B. DYNAMISER L'USAGE DES FONDS EN MISANT SUR LES TERRITOIRES

Accroître l'efficacité de la politique de cohésion, ce n'est pas seulement rentabiliser au mieux son budget grâce à des conditions et des incitations, c'est aussi dynamiser l'usage des fonds en misant sur l'échelon territorial.

1. Favoriser une synergie avec les objectifs d'Europe 2020 tout en laissant de la souplesse aux territoires

Il est raisonnable d'espérer reconduire le budget alloué à la politique de cohésion dès lors qu'on la considère comme une politique d'investissement, comme le recommande M. Johannes Hahn, commissaire européen en charge de la politique régionale. La politique de cohésion est même reconnue comme une clef pour la réussite de la stratégie Europe 2020 dont s'est dotée l'Union en 2010. En effet, la réussite, dans toutes les régions européennes, d'une stratégie aussi ambitieuse que la stratégie Europe 2020 passe par son appropriation sur le terrain : dans son cinquième rapport sur la cohésion, la Commission elle-même déclare que « c'est un des grands enseignements de la stratégie de Lisbonne ». En filigrane, la Commission reconnaît ainsi que l'une des explications de l'échec de la stratégie de Lisbonne est sans doute d'avoir négligé les territoires.

Une opportunité s'offre donc de redonner un souffle à la politique de cohésion en faisant converger son action vers les objectifs de la stratégie Europe 2020. Ceci ne doit pas réduire la politique de cohésion à un simple outil au service de la stratégie Europe 2020 et votre commission soutient fermement à ce sujet la résolution du Parlement européen du 7 octobre 2010 qui insiste sur l'indépendance de la politique de cohésion: les objectifs de la politique de cohésion -rattrapage des régions les plus en retard et solidarité entre toutes les régions européennes- débordent ceux d'Europe 2020, mais il est en revanche impossible d'encourager l'innovation, l'emploi et le développement durable sans une action au plus près du terrain. Les régions présentent en effet des spécificités, leurs besoins diffèrent, les opportunités qui s'y présentent sont variées : c'est donc en fondant son approche sur un territoire déterminé que la stratégie Europe 2020 a le plus de chance de succès et, comme le souligne Mme Danuta Hübner, présidente de la commission Développement régional du Parlement européen, cela n'aurait pas de sens d'inventer une nouvelle machinerie pour relayer sur le terrain les objectifs d'Europe 2020 alors que les outils de la politique de cohésion sont déjà en place.

Votre commission plaide donc, comme la Commission, pour une plus grande synergie entre les programmes de cohésion et les objectifs d'Europe 2020. Dans cette perspective, il est assurément utile de concentrer l'action sur quelques objectifs, en nombre d'autant plus réduit que les fonds versés sont moins importants afin d'éviter un « saupoudrage » inefficace.

Néanmoins, votre commission invite le Gouvernement à veiller à obtenir que les objectifs susceptibles d'être retenus dans le contrat de partenariat négocié pour chaque État membre soient assez largement définis ou que leur palette soit assez étendue pour ne pas contraindre démesurément l'action régionale. Le menu dans lequel les États membres choisiront leurs priorités d'action doit donc rester suffisamment ouvert. Il est d'ailleurs préoccupant, et sans doute discutable au regard du principe de subsidiarité, que la Commission envisage de se réserver le droit de rendre obligatoires certaines priorités car, si les États recevant un financement moindre ne peuvent choisir que deux ou trois priorités et que, de surcroît, certaines sont obligatoires, il ne restera guère de marge de liberté pour adapter la stratégie Europe 2020 aux spécificités régionales.

Votre commission s'inquiète également d'un fléchage intégral des fonds vers les objectifs d'Europe 2020. Sur la période 2007-2013, un ciblage a déjà été institué, mais seulement dans les pays de l'Europe des 15: au moins 60 % des dépenses de tous les États membres assignées à l'objectif «convergence» et au moins 75 % des dépenses assignées à l'objectif «compétitivité et emploi» doivent être consacrées aux priorités de la stratégie de Lisbonne (compétitivité et emploi). Ce n'est sans doute pas assez pour assurer la contribution efficace de la politique de cohésion à la stratégie d'ensemble de l'Union. Mais, à l'inverse, exiger que 100 % des fonds de l'Europe à 27 soient orientés vers la stratégie Europe 2020 paraît excessivement rigide. Votre commission, tout en se félicitant que le ciblage s'impose désormais à l'ensemble des pays de l'Union bénéficiant de la politique de cohésion, y compris les 12 nouveaux entrés (45 ( * )) , considère qu'un juste milieu entre ces bornes devrait être proposé par les autorités françaises (par exemple 85 ou 90 %) afin d'améliorer l'efficacité de la politique de cohésion tout en permettant son ajustement aux particularités régionales.

2. Donner sa place à la dynamique territoriale de la cohésion

La consécration par le traité de Lisbonne de la dimension territoriale de la cohésion doit se traduire concrètement dans les modalités de mise en oeuvre de la politique de cohésion après 2014.

D'abord, cette dimension territoriale doit jouer en amont, dès la définition des objectifs et des indicateurs. La Commission envisage l'élaboration d'un contrat de partenariat pour le développement et l'investissement, qui, sur la base du cadre stratégique commun adopté par la Commission pour traduire la stratégie Europe 2020 en priorités d'investissement, établirait les priorités nationales, la répartition des ressources nationales et de l'Union et les objectifs à atteindre. Dès la négociation de ce contrat entre l'Union et l'Etat membre, votre commission estime qu'il serait utile d'impliquer les échelons locaux, qui sont en mesure de contribuer à affiner le diagnostic territorial sur lequel reposera le contrat. La définition des objectifs et des indicateurs gagnerait aussi à être élaborée en concertation avec les échelons locaux, dans la mesure où ils seront en première ligne pour renseigner ces indicateurs et progresser vers ces objectifs. La Maison européenne des pouvoirs locaux français suggère même la mise en place de mécanismes incitatifs favorisant l'association de tous les niveaux territoriaux à tous les niveaux de la programmation : vos rapporteurs estiment cette suggestion intéressante, même s'il leur apparaît difficile d'imaginer la forme que pourraient prendre ces mécanismes incitatifs.

Ensuite, concrétiser la dimension territoriale de la politique de cohésion appelle à promouvoir une méthode adaptée, celle du « développement local ».

A cet égard, votre commission relève avec satisfaction que, dans son cinquième rapport sur la cohésion, la Commission encourage certes la concentration thématique des ressources de la cohésion mais nuance son propos en envisageant aussi l'affectation de fonds à des stratégies expérimentales, comme le développement local, éventuellement sous la forme de subventions globales. Il est souhaitable que la Commission soutienne explicitement les initiatives de développement local, dans l'esprit des programmes Leader, qui mobilisent les crédits FEADER autour de projets de développement des territoires ruraux et ont permis la réalisation de nombreux équipements, qui ne sont pas nécessairement de grande taille mais qui irriguent le territoire de manière décisive.

Les principes fondamentaux expérimentés durant quatre générations de programme Leader ont effectivement fait leurs preuves (46 ( * )) : approche intégrée du développement d'un territoire, démarche ascendante (prenant son origine sur le terrain), expérimentation et innovation, partenariat public-privé au sein des « groupes d'action locale » (GAL), coopération entre territoires européens... L'association des forces vives autour de territoires de projets permet de créer des dynamiques susceptibles de favoriser l'utilisation optimale des aides européennes au titre de la cohésion.

Votre commission encourage donc la promotion de cette méthode transversale pour la mise en oeuvre de tous les fonds structurels, et pas seulement pour le développement rural (47 ( * )) , en parallèle des programmes opérationnels (48 ( * )) .

Enfin, dynamiser la politique de cohésion par sa dimension territoriale appelle aussi à appréhender de manière plus flexible les échelles d'intervention. En cette matière, la coopération territoriale, qui est le troisième objectif aujourd'hui assigné à la politique de cohésion, joue un rôle essentiel : elle permet en effet de répondre plus efficacement aux défis transfrontaliers communs (49 ( * )) , de réduire les obstacles à la mobilité ou aux échanges transfrontaliers, voire d'effacer les frontières. Cette diversification des échelles d'intervention de la politique régionale, par exemple autour de bassins fluviaux ou maritimes ou encore de massifs montagneux, est déjà en cours d'expérimentation : on peut citer ainsi le programme de coopération autour de la Mer Baltique ou le Groupement européen de coopération territoriale (GECT) « Ister Granum », qui est un exemple de bonne gouvernance le long des rives du Danube.

Il s'agit d'une voie prometteuse pour accroître l'efficacité de la politique de cohésion. Il est néanmoins nécessaire que, dans les cas où le niveau d'intervention communautaire ne coïncide pas avec les limites administratives, ces interventions se réfèrent aux stratégies de développement locales et régionales et associent étroitement les structures de gouvernance locale, comme le demande la Maison européenne des pouvoirs locaux français.

Aux yeux de votre commission, toutes ces pistes méritent d'être soutenues par le Gouvernement : elles contribueraient à mieux dépenser les fonds de la politique de cohésion en capitalisant sur sa dimension territoriale.


* (45) Ces derniers avaient été exemptés du fléchage des fonds sur la période 2007-2013.

* (46) Sur la période de programmation précédente, le programme se dénommait Leader +.

* (47) Où elle semble aujourd'hui mise à mal, à la suite de l'intégration du programme Leader dans le FEADER. On constate en effet un retard important dans la mise en oeuvre des crédits FEADER des axes 3 et 4 : au début de la quatrième année du programme, seulement 16 % des crédits ont été engagés et 3 % effectivement payés sur l'axe 3, alors que sur l'axe 4, ils n'ont pratiquement pas encore été engagés.

* (48) Qui sont les principaux instruments de gestion des fonds et transposent le contenu des documents stratégiques nationaux en priorités concrètes d'investissement.

* (49) Sur ce sujet, voir le rapport sur la politique transfrontalière remis en juin 2010 au Premier Ministre, par M. Etienne Blanc, député de l'Ain, et Mmes Fabienne Keller, sénatrice du Bas-Rhin, et Marie Thérèse Sanchez Schmid, députée européenne.

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