4. Des décisions nombreuses qui illustrent l'intérêt de ce nouveau mécanisme

Les premières décisions judiciaires soulignent l'intérêt de ce nouveau mécanisme : ainsi, dans l'ordonnance précitée rendue par la Cour d'appel de Reims, la société Ebay France a été reconnue, en tant que plateforme de courtage en ligne, comme « fournissant des services utilisés dans des activités de contrefaçon » et donc, susceptible d'être enjointe de fournir tous les renseignements concernant des contrefaçons de sacs Hermès vendus via son site, d'autant que l'article 6-II, alinéa 3, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique permet à l'autorité judiciaire de requérir la communication auprès des hébergeurs des données de nature à permettre l'identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l'un des contenus des services dont ils sont prestataires.

En l'occurrence, la juridiction a ordonné à la société Ebay de produire aux débats toutes les informations relatives aux comptes de la personne qui avait utilisé les services d'Ebay pour vendre les faux sacs et notamment :

- le nombre et l'identification exacts de chacun des pseudonymes utilisés par cette personne ;

- le nombre des sacs reproduisant les marques Hermès et vendus par cette personne, par marque et par pseudonyme, depuis son inscription sur le site www.eBay.fr jusqu'à la date du jugement ;

- l'historique détaillé des ventes réalisées par cette personne par pseudonyme comprenant les quantités vendues de faux sacs depuis son inscription sur le site www.eBay.fr jusqu'à la date du jugement (désignation de l'objet proposé à la vente, la date de début et de fin de l'enchère, la date de fin de l'enchère et le montant de l'enchère).

De nombreuses autres décisions ont fait application de ce nouveau droit à l'information. Comme le souligne M. Jean-Christophe Galloux, professeur à l'Université de Panthéon-Assas (Paris II) et président de l'Institut de Recherche en Propriété Intellectuelle (IRPI), « L'abondance de décisions, signe du succès immédiat de cette innovation en droit français, confirme les propos des législateurs français et européen qui y voyaient une mesure phare de la directive 2004/48. » 29 ( * )

5. Préciser que le droit à l'information peut être mis en oeuvre avant la condamnation au fond pour contrefaçon, y compris par le juge des référés

L'attention de vos rapporteurs a été appelée sur la nécessité de clarifier le fait que le droit à l'information peut être mis en oeuvre avant la condamnation au fond pour contrefaçon , c'est-à-dire lorsque la contrefaçon n'est qu'alléguée et pas encore judiciairement reconnue.

Le droit à l'information contribuerait ainsi utilement, et au plus tôt, à la recherche de la preuve de l'ampleur de la contrefaçon et à l'évaluation de sa réparation.

En effet, il s'avère que les juridictions ne s'entendent pas sur le stade de la procédure où le droit à l'information peut fonctionner.

Pour certaines décisions, ce droit peut être mis en oeuvre dès la mise en état afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution de produits dont le caractère contrefaisant n'est encore qu'allégué tandis que, pour d'autres, il ne peut être mis en oeuvre que relativement à des actes de contrefaçon qui ont été préalablement judiciairement reconnus par une décision au fond, et donc pas au stade de la mise en état 30 ( * ) .

Comme le souligne M. Jean-Christophe Galloux dans l'article précité, une telle interprétation n'est pourtant guère cohérente avec l'article 8.3 d) et e) de la directive qui évoque, au titre des empêchements à la communication, les données ou les informations « qui contraindraient (la personne visée par la mesure) à admettre sa propre participation ou celle de ses proches parents à une atteinte à un droit de propriété intellectuelle », ce qui suppose que le défendeur à la contrefaçon n'ait pas encore été reconnu comme contrefacteur, dans la mesure où il est visé au premier chef par cette disposition. Par ailleurs, la logique du droit à l'information se trouve confirmée par les travaux préparatoires de la directive : l'article 9 (qui deviendra l'article 8) de la proposition du 30 janvier 2003 31 ( * ) comportait un dernier paragraphe permettant aux autorités administratives des États membres en possession des informations visées à cet article d'en informer le titulaire du droit intellectuel afin de lui permettre « de saisir les autorités compétentes pour statuer au fond ou pour obtenir des mesures provisoires ou conservatoires » . On voit mal l'intérêt de cette mesure précisément destinée à permettre la poursuite de l'ensemble des personnes impliquées dans un trafic si elle ne peut être mise en oeuvre après que le défendeur principal a été jugé.

Les représentants du ministère de la justice ont indiqué, lors de leur audition, partager cette interprétation, afin de ne pas « séparer le procès en deux » : d'une part, la reconnaissance de la contrefaçon, d'autre part, la détermination de son ampleur aux fins de réparation du préjudice.

En conséquence, vos rapporteurs proposent de clarifier le fait que le droit à l'information peut être mis en oeuvre pour des produits prétendus contrefaisants , c'est-à-dire pour des produits qui n'ont pas été reconnus par la justice comme des contrefaçons.

Toutefois, ils insistent sur la nécessité de bien distinguer la saisie-contrefaçon du droit à l'information, qui sont deux mécanismes aux finalités différentes.

En effet, le droit à l'information vise à déterminer l'origine et les réseaux de distribution des produits argués de contrefaçon, et non à contribuer à la preuve de la contrefaçon.

Cette preuve doit être rapportée par la partie demanderesse et non par le juge . Selon une jurisprudence classique, « en application de l'article 9 du Code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention et il n'appartient pas au juge de la mise en l'état de se substituer à la demanderesse dans l'administration de la preuve des actes de contrefaçon allégués et de leur étendue. » 32 ( * )

En matière de propriété intellectuelle, cette preuve sera généralement établie par une saisie-contrefaçon .

En conséquence, la procédure du droit à l'information ne doit pas être utilisée comme un moyen d'éviter aux parties de prouver la contrefaçon alléguée car, dans le cas contraire, on basculerait dans la logique, bien connue aux Etats-Unis, de la procédure du « discovery » 33 ( * ) .

Par ailleurs, vos rapporteurs proposent de prévoir expressément la compétence du juge des référés pour mettre en oeuvre le nouveau droit à l'information.

Cette compétence fait débat parmi les juridictions.

Ainsi, en matière de droits d'auteur et à deux reprises, selon deux ordonnances de 2007 et 2008 34 ( * ) , le juge des référés du TGI de Paris a retenu sa compétence au motif que l'article 145 du code de procédure civile lui donne une compétence générale pour ordonner « des mesures d'instruction légalement admissibles » et que le droit à l'information constitue bien une mesure d'instruction.

A l'inverse, d'autres juridictions considèrent que la loi de 2007, en prévoyant que le droit à l'information ne pouvait être utilisé que par la « juridiction saisie d'une procédure civile », a entendu réserver ce droit à la juridiction saisie au fond, à l'exclusion du juge des référés.

En conséquence, vos rapporteurs estiment nécessaire de mettre un terme à cette difficulté d'interprétation de la loi et de prévoir explicitement la compétence du juge des référés, ce qui correspond à l'esprit des travaux préparatoires qui n'ont jamais évoqué l'exclusion de la compétence du juge des référés.

Recommandation n° 8 : Préciser que le droit à l'information peut être mis en oeuvre avant la condamnation au fond pour contrefaçon, y compris par le juge des référés.


* 29 « Premier bilan de l'application de la loi 2007-1544 du 27 octobre 2007 dite « de lutte contre la contrefaçon », article publié dans la Revue « Propriétés intellectuelles » en octobre 2009 (n° 33).

* 30 On notera l'existence de différences d'interprétation au sein d'une même chambre de juridiction. Ainsi, le 21 mars 2008, le TGI de Paris rend une ordonnance qui décide que le droit à l'information peut être mis en oeuvre dès la mise en état (3e ch., 2e sect., ord. JME) tandis que le 12 novembre de la même année, le TGI rend une ordonnance contraire sur ce point (3e ch., 1ère sect., ord. JME).

* 31 COM (2003) 46 final.

* 32 Voir par exemple l'ordonnance du JME du TGI de Paris, 3ème chambre, 2ème section, 29 janvier 2010 RG 09/12508).

* 33 La procédure de discovery est une phase d'investigation de la cause préalable au procès. Elle fait obligation à chaque partie de divulguer à l'autre partie tous les éléments de preuve pertinents au litige dont elle dispose (faits, actes, documents ...), y compris ceux qui lui sont défavorables.

* 34 TGI Paris, 12 décembre 2007, ord. réf. du Président J. Dreyfus et Sté 1.0.9 c/Benetton & Bencom et TGI Paris, 18 août 2008, ord. réf. J. Dreyfus et Sté 1.09. c/ Tod'S France et Tod's Spa.

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