . Néanmoins, celui-ci peut lui refuser un tel accès s'il figure au dossier des éléments de nature à compromettre l'enquête -il en est ainsi de la divulgation du nom des coauteurs dont l'interpellation est imminente.

Afin de mesurer l'existence éventuelle d'éléments de nature à compromettre l'enquête, le parquet doit prendre connaissance de la procédure et solliciter des services de police la transmission de tout ou partie des pièces qui sont en sa possession.

Une fois ces éléments mis à sa disposition, le ministère public pourra autoriser, le cas échéant, l'avocat à y accéder.

La retenue ne paraît pas représenter un temps fort de l'enquête, cette « première heure de vérité » que constitue parfois pour les enquêteurs français la garde à vue 64 ( * ) . Elle est avant tout l'ultime étape avant l'incarcération d'une personne sur laquelle pèsent déjà des indices graves et concordants. En outre, l'usage très large du droit au silence n'autorise guère la police à avancer son enquête. Cette situation est au demeurant sans réelle incidence en raison du recours moins fréquent en Allemagne qu'en France aux modes de comparution rapide 65 ( * ) : le temps de la retenue -contrairement à celui de la garde à vue française dans la perspective de la comparution immédiate- n'a pas pour vocation d'assurer la mise en état de la procédure. L'enquête pourra se poursuivre pendant la détention provisoire qui constitue le prolongement logique de la retenue 66 ( * ) .

B. UNE ENQUÊTE CONDUITE SOUS L'AUTORITÉ DU MINISTÈRE PUBLIC

1. Le parquet, « maître de l'enquête »

L'enquête a pour objet de préparer le réquisitoire aux fins de mise en accusation. Depuis la suppression du juge d'instruction en 1974, le ministère public est, en principe, seul maître de l'enquête. En vertu de l'article 160 du code de procédure pénale, dès qu'il est informé de l'existence éventuelle d'une infraction, il doit ouvrir une enquête sur les faits, afin d'apprécier s'il y a lieu ou non de prendre des réquisitions aux fins de mise en accusation et de renvoi devant la juridiction de jugement.

Dans cette perspective, le parquet est tenu de rechercher, non seulement les éléments à charge, mais aussi les éléments à décharge. Comme l'a observé M. Roman Reusch, substitut général près le parquet général de Berlin, devant votre délégation, l'exercice de cette mission ne soulève pas en principe de difficulté pour la très grande majorité des affaires. Il a relevé que même si de premiers soupçons pouvaient conduire le parquet à instruire le dossier plutôt à charge qu'à décharge, ce déséquilibre était corrigé à l'audience.

Les représentants du barreau de Berlin se sont montrés plus critiques. A leurs yeux, le procureur tend à valoriser les arguments à charge et n'identifie que « par hasard » des éléments à décharge.

Les interlocuteurs de votre délégation ont précisé que l'enquête était en principe suivie par le même représentant du parquet même si, en vertu de l'organisation hiérarchique du ministère public, il pouvait être dessaisi par le procureur général.

Compte tenu du rôle qui lui est confié dans l'enquête, le parquet dispose-t-il des garanties nécessaires d'indépendance ?

Contrairement aux magistrats du siège indépendants, les membres du parquet sont des agents de l'Etat qui relèvent du pouvoir exécutif. Le parquet général fédéral de Karlsruhe, compétent en particulier pour les infractions terroristes, relève directement du ministère fédéral de la justice. Les autres parquets sont, quant à eux, placés sous l'autorité du ministre de la justice du land concerné qui est informé de l'état d'avancement des dossiers les plus importants et qui assume la responsabilité politique de la conduite de l'action publique dans son ressort 67 ( * ) . La qualité d'agent public peut toutefois être assortie de fortes protections statutaires : ainsi le procureur général de Berlin, M. Ralf Rother, a indiqué à votre délégation qu'il ne pouvait pas être destitué.

A ces garanties s'ajoute une vraie culture d'indépendance . En premier lieu, comme tous les interlocuteurs de votre délégation l'ont relevé, juges et parquetiers ont le sentiment, du fait d'une formation initiale commune, d'appartenir à la même famille judiciaire et de partager un socle commun de valeurs et d'objectifs. Ensuite, par réaction à la confusion des pouvoirs et à la justice inféodée qui ont marqué plusieurs épisodes de l'histoire allemande au XX ème siècle 68 ( * ) , le parquet se montre particulièrement attentif à assurer une action publique indépendante.

Le statut du parquet demeure toutefois un objet de débat en Allemagne. Plusieurs voix, parmi lesquelles celle du syndicat des magistrats allemands, considèrent que cette culture d'indépendance n'est pas un rempart suffisant contre les immixtions de l'autorité publique. Le déroulement de l'enquête bénéficie toutefois de deux autres garanties importantes: le principe de légalité des poursuites et le contrôle effectué par le juge de l'enquête.

2. Le principe de la légalité des poursuites

L'action publique est soumise au principe de la légalité des poursuites qui fait obligation au parquet de poursuivre dès lors que l'existence éventuelle d'une infraction a été portée à sa connaissance par la victime elle-même ou par tout autre moyen (article 160 du code de procédure pénale).

Ce principe connaît cependant un double tempérament :

- d'abord, le procureur peut classer en pure opportunité les faits de gravité mineure désignés par une expression empruntée au XVIII ème siècle français : « Bagatellsachen » (article 153 du code de procédure pénale) ;

- ensuite, il peut proposer des alternatives aux poursuites comme le paiement d'une sanction pécuniaire en contrepartie d'un classement sans suite.

Ces exceptions, nécessaires aux yeux des interlocuteurs de votre délégation, répondent aux objectifs d'une bonne administration de la justice. Elles n'ont pas pour effet de remettre en cause la protection légale dont dispose le parquet pour mener ses investigations et le prémunir des pressions dont il pourrait faire l'objet (le refus de conduire une enquête tombant d'ailleurs sous le coup de la loi pénale).

Le parquet a par ailleurs la faculté de procéder au classement sans suite de faits analogues à ceux dont il est déjà saisi au motif que la mise en oeuvre de l'action publique n'aurait aucun effet sur la peine susceptible d'être prononcée. Sans doute les victimes peuvent elles être différentes mais elles pourront toujours obtenir réparation devant la juridiction civile -la règle selon laquelle le pénal tient le civil en l'état n'existant pas en droit allemand. Le parquet considère en effet que sa mission tient moins dans la protection des intérêts des victimes que dans la démonstration de la culpabilité de la personne poursuivie.

3. Le contrôle exercé par le juge des enquêtes

Enquêtant à charge et à décharge, le procureur de la République doit solliciter du juge des enquêtes l'autorisation de faire procéder à des actes d'enquête coercitifs. Le juge des enquêtes se prononce seul, sauf pour les mesures de sonorisation qui relèvent de la compétence d'une juridiction collégiale.

Le juge des enquêtes joue un rôle proche de celui reconnu par le code de procédure pénale français au juge des libertés et de la détention.

L'intensité du contrôle exercé par le juge varie selon la mesure sollicitée. Lorsqu'il est saisi d'une demande portant sur un acte d'investigation, il assure un contrôle de légalité . Il ne pourrait pas ainsi refuser une perquisition, en pure opportunité, au motif qu'elle lui paraîtrait prématurée compte tenu de l'état d'avancement du dossier. Ce contrôle de légalité inclut néanmoins une évaluation de la proportionnalité : l'insuffisance des éléments de preuve serait susceptible de justifier un refus de perquisition qui n'apparaitrait pas indispensable à l'enquête. Le parquet doit ainsi motiver sérieusement ses réquisitions et ne saurait seulement viser « tous éléments utiles à la manifestation de la vérité ».

En revanche, le juge des enquêtes est doté d'un véritable pouvoir d'appréciation en matière de détention provisoire . Comme le juge des libertés et de la détention français, il peut surseoir à statuer et ordonner un contrôle judiciaire s'il estime cette dernière mesure suffisante pour prévenir les risques invoqués par le parquet.

Afin de tenir compte de l'impossibilité ou des difficultés de joindre un juge des enquêtes dans des situations exigeant la conduite d'investigations urgentes, le code de procédure pénale permet au parquet et à la police de procéder à certains actes sans autorisation expresse du juge, sous réserve d'une régularisation a posteriori .

Le recours très fréquent du ministère public et des services de police à ces mesures a conduit la cour constitutionnelle de Karlsruhe à rappeler que l'absence d'autorisation préalable du juge des enquêtes devait être réservée aux seules situations où il est absolument impossible de joindre ce magistrat.

L'arrêt de la cour constitutionnelle a contraint les länder à instaurer un système de permanence des parquetiers et des juges des enquêtes afin qu'ils soient joignables de jour comme de nuit.

Inversement, le code de procédure pénale reconnaît au juge des enquêtes la faculté d'agir de sa propre initiative lorsque le parquet n'a pas pu être joint à temps ou lorsque le mis en cause en fait lui-même la demande (article 165 et 166 du code de procédure pénale). Ces situations demeurent exceptionnelles car le juge des enquêtes n'est pas un enquêteur. Il ne peut, en particulier, enjoindre au parquet de procéder à des actes d'enquête complémentaires à la demande des parties.

Dispose-t-il réellement des moyens de contrôler les investigations conduites par le ministère public ? Pour le procureur général de Berlin, M. Ralf Rother, ce contrôle n'est pas une chimère mais bien une réalité. Le juge des enquêtes rencontré par votre délégation a toutefois observé qu'à Berlin, cinq juges des enquêtes suivent en moyenne 5.000 enquêtes chaque année . Il a relevé que le procureur de la République se trouvait toujours en avance dans la connaissance des dossiers, a fortiori lorsque ceux-ci, en raison de leur complexité, comportaient plusieurs tomes. En outre, les juges des enquêtes sont de plus en plus saisis par requête verbale du parquet sans disposer de la procédure écrite pour prendre leur décision. Les représentants de la défense rencontrés par votre délégation ont, pour leur part, estimé que le juge des enquêtes ne disposait pas du temps suffisant pour examiner les dossiers et avalisait, pour l'essentiel, les demandes formulées par le ministère public.

4. Une enquête largement menée en pratique par la police

La présentation du parquet comme « maître de l'enquête » doit être nuancée par deux considérations touchant au rôle crucial joué par la police à ce stade de la procédure.

En premier lieu, la place du parquet dépend avant tout du besoin de la police de le faire intervenir dans l'enquête pour obtenir les actes nécessaires aux investigations. En effet, dans près de 90 % des affaires, les plaintes et dénonciations sont adressées directement à la police. Si celle-ci doit informer le procureur « dans un temps proche », elle ne le saisira effectivement que pour obtenir du juge des libertés l'autorisation de procéder à certains actes d'investigation. Lorsque de tels actes ne sont pas nécessaires, la police diligente une enquête en toute autonomie et adresse au procureur de la République la procédure par courrier sans, parfois, qu'aucun échange préalable n'ait eu lieu au cours de l'enquête.

A Berlin, le parquet doit être informé au plus tard deux mois après que les faits ont été portés à la connaissance de la police. Cependant ce délai peut varier selon les länder.

Au surplus, lorsque le parquet est saisi, il est rare, comme l'a rappelé M. Jörg Dessin, commissaire principal à Berlin, qu'il bloque les demandes d'acte suggérées par les services de police mais nécessitant une autorisation du juge des enquêtes. Tout au plus le ministère public recommande-t-il d'autres types de mesures plus adaptées à ses yeux 69 ( * ) .

Les représentants du barreau de Berlin ont relevé que la police avait pris, au cours de la période récente, une place croissante dans l'enquête au risque que le parquet ignore très souvent la direction prise par les investigations.

Le délai d'intervention du ministère public dépend beaucoup de la nature des affaires concernées. Selon M. Christoph Franck, président de l'association allemande des juges, le procureur n'est présent au premier moment de la procédure que dans 20 % des affaires.

Il s'agit généralement des dossiers les plus complexes -criminalité organisée, délinquance financière- pour lesquels s'élabore une stratégie d'enquête associant parquet et police.

En second lieu, le parquet ne dispose d'aucune autorité sur les services de police. Il n'habilite pas et n'évalue pas les fonctionnaires de police. Le procureur de Berlin, M. Ralf Rother, a observé que, s'il faisait part au chef de la police berlinoise des comportements critiquables des agents placés sous son autorité, il était rarement informé des suites données à ces signalements. Le ministère public n'a pas davantage d'influence sur les moyens dont dispose la police. Ainsi, comme l'a souligné devant votre délégation M. Christoph Franck, président du syndicat des magistrats, les choix effectués par la police de concentrer ses effectifs et ses ressources sur tel ou tel type de criminalité constitue un paramètre essentiel de l'action publique.

Toutefois, dans la pratique, la coopération entre la police et le ministère public ne semble pas rencontrer de difficulté et répond à l'esprit d'un travail d'équipe.

C. LA DÉFENSE : UNE PRÉSENCE CROISSANTE AU FIL DE LA PROCÉDURE

Le rôle de la défense 70 ( * ) se décline de manière différente selon les étapes de la procédure pénale.

L'avocat a le droit de formuler des demandes d'actes à compter du premier interrogatoire au cours duquel la personne est informée des charges pesant contre elle. Cet interrogatoire peut être indifféremment conduit par la police lorsqu'il suit une interpellation ou, dans les procédures plus complexes, par le parquet.

Le ministère public n'est pas tenu de répondre aux demandes d'actes par une décision formelle. Leur prise en considération est laissée à son appréciation en fonction de ce qu'il croit utile à l'enquête et, pour les faits les plus graves, en fonction du risque de déstabilisation de l'enquête lors de l'audience s'il n'y faisait pas droit.

Au stade de l' enquête préliminaire , l'avocat fera un usage limité de cette faculté. L'objectif poursuivi par la défense, comme l'ont rappelé les représentants du barreau de Berlin à vos rapporteurs, est d'éviter un renvoi du prévenu devant la juridiction de jugement. Cette préoccupation peut, selon les cas, commander deux tactiques de défense distinctes :

- soit, principalement pour les infractions de faible gravité, une coopération avec les services d'enquête permettant, sur la base d'une reconnaissance du fait par l'intéressé, de clore l'affaire par une alternative aux poursuites, le cas échéant, sanctionnée d'une amende ;

- soit, pour les infractions plus graves, au contraire, une position de retrait afin de ne pas favoriser l'avancée de l'enquête. Ce choix conduit en particulier l'avocat à recommander à son client de se prévaloir de son droit au silence et ne faire aucune déclaration lors des interrogatoires.

Le rôle de la défense s'accroît au stade de la mise en état -c'est à dire au moment où, après avoir notifié les réquisitions de mise en accusation au prévenu, le tribunal lui demande s'il souhaite former des demandes complémentaires visant à recueillir les preuves avant qu'il ne soit statué sur le renvoi devant le tribunal. Le tribunal l'invite également à formuler des observations sur un éventuel renvoi (article 201 du code de procédure pénale).

Le juge des enquêtes ne peut siéger lui-même dans cette formation du tribunal : la distinction entre l'enquête et cette deuxième phase au caractère juridictionnel est ainsi nettement soulignée.

La phase du jugement , lorsque le renvoi a été décidé, constitue le moment privilégié par la défense pour mettre en oeuvre ses prérogatives.

D. L'AUDIENCE : UNE DERNIÈRE ÉTAPE PARFOIS TRÈS LONGUE, RÉSERVÉE TOUTEFOIS A UNE MINORITÉ D'AFFAIRES

Une fois la juridiction de jugement saisie, le juge prend sa décision sur la seule foi des éléments discutés devant lui, conformément aux principes d'oralité et d'immédiateté des débats. A ce stade, les résultats acquis par l'enquête de police ne peuvent plus, en principe, être pris en compte.

Le juge doit procéder à l'audition de tous les témoins, des experts intervenus dans le dossier et examiner toutes demandes d'actes soulevées par la défense. Quelle que soit la gravité des faits poursuivis, le principe de l'oralité ne souffre guère d'exceptions : sauf cas de force majeure, les auditions des témoins et des experts ne peuvent être remplacées par la lecture de simples procès-verbaux ou des rapports d'expertise (article 25 et 251 du code de procédure pénale). L'audience ne constitue donc pas une synthèse des investigations menées au cours de l'enquête mais une nouvelle et minutieuse instruction de l'affaire.

Cette procédure conduit à des audiences s'étirant sur plusieurs mois, voire sur plusieurs années. Ainsi, si, en France, un dossier relativement simple de viol peut être jugé en un jour et demi par la cour d'assises, la même affaire en Allemagne pourrait se prolonger pendant plusieurs mois.

Comme l'ont indiqué les magistrats rencontrés par votre délégation, un tel système, très coûteux en moyens humains, ne répond pas aux objectifs d'une justice diligente. Il connaît toutefois deux correctifs.

En premier lieu, selon le président de l'association allemande des juges, 15 % seulement des affaires font l'objet d'un renvoi devant la juridiction de jugement . En effet, 50 % des affaires sont classées sans suite et, sur la moitié restante, 70 % en moyenne donne lieu à une ordonnance pénale, sans audience de jugement, ce qui est possible dès lors qu'il est vraisemblable que la peine prononcée ne sera pas supérieure à un an d'emprisonnement avec sursis.

En second lieu, afin d'éviter un enlisement des procédures, inévitable si toutes les parties utilisaient leurs prérogatives, les juridictions ont favorisé de manière pragmatique une forme d' « arrangement » aux termes duquel, en contrepartie du renoncement de la défense à soulever des demandes d'actes et de la reconnaissance des faits par l'intéressé, le tribunal prononce une peine mesurée. Ces pratiques ont depuis lors été consacrées par le législateur.

Malgré ces aménagements, les moyens de l'organisation judiciaire allemande ne sont peut-être pas à la mesure, selon le président de l'association allemande des juges, M. Christoph Franck, du système procédural retenu par ce pays. Ainsi, selon ce dernier, il manquerait quelque 500 juges . Tout ordre juridictionnel confondu, il existe actuellement environ 25.000 juges et procureurs de la République (ce nombre variant beaucoup d'un land à l'autre selon les choix faits par chaque Etat), parmi lesquels 15.000 juges au service des juridictions judiciaires compétentes en matière civile et pénale.

II. L'ITALIE : UNE PROCÉDURE RESPECTUEUSE DES DROITS DE LA DÉFENSE, UNE EFFICACITÉ PARFOIS CONTESTÉE

L'Italie a supprimé l'institution du juge d'instruction à la suite de l'entrée en vigueur du nouveau code de procédure pénale en 1989.

Cette réforme procède d'une longue gestation dont les prémices se trouvent dans la Constitution italienne du 1 er janvier 1948. En réaction à la législation fasciste, le constituant a, en effet, proclamé le caractère inviolable du droit de la défense à chaque étape de la procédure.

Dès cette époque, la procédure accusatoire apparaît comme le système le plus apte à garantir un « juste procès ». Pourtant, au cours des trois décennies suivantes, les tentatives de passer du régime inquisitoire au régime accusatoire n'ont pu aboutir.

En 1962, un groupe de travail composé de magistrats, d'avocats et de professeurs fut chargé par le ministre de la justice de rédiger un nouveau code de procédure pénale. L'enquête préliminaire, placée sous le contrôle du ministère public, ne devait fournir que les éléments d'identification probable des auteurs d'une infraction (le défenseur pouvant seulement, à ce stade, suggérer de nouvelles voies d'investigation au parquet). Ce projet se heurta, toutefois, à de fortes oppositions politiques.

Sans rompre avec la logique d'une instruction préparatoire, un nouveau projet de code de procédure pénale fut présenté en avril 1965. Inspiré de la procédure accusatoire, il privilégiait l'audience, les investigations préliminaires étant transformées en simples notes non utilisables comme preuves lors des débats.

Enfin, dans les années 1970, une première loi de délégation 71 ( * ) ouvrit la voie à la mise en place d'un système accusatoire fondé sur l'égalité des armes entre la défense et l'accusation à chaque stade de la procédure. Néanmoins, les tensions suscitées par les actions terroristes ne permirent pas de concrétiser ces orientations.

Dans un contexte plus serein, muri par ces années de débat et de réflexion, le nouveau code de procédure pénale, issu de la loi de délégation de 1988, reprend, pour une large part, les principes de l'accusatoire.

La procédure pénale italienne se caractérise par quatre traits essentiels.

En premier lieu, la Constitution a institué un pouvoir judiciaire : aux termes de l'article 101, « la justice est rendue au nom du peuple. Les juges ne sont soumis qu'à la loi ».

Tous les magistrats , qu'ils appartiennent au siège ou au parquet, bénéficient des mêmes garanties d' indépendance . Ils sont nommés par décret du ministre de la justice après délibération du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) à l'exception notable des magistrats appelés à exercer des fonctions de chefs de juridiction qui sont nommés par décret du Président de la République après avis du CSM.

Le Conseil supérieur de la magistrature

Le Conseil supérieur de la magistrature est le garant de l'indépendance de la magistrature. Présidé par le Président de la République, il réunit le premier président de la Cour de cassation, le procureur général près cette cour ainsi que 24 autres membres dont un tiers est élu par le Parlement et les deux autres tiers par les magistrats.

L'Italie a engagé une réforme de la magistrature dont les principes ont été posés par la loi Mastella du 31 juillet 2007.

Le recrutement reste fondé sur le concours (la seule exception est celle prévue par la Constitution permettant la nomination pour « mérites éminents » au poste de conseiller de cassation de professeurs d'université titulaires de chaire de droit et d'avocats justifiant d'au moins quinze ans d'activité et inscrits aux listes spéciales pour les juridictions supérieures -article 106 de la Constitution).

La formation : organisée par le CSM, elle devrait l'être désormais par une école supérieure de la magistrature dotée de trois implantations régionales qui restent à créer. A l'issue de sa formation, le magistrat ne pourra pas, durant quatre années, exercer de fonctions de justice pénale hors collégialité .

La carrière : les magistrats devront être soumis à une évaluation professionnelle sous le contrôle du CSM. A cette occasion, des éléments d'appréciation extérieurs tels que l'avis du barreau pourront être recueillis.

En cas de deux évaluations négatives, un licenciement professionnel peut être envisagé.

La durée maximale d'exercice des mêmes fonctions au sein d'une juridiction est fixée à dix ans (et à quatre ans renouvelable une fois pour les chefs de juridiction et leur adjoint).

Si la réforme n'a pas retenu le principe d'une séparation des carrières entre le siège et le parquet, le législateur a fixé dès 2007 des limitations relatives au passage des fonctions du siège au parquet et réciproquement, en particulier au sein du ressort territorial d'une même cour d'appel.

Un projet de loi constitutionnelle déposé au Sénat pose le principe d'une distinction plus nette des carrières avec la création de deux concours différents et de deux CSM.

Comme l'ont souligné devant vos rapporteurs deux hauts fonctionnaires du ministère de la justice, M. Pierre Martello, directeur adjoint du département pour les affaires de justice et M. Gabriele Iuzzolino, directeur adjoint du département législatif, les responsabilités du ministre de la justice ne portent que sur l'organisation de la justice et sur les moyens qui lui sont attribués. Le ministre ne dirige aucune politique pénale, théoriquement inexistante puisque l'action publique est automatiquement mise en oeuvre dès le commencement d'une infraction.

Le second principe fondateur de la procédure pénale italienne repose sur la responsabilité exclusive du parquet dans la direction de l'enquête . A cette fin, l'autorité judiciaire « dispose directement de la police judiciaire » (art. 109 de la Constitution). En vertu du principe de légalité des poursuites , l'action publique est obligatoirement mise en mouvement dès qu'une infraction est connue.

En troisième lieu, la priorité reconnue à la protection des libertés individuelles se manifeste à toutes les étapes de la procédure : absence d'un système comparable à la garde à vue, systématisation du principe du contradictoire, enregistrement de tous les interrogatoires, recours limité à l'exécution provisoire des décisions de condamnation.

Enfin, l'organisation de l' audience répond à une logique essentiellement accusatoire . Le juge l'aborde sans connaissance préalable du dossier. La preuve est orale et se forme contradictoirement pendant le procès.

L'organisation judiciaire italienne

Le juge de paix : introduite dans le système juridictionnel en 1991, la justice de paix est assurée par un magistrat « honoraire » -non professionnel-, en général un ancien avocat. Sa compétence a été étendue en 2000 à la matière pénale.

Le tribunal ordinaire : en matière pénale, il connaît des infractions qui ne sont formellement dévolues à aucune autre juridiction. Il est composé de juges professionnels soit en formation unique, soit en formation collégiale (complétés, le cas échéant, par des juges honoraires). Il est juge de première instance ou d'appel pour les décisions du juge de paix.

La cour d'assises : composée de deux magistrats professionnels et de six « juges populaires » désignés par tirage au sort sur les listes établies par les mairies, elle connaît des infractions les plus graves. Magistrats et jurés constituent un collège unique. Les décisions des cours d'assises sont susceptibles d'appel devant la cour d'assises d'appel composé également de deux magistrats professionnels et de six « juges populaires ».

La cour d'appel : siégeant dans le chef lieu des districts judiciaires, elle statue toujours dans une formation collégiale (trois membres).

Enfin, la Cour de cassation exerce des fonctions analogues à la cour de cassation française. A la demande du président de la Cour de cassation, confrontée à 50 000 recours par an, un filtre à l'admission des recours a été introduit par la loi du 26 mai 2009 (un collège de cinq juges évaluera l'admissibilité du recours).

A. LA PRIVATION DE LIBERTÉ AU STADE DE L'ENQUÊTE

L'Italie ne connaît pas de dispositif comparable à la garde à vue. Le code de procédure pénale distingue trois hypothèses d'arrestation :

- l'« arresto », mesure privative de liberté par laquelle la police judiciaire, de sa propre initiative, arrête une personne venant de commettre un flagrant-délit et la retient dans ses locaux ;

- le « fermo », mesure privative de liberté qui n'est pas conditionnée par la flagrance et peut être décidée par la police judiciaire ou par le parquet en cas de risque de fuite ;

- l'arrestation à l'issue d'une enquête préliminaire à l'initiative du parquet, sur décision du juge de l'enquête préliminaire (GIP) 72 ( * ) .

La personne ne peut pas être interrogée par les services de police . Aussi, l'arrestation a-t-elle généralement pour seule conséquence l'incarcération de la personne dans l'attente de son audition par un magistrat.

L'« arresto » et le « fermo » qui, contrairement à l'arrestation intervenant sur ordre du GIP, peuvent être décidés à la seule initiative de la police, sont soumis à plusieurs garanties :

- l'officier de police judiciaire doit informer immédiatement le procureur de la République (article 386 du code de procédure pénale) ainsi que l'avocat choisi par la personne ou, à défaut, un avocat commis d'office sans délai par le procureur de la République. De même, les proches doivent être informés si la personne y consent ;

- la personne doit être présentée dans un délai de 48 heures au juge de l'enquête préliminaire pour une audience de validation de la mesure ;

- dans l'intervalle, seul le procureur de la République peut entendre la personne.

Au cours de l'audience de validation, le GIP se prononce non seulement sur la validité de l'arrestation mais aussi, si le procureur de la République le demande, sur la restriction de liberté de la personne .

Le GIP est tenu, lors de l'audience de validation, à une triple obligation :

- nommer un défenseur de substitution si le suspect n'a pas d'avocat ;

- interroger le suspect si celui-ci a décidé de se présenter à l'audience ;

- entendre l'avocat avant de prendre sa décision.

Si les ordonnances du GIP ne sont pas rendues dans les 48 heures suivant la mise à disposition du suspect au juge, la personne arrêtée est remise en liberté.

Des exceptions au principe selon lequel une personne arrêtée ne peut pas être entendue par la police judiciaire sont prévues lorsque l'arrestation décidée par le GIP fait suite à une enquête préliminaire.

L'audition est alors possible dans trois cas de figure :

- la police peut recueillir des « informations sommaires » à la condition que la personne soit assistée d'un avocat de son choix ou commis d'office ;

- des informations peuvent également être recueillies, même hors la présence du défenseur, sur le lieu de commission d'un fait et immédiatement après sa commission.

Ces informations, si elles ne peuvent faire l'objet d'aucun procès-verbal, permettront à la police de poursuivre l'enquête (recherche d'un objet, audition d'un témoin indiqué par la personne...) ;

- enfin, des « déclarations spontanées » peuvent être recueillies dont l'utilisation à l'audience ne sera possible que pour contester la déposition qui y serait faite (article 503 du code de procédure pénale).

« Informations sommaires » et « déclarations spontanées » peuvent être utilisées, dans le cas où une procédure alternative à l'audience de jugement (voir infra ) serait choisie, ce qui implique toujours l'accord de l'intéressé.

B. UNE STRICTE SÉPARATION DE L'ENQUÊTE ET DU PROCÈS

Conformément au système accusatoire, l'enquête est strictement séparée du procès.

1. Une enquête conduite par le parquet

L'organisation du parquet

M. Pietro Saviotti, procureur adjoint de la section antiterroriste de Rome, a présenté à votre délégation l'organisation du ministère public à Rome. Le parquet est divisé en plusieurs groupes spécialisés (terrorisme et atteinte à la personnalité de l'Etat, mafia, économie, délinquance financière, administration publique, écologie et sécurité au travail, violence sexuelle, immigration illégale). Chaque substitut du procureur est affecté à un ou deux groupes. Un bureau centralisé répartit les affaires entre les groupes et les assigne à un substitut selon un système de distribution automatique .

Par ailleurs, chaque substitut est lié, selon le principe d'un tirage au sort , à un juge de l'enquête préliminaire et à un juge de l'audience préliminaire.

Le parquet de Rome compte un procureur-chef, 7 procureurs adjoints et 100 substituts du procureur.

M. Otello Lupacchini, substitut au parquet général de Rome, a indiqué à vos rapporteurs qu'un procureur ne peut pas, conformément au principe posé par l'article 107 de la Constitution selon lequel « les magistrats ne se distinguent entre eux que par la diversité de leurs fonctions », donner d'instruction préalable aux substituts.

Cependant, depuis la réforme de l'organisation judiciaire de 2006, il peut, sous certaines conditions restrictives, leur retirer un dossier. Si un substitut ne peut recevoir d'injonction, il peut ainsi être déchargé de son dossier. En pratique, à Rome, comme l'a indiqué M. Pietro Saviotti, chaque procureur-adjoint est responsable de l'enquête de ses substituts qui ont l'obligation de le consulter avant toute décision importante (demande d'interception téléphonique ou de renvoi devant la juridiction de jugement).

Par ailleurs, chaque parquet est indépendant et il n'existe de coordination que pour les formes de criminalité organisée relevant de la compétence de la direction nationale anti-mafia 73 ( * ) .

Le procureur général près la Cour de cassation doit cependant vérifier « que les poursuites pénales sont déclenchées de façon correcte et uniforme, que les règles sur le juste procès sont respectées et que les procureurs de la République exercent de façon ponctuelle et correcte leurs pouvoirs de contrôle, de direction, d'organisation du bureau qu'ils dirigent ».

A cette fin, les procureurs généraux près les cours d'appel lui adressent au moins une fois par an un rapport, après avoir collecté les éléments d'information pertinents auprès du parquet et des tribunaux de leurs districts.

Le parquet et le juge de l'enquête préliminaire

Tous les actes du parquet ayant une incidence sur la liberté du prévenu -mise sur écoutes ou arrestation à titre préventif- doivent être autorisés par le juge de l'enquête préliminaire (GIP). De même, le GIP se prononce sur la demande de classement ou de renvoi devant la juridiction de jugement. Les décisions du juge doivent être motivées et peuvent faire l'objet d'un recours devant une juridiction collégiale.

Selon M. Giorgio Latanzi, ancien directeur des affaires criminelles et des grâces, président de la 6 ème section de la cour de cassation et co-rédacteur du nouveau code de procédure pénale, beaucoup de GIP sont d'anciens juges d'instruction dont la culture d'enquêteur les conduit, le plus souvent, à approuver les initiatives du ministère public.

Toutefois, le projet de loi sur les interceptions de communications en cours d'examen par le parlement italien renforce les modalités de contrôle sur le recours du ministère public à ce moyen d'investigation. Ainsi, les interceptions devraient être autorisées par une collégialité de trois magistrats et non par un juge de l'enquête préliminaire comme tel est actuellement le cas. En outre, alors que les interceptions téléphoniques ne sont pas limitées dans le temps, la réforme prévoit de leur assigner un délai maximal de 75 jours, sauf pour des infractions graves. Passé ce délai, le procureur pourrait demander une prorogation de trois jours renouvelable plusieurs fois s'il apparaît que seul ce procédé permet d'obtenir de nouvelles preuves.

Les relations du parquet avec la police judiciaire

Aux termes de l'article 109 de la Constitution, « l'autorité judiciaire dispose directement de la police judiciaire ».

Le projet de loi sur la réforme de la procédure pénale 74 ( * ) déposé au Parlement, tend cependant à renforcer les prérogatives de la police judiciaire au stade de l'enquête. A cette fin, il rappelle d'abord que l'autorité des magistrats sur la police judiciaire, prévue par l'article 109 de la Constitution, ne s'applique pas à tous les officiers de police : elle ne vaut que pour les sections de police judiciaire établies près le procureur de la République et non pour les services et autres organes de police judiciaire.

En deuxième lieu, il étend les pouvoirs de la police judiciaire, que celle-ci les mette en oeuvre de sa propre initiative (à titre d'exemple, elle aura la faculté de procéder à la saisie du corps du délit en cas d'urgence afin d'éviter l'altération des preuves) ou sur délégation du ministère public 75 ( * ) . La police judiciaire pourrait être ainsi autorisée à procéder directement à l'interrogatoire de la personne soumise à une mesure de restriction de sa liberté personnelle.

Enfin, en cas de citation directe, la police pourrait effectuer de sa propre initiative tous les actes d'enquête pour la reconstitution des faits et pour l'identification du responsable et en référer au parquet dans un délai de six mois.

2. Le strict principe de l'oralité des débats en phase de jugement

La preuve pénale se forme, conformément au système accusatoire, lors de l'audience publique de jugement. En effet, en principe, le juge ne prend pas préalablement connaissance du dossier. Les preuves acquises au moment de l'enquête ne prennent force juridique qu'à l'audience au cours de laquelle toute l'enquête est refaite -les éléments recueillis dans la phase antérieure n'ayant qu'un caractère informatif.

Cette règle souffre néanmoins de certaines exceptions. La première concerne l' incident probatoire , à savoir l'intégration dans le dossier de preuves préconstituées qu'il a été nécessaire de recueillir au moment de l'enquête afin d'éviter leur disparition (dégradation d'un objet, recueil d'un témoignage -par exemple relatif à des menaces sur personne- qu'il pourrait être impossible de renouveler lors de l'audience...). Avant le procès, la preuve doit toujours être recueillie par un juge et de façon contradictoire.

En second lieu, en matière de criminalité organisée, les règles d'acquisition des preuves sont beaucoup plus proches de celles du système inquisitoire (la protection des témoins est souvent incompatible dans ces affaires avec le principe d'oralité des débats).

Ces exceptions ne mettent néanmoins pas en cause le choix général du système accusatoire que le législateur italien entend même conforter. En effet, le projet précité de réforme de la procédure pénale cherche à mieux affirmer le principe du juste procès. Si, aujourd'hui, le juge peut écarter de la liste des preuves présentées par les parties, les preuves interdites par la loi, celles qui apparaissent non pertinentes ou inutiles, il ne pourrait plus désormais faire une évaluation préventive des preuves. Cette appréciation devrait en effet intervenir de manière concrète au fur et à mesure du déroulement des débats.

C. DES OBJECTIFS PARTIELLEMENT ATTEINTS

Les interlocuteurs de votre délégation ont estimé que, sur le plan des principes, la procédure pénale italienne réformée garantissait davantage que par le passé les droits de la défense.

Le système accusatoire assure en particulier une plus grande neutralité du juge à l'audience puisque, ignorant les actes de l'enquête, il reste un tiers au procès et peut forger son jugement sur la seule base des débats.

Les représentants du ministère de la justice ont observé que cette procédure présentait une grande complexité et qu'elle avait peut-être été mieux assimilée par les magistrats que par les avocats.

Toutefois, dans l'esprit des auteurs de la réforme de 1989, l'audience de jugement, sauf à rendre complètement inutile la phase de l'enquête, ne devait être réservée qu'aux affaires les plus délicates. La mise en place de procédures alternatives avait ainsi pour objet, au terme de l'enquête, d'éviter pour la majorité des affaires, la phase de l'audience.

A l'expérience, ces procédures ont été peu appliquées. Cet insuccès conduit à un engorgement des juridictions italiennes par un grand nombre de procès dont la durée tend à s'allonger sous l'effet des recours (48.000 par an pour les affaires pénales) largement utilisés par les avocats de la défense afin de faire jouer les prescriptions avant même que n'intervienne un jugement.

1. L'insuccès des procédures alternatives à l'audience de jugement

L'audience de jugement étant, dans un système accusatoire, particulièrement consommatrice de ressources et de temps, l'Italie a institué cinq procédures alternatives :

- la procédure de « plaider-coupable » (« pattegiamento ») analogue à la comparution sur reconnaissance de culpabilité française, fondée sur la recherche d'un accord entre le parquet et la partie poursuivie sur la culpabilité et la peine, le cas échéant avant même la fin de l'enquête. Cette procédure est réservée aux infractions passibles d'une peine d'emprisonnement inférieure à cinq ans ;

- la procédure de jugement abrégée , applicable à toutes les infractions, permet de prendre en compte le dossier constitué durant l'enquête en vue du jugement (la formation de la preuve n'est donc pas exclusivement orale) en contrepartie d'une réduction d'un tiers de la peine ;

- la procédure de comparution immédiate susceptible d'être mise en oeuvre à la suite d'une arrestation en flagrant délit ou lorsque le prévenu a reconnu sa culpabilité durant l'interrogatoire par le parquet. Applicable à l'initiative exclusive du ministère public, elle permet de faire l'économie de l'enquête préliminaire ;

- la procédure de jugement immédiat , proche de la procédure précédente, elle peut être demandée par le parquet et par le prévenu à la condition que la preuve soit évidente et que le jugement intervienne dans les 90 jours de l'inscription des personnes faisant l'objet d'une enquête au registre d'information sur les infractions ;

- enfin, la procédure sur ordonnance pénale ; engagée à la demande exclusive du ministère public, elle requiert cependant l'accord de l'intéressé. Elle est réservée aux infractions seulement passibles d'une sanction pécuniaire et doit intervenir dans les six mois suivant la notification de l'infraction. Le parquet peut demander une diminution de la peine de moitié -les parties pouvant s'opposer à cette proposition dans un délai de 15 jours et demander un jugement immédiat, un jugement abrégé ou l'application du « patteggiamento ».

Selon plusieurs des magistrats rencontrés par vos rapporteurs, l'insuccès des procédures alternatives à l'audience de jugement trouve pour partie son origine dans les stratégies dilatoires de la défense visant à obtenir la prescription avant le terme du procès.

En effet, la prescription des poursuites obéit à un régime strict : chaque infraction doit faire l'objet d'une décision de condamnation dans un délai déterminé 76 ( * ) . En outre, la prescription ne peut être interrompue que par certains actes de procédure limitativement définis par la loi.

Il est plus avantageux en conséquence d'échapper à toute condamnation grâce à la prescription que de bénéficier, par la voie d'une procédure alternative au procès, d'une réduction de peine. Un projet de réforme vise aujourd'hui à rendre le recours à ces procédures plus attractif pour le prévenu.

Les avocats rencontrés par votre délégation contestent cette analyse et imputent les délais au défaut d'organisation de la magistrature ainsi qu'aux erreurs souvent relevées dans les notifications d'actes.

2. Un mode de régulation empirique

Afin de limiter l'engorgement des tribunaux, le ministère public applique de manière souple le principe de légalité des poursuites. D'une part il ne poursuit pas certains délits d'importance minime. D'autre part, bien que la décision de classement relève du juge des enquêtes préliminaires et non du parquet, le ministère public, comme l'a indiqué M. Pietro Saviotti, procureur adjoint de la section antiterroriste de Rome, peut influencer la décision du juge par le choix des éléments recueillis au cours de l'enquête.

Comme le montrent les éléments statistiques concernant le tribunal ordinaire pour les années 2007 et 2008, les affaires classées représentent la moitié des affaires dont les juridictions de première instance ont été saisies.

Nombre des procédures pénales jugées au tribunal ordinaire
(équivalent du tribunal de grande instance)
pour les années 2007 et 2008

Tribunal et sections du tribunal

Année 2007

Année 2008

Total

1 169 185

1 205 344

Décisions de classement

598 252

579 338

Dont classement pour prescription

110 825

106 128

Les jugements suivant les procédures alternatives dont

220 950

215 451

La procédure du plaider coupable

85 266

84 806

Le jugement abrégé

46 646

51 395

La comparution immédiate

8 116

7 640

Le jugement immédiat

3 874

4 345

Le jugement immédiat à la suite d'une opposition à une ordonnance pénale

7 117

8 153

L'ordonnance pénale de condamnation définitive

69 931

59 112

Les jugements suivant la procédure ordinaire (audience de débats)

146 190

156 587

Renvoi par le GUP (juge de l'audience préliminaire) pour jugement

71 216

77 125

Non poursuite pour cause de prescription

29 521

31 179

Acquittement avant tout débat contradictoire pour cause de prescription

2 316

2 242

Retour de la procédure au procureur ou à un autre juge pour rejet de la demande

48 160

51 588

Jonction à une autre procédure

9 732

9 578

Transmission pour défaut de compétences

2 633

2 686

Décisions définies suivant d'autres modalités

40 215

79 570

Pourcentage des affaires classées sur nombre total

41,17%

48,06 %

Pourcentage de procès suivant la procédure alternative sur nombre total

18,90 %

17,87 %

Pourcentage de procès suivant la procédure ordinaire (audience de débats) sur nombre total

12,50 %

12,99 %

*

* *

Tant en Allemagne qu'en Italie, la réforme de la procédure pénale et la suppression du juge d'instruction ont été inspirées par deux objectifs principaux :

- la recherche de l'efficacité , à travers une enquête conduite sous l'autorité du ministère public, accompagnée de la mise en place de procédures de jugement rapides ;

- le renforcement du principe de la présomption d'innocence et des droits des parties .

Le second de ces objectifs semble, dans ces deux pays, largement atteint. Sans doute l'effectivité du contrôle exercé sur l'enquête par le magistrat du siège a-t-elle parfois été contestée. De même, certaines garanties, comme le principe de la légalité des poursuites, font l'objet d'une application souple. Cependant, la grande majorité des interlocuteurs de vos rapporteurs ont présenté la réforme de la procédure pénale comme une avancée de l'Etat de droit.

L'efficacité des systèmes mis en place prête davantage à la controverse. En effet, avec des nuances selon les deux pays, l'Allemagne et l'Italie ont opté pour le principe, caractéristique de la procédure accusatoire, d'une audience de jugement dans laquelle le travail mené en amont par le parquet doit pour partie être répété -ainsi, en Italie, le juge n'a pas, en principe, connaissance du dossier. Il en résulte des audiences très longues , ce qui s'accorde mal à l'objectif de célérité de la justice. Cette faiblesse devrait, il est vrai, être surmontée par le développement des alternatives aux poursuites et des procédures rapides ou simplifiées de jugement. Ces dispositifs sont opérants en Allemagne, beaucoup moins en Italie. Les dysfonctionnements observés apparaissent toutefois sans lien avec la suppression de l'institution du juge d'instruction qu'aucun des acteurs de la procédure pénale ne semble d'ailleurs réellement regretter.

Enfin, le crédit des nouveaux mécanismes procéduraux mis en place en Allemagne comme en Italie repose pour une large part sur l' indépendance de fait ou de droit du ministère public .


* 57 Le groupe de travail souhaite exprimer ses vifs remerciements à Mmes Christine Moreau et Françoise Travaillot qui, comme magistrats de liaison, respectivement à Berlin et à Rome, ont apporté un concours très précieux au déroulement de la mission dans ces deux villes.

* 58 Lois de codification de la justice impériale du 1 er février 1877, entrées en vigueur le 1 er octobre 1879.

* 59 A l'exception, d'une part, de la police fédérale formée de l'ancien corps des gardes frontières dont les activités ont été élargies à la police ferroviaire, à la sécurité aérienne et au renfort du maintien de l'ordre dans les länder et, d'autre part, des services chargés de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée.

* 60 Parmi ces unités, un service de permanence criminelle est chargé du traitement des flagrants délits afin de procéder aux premières constatations techniques et aux auditions utiles avant de transmettre le dossier aux unités spécialisées compétentes.

* 61 Ce critère ne peut cependant justifier le placement en détention provisoire de l'auteur d'une infraction passible d'une peine inférieure ou égale à six mois d'emprisonnement.

* 62 Dans le cas contraire, la personne interpellée est conduite au siège de la direction territoriale aux fins d'une vérification d'identité avec signalisation. Une fois cette vérification effectuée, la personne est remise en liberté puis convoquée ultérieurement pour audition.

* 63 Toutefois, depuis le 1 er janvier 2010, le parquet ne peut plus refuser à l'avocat d'une personne placée en détention ou en retenue l'accès aux pièces de procédure qui lui permettent de s'assurer de la légalité de la mesure (procès-verbal de notification des droits, mandat d'arrêt sur le fondement duquel la personne a été interpellée...). La loi n'a cependant pas ouvert un droit a priori à consulter le fond du dossier.

* 64 Cette différence entre les deux systèmes peut soulever quelques difficultés pratiques lorsqu'un procureur ou un juge d'instruction français souhaite faire entendre un suspect en Allemagne. La formule du type « bien vouloir placer l'intéressé en garde à vue et l'entendre sur les faits » figurant souvent dans les commissions rogatoires internationales ne correspond à aucun cadre procédural connu en droit allemand car le statut intermédiaire de personne suspectée, situé à mi-chemin entre le simple témoin et le mis en cause, n'existe pas.

* 65 La procédure pénale allemande ne connaît pas de dispositif analogue à la comparution immédiate mais une procédure « rapide » destinée à juger l'auteur des faits une semaine après la commission des faits ; elle est réservée aux affaires les plus simples : l'auteur a reconnu les faits et peut être placé en détention provisoire en l'attente de son jugement, les témoignages recueillis suffiront par ailleurs à établir les éléments de preuve.

* 66 Si, à l'issue de la retenue, la personne est remise en liberté sur décision du parquet ou du juge des enquêtes, les services de police poursuivront l'enquête avant d'adresser la procédure par courrier au parquet qui fera citer la personne devant le tribunal s'il estime l'affaire en état d'être jugée.

* 67 Le ministre de la justice peut donc adresser des instructions générales aux parquets par voie de circulaire, voire donner des instructions particulières dans certains dossiers (article 146 du code de l'organisation judiciaire) mais cette dernière faculté n'est exercée que de manière très exceptionnelle.

* 68 Sans même remonter au traumatisme laissé par la période nazie, il suffit de rappeler qu'à l'issue de la réunification, plus de la moitié des magistrats est-allemands ont été contraints de quitter leurs fonctions, compte tenu de l'ampleur des compromissions de la justice dans l'ancienne RDA.

* 69 Les rares cas de refus concernent les demandes de mandat d'arrêt dans la mesure où celui-ci débouche sur la détention provisoire dont la durée est de fait limitée sous l'effet d'un strict contrôle juridictionnel à six mois et enferme, par conséquent, l'enquête dans des délais contraints (la détention provisoire devant se conclure soit par la libération de la personne, soit par la mise en jugement de la personne, ce qui suppose la mise en état du dossier achevé). Dans les dossiers les plus complexes, il peut apparaître préférable de laisser davantage de temps aux investigations.

* 70 Près de 150.000 avocats exercent en Allemagne.

* 71 Une loi de délégation permet au législateur de fixer les principes généraux que le Gouvernement décline de manière détaillée sous la forme de décrets lois.

* 72 Giudice per le Indagini Preleminari.

* 73 L'indépendance complète des parquets peut entraîner certaines situations de blocage, illustrées en 2008 par l'opposition entre les parquets de Salerne et de Catanzaro. Le parquet de Salerne avait ouvert une enquête et procédé à une perquisition de plusieurs bureaux judiciaires et domiciles de magistrats de Catanzaro. Le lendemain, le procureur de Catanzaro estimant que la saisie des actes de la procédure avait pour effet de bloquer son enquête, ouvrit une enquête pour blocage de la procédure en cours à l'encontre de six magistrats de Salerne et procéda à la contre-saisie des actes.

* 74 Projet de loi n° 1440/2009.

* 75 La délégation du ministère public doit être faite au chef de service ou au chef de la section de police judiciaire et non à un officier de police judiciaire en particulier.

* 76 Ce délai représente généralement le quart de la peine encourue et, en cas de récidive, la moitié de cette peine. En revanche, les crimes punis de la réclusion à perpétuité sont imprescriptibles.

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