INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Cinq ans après l'envoi d'une mission à Saint-Pierre-et-Miquelon en septembre 2005 1 ( * ) , votre commission a souhaité retourner dans cet archipel afin de dresser un bilan de sa situation.

En 2005, vos rapporteurs, et plusieurs de leurs collègues, s'étaient rendus à Saint-Pierre-et-Miquelon, peu avant l'actualisation de son statut dans le cadre de la loi organique du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer. Votre commission avait alors mesuré les conséquences de la fin de la « grande pêche » sur la situation économique de l'archipel, tout en relevant une mobilisation des élus, des acteurs socio-économiques et des services de l'Etat pour relancer l'activité. Elle avait en outre suggéré quelques adaptations de l'organisation statutaire, qui avaient abouti à un léger rééquilibrage des pouvoirs en faveur des communes.

Aussi le second déplacement de vos rapporteurs visait-il avant tout à apprécier l'adéquation de l'organisation institutionnelle et administrative de Saint-Pierre-et-Miquelon aux enjeux de développement de cet archipel et à son insertion dans son environnement régional.

Saint-Pierre-et-Miquelon apparaît comme une collectivité atypique dans l'outre-mer français, en raison de sa situation géographique et de son climat. Elle n'échappe cependant pas à certains des clichés qui collent à l'image de l'outre-mer. Il est facile en effet, pour qui ne souhaite pas se donner la peine de connaître, d'en rester à l'idée d'une collectivité qui n'aspirerait qu'à la pérennisation de confortables transferts publics et dont les perspectives de développement ne seraient que des mirages.

En se rendant une deuxième fois à Saint-Pierre-et-Miquelon, vos rapporteurs ont pu observer une réalité plus complexe et plus contrastée. Certes, l'activité économique de l'archipel repose principalement sur les investissements publics, conduisant à une dépendance de la plupart des entrepreneurs, et sur un nombre important d'emplois publics.

Mais ce qui pourrait sembler confortable, vu de métropole, est vécu par nombre d'habitants et de responsables locaux comme un facteur d'insécurité, de stagnation et d'insatisfaction.

L'insécurité, parce que la pérennité du soutien financier de l'État n'apparaît plus autant assurée, à une époque où de fortes contraintes pèsent sur les finances publiques. La stagnation, car la dépendance à l'égard des transferts publics ne favorise pas l'esprit d'entreprise et la préparation de l'avenir. Enfin, l'insatisfaction de ne pas pouvoir revendiquer un développement propre à l'archipel, qui se fonderait sur ses ressources humaines et naturelles.

En outre, cette situation de dépendance peut se révéler très favorable à certains opérateurs économiques, qui sont en mesure d'assurer certaines prestations indispensables à la vie de l'archipel, alors qu'une partie de la population, notamment chez les retraités, en subit d'abord les contraintes.

Ce déplacement a ainsi permis à vos rapporteurs de vérifier si Saint-Pierre-et-Miquelon disposait d'un statut adapté à sa situation, lui donnant les moyens d'assurer son développement et son intégration régionale.

Vos rapporteurs se sont rendu à Ottawa les 12 et 13 juin 2010, afin d'évaluer les dispositifs de coopération régionale avec le Canada et ses provinces. Ils ont ensuite rencontré l'ensemble des élus et des acteurs socio-économiques de Saint-Pierre-et-Miquelon, du 14 au 19 juin 2010.

Cinq ans après la précédente visite de vos rapporteurs à Saint-Pierre-et-Miquelon, il apparaît que cet archipel cherche encore comment développer des activités économiques à long terme, susceptibles d'éviter le départ définitif de sa jeunesse vers la métropole et vers le Canada.

Si la reconversion économique est un défi pour toute collectivité qui a connu une période de prospérité liée à une activité dominante, la tâche se révèle plus ardue pour une collectivité de 6 125 habitants, éloignée de la métropole.

Vos rapporteurs n'ont pas observé d'amélioration significative dans la situation de l'archipel depuis 2005. Au contraire, certains aspects essentiels de la vie de Saint-Pierre-et-Miquelon, comme la desserte maritime, ont connu des vicissitudes qui n'ont certainement pas favorisé le développement économique.

L'indéniable volonté d'action des acteurs politiques et économiques ne semble pas trouver de réalisation concrète, tandis que le soutien matériel de l'État reste dépourvu de vision à long terme pour l'avenir de l'archipel.

Vos rapporteurs ont ainsi été frappés de voir que trois nouveaux représentants de l'État s'étaient succédé dans l'archipel depuis le déplacement effectué en septembre 2005.

De même, en matière de coopération régionale avec le Canada et ses provinces atlantiques (le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l'Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador), si vos rapporteurs ont rencontré des interlocuteurs de grande qualité, tant parmi les autorités canadiennes que parmi les autorités françaises, le bilan des réalisations reste très limité.

Pour résumer la situation, l'État paraît se focaliser sur une gestion au quotidien, afin d'éviter tout soubresaut au sein d'une population qui garde le sentiment d'avoir été « lâchée », au début des années 1990, lors des discussions relatives à la définition de la zone économique exclusive entourant Saint-Pierre-et-Miquelon et aux accords de pêche.

Autrefois fondée sur la pêche industrielle et l'industrie de transformation du poisson, l'économie de Saint-Pierre-et-Miquelon a en effet connu un coup d'arrêt brutal en 1992 avec, d'une part, la sentence du tribunal arbitral de New York qui a considérablement réduit la zone économique exclusive de l'archipel et, d'autre part, la décision du Canada de réduire le quota de pêche à la morue, en raison du risque d'épuisement des stocks. Ces décisions furent très mal ressenties dans l'archipel, dont la pêche assurait la subsistance.

Ce qui pouvait être toléré pendant quelques années pour apaiser les difficultés générées par la crise de la pêche, devient un facteur de régression. L'archipel semble en effet sur le point d'échouer à penser un avenir commun. Alors que la crise doit être synonyme de transformation, l'appui généreux de l'État s'est substitué à un régime économique reposant sur une activité unique.

Vos rapporteurs ont cherché à identifier les causes de cette asthénie prolongée, qui fait courir à Saint-Pierre-et-Miquelon un risque de naufrage. En effet, comment l'archipel pourra-t-il retenir ses plus jeunes habitants si aucune initiative ne permet de construire l'avenir ?

La dispersion des énergies, la concentration des pouvoirs et une utilisation des transferts publics négligeant les investissements porteurs de développement expliquent en grande partie les difficultés de l'archipel.

Le présent rapport évoque en conséquence plusieurs pistes de réforme dans l'organisation institutionnelle et administrative de l'archipel, afin d'en assurer le sauvetage.

*

* *

L'isthme ou dune de Langlade

« Les cartes du début du XVIIIème siècle indiquent que Langlade et Miquelon étaient deux îles nettement séparées ; mais déjà une longue flèche sablonneuse prolongeait Langlade au nord, une autre, Miquelon au sud, s'avançant à la rencontre l'une de l'autre. Peu à peu les apports de sable et de galets ont comblé la passe et depuis 1760 environ une digue naturelle relie les deux îles. Cette « dune de Langlade », puisque tel est le nom par laquelle on la désigne communément, a 12 kilomètres de long et 250 mètres dans sa plus petite largeur. »

Saint-Pierre-et-Miquelon, Agence de la France d'outre-mer, 1950.

Saint-Pierre-et-Miquelon

Saint-Pierre-et-Miquelon est constitué de trois îles principales : Saint-Pierre (26 km2), Miquelon (110 km2) et Langlade (91 km2), ces deux dernières étant reliées depuis le XVIIIème siècle par un isthme de sable qui renferme, dans sa partie nord, une lagune salée, le « Grand Barachois ». Quelques îlots, dont le « Grand Colombier » et « l'Ile aux Marins », habitée jusque dans les années 1960, entourent Saint-Pierre.

L'archipel se situe à la même latitude que Nantes. Il se trouve à moins de 25 kms de la côte sud de Terre-Neuve et à 560 kms de Halifax.

Evolution de la population de Saint-Pierre-et-Miquelon

2006

1999

Evolution

Saint-Pierre

5 509

5 618

- 1,9 %

Miquelon-Langlade

616

698

- 11,7 %

Saint-Pierre-et-Miquelon

6 125

6 316

- 3 %

Population active : 3 194 personnes en 2009

Nombre de demandeurs d'emploi au 31 décembre 2009 : 303 (9,5 % de la population active)

Nombre moyen d'allocataires du RMI en 2009 : 27

Nombre d'entreprises recensées en 2009 : 528

Nombre d'entreprises artisanales : 149

I. UNE COLLECTIVITÉ D'OUTRE-MER FORTEMENT SOUTENUE PAR L'ÉTAT, MAIS AU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE EN SOMMEIL

A. UN INDÉNIABLE SOUTIEN DE L'ETAT

1. Un niveau de vie élevé, une société contrastée

M. Fabrice Dufresne, directeur de l'agence mixte de l'Agence française de développement (AFD) et de l'Institut d'émission de l'outre-mer (IEDOM) à Saint-Pierre-et-Miquelon, a indiqué à vos rapporteurs qu'en 2009 l'État avait apporté au total 105 millions d'euros à l'économie de Saint-Pierre-et-Miquelon, en incluant les traitements des fonctionnaires. Il a précisé que les exportations couvraient seulement 6 % des importations à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Effort budgétaire de l'État par habitant et par collectivité en 2011
(crédits de paiement en euros)

Source : document de politique transversale et ministère chargé de l'outre-mer.

Si Saint-Pierre-et-Miquelon bénéficie de l'effort budgétaire de l'État par habitant le plus important parmi les départements et collectivité d'outre-mer, vos rapporteurs soulignent que l'archipel doit assumer, pour 6 125 habitants, l'ensemble des services et équipements collectifs qui seraient, en métropole, ceux d'une préfecture comptant quelques dizaines de milliers d'habitants.

Les seules ressources fiscales de la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon ne lui permettraient pas d'assurer de tels services.

Aussi paraît-il logique que l'importance de l'effort consenti par l'État, qui représente seulement 0,6 % de l'effort budgétaire global en faveur des départements et collectivités d'outre-mer et de la Nouvelle-Calédonie, place Saint-Pierre-et-Miquelon en tête de classement lorsqu'il est rapporté à la population.

Il en découle par ailleurs que le secteur public tient une place prépondérante dans l'économie locale.

Le PIB de Saint-Pierre-et-Miquelon, évalué dans le cadre du projet comptes économiques rapides pour l'outre-mer (CEROM), s'élevait en 2004 à 161,1 millions d'euros, soit un PIB par habitant de 26 073 euros, légèrement au-dessous de la moyenne nationale (30 401 euros).

Selon la même étude, réalisée en 2004, les services administrés apportent à eux seuls 39 % de la valeur ajoutée de l'archipel, soit près du double de la proportion observée en métropole. Au total, le secteur tertiaire assure 83 % de la création de richesse à Saint-Pierre-et-Miquelon.

La commande publique joue un rôle essentiel dans l'économie de l'archipel. M. Jean-Régis Borius, préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon, a expliqué que les entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics, qui constituent les plus gros employeurs de l'archipel, exerçaient chaque année une pression forte sur les pouvoirs publics afin d'obtenir un niveau suffisant de commandes. Les deux principaux entrepreneurs de ce secteur ont constitué des groupes qui interviennent également dans les domaines du commerce, du transport ou de la pêche.

Le dernier projet en cours est la construction d'un nouvel hôpital, qui devrait être achevée en septembre 2011. Mme Martine Beguin, directrice du centre hospitalier François Dunan, a indiqué que cet hôpital devrait permettre de développer le recours à la télémédecine, en matière de diagnostic, afin de réduire le nombre d'évacuations sanitaires vers le Canada.

Source : IEOM - Rapport sur Saint-Pierre-et-Miquelon 2010.

En dépit d'un soutien important de l'État et d'un PIB par habitant élevé, la situation sociale de l'archipel apparaît contrastée. En effet, la population de Saint-Pierre-et-Miquelon semble vivre confortablement. En témoigne un niveau d'équipement relativement élevé, que peut expliquer en partie une fiscalité parfois plus avantageuse, comme celle s'appliquant aux véhicules à quatre roues motrices.

Néanmoins, les données fiscales montrent une prépondérance des foyers fiscaux relevant des tranches de revenus les plus faibles.

Ainsi, selon l'IEDOM, près de 25 % des foyers fiscaux ont déclaré moins de 6 770 euros de revenus en 2009. Près de 50 % des déclarations portent sur des revenus inférieurs à 10 520 euros, alors qu'en métropole 27 % des foyers fiscaux déclarent un revenu inférieur à 9 400 euros.

Mme Carla Cormier, contrôleur au service de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, a expliqué que l'économie de Saint-Pierre-et-Miquelon était globalement tenue par des groupes informels, constitués par une dizaine d'entreprises, dont un acteur dominant. Elle a estimé que cette situation avait une influence déterminante sur l'exercice de la concurrence et la formation des prix.

Plusieurs représentants syndicaux ont souligné que certains domaines d'activité économique étaient entre les mains de monopoles, qu'il s'agisse des hydrocarbures, des télécommunications ou du transport international. Relevant que la chaîne de formation des prix pouvait être faussée par l'organisation du transport de fret vers l'archipel et du commerce, ils ont expliqué qu'une partie de la population, notamment parmi les retraités, ne pouvait faire face à des prix très élevés 2 ( * ) .

La préfecture et le port de Saint-Pierre


* 1 Voir le rapport fait au nom de la commission des lois à la suite d'une mission effectuée au Canada et à Saint-Pierre-et-Miquelon du 15 au 23 septembre 2005, par MM. Bernard Saugey, Jean-Claude Peyronnet, Christian Cointat, Philippe Arnaud, Nicolas Alfonsi et Bernard Frimat, n° 152 (2005-2006).

* 2 Le taux d'inflation global a atteint 6,1 % en 2008 et 3,2 % en 2009. La hausse des prix s'est élevée à 6,9 % pour les fruits et légumes frais en 2009.

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