B. L'UNION EUROPÉENNE COMME VECTEUR DE LA POLITIQUE ÉNÉRGÉTIQUE DES ETATS BALTES

1. L'enclavement énergétique des États baltes

La fermeture de la centrale nucléaire d'Ignalina en Lituanie en 2009, imposée par l'Union européenne a renforcé la dépendance énergétique des pays baltes à l'égard de la Russie. Vilnius s'était engagée lors des négociations d'adhésion à fermer ce site en raison de sa dangerosité, les installations étant de type Tchernobyl.

Cette dépendance énergétique s'explique principalement par l'absence de ressources suffisantes dans les sous-sols de la région. Seule la Lettonie dispose de sources pétrolières non-exploitées parce que peu rentables en Kurzeme. Des recherches devraient également être menées en vue de mettre à jour des réserves de gaz de schiste dans son sous-sol, mais aucun financement n'a, à l'heure, été mis en place, en vue d'assurer une véritable prospection.

Par ailleurs, le réseau énergétique qui maille, à l'heure actuelle, les territoires baltes est issu de l'époque soviétique et renforce l'interdépendance avec la Russie et ses anciennes républiques. L'approvisionnement énergétique dépend en conséquence quasi exclusivement des oléoducs et gazoducs russes, la Lettonie et la Lituanie ne disposant pas de réelle connexion en la matière avec les réseaux européens. Au-delà du gaz et des hydrocarbures, Vilnius et Riga sont également connectés au réseau russe d'électricité (UPS).

De fait, la Russie assure à elle seule les deux tiers de l'approvisionnement en énergie primaire de la Lituanie. Dans ce pays, les ressources énergétiques représentent ainsi 91,2 % des importations russes. La totalité du gaz consommé en Lettonie pour la production d'électricité où le chauffage est originaire de Russie ou de la communauté des États indépendants.

La notion d'île énergétique prend de fait tout son sens en ce qui concerne les pays baltes tant ils semblent isolés du réseau européen. Cette insularité est renforcée par la forte présence des entreprises russes sur le marché énergétique local, notamment celle de Gazprom .

Gazprom en Lituanie et en Lettonie

La Lituanie a importé 3,1 milliards de m 3 de gaz naturel en 2008 par le biais des compagnies Lietuvos dujos (Gaz de Lituanie) et Dujotekana , toutes deux liées à des degrés divers au géant russe Gazprom . La société russe est l'actionnaire principal de Lietuvos dujos et de Dujotekana . Dujotekana a signé, à cet égard, un accord de partenariat avec Gazprom jusqu'en 2012. Gazprom détient, par ailleurs, 99,5 % des actions de Kauno termofikacine elektrine , la centrale électrique qui assure la fourniture en chauffage de Kaunas, la deuxième ville du pays.

L'influence de Gazprom sur la vie politique lituanienne a régulièrement été dénoncée au cours des années 2000 par les médias et la société civile, jugeant des dispositions législatives adoptées particulièrement favorables à Dujotekana .

Des sociétés russes possèdent, par ailleurs, des positions clés dans le négoce d'électricité et de carburant.

Le secteur énergétique letton est, en outre, largement ouvert aux investisseurs issus de l'ancien occupant : 34 % du capital de Latvijas Gaze appartiennent à Gazprom , 16 % des parts de la société étant détenues par Itera Latvija , sociétés dont les fonds proviennent de la communauté des États indépendants. La société russe est, par ailleurs, le premier fournisseur de Latvenergo , la compagnie nationale d'électricité.

Cette dépendance énergétique n'est pas sans conséquence sur les relations entre Moscou et les États baltes, ni sans incidence économique. Une plus grande indépendance des États baltes se traduit inévitablement par une hausse de la facture énergétique pour Vilnius et Riga. La renationalisation en cours de la distribution en Lituanie, par le biais de la transposition du troisième « paquet énergie » de l'Union européenne, devrait, en représailles, se traduire par une augmentation des tarifs de Gazprom de 122 millions d'euros. La Lituanie a, à ce titre, déposé une plainte devant la Commission européenne pour abus de position dominante.

A cette influence directe sur le prix de l'énergie, s'ajoute la capacité de nuisance de Moscou, qui s'efforce, en particulier, de contrarier le projet de centrale nucléaire régionale de Vigasinas (Lituanie), destinée à approvisionner les pays baltes et la Pologne. La mise en oeuvre d'un projet semblable, sans garantie environnementale, dans l'enclave russe de Kaliningrad en est un signe tangible. Le retrait du projet de l'investisseur sud-coréen KEPCO à la suite d'un sommet Russie-Corée du Sud à Moscou au printemps dernier vient renforcer cette impression de constante ingérence. L'approvisionnement de la Lituanie en hydrocarbures est, quant à lui, rendu plus coûteux par la fermeture depuis 2007 du pipeline Druzba qui alimentait en pétrole la raffinerie de Mazeikiai. Cette fermeture, officiellement motivée par des raisons techniques, vient en fait sanctionner la vente du site à une entreprise polonaise, la société Orlen .

La Lettonie qui dispose de capacités géologiques de stockage de gaz importantes - elle maintient ainsi annuellement un stock de 2,325 milliards de m 3 , approvisionné par la Russie et les membres de la Communauté des États indépendants - a également vu le rôle de ses ports en matière de transit énergétique remis en cause par la stratégie russe de développement de ses ports sur la mer Baltique à partir de 2001 qu'il s'agisse de Saint-Pétersbourg mais aussi de Vyborg, Vyssotsk ou Primorsk. La doctrine maritime de la fédération de Russie promulguée en 2001 traduit la volonté de Moscou d'établir un lien entre développement des infrastructures portuaires et préservation de la souveraineté nationale.

Vicissitudes de la coopération économique et énergétique entre la Lettonie
et la Russie : le cas du port de Ventspils

Les infrastructures de transit pétrolier remontent à l'époque soviétique, les premiers terminaux étant inaugurés au début des années soixante à Ventspils. Irrigué par de nombreux oléoducs construits entre 1968 et 1980, le site de Ventspils est privatisé dans les années quatre-vingt-dix et reste le premier port de la Baltique jusqu'en 2000, transbordant 26 millions de tonnes d'hydrocarbure par an, dont 14 de pétrole brut. Avec 15 % des exportations d'hydrocarbures en provenance de Russie, il est également le deuxième port pétrolier russe.

Néanmoins, à partir de 1998, la Russie entreprend de détourner une partie de ce transport vers l'Estonie, les ports de ce pays dépassant dès lors les sites lettons en matière de transbordement de produits raffinés. Dans le même temps, la Russie met en oeuvre une véritable politique de développement du littoral baltique russe, privilégiant les ports de Primorsk pour le pétrole brut et Vyssotsk pour les produits raffinés. L'inauguration du terminal de Primorsk en 2001 coïncide avec une division par deux du volume d'exportation de pétrole brut depuis Ventspils. La Russie ferme, par ailleurs, l'oléoduc de pétrole brut reliant le site biélorusse de Polotsk à Ventspils. Les conséquences sont immédiates : le transbordement de pétrole brut chute à 3 millions de tonnes et la part du pétrole dans le transport maritime letton passe de 76 % en 2001 à moins de 60 %.

Le tube de produits raffinés reliant Polotsk et Ventspils est quant à lui fermé en juillet 2009 pour des raisons techniques, l'opérateur russe n'ayant pas effectué les réparations nécessaires en vue d'endiguer les risques de fuite. La Russie profite de cet incident pour abandonner ce tube et contourner la Biélorussie pour transborder son pétrole brut vers le port russe d'Oust-Louga.

Cette évolution défavorable a conduit à un désengagement progressif de l'État letton à Ventspils. La vente, en 2004, de ses parts dans le capital de l'entreprise chargée de la gestion du terminal dédié au pétrole brut, la Ventspils nafta , suscite néanmoins la polémique en raison de l'intérêt supposé des investisseurs russes dans ce dossier. Les entrepreneurs réunis autour du maire de Ventspils, l'oligarque Aivars Lembergs, appuyés par le futur Premier ministre Valdis Dombrovskis se déclarent néanmoins favorable à l'investissement russe, qui viendrait renforcer le partenariat entre la Lettonie et la Russie en matière de transit. Une entreprise chypriote liée à la Russie, Euromin Holdings achète ainsi les parts mises en vente.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page