b) Le projet de loi constitutionnelle : une réforme peu utile si les hypothèses de croissance demeurent irréalistes

Le projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques, actuellement en cours de discussion, ne comprend dans sa rédaction initiale aucune règle de solde.

Cependant, il a pour objet de permettre l'adoption d'une loi organique, susceptible de comprendre une telle règle, définissant le statut d'un nouveau type de texte : les « lois-cadres d'équilibre des finances publiques ». Ces lois-cadres, qui remplaceraient les LPFP actuelles, s'imposeraient aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale.

Comme dans le cas de la LPFP 2011-2014, un enjeu essentiel de ces lois-cadres sera l'hypothèse de croissance retenue. Il s'agira en effet de savoir si l'on continue, comme dans la LPFP 2011-2014, de retenir des hypothèses de croissance délibérément très optimistes, quitte à les revoir à la baisse lors de la discussion des textes financiers à l'automne, et à prévoir alors un effort supplémentaire ; ou si l'on se décide à rompre avec la pratique de la dernière décennie et à adopter des hypothèses de croissance prudentes, définies par exemple par référence au consensus des conjoncturistes. Une meilleure solution serait de s'en remettre à un organe d'expertise, comme le font notamment le Royaume-Uni ou les Pays-Bas.

La position de la commission des finances, telle qu'exprimée notamment dans le courrier adressé le 17 mai 2010 par son président et son rapporteur général à Michel Camdessus, est qu'il convient de se doter de ce qu'elle appelle une « règle de sincérité et de responsabilité », consistant à prévoir, comme la LPFP 2011-2014, que le Gouvernement s'engage sur ce qu'il contrôle, c'est-à-dire les dépenses et les mesures nouvelles sur les recettes (c'est la « règle de responsabilité »), mais aussi - contrairement à la LPFP 2011-2014 - à retenir des hypothèses économiques prudentes (c'est la « règle de sincérité ») 26 ( * ) .

La prudence des hypothèses économiques est l'une des conditions de l'effectivité de la règle d'équilibre proposée par le projet de loi constitutionnelle. En effet, une trajectoire construite sur des hypothèses optimistes pourrait conduire à la situation paradoxale dans laquelle les lois financières annuelles seraient bien conformes formellement aux dispositions contraignantes de la loi-cadre (les plafonds de dépenses et plancher de mesures nouvelles en recettes seraient respectés) tout en ne permettant pas de respecter la trajectoire de solde figurant dans la même loi-cadre, au titre des dispositions non contraignantes.

En d'autres termes, des hypothèses économiques trop optimistes conduiraient à sous-calibrer les efforts nécessaires en recettes et en dépenses, rendant ainsi la règle inopérante, au risque de lui faire perdre sa crédibilité.

La question des hypothèses économiques devra être au coeur des débats sur le projet de loi constitutionnelle et, plus encore, sur le projet de loi organique qui suivra.

La détermination des hypothèses de croissance : quelques exemples étrangers

L'Allemagne : le rôle déterminant des principaux instituts

En Allemagne, huit instituts de conjoncture (dont un suisse et un autrichien) réalisent des prévisions économiques conjointes. Le groupe de prévision économique conjointe comprend :

- l'institut de recherche économique de Halle (IWH), qui coopère avec Kiel Economics ;

- l'institut de recherche économique de l'université de Munich (Ifo), qui coopère avec le Konjunkturforschungsstelle (KOF) de Zurich ;

- l'institut de Kiel pour l'économie mondiale (IKW), qui coopère avec le centre de recherche économique européenne (ZEW) de Mannheim ;

- RWI Essen, en coopération avec l'institut de recherches avancées de Vienne (IHS).

Ces instituts réalisent deux fois par an des prévisions économiques conjointes. Ainsi, en avril 2011, ils ont revu la prévision de croissance pour 2011 à 2,8 %, contre 2 % selon leurs prévisions d'octobre 2010.

En pratique les prévisions de croissance du gouvernement allemand s'écartent peu de celles de ces instituts.

Les Pays-Bas : le choix ancien de s'en remettre à un organisme indépendant

Aux Pays-Bas, l'ensemble des prévisions macroéconomiques sur lesquelles repose la politique budgétaire est élaboré par le Bureau central de planification ( Centraal Planbureau - CPB), créé en 1945 par Jan Tinbergen. Toutes les formations politiques s'en remettent à ses analyses, à tel point que le CPB procède, sans que ses chiffres soient contestés, au chiffrage de tous les programmes électoraux.

Le CPB dispose de moyens importants (125 personnes environ) et ne se limite pas aux prévisions macroéconomiques. Il effectue également des analyses économiques à la demande du Gouvernement, des partenaires sociaux ou de la Commission européenne.

Cet organisme fait partie du ministère des finances, mais son indépendance de jugement paraît totalement préservée.

Le Royaume-Uni : le choix récent de créer une autorité indépendante

Au Royaume-Uni, le gouvernement de coalition issu des urnes le 6 mai 2010 a mis en place, dès le 17 mai, une autorité indépendante sur les questions budgétaires ( Office for Budget Responsibility ). Cette autorité est chargée du cadrage macro-économique des lois de finances, ainsi que de l'évaluation des déterminants du solde structurel ( output gap et croissance potentielle), Il s'agit d'une structure légère.

A ce stade, l'OBR ne semble pas avoir rompu avec la tradition britannique de prévisions optimistes. Certes, il a revu à la baisse l'estimation de la croissance potentielle, passée de 2,75 % selon les prévisions du budget de mars 2010 et 2,5 % selon les hypothèses sous-tendant les projections de finances publiques, à 2,25 %. Cependant les prévisions de croissance, bien que revues à la baisse, demeuraient élevées, à 2,7 % en moyenne de 2011 à 2015. La prévision pour 2011, de 2,3 %, était toutefois conforme au consensus des conjoncturistes.

Le principe même de créer une autorité nouvelle chargée de déterminer les hypothèses de croissance suscite certaines interrogations, alors qu'il existe de nombreux organismes publics et privés à l'indépendance éprouvée, qui publient des prévisions de croissance. Il faudra que l'OBR démontre qu'il n'est pas moins indépendant que ces organismes. Ainsi, s'il est présidé par un professeur d'économie, Sir Alan Budd, il est situé dans les locaux du Treasury , et emploie une dizaine d'experts de la principale direction concernée.


* 26 « La trajectoire de convergence inscrite dans le programme de stabilité ne doit pas constituer une déclaration d'intention mais un engagement de la France. Dans ces conditions, il convient qu'elle soit définie en fonction d'hypothèses économiques prudentes, car la France ne peut plus se permettre de ne pas respecter son programme de stabilité, tout programme construit sur des hypothèses optimistes ayant peu de chances d'être respecté. Pour s'assurer que les mesures prises pour atteindre les objectifs de solde sont suffisantes, on pourrait prévoir, par convention, que les programmes de stabilité sont construits en fonction du taux de croissance moyen du PIB constaté au cours des dix dernières années ou de toute autre méthode prudente résultant, par exemple, d'une concertation au sein de l'Eurogroupe. Cette règle n'empêcherait évidemment pas le Gouvernement de publier ses prévisions de croissance du PIB ».

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