2. La continuité lettone

L'aggravation de la situation économique et les premières mesures d'austérité n'ont pas été sans conséquence politique, le gouvernement dominé par le Premier parti de Lettonie / Voie lettone (LPP/VL) d'Ivars Godmanis étant contraint à la démission début 2009. Le 13 janvier 2009, Riga a, en effet, été le théâtre d'émeutes, à la suite d'une manifestation contre les premières mesures d'austérité. Ce rejet populaire a eu pour conséquence l'élargissement de la coalition gouvernementale, la principale formation de l'opposition, le mouvement Nouvelle ère (centre droit), accédant au pouvoir. M. Valdis Dombrovskis, ancien ministre des finances de 2002 à 2004, issu de ce parti, devient alors Premier ministre. Il succède au gouvernement Godmanis qui avait lui-même pris la suite, en mars 2008, de celui d'Aigars Kalvïtis, membre du Parti populaire (TP), contesté pour être resté sourd aux observations de la Banque de Lettonie et des institutions financières internationales.

La coalition gouvernementale de centre-droit conduite par M. Dombrovskis réunit alors Nouvelle ère , l' Association des Verts et des Paysans (ZZS), l' Union civique , les nationalistes du TB/LNNK et le Parti populaire . Ce dernier parti quitte néanmoins la coalition face au refus du Premier ministre de geler les hausses d'impôts.

Ce retrait s'inscrivait dans le cadre de la préparation des élections législatives qui se sont déroulées le 2 octobre dernier. Celles-ci avaient valeur de test dans un pays enclin à l'alternance et au sein duquel la politique de rigueur n'est pas sans incidences sociales.

Le mode de scrutin conjugué à la multiplicité des formations politiques a conduit à de nombreux regroupements. Une alliance réunissant Nouvelle ère , l' Union civique et la Société pour une autre politique a ainsi été nouée. Le programme de cette coalition, nommée Unité , portait principalement sur la création d'emplois, la justice sociale et fiscale, la concurrence « honnête » et l'éducation. La présence sur ses listes d'Aleksandrs Loskutovs, ancien chef du Bureau de prévention et de répression de la corruption (KNAB), vient renforcer l'engagement de la coalition en faveur de la lutte contre la corruption. La poursuite des réformes économiques fait, en outre, figure de priorité. Unité entend parallèlement renforcer l'inclinaison occidentale de la Lettonie, en militant notamment pour une plus forte intégration au sein des instances communautaires et atlantiques.

Le PPL/VL et le TP se sont, quant à eux, également réunis au sein de la coalition Pour une bonne Lettonie (PBL), destinée principalement à enrayer leurs déclins respectifs. Ces deux partis, aux fondements idéologiques divergents - le LPP/VL réunit libéraux et conservateurs chrétiens, le TP est un parti conservateur national - sont considérés, dans l'opinion publique, comme les responsables de la crise économique. Le poids des « oligarques » dans le fonctionnement de ces deux formations est important, les millionnaires Andris Ðíële et Ainârs lesers dirigeant respectivement le TP et le LPP/VL. L'implication de ces formations dans des affaires de corruption liées à des passations de marchés publics a fragilisé leur image. La candidature de l'ancien président de la République, Guntis Ulmanis, à la tête de cette coalition était censée tempérer cette mauvaise image, M. Ulmanis ayant par le passé largement critiqué l'action de MM. Ðíële et lesers.

Les oligarques dans la vie politique lettone

Trois oligarques dominent la vie politique lettone. Chacun contrôle une formation politique.

Le maire de Ventspils, M. Aivars Lembergs dirige ainsi l' Alliance des Verts et des Paysans (ZZS). Emprisonné pendant quatre mois, puis placé sous contrôle judiciaire pour corruption - des pots-de-vins auraient été versés à 31 députés -, il demeure un des hommes politiques les plus populaires. Ayant fait fortune par l'intermédiaire du transit du pétrole russe, il dirige plusieurs entreprises et le quotidien Neatkarïgâ Rïta Avize . M. Lembergs se pose en critique du libéralisme et demeure sceptique sur la coopération entre la Lettonie et les États occidentaux.

Ministre de l'économie à 28 ans, M. Ainârs lesers a bâti sa fortune dans le secteur immobilier. Ministre des communications, il a créé un véritable réseau au sein des conseils d'administration et des directions des entreprises d'État.

Premier ministre à trois reprises, M. Andris Ðíële a bénéficié d'une excellente côte de popularité dans les années quatre-vingt-dix, lui permettant notamment de conduire le TP à la victoire en 1998. Le scrutin de 2010 a montré que sa position dans l'opinion publique avait radicalement changé, en raison notamment des scandales liés à l'attribution de marchés publics.

Le président d' ITERA Latvija , filiale lettone de Gazprom , M. Juris Savickis, tend également à jouer un rôle sur la scène politique en vue, notamment, de préserver les intérêts de la maison-mère russe. Le gouvernement Dombrovskis milite en effet pour une réduction de la dépendance énergétique de son pays à l'égard de la Russie.

Se présentant comme le mouvement des entrepreneurs et des producteurs, PBL a mis l'accent, au cours de la campagne, sur l'indépendance de la Lettonie à l'égard des prêteurs internationaux. PBL militait ainsi pour une révision des conditions du prêt accordé à Riga, voire un renoncement à ce type d'aide. Le programme insistait en outre sur la gratuité de l'éducation, la baisse des impôts et l'élévation du niveau des pensions de retraite. En ce qui concerne la politique étrangère, la coalition envisageait une amélioration des relations avec la Russie et les autres membres de la communauté des États indépendants, en vue notamment d'ouvrir ces pays aux entreprises lettones.

Le Centre de la concorde , dont les électeurs sont pour l'essentiel des lettons russophones, a longtemps été en tête dans les sondages. Son programme insistait sur la lutte contre le capitalisme sauvage et la mise en place d'une économie socialement responsable. Militant pour la constitution d'un gouvernement de ministres techniciens, sans attache militante, le Centre de la concorde envisageait par ailleurs une nationalisation du secteur bancaire. Favorable à un rapprochement avec la Russie, une partie du Centre estimait nécessaire un retrait de l'Union européenne et de l'OTAN, sans toutefois qu'une telle inclinaison ne figure officiellement au programme. Le Centr e demandait par ailleurs la reconnaissance du russe comme langue officielle et l'octroi concomitant de la nationalité pour tous les ressortissants russes installés en Lettonie. Le Centre ne reconnait pas, en outre, l'occupation soviétique de la Lettonie.

Deux autres coalitions se sont également présentées devant les électeurs, chacune d'entre elles ayant soutenu jusqu'alors le gouvernement sortant : l' Association des Verts et des Paysans (ZZS) qui regroupe trois partis et la coalition Union nationale , alliant le TB-LNNK et « Tout pour la Lettonie », qui concilie nationalisme et engagement pro-occidental.

Le résultat de ce scrutin est d'autant plus intéressant qu'il enraye la spirale de l'instabilité gouvernementale que connaît la Lettonie depuis l'accession à l'indépendance. Seul un des prédécesseurs de Valdis Dombrovskis avait jusqu'alors réussi à se maintenir après une élection.

Avec 33 sièges sur 100, Unité conforte sa place de première formation politique du pays, suivie du Centre de la concorde (29 députés). L' Association des Verts et Paysans (ZZS) arrive, quant à elle, en troisième position. Union nationale obtient autant d'élus - 8 - que la coalition PBL. Le vote constitue, à cet égard, une sanction pour les partis membres de celle-ci. Ses représentants qui, entre 2000 et 2010, ont occupé le poste de ministre des finances pendant 8 ans et celui de Premier ministre pendant 7 ans, sont jugés responsables de la quasi-banqueroute de l'État. La coalition n'obtient que 7,7 % des voix. En 2006, lors des précédentes élections législatives, le Parti populaire recueillait 19,6 % des suffrages, le Premier parti de la Lettonie / Voie lettone 8,6 %.

La progression du Centre de la concorde s'explique notamment par une augmentation du nombre d'électeurs russophones, pour partie liée aux naturalisations de personnes arrivées après 1945. Le rajeunissement des cadres du parti, à l'image de M. Nils Usakovs, le jeune maire de Riga, a également séduit, tout comme la tonalité social-démocrate du programme présenté. La persistance au sein du parti d'un courant nostalgique de l'époque soviétique et son alliance avec Russie unie , la formation de M. Vladimir Poutine, ne lui ont néanmoins pas permis de remporter le scrutin et de transcender définitivement le clivage interethnique. Sa deuxième position, qui suit la victoire aux élections municipales à Riga un an plus tôt, témoigne néanmoins du tassement du discours nationaliste sur la scène politique et de l'intérêt que peut représenter pour le citoyen letton, dans le contexte actuel de crise économique, un rapprochement avec l'ancien occupant russe.

La coalition gouvernementale réunit comme avant le scrutin Unité et le ZZS. Ouvertes en vue d'associer la minorité russophone à la politique de relance de l'économie, les négociations avec le Centre de la concorde se sont soldées par un échec, le Centre refusant de revenir sur ses engagements pro-russes et son hostilité à l'aide financière internationale. L' Union civique , une des composantes d' Unité , demeure, à cet égard, intransigeante sur les questions liées à l'origine ethnique. La Société pour une autre politique , autre composante d' Unité , s'est, quant à elle, exprimée contre l'intégration dans le gouvernement de représentants d' Union nationale , jugée extrémiste et radicale.

Le prochain test politique devrait être l'élection du président de la République par la Saeima en juin 2011, avant l'adoption de la loi de finances pour 2012, décisive en vue de l'adoption de l'euro en 2014.

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