C. QUELLES PERSPECTIVES POUR LES RELATIONS BILATÉRALES ?

Si la Suisse souhaite préserver la voie bilatérale actuelle et si l'Union européenne est désireuse de franchir un nouveau cap, les deux partenaires savent bien qu'il leur faut conforter leur relation privilégiée. Trois pistes doivent être analysées :

- l'adhésion de la Suisse à l'Union européenne ;

- le maintien de la voie bilatérale actuelle ;

- la signature d'un accord général pour mettre en place un cadre institutionnel et relancer les relations bilatérales.

1. Le scénario de l'adhésion de la Suisse à l'Union européenne : pas réaliste dans l'immédiat au moins

Comme le soulignait l'ambassadeur de Suisse en France, M. Ulrich Lehner, lors de son audition devant votre commission, « Il n'existe pas aujourd'hui dans l'opinion suisse de sentiment majoritaire en faveur d'une adhésion de la Suisse à l'Union européenne. Les Suisses estiment qu'une telle adhésion affecterait la neutralité, le fédéralisme et la démocratie semi-directe auxquels ils sont très attachés. » 21 ( * )

Les raisons de cette désaffection croissante de la population suisse à l'égard de l'idée d'une adhésion à l'Union européenne ont déjà été évoquées :

- la prospérité actuelle de la Suisse et le coût supposé que représenterait l'adhésion à une Union européenne connaissant un ralentissement économique ;

- la crainte d'une majorité de la population que l'adhésion à l'Union européenne remette en cause « le modèle suisse » dans un ensemble politique où la Suisse aurait des difficultés à faire entendre sa voix.

Comme le rappelle le Conseil fédéral, « une adhésion à l'Union européenne aurait des implications sur les institutions de la Suisse dans le domaine du fédéralisme et de la démocratie directe (...) ; l'autonomie de la politique économique extérieure devrait être abandonnée dans une large mesure (...) une adhésion à l'Union européenne aurait des effets sensibles sur le système fiscal suisse (augmentation de la TVA à 15 % au moins, application des règles européennes relatives aux aides d'État, reprise du code de conduite de l'Union européenne en matière de fiscalité des entreprises) (...) et entraînerait la reprise de l'ensemble des politiques communes de l'Union européenne, ce qui ne serait pas sans conséquences (par exemple en matière de politique migratoire ou de politique sociale) » 22 ( * ) ;

- l'adhésion à l'Union européenne est devenue un sujet « tabou » sur la scène politique intérieure sous l'influence de la formation nationaliste UDC.

Cette hostilité à l'adhésion est désormais majoritaire dans l'opinion suisse : ainsi, selon un sondage d'opinion publié le 21 juillet 2010, 63 % des Suisses s'opposent à une adhésion de leur pays à l'Union européenne alors que 25 % y sont favorables 23 ( * ) .

Historiquement, les habitants de la Suisse alémanique étaient plus réservés que ceux de Suisse romande et du Tessin à l'égard de l'Union européenne. A l'heure actuelle, ce clivage géographique appelé « barrière des rösti », demeure mais s'estompe : dans le sondage précité, le « non » l'emporte dans les deux parties du pays mais 40 % des citoyens de Suisse romande demeurent favorables à une adhésion à l'Union européenne contre 21 % des citoyens issus de Suisse alémanique.

En revanche, on constate aujourd'hui une différence entre une Suisse urbaine plus favorable au renforcement des liens avec l'Union européenne et des zones rurales qui sont plus réservées.

Autre évolution importante, « les jeunes que l'on aurait pu croire plus pro-Européens que les générations précédentes, expriment au contraire une méfiance à l'encontre de l'Union européenne » 24 ( * ) . Dans le sondage précité, une majorité des moins de 34 ans s'oppose ainsi au principe de l'adhésion de la Suisse à l'Union européenne.

Simultanément, la population suisse a accepté de conforter la voie bilatérale avec une nette majorité au cours de votations successives , pour accepter les accords bilatéraux I (à 67,2 %) en 2004, ou pour adopter l'accord bilatéral sur la libre circulation et ses extensions aux nouveaux États membres (accord adopté par 67,2 % de oui en 2000 ; extension aux dix nouveaux États membres de 2004 adoptée avec 56 % de oui en 2005 et extension à la Roumanie et à la Bulgarie adoptée avec 59,6 % de oui en 2008).

C'est pourquoi l'adhésion de la Suisse à l'Union européenne, qui était affichée comme un objectif stratégique par la diplomatie suisse jusqu'en 2005 , n'est plus une solution privilégiée par le Conseil fédéral pour l'évolution des relations bilatérales mais une simple « option ».

Dans son rapport sur la politique extérieure de 2009, le Conseil fédéral précisait cependant que « si des raisons d'ordre politique et/ou économique devaient exiger une nouvelle avancée d'envergure dans le sens de l'intégration, un choix s'imposerait au niveau des instruments appropriés -dont l'option de l'adhésion. » .

En revanche, dans son rapport du 17 septembre 2010 , cette clause n'apparaît plus et les difficultés résultant du choix de l'adhésion sont mises en exergue (pas de certitude que les décisions prises au sein de l'Union européenne aillent dans le sens des intérêts suisses ; implications sur le fédéralisme et la démocratie directe ; abandon, dans une large mesure, d'une politique économique extérieure autonome...).

Et c'est pourquoi la voie bilatérale, en dépit de « certaines faiblesses », demeure la priorité du Conseil fédéral.

2. Le maintien du statu quo : peu probable en raison de la volonté de l'Union européenne de faire évoluer la relation bilatérale et celle de la Suisse de conserver sa situation privilégiée auprès d'elle

Grâce à une politique extérieure habile et pragmatique, la Suisse a pu devenir l'un des premiers partenaires de l'Union européenne et obtenir un accès privilégié au marché intérieur sans pour autant adhérer à l'Union européenne .

« Jusqu'à présent, la Suisse a su imposer une stratégie de souveraineté particulièrement réussie : la politique étrangère, principalement la politique européenne, signifiait en fait d'abord la politique économique extérieure : ceci lui a facilité la route en vue d'une forte intégration dans le marché unique, tout en maintenant une grande indépendance politique et institutionnelle ». 25 ( * )

Cette politique, qui a été menée au nom de la défense de la souveraineté de la Confédération, lui a permis d'être à la fois dans et hors de l'Union européenne.

Cependant, comme l'a rappelé à votre rapporteur M. Jean-Daniel Gerber, secrétaire d'État suisse à l'économie, « la Suisse sait que l'Union européenne peut agir sans elle alors qu'elle ne peut se passer de l'Union européenne » .

En conséquence, dès lors que l'Union européenne souhaite aller au-delà de la voie bilatérale actuelle, la Suisse, dont le développement est aujourd'hui dépendant de ses bonnes relations avec l'Union européenne, semble devoir réviser ses objectifs de politique européenne.

En premier lieu, au plan institutionnel, la souveraineté de la Suisse est aujourd'hui dans les faits une souveraineté « partagée ».

Dans le débat politique suisse, la souveraineté - entendue comme l'indépendance (supposée) de ne pas être entravé dans l'action de l'État - est aujourd'hui une notion omniprésente et une valeur unanimement partagée.

En raison de sa politique de neutralité et de son attachement à la démocratie semi-directe, la Suisse a défini sa souveraineté en se démarquant par rapport aux autres, de manière « défensive ».

Simultanément, sous l'effet de la mondialisation des économies et de la nécessité d'apporter des solutions régionales à des problèmes tels que le défi climatique et énergétique ou encore le contrôle de l'immigration, depuis la signature des premiers accords bilatéraux avec l'Union européenne, la Suisse a consenti à une harmonisation du droit suisse avec le droit communautaire lors de la signature des accords bilatéraux sectoriels (processus d'eurocompatibilité).

Ces derniers constituent des traités internationaux régis par le droit international public fondés sur le principe de l'équivalence des législations des parties contractantes mais les actes communautaires qui y sont mentionnés sont applicables à la Suisse alors qu'ils résultent des seuls organes de l'Union européenne .

Ainsi, en dépit de l'absence de reprise dynamique de l'acquis communautaire par les autorités suisses, cette harmonisation a consisté le plus souvent à adapter le droit suisse au droit européen , la Suisse adoptant des règles juridiques qu'elle n'a pas édictées, ni seule, ni avec des tiers .

Et la dépendance juridique de la Suisse à l'égard de l'Union européenne est croissante : « la politique de l'Union européenne détermine de plus en plus les possibilités d'action de la Suisse » . 26 ( * )

Selon les autorités suisses, environ 60 % des lois suisses seraient aujourd'hui influencés par l'évolution du droit communautaire.

Pour la mise en oeuvre des accords d'association à Schengen et Dublin , malgré ses réticences traditionnelles, la Suisse a accepté des limitations importantes de souveraineté pour devenir un membre à part entière de l'espace Schengen .

La Suisse siège au sein des comités assistant la Commission européenne et des groupes de travail du Conseil de l'Union européenne qui préparent les nouveaux actes juridiques mais sans droit de vote. Une fois adoptés, ces actes lui sont notifiés.

Formellement, la Suisse décide de manière autonome si elle consent à adopter les nouveaux actes juridiques et dispose pour cela d'une période de transition allant jusqu'à deux ans.

Toutefois, si elle refuse un nouvel acte juridique, les parties doivent s'efforcer de trouver un accord. A défaut, l'accord peut être suspendu .

En pratique, étant associée aux décisions et soucieuse de ne pas entraver le bon fonctionnement de l'espace Schengen, la Suisse reprend quasi automatiquement l'acquis Schengen dans son droit interne .

Comme le souligne l'ouvrage précité d'Avenir Suisse, « [l'adaptation du droit suisse au droit européen] ne peut être qualifiée « d'autonome » que sous réserve, car finalement le droit communautaire sert de norme » .

Cette situation est ainsi qualifiée « d'adhésion passive » de la Suisse à l'Union européenne par Mme Markwalder.

En second lieu, une très forte interpénétration économique lie entre elles l'Union européenne et la Suisse.

L'économie de la Confédération helvétique, tournée vers les exportations, n'est pas auto-suffisante : au contraire, le marché intérieur suisse est petit et la prospérité actuelle de la Confédération helvétique, déjà soulignée, est inséparable de son accès privilégié au marché intérieur de l'Union européenne.

A titre d'exemple, un emploi suisse sur trois est dépendant du commerce avec l'Union européenne . En 2009, plus de 60 % des exportations suisses de marchandises étaient destinés à l'Union européenne. La même année, près de quatre cinquièmes des importations de la Suisse provenaient de l'Union européenne.

Entre 2005 et 2008, le nombre de prestataires de services transfrontaliers européens actifs en Suisse a augmenté de 16 % par an en moyenne. En 2008, la balance commerciale de l'Union européenne vis-à-vis de la Suisse dans le domaine de services a présenté un excédent de 19,7 milliards d'euros.

De plus, la signature de l'accord bilatéral sur la libre circulation a entraîné une nouvelle immigration de ressortissants des États membres de l'Union européenne en Suisse qui a contribué au dynamisme de l'économie nationale .

En 2009, pas moins de 1,03 million de ressortissants de l'Union européenne vivaient en Suisse (auxquels s'ajoutent plus de 214.000 frontaliers, dont 112.000 Français).

Et ces nouveaux arrivants (qui représentent 70 % de l'immigration actuelle en Suisse), principalement originaires de France, d'Allemagne, d'Italie ou du Portugal, ont pour la plupart un niveau élevé de qualification et occupent des emplois qualifiés que ne pouvait pourvoir le marché local du travail.

A contrario, les difficultés économiques actuelles de l'Union européenne, premier partenaire économique de la Suisse menacent l'essor de l'économie nationale , en particulier en provoquant une forte appréciation du franc suisse par rapport à l'euro.

Ainsi, l'an dernier, la Banque nationale suisse a dû se résoudre à acheter des centaines de millions d'euros lors de la crise grecque pour soutenir la zone euro, principal client des exportations nationales, et éviter une appréciation du franc suisse qui deviendrait insupportable pour l'économie.

Selon l'organisation Economiesuisse 27 ( * ) , « la croissance de l'économie mondiale s'affaiblit. Pour l'économie suisse, la force du franc devient un facteur aggravant. Les secteurs particulièrement touchés par la force du franc sont le tourisme, l'industrie textile, l'industrie des machines, des équipements électriques et des métaux, ainsi que de nombreuses PME du segment à faibles marges. [...] Étant donné la vigueur du franc, les entreprises seront obligées d'obtenir de nouveaux gains de productivité pour accroître leur compétitivité sur les marchés internationaux ».

Enfin, dans le domaine énergétique, la Suisse, pays pauvre en matières premières et exportateur net d'électricité, dépend des réseaux énergétiques de l'Union européenne et aurait intérêt à une réelle intégration au sein de ces réseaux.

Comme les États membres de l'Union européenne, la Suisse est aujourd'hui confrontée à plusieurs défis qui constituent autant de risques pour son approvisionnement énergétique (besoins mondiaux croissants en matière d'énergie, faible production nationale, changements climatiques, incertitudes croissantes sur la stabilité de la livraison du gaz...).

En effet, son approvisionnement énergétique dépend à 80 % des importations de combustibles et de carburants fossiles et de combustibles nucléaires en provenance de pays tiers . Elle doit donc d'urgence assurer la sécurité de ce dernier.

De surcroît, en raison de sa situation géographique, la Suisse est aujourd'hui une zone de transit énergétique intégrée de fait aux réseaux de l'Union européenne .

« Ainsi, pendant les mois d'hiver, le pays dépend déjà aujourd'hui des importations pour maintenir son propre approvisionnement. En outre, la Suisse est tellement étroitement en réseau avec les systèmes des pays voisins que la sécurité de l'approvisionnement ne peut plus être considérée isolément. En Europe, les interruptions de réseau ou de courant à grande échelle ont des conséquences directes sur le système suisse, et peuvent l'ébranler » 28 ( * ) .

Au printemps 2007 , le Conseil fédéral a formulé une nouvelle stratégie énergétique reposant sur quatre piliers : l'efficacité énergétique, les énergies renouvelables, les grandes centrales électriques et la politique énergétique extérieure.

Or, si cette stratégie peut comprendre des mesures strictement nationales (réduction de la consommation énergétique ; développement de l'énergie photovoltaïque et lancement de petites centrales nucléaires...), elle doit nécessairement consister également en une intégration accrue de la Suisse au marché énergétique européen en cours de constitution .

La politique énergétique européenne

L'Union européenne a développé, depuis le Conseil européen de mars 2007, « une politique énergétique pour l'Europe », qui se fonde sur la compétitivité, la sécurité de l'approvisionnement et la durabilité, et s'intègre aujourd'hui dans sa stratégie 2020.

Elle se traduit par plusieurs objectifs :

- mise en place d'un marché énergétique européen (séparation claire entre la gestion des réseaux de gaz et d'électricité et les activités de production et de distribution, mise en place d'une régulation au niveau communautaire...) ;

- réduction des émissions de gaz à effet de serre de 20 % d'ici à 2020 et réduction de 15 % de la consommation d'énergie ;

- amélioration de l'efficacité énergétique de 20 % d'ici à 2020 (amélioration de la performance énergétique des bâtiments...) ;

- réduction de 26 % des importations d'énergie d'ici à 2020 pour limiter la vulnérabilité énergétique de l'Union européenne, en renforçant les interconnexions (accroissement de la part des énergies renouvelables, de 6 à 20 %, dans la consommation d'énergie de l'Union européenne ; développement de réseaux gaziers et électriques avec le sud de la Méditerranée ; mise en place d'un corridor gazier pour l'approvisionnement en gaz ordinaire de la région Caspienne et du Moyen-Orient...).

En pratique, l'Union européenne a progressé dans le domaine des économies d'énergie et de la diversification des sources d'énergie mais les États membres demeurent en revanche divisés sur les objectifs de sécurité de l'approvisionnement, en particulier pour limiter leur dépendance énergétique par rapport à la Russie.

Ce marché énergétique européen conforterait la sécurité énergétique et la protection des consommateurs suisses et pourrait représenter une opportunité de développement intéressante pour les entreprises suisses.

En pratique, la participation à ce marché n'impose pas à la Suisse d'adhérer à l'Union européenne et les autorités suisses ont sollicité la conclusion d'un accord-cadre sectoriel en matière énergétique avec l'Union européenne depuis plusieurs années.

Cependant, les négociations progressent peu car l'Union européenne, cohérente avec sa position de principe sur l'accès de la Suisse au marché intérieur, estime que les questions institutionnelles horizontales qui freinent aujourd'hui le développement des relations bilatérales, doivent être résolues au préalable.

Pour résumer, « l'interpénétration avec l'Union européenne est telle que le rapport avec celle-ci est « une question vitale ». Si la Suisse, en tant que non membre de l'Union européenne, est libre formellement, elle dépend toutefois, matériellement, d'une politique économique extérieure libérale de l'Union européenne » . 29 ( * )

Ce renforcement de l'interdépendance entre l'Union européenne et la Suisse pourrait l'inciter à accepter de franchir une nouvelle étape dans les relations bilatérales, comme l'y invite l'Union européenne .

En effet, deux des critères posés par le Conseil fédéral dans son rapport du 17 septembre 2010 pour évaluer la pertinence de la voie bilatérale ne semblent aujourd'hui plus remplis (institution de mécanismes institutionnels devant permettre de faciliter le fonctionnement des accords bilatéraux, aux fins d'une consolidation de la voie bilatérale ; préservation de l'équilibre des intérêts des deux parties).

A défaut, le maintien de la voie bilatérale actuelle serait à l'évidence une source d'affaiblissement de la Confédération car il remettrait en cause toute perspective de nouvel accord sectoriel bilatéral dans le champ du marché intérieur et pourrait fragiliser son statut de partenaire privilégié de l'Union européenne.

Mais ce maintien représenterait aussi un échec pour l'Union européenne , qui n'a pas intérêt à affaiblir le dynamisme actuel des relations bilatérales avec son deuxième partenaire économique.

3. Le soutien aux propositions de l'Union européenne : la mise en oeuvre d'un accord général pour donner un nouvel élan aux relations bilatérales

Votre commission estime que les conclusions du Conseil de l'Union européenne du 14 décembre 2010 ont permis de clarifier la position de l'Union européenne sur les relations bilatérales et souhaite affirmer son soutien à ces dernières.

En effet, cette position cohérente invite, dans le respect de la souveraineté de la Confédération helvétique, les autorités et le peuple suisses à effectuer un choix institutionnel clair et ambitieux en faveur d'un rapprochement avec l'Union européenne .

Comme l'ont rappelé le président de la Commission européenne et le président du Conseil européen, le 8 février dernier, à la présidente de la Confédération helvétique, Mme Calmy-Rey, qui leur proposait de lier la négociation d'un nouveau paquet d'accords sectoriels intéressant la Suisse (Bilatérales III) à celle sur le règlement des questions institutionnelles horizontales, ce choix institutionnel clair constitue une priorité pour l'Union européenne.

Il a été bien résumé par M. l'ambassadeur Michaël Reiterer, responsable de la délégation de l'Union européenne en Suisse : « dans le domaine du marché intérieur, il est impossible de laisser coexister deux ou trois versions du droit communautaire. L'Union européenne précise donc à la Suisse : vous êtes un pays souverain et nous ne vous imposerons rien. Mais si la Suisse veut participer au marché intérieur, elle doit adapter ses normes à l'évolution de l'acquis communautaire » .

a) La signature d'un accord général pour donner un cadre aux relations bilatérales et garantir une reprise dynamique de l'acquis communautaire

Afin de garantir « l'adaptation dynamique des accords à un acquis (communautaire) en évolution » souhaitée par le Conseil de l'Union européenne dans ses conclusions du 14 décembre 2010, et, par conséquent, de rétablir l'unité du droit applicable et la sécurité juridique dans les relations bilatérales, il serait souhaitable que la Suisse s'engage à signer rapidement un accord bilatéral général avec l'Union européenne.

Cet accord général devrait permettre une reprise dynamique de l'acquis communautaire dans les accords sectoriels afin de garantir leur application satisfaisante.

Ses dispositions ou clauses-types reproductibles dans tout accord sectoriel devraient être applicables non seulement aux futurs accords bilatéraux mais aussi à l'ensemble des 120 accords bilatéraux existants , condition essentielle pour rendre leur cohérence à ces derniers.

De là, plusieurs pistes peuvent être examinées pour inspirer le mécanisme de reprise du droit communautaire prévu par l'accord général.

Les autorités suisses ne sont pas hostiles par principe à une adaptation dynamique des accords bilatéraux au développement du droit communautaire mais refusent toute automaticité dans la reprise de l'acquis.

Certains responsables politiques helvétiques seraient favorables à un dispositif qui pourrait s'inspirer de celui retenu pour l'accord bilatéral de facilitation et de sécurité douanières , signé le 25 juin 2009.

Ce dernier a adapté l'accord bilatéral de 1990 sur le transport de marchandises et les contrôles douaniers en tenant compte de nouvelles mesures de sécurité introduites au sein de l'Union européenne (obligation de déclaration préalable pour les importations et les exportations de marchandises avec les pays tiers) avec le souci de préserver la qualité de la coopération en matière douanière avec la Suisse.

Cet accord prévoit donc que :

- le trafic bilatéral de marchandises entre l'Union européenne et la Suisse n'est pas soumis à l'obligation de déclaration préalable . Le principe de l'équivalence des normes de sécurité de l'Union européenne et de la Suisse est reconnu ;

- chaque développement de l'accord doit être adopté conformément aux procédures constitutionnelles des deux parties et que la Suisse est associée par l'Union européenne à l'élaboration des nouvelles normes afin de garantir une même interprétation de celles-ci et un niveau de sécurité équivalent ;

- si la Suisse ne veut pas reprendre une disposition nouvelle, l'Union européenne peut prendre des mesures de compensation . En cas de litige sur la proportionnalité de ces mesures, il peut être résolu par un tribunal arbitral.

Cependant, l'Union européenne n'est pas favorable aujourd'hui à une généralisation de la solution retenue pour cet accord douanier , insistant sur les spécificités de ce dernier et sur ses limites. Elle rappelle notamment que dans l'hypothèse où l'un des partenaires ne respecte pas ses engagements contractuels, il n'existe pas de sanction automatique et que les mesures de rétorsion possibles demeurent imprécises .

Autre modèle possible, la procédure de reprise du droit communautaire par les trois États membres de l'AELE qui appartiennent à l'Espace économique européen (EEE).

L'Islande, le Liechtenstein et la Norvège doivent en effet en permanence incorporer l'acquis communautaire dans leur droit national afin de préserver la cohérence de l'EEE.

Ainsi, lors de l'élaboration des normes communautaires et de leurs mesures d'application, les trois États membres de l'AELE sont informés et consultés par l'Union européenne. Cependant, ils ne participent pas à l'élaboration de ces normes.

Par la suite, les décisions d'extension des nouvelles normes communautaires à ces trois États sont prises, au fur et à mesure de l'adoption de nouvelles normes par l'Union européenne, par un comité mixte composé paritairement de représentants de l'Union européenne d'une part, et de représentants des trois États membres de l'AELE d'autre part 30 ( * ) . La reprise du droit communautaire est donc validée par la décision d'une instance politique.

De là, les actes communautaires doivent être transposés dans le droit interne des trois États.

En pratique cependant, l'accord EEE impose au comité mixte de prendre ses décisions au plus vite pour que l'acte en cause soit applicable à peu près en même temps au sein de l'Union européenne et dans les trois États membres de l'AELE , et ces derniers, sous réserve d'adaptations techniques, doivent reprendre l'acquis communautaire.

Il convient cependant d'apporter immédiatement une précision de taille : les prises de position officielles des représentants des autorités suisses ont souligné que la Suisse, si elle s'interroge de nouveau sur les atouts et les faiblesses de l'EEE, n'a pas l'intention - dans l'immédiat au moins - de formuler une nouvelle demande d'adhésion à ce mécanisme. 31 ( * )

Cette adhésion permettrait à la Suisse d'avoir un accès plus large et mieux sécurisé aux quatre libertés du marché intérieur sans avoir à conclure de nouveaux accords sectoriels (sauf en matière agricole) et sans renoncer au franc suisse et à la maîtrise de sa politique de commerce extérieure. La Suisse serait également mieux associée à l'élaboration des décisions de l'Union européenne et à celles de leurs mesures d'application.

En revanche, cette demande d'adhésion impliquerait une nouvelle procédure référendaire aux résultats incertains pour la ratification de l'accord, le « non » à l'adhésion de 1992 demeurant dans les mémoires des responsables politiques.

A défaut d'une telle adhésion, le dispositif de reprise de l'acquis communautaire pour les États de l'EEE pourrait inspirer le mécanisme prévu par l'accord général liant l'Union européenne et la Suisse.

Un comité mixte à compétence générale, composé à parts égales de représentants des deux parties, ou les comités mixtes compétents pour chaque accord sectoriel, pourraient décider politiquement de chaque adaptation du droit suisse au développement de l'acquis communautaire. En pratique, le comité mixte pourrait proposer des aménagements techniques, à la demande de la Suisse, lors de cette adaptation mais il devrait valider cette reprise afin de préserver la cohérence du droit applicable. De là, les nouvelles normes seraient transposées en droit suisse.

Si la Suisse s'engageait dans une telle voie, un délai pourrait être prévu en vue de garantir l'utilisation des procédures de démocratie semi-directe à l'exemple du dispositif existant pour l'accord d'association avec Schengen. Mais l'instauration d'une procédure de consultation accélérée des électeurs serait sans doute pertinente (ce qui nécessiterait une révision de la Constitution fédérale).

Ou alors, une clause de sauvegarde pourrait être prévue permettant à la Confédération helvétique de suspendre la reprise d'un texte communautaire quand elle estime qu'un intérêt national très important est en cause 32 ( * ) . Le recours à cette clause devrait cependant être expressément motivé et pourrait être contesté par l'Union européenne devant la Cour compétente pour régler les litiges.

Une fois mise en oeuvre, cette clause garantirait alors au Parlement fédéral suisse, aux électeurs, voire aux cantons si leurs compétences sont en cause, de débattre du projet de norme communautaire posant des difficultés, selon les règles constitutionnelles actuelles, et de décider s'il doit être repris en droit suisse.

b) L'établissement de sanctions en cas de refus de reprise du développement de l'acquis communautaire

Le refus d'accepter le développement de l'acquis communautaire ou le non respect d'un accord bilatéral sectoriel par l'une des deux parties devrait entraîner des sanctions automatiques. Ces sanctions seraient applicables au terme d'un certain délai permettant la consultation des deux partenaires. L'essentiel est en effet de préserver l'unité du droit applicable.

Dans le mécanisme de l'Espace économique européen (EEE) , si un État partie précise qu'une nouvelle législation communautaire lui pose problème, le comité mixte de l'EEE tente de trouver une solution mutuellement acceptable.

A défaut, la partie de l'annexe à l'accord sur l'EEE concernée par cette modification est suspendue « provisoirement ». Mais tant que le comité mixte n'a pas trouvé une solution consensuelle, cette suspension est maintenue.

Par ailleurs, l'État ayant refusé de reprendre une nouvelle norme peut faire l'objet de mesures de sauvegarde si ce refus est à l'origine de déséquilibres entre parties contractantes 33 ( * ) .

Le dispositif de sanctions pourrait aussi être semblable à celui qui existe dans l'accord bilatéral Schengen/Dublin dans l'hypothèse où la Suisse, État associé, n'adapte pas son droit au développement de l'acquis (elle dispose d'un délai de deux ans pour y procéder, délai tenant compte de ses procédures référendaires).

Pour l'accord Schengen, si la Suisse indique qu'elle n'accepte pas le contenu d'un acte ou d'une mesure, l'accord cesse d'être applicable sauf si le comité mixte compétent en décide autrement dans un délai de 90 jours. A défaut, l'accord cesse d'être applicable trois mois après ce délai.

Pour l'accord Dublin, le refus de reprendre le développement de l'acquis entraîne tout d'abord la suspension de l'accord . Le comité mixte compétent dispose alors d'un délai de 90 jours pour le rétablir à l'unanimité. Mais, faute de décision dans ce délai, l'accord cesse d'être applicable.

c) L'institution d'une autorité de surveillance indépendante et d'une Cour de justice pour garantir la bonne application des accords bilatéraux

L'accord général doit permettre la reconnaissance par les deux parties d'une autorité de surveillance indépendante pour veiller à la mise en oeuvre des accords bilatéraux et d'une juridiction chargée du règlement des contentieux , en vue de résoudre les litiges éventuels.

Sur ce dernier point, la Suisse a exprimé son refus de principe d'une Cour supranationale pour juger des litiges liés à la mise en oeuvre des accords bilatéraux. Il ne semble toutefois pas envisageable de confier à un tribunal suisse le soin de juger les manquements éventuels de la Confédération à l'égard de l'accord général ou des accords bilatéraux sectoriels.

A titre d'exemple, les deux institutions envisagées pourraient fonctionner sur le modèle de l'autorité de surveillance et de la Cour de justice de l'AELE lorsque ces dernières sont chargées de veiller à la bonne application de l'accord sur l'Espace économique européen (EEE) en Islande, au Liechtenstein et en Norvège.

Au sein de l'Union européenne, la Commission européenne et la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) sont chargées du respect de l'accord EEE.

Pour les trois États membres de l'AELE, ce rôle est dévolu :

- à une autorité de surveillance indépendante . Cette dernière, basée à Bruxelles et aujourd'hui présidée par M. Per Sanderud, est financée par les trois États membres mais est statutairement indépendante ;

Conduite par un collège nommé pour trois ans, elle est chargée de veiller au respect des engagements pris au titre de l'accord EEE et de protéger les droits des citoyens et des opérateurs économiques qui s'estiment lésés par un éventuel manquement à ces engagements. Elle vérifie également que les entreprises qui ont une activité dans les trois États respectent les règles de concurrence de l'EEE.

Pour cela, elle peut mener des enquêtes , sur la base de plaintes ou de sa propre initiative, contrôler les aides étatiques et obtenir le remboursement des aides indues, imposer des amendes ou encore saisir la Cour de l'AELE ;

- à la Cour de l'AELE. Cette dernière est composée de trois juges, un par État membre de l'AELE et partie à l'EEE, nommés pour une période de six ans (son président actuel est M. Carl Baudenbacher, nommé par le Liechtenstein).

La Cour est compétente pour statuer sur les procédures d'infraction lancées par l'autorité de surveillance à l'encontre des États membres de l'AELE liées à l'application de l'accord EEE, résoudre les conflits entre ces États, juger en appel les décisions de l'autorité de surveillance, et rendre des avis consultatifs aux États de l'AELE sur l'interprétation sur les règles de l'accord.

Sur ce modèle, une autorité de surveillance et une Cour de justice ad hoc, composées paritairement de représentants de l'Union européenne et de la Suisse , pourraient être envisagées hors du cadre de l'AELE. Une révision de la Constitution suisse serait nécessaire.

Cette solution aurait l'avantage de créer des institutions consacrées spécifiquement à l'examen des litiges entre l'Union européenne et la Suisse liés à la reprise de l'acquis communautaire ou à l'interprétation des accords bilatéraux sectoriels, ce qui permettrait un traitement rapide des procédures.

En outre, la Suisse participerait au financement et au fonctionnement de ces institutions où elle serait représentée (par un membre du collège et des fonctionnaires au sein de l'autorité, et par un ou plusieurs magistrats au sein de la Cour).

d) Une meilleure visibilité de l'action de l'Union européenne vers la Suisse

La Commission européenne et le Service européen d'action extérieure devraient conforter leurs outils à la disposition du dialogue avec la Suisse, et les rendre plus visibles.

A titre d'exemple, si le représentant de l'Union européenne en Suisse, (aujourd'hui M. Reiterer) semble parfaitement identifié par les autorités suisses et ses messages « audibles », l'unité du Service européen pour l'action extérieure en charge des négociations avec la Suisse (« Europe de l'Ouest ») devrait être renforcée et acquérir plus de lisibilité : dans l'organigramme actuel, elle est en effet intégrée (et égarée ?) étrangement dans la direction « Russie, Partenariat oriental, et Balkans occidentaux ».

e) Le règlement souhaitable des différends fiscaux

Le règlement des questions fiscales bilatérales pourrait également conforter la qualité des relations entre l'Union européenne et la Suisse.

A cet égard, votre commission partage la préoccupation du Conseil de l'Union européenne dans ses conclusions de décembre 2010 à l'égard du maintien de régimes d'imposition des sociétés par certains cantons suisses, qui constituent, selon lui, « une distorsion inacceptable de la concurrence », et appelle à la suppression de tels régimes.

En matière de fiscalité de l'épargne et de coopération dans le domaine fiscal, votre commission se félicite des engagements pris par la Suisse pour mettre en oeuvre au plus vite les normes de l'OCDE relatives en matière de transparence et d'échanges d'informations dans le domaine fiscal.

En conformité avec les conclusions du Conseil de décembre 2010, elle espère « une application rapide et cohérente de ces normes dans les relations entre la Suisse, l'Union européenne et tous ses États membres . »

Et au regard de ces engagements, elle s'interroge sur l'opportunité du projet Rubik, qui se propose d'imposer un impôt libératoire sur l'ensemble des avoirs détenus dans les banques suisses par des ressortissants des États membres de l'Union européenne, au bénéfice des autorités fiscales des États concernés, sans révélation de l'identité des titulaires des comptes.


* 21 Propos tenus lors de son audition devant la commission des affaires européennes du Sénat le 17 février 2010.

* 22 Rapport du Conseil fédéral sur l'évaluation de la politique européenne de la Suisse, p 6621, 17 septembre 2010.

* 23 Sondage réalisé par Isopublic entre avril et juin 2010 auprès de 3.790 citoyens suisses.

* 24 Propos de M. Ulrich Lehner, ambassadeur de Suisse en France, lors de son audition précitée du 17 février 2010..

* 25 « La souveraineté en cause : l'autodétermination sous de nouveaux auspices », p 7, Katja Gentinetta et Georg Kohler, AvenirSuisse.

* 26 Rapport du Conseil fédéral sur l'évaluation de la politique européenne de la Suisse, p 6621, 17 septembre 2010.

* 27 Conférence de presse, 6 décembre 2010, « Situation économique, perspectives conjoncturelles et priorités de la politique économique en 2011 ».

* 28 « Sécurité énergétique sans autarcie - la Suisse dans le contexte global », AvenirSuisse, décembre 2010.

* 29 « La souveraineté en cause : l'autodétermination sous de nouveaux auspices », p 8.

* 30 Formellement, la reprise de l'acquis communautaire se fait par addition des actes visés dans les listes des protocoles et annexes de l'accord EEE.

* 31 Selon le sondage Isopublic précité rendu public en juillet 2010, 44 % des citoyens suisses sont favorables à l'entrée de la Suisse dans l'Espace économique européen.

* 32 Cette formulation fait référence au Compromis de Luxembourg, qui mit fin à une grave crise institutionnelle au sein des Communautés européennes en 1966 en permettant à un État membre de s'opposer au passage à la règle de la majorité qualifiée pour adopter des décisions au sein du Conseil quand il estimait que « des intérêts très importants » étaient en jeu.

* 33 Articles 102 et 112 de l'Acte final de l'accord sur l'Espace économique européen.

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