III. QUELLES PISTES POUR UNE MEILLEURE COUVERTURE MÉDICALE DES TERRITOIRES ?

Les pouvoirs publics ont désormais pris conscience de l'ampleur du défi à relever pour assurer une couverture médicale du territoire à la hauteur des attentes des citoyens. Des initiatives ont d'ores et déjà été prises :

- par l'État, comme l'a notamment rappelé M. Emmanuel Berthier, délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR), entendu par votre Délégation le 3 mai dernier 3 ( * ) : identification des territoires « en tension » en matière d'offre de soins de premier recours et cartographie des besoins ; financement de 250 maisons de santé à l'horizon de l'année 2013 ; contrats de service public pour le milieu rural (consistant à accorder une bourse aux étudiants en médecine en contrepartie de leur engagement à s'installer en zone fragile)...

- par les collectivités territoriales : soutien à la création de maisons de santé pluridisciplinaires, octroi (en particulier de la part des régions) de bourses d'études médicales ou paramédicales, conseils aux professionnels (par exemple pour l'exercice regroupé)...

L'ensemble des acteurs publics (État, collectivités territoriales, assurance maladie) ont également prévu des mécanismes d'incitations financières à l'installation des professionnels de santé en zone sous-médicalisée ou menacée de l'être : exonération de taxe professionnelle, versement d'une prime à l'installation,... Ces mécanismes, pour diverses raisons (méconnaissance de leur existence, mauvaise articulation entre eux...), n'ont d'ailleurs pas, loin de là, donné des résultats à la hauteur des attentes.

Ce constat tend à démontrer que l'aspect financier, même s'il ne faut pas le négliger, n'est pas le seul paramètre qui intervient dans le choix de leur lieu d'exercice par les professionnels. D'ailleurs, s'il en était ainsi, la désertification médicale se résorberait quasiment d'elle-même puisque la perspective d'une clientèle abondante (du fait d'une demande de soins largement excédentaire par rapport à l'offre) suffirait alors à convaincre les intéressés de s'installer en zone sous-médicalisée.

C'est pourquoi votre Délégation a exclu de faire reposer sur un pilier financier ses propositions pour renforcer la lutte contre la désertification médicale. Ses recommandations ont été dictées par un triple souci :

- essayer d'apporter des réponses aux aspirations qui sont aujourd'hui celles des professionnels (temps libre, emploi du conjoint, rentabilité...) ;

- prendre en considération les évolutions (technologiques, sociologiques, économiques...) du contexte dans lequel s'exercent aujourd'hui les professions médicales pour s'efforcer d'en maximiser les effets positifs ;

- refuser la logique des frontières strictes entre les acteurs : frontières territoriales, puisqu'il serait aberrant de considérer que la protection de la santé d'un citoyen puisse être moins bien assurée dans une collectivité que dans une autre ; frontières sectorielles, aussi, puisque, comme on l'a vu, la santé est l'affaire de tous et constitue un objectif d'intérêt général incompatible avec la logique des « domaines réservés ».

Dans cette optique, votre Délégation considère que la lutte contre la désertification médicale passe par le respect de deux impératifs : partenariat et complémentarité. Plutôt que d'opposer vainement le rôle de l'État et celui des collectivités territoriales, il y a lieu de réfléchir, à la fois, aux initiatives que pourrait prendre l'État pour aider les collectivités territoriales à disposer d'une offre de soins adaptée à la demande et aux initiatives que pourraient prendre les collectivités territoriales pour accompagner les actions impulsées par l'État. Le binôme État/collectivités territoriales, en effet, ne saurait agir « en sens unique » : le premier trouve souvent auprès des secondes un complément des plus utiles dans la conduite de sa politique de santé et il n'hésite d'ailleurs pas à les solliciter formellement, comme on l'a mentionné à propos de la campagne de vaccination de la grippe H1N1 ; inversement, les collectivités territoriales doivent, en matière de santé comme dans d'autres domaines, pouvoir s'appuyer sur l'État et trouver auprès de lui des soutiens qui ne sont pas forcément d'ordre financier.

Quant aux solutions de fond que propose votre Délégation pour lutter contre la désertification médicale, elles sont de deux ordres : les unes tendent à augmenter le nombre de professionnels exerçant dans les zones fragiles ; les autres tendent à faire en sorte que le temps médical, en particulier dans les zones fragiles, soit utilisé au mieux afin qu'un même professionnel dispense demain davantage de soins qu'aujourd'hui (et à une qualité évidemment au moins identique).

A. ENDIGUER LE DÉPEUPLEMENT MÉDICAL DANS LES ZONES FRAGILES

1. Impliquer les futurs professionnels de santé dans l'exercice de la médecine en milieu rural

Dans un remarquable rapport remis au Président de la République, en novembre dernier, sur la médecine de proximité, comme lors de son audition par votre Délégation, le Dr Élisabeth Hubert a mis l'accent, pour le déplorer, sur le fait que la formation pratique des étudiants en médecine soit assurée quasi-exclusivement en CHU. Cette situation, d'autant plus critiquable que seulement 1 % des intéressés sont appelés à travailler plus tard en CHU, empêche les futurs professionnels de prendre toute la mesure de la diversité du monde médical, notamment de découvrir l'intérêt d'exercer en milieu rural et de se départir de certaines idées reçues sur la vie quotidienne dans les zones concernées ; la part grandissante des étudiants en médecine issus de milieux urbains rend plus que jamais nécessaire de leur permettre de visualiser la réalité des choses sur le maillage de ces zones en termes de services tels que les écoles, les bureaux de poste...

Par ailleurs, développer les formations pratiques en milieu rural, et plus généralement dans les zones sous-médicalisées ou menacées de le devenir, présenterait l'avantage d'y renforcer la présence médicale : les services que peuvent rendre à la population des stagiaires forts de quelques années d'études, et disposant donc de bases solides, ne sont plus à démontrer.

Pour impliquer ainsi les futurs professionnels de la santé dans l'exercice de la médecine en milieu rural, votre Délégation propose deux séries de pistes de réflexion.

a) Prévoir une année de formation pratique en zone sous-médicalisée

Votre Délégation s'est montrée sensible à l'appel du Dr Élisabeth Hubert à la création d'une année de formation en zone sous-médicalisée, formulée en ces termes dans son rapport au Président de la République :

« Afin de parfaire la formation des médecins généralistes et de les préparer à l'exercice en cabinet libéral, il serait créé une séniorisation d'un an après le troisième cycle.

Cette année, qui aboutirait à porter à quatre ans la durée du DES de médecine générale, se ferait sous la forme d'un exercice à temps plein, en totale autonomie au sein de la région de rattachement de l'ex-interne, sous le tutorat d'un médecin généraliste de référence, en des territoires identifiés comme sous densifiés en médecins ou en voie de sous densification.

A l'instar d'un collaborateur libéral, ce senior serait installé dans un cabinet dont il n'aurait pas à assurer l'installation et la gestion. Mais ces charges seraient portées non par un médecin déjà installé mais par les collectivités territoriales (municipalité, communauté de communes, département). Il bénéficierait des revenus des actes effectués, sous couvert d'une rémunération minimale garantie, dont le montant devra être attractif afin de lever chez ce jeune médecin tout sentiment d'insécurité et toute réticence vis-à-vis de ce mode d'exercice. »

Votre Délégation approuve une telle proposition dans son principe, estimant que les détails doivent en être définis en étroite concertation avec les professionnels (concertation qui, pour avoir déjà été largement conduite dans le cadre de la mission du Dr Élisabeth Hubert, devrait pouvoir être rapidement menée à son terme par le Gouvernement, déjà saisi depuis plus de six mois de cette proposition). Il en va notamment ainsi pour le choix du stade des études auquel se déroulerait cette année de formation : la perspective de la fixer après le troisième cycle doit être regardée non comme un objectif ferme, mais comme une option (au demeurant fort recevable, car l'efficacité d'une telle mesure suppose que la formation intervienne à un stade avancé des études).

Par ailleurs, comme l'a d'ailleurs souligné le Dr Élisabeth Hubert lors de son audition, il est souhaitable d'éviter un allongement de la durée totale des études de médecine, déjà suffisamment longues pour assurer une excellente formation scientifique. Aussi l'institution d'une année d'exercice en milieu sous-médicalisé devrait-elle être envisagée dans une perspective d'ensemble de réorganisation du cursus universitaire.

Proposition : définir, en concertation avec les professionnels et sans allonger la durée totale des études, les modalités d'une année de formation pratique des étudiants en médecine dans des zones fragiles.

Il va sans dire que cette proposition suppose que soit déterminée avec précision et sur des critères objectifs la notion de « zones fragiles ».

b) Supprimer les obstacles à la mobilité des étudiants

Ces obstacles sont à la fois d'ordre juridique et pratique.

(1) Les obstacles juridiques

Au cours de l'audition de M. Emmanuel Berthier, le Président Claude Belot a apporté son témoignage sur ce que l'on pourrait appeler un « mur de verre » faisant obstacle à la mobilité des étudiants et donc, dans une certaine mesure, à leur éloignement de leur ville universitaire : la régionalisation des études est à l'origine d'un cloisonnement qui empêche les internes d'accomplir leurs stages en dehors de leur région universitaire de rattachement. C'est ainsi, pour reprendre l'exemple de M. Belot, que les étudiants inscrits à Bordeaux ne viennent plus à Jonzac (qui ne se trouve pourtant qu'à une heure de route), dont le centre hospitalier est formellement rattaché à la région Poitou-Charentes... mais ceux qui sont inscrits à Poitiers n'y viennent pas pour autant, Jonzac en étant éloigné d'environ 200 km.

Votre Délégation estime nécessaire de remédier à cette situation, pour le moins curieuse, et qui touche directement les hôpitaux de proximité (les grandes structures hospitalières n'ayant pas de difficultés pour recruter des internes). A cette fin, elle propose de permettre aux étudiants d'accomplir leurs formations pratiques en tout endroit du territoire national, y compris en dehors de leur région universitaire..

Proposition : permettre aux étudiants en médecine d'accomplir leurs formations pratiques en tout endroit du territoire national, y compris en dehors de leur région universitaire.

Cette proposition ne sera cependant d'une véritable efficacité que si les étudiants en médecine ont la possibilité de bénéficier d'une bourse d'une collectivité située en dehors de leur région universitaire (par exemple que la région Poitou-Charentes puisse accorder une bourse à un étudiant inscrit à Bordeaux). Il faut donc non seulement que l'étudiant concerné puisse, juridiquement, « frapper à une autre porte », mais également qu'il soit informé de ce droit.

Proposition : prévoir l'obligation d'informer tout étudiant en médecine, au moment de son inscription, de son droit de solliciter une bourse auprès de toute collectivité territoriale, y compris auprès de celles situées en dehors du territoire de sa région universitaire.

(2) Les obstacles pratiques

Les étudiants désireux d'accomplir un stage en dehors de leur zone universitaire, et donc ceux tentés par une formation en milieu rural, peuvent se heurter à plusieurs obstacles pratiques, deux en particulier : les difficultés de transport et l'accès au logement sur place.

Les collectivités territoriales ont donc à l'évidence un rôle important à jouer en la matière. C'est bien entendu à chacune d'entre elles qu'il appartient de juger de l'opportunité, de la forme et de l'intensité des mesures qu'elle souhaite prendre pour lever ces obstacles. Néanmoins, pour donner les meilleurs résultats, ces mesures ne sauraient être prises et appliquées isolément :

- elles doivent être intégrées dans une perspective d'ensemble. Les collectivités tentées par une politique volontariste d'accueil des étudiants en médecine doivent, pour « viser juste », disposer d'informations dont elles ne disposent pas forcément : le nombre de bénéficiaires potentiels de leurs décisions, les initiatives prises par les collectivités voisines... Il serait par exemple regrettable que le total des logements pour étudiants prévus dans un territoire soit disproportionné au regard du nombre de bénéficiaires potentiels ;

- ces mesures supposent d'être relayées auprès des bénéficiaires potentiels, les étudiants. Les universités ont à cet égard un rôle essentiel à tenir ;

- elles s'inscrivent dans un objectif national (rappelé encore récemment par le ministère de la Santé dans la perspective de l'élaboration des nouveaux SROS) de mobilisation d'outils pour les zones fragiles : incitations financières, contrats d'engagement de service public... Un minimum de coordination est indispensable à une mise en oeuvre cohérente de ces outils.

Au final, une politique d'« attractivité estudiantine » en milieu rural implique de fédérer les énergies des différentes parties prenantes, à savoir, au minimum, les collectivités territoriales candidates, l'université, la région et l'ARS. Conformément à la règle de conduite qui a toujours été la sienne, votre Délégation s'en remet pour cela à l'intelligence territoriale et recommande donc de privilégier les dispositifs de coopération (conventions, échanges d'informations...) plutôt que les mesures réglementaires.

Proposition : mettre en place des dispositifs, de nature informative ou conventionnelle, assurant la cohérence des aides à la mobilité des étudiants en médecine ; associer au minimum, au sein de tout dispositif applicable à un territoire, la région, l'ARS, la faculté de médecine et les collectivités infrarégionales impliquées dans ces aides.

c) Sensibiliser précocement les étudiants aux spécificités de l'exercice de la médecine

Comme votre rapporteur l'a déjà soulevé, la relation médecin-patient ne peut être considérée comme synonyme de la relation prestataire-client. C'est un point sur lequel il convient de sensibiliser très tôt les candidats au métier de médecin, ce qui n'est pourtant pas le cas aujourd'hui. Comme le résume parfaitement le professeur François-Bernard Michel, « Nul ne questionne les étudiants(es), candidats(es) au concours d'accès aux études du doctorat en médecine, pour savoir s'ils ont vraiment le désir de soigner l'être humain souffrant et s'ils seront disponibles pour la personne malade avec toute la générosité nécessaire ? Certains se posent cette question bien tard, lorsqu'ils sont confrontés au malade et parfois abandonnent ou choisissent des filières qui les soustraient à une relation étroite avec le malade ». Au final, « vingt pour cent des étudiants engagés dans la filière déplorent, semble-t-il après coup, ne pas se sentir disposés à exercer la médecine » .

Cette situation est un véritable gâchis : pour l'étudiant lui-même, qui aura consacré des années de formation (avec les frais qui leur sont liés) à un métier qui ne lui correspond pas ; pour la société, qui aura engagé des frais inutiles et qui, surtout, aura « perdu » un médecin puisque, du fait du numerus clausus , l'admission à la faculté de l'intéressé se sera faite au préjudice d'un candidat (le mieux placé des non-admis) qui, lui, avait peut-être véritablement « la fibre » du médecin. C'est au regard de cette dernière considération que la question de la sensibilisation précoce des étudiants aux spécificités de l'exercice de la médecine, même si elle n'est pas propre aux zones fragiles, rejoint directement la question de la désertification médicale.

Cette sensibilisation pourrait notamment prendre la forme d'entretiens de motivation à des stades d'études à déterminer, mais précoces (peut-être dès le concours d'accès aux études ou en fin de première année) et affectés de coefficients suffisamment forts pour que le candidat éprouve le besoin de se renseigner parfaitement sur les conditions d'exercice du métier auquel il postule.

Proposition : prévoir, dans les épreuves applicables aux études de médecine, des entretiens de motivation affectés de coefficients élevés.

2. Favoriser l'installation des professionnels en exercice
a) Sur le plan administratif : faciliter la conduite des projets

Qu'il s'agisse d'ouvrir un cabinet personnel, de s'associer au sein d'une société ou de créer une maison de santé, la conduite d'un projet n'est jamais chose aisée.

Elle suppose de s'y retrouver dans les dédales administratifs, les maquis financiers et la jungle des normes de notre pays.

Elle suppose également de disposer du temps nécessaire et exige souvent de s'y consacrer à temps plein pour un aboutissement dans des délais raisonnables.

Elle suppose, enfin, des connaissances multiples (comptables, économiques, juridiques...), permettant d'apprécier la viabilité d'un projet (mesuré en termes de rentabilité pour un projet d'origine privé et en termes d'utilité au regard de l'intérêt général pour une initiative publique). En matière de santé, la conduite de projet implique notamment une analyse des besoins de la population et une vision globale, sur un territoire, de l'offre de soins.

Dans ces conditions, laisser les professionnels de santé mener eux-mêmes un projet, de A à Z, est la garantie d'un taux de découragement avant terme proche des 100 %... Ce constat, valable pour tout le territoire national, est encore plus aigu en zone rurale, du fait de difficultés supplémentaires auxquelles se heurte le porteur de projet : déplacements chronophages dès lors que les interlocuteurs (ARS, collectivités territoriales...) ne sont pas concentrés dans une même ville ; recherche de partenaires (associés potentiels, par hypothèse difficiles à trouver dans les zones sous-médicalisées)...

C'est la raison pour laquelle votre Délégation souhaite :

- d'une part, la mise en place, dans chaque région, d'un guichet unique centralisant toutes les informations nécessaires à un candidat à l'installation (situation de l'offre et de la demande de soins, organisation du maillage sanitaire sur un territoire donné, rôles des différents intervenants tels que l'ARS et les collectivités territoriales, projets en cours...). La question reste ouverte de savoir si ce guichet unique doit être placé sous la responsabilité de l'ARS, comme le préconise le Dr Élisabeth Hubert, ou sous celle du Conseil régional de l'Ordre des médecins, comme le recommande le Dr Michel Legmann : l'essentiel est que ce guichet unique assure une centralisation efficace des informations, accessible notamment par un portail internet, et entretienne des liens étroits avec l'Université (garantissant sa visibilité par les étudiants et jeunes diplômés). Votre Délégation opte plutôt pour la première solution ;

- d'autre part, la mise en place, également dans chaque région, d'un mécanisme d'ingénierie de projet permettant de conduire à terme, et dans un délai raisonnable, toute initiative tendant à assurer l'installation de médecins, qu'elle soit le fait de particuliers ou de collectivités territoriales. Cette ingénierie doit être confiée à un véritable professionnel de la conduite de projet.

Votre rapporteur insiste sur le fait que le guichet unique et l'ingénierie de projet doivent effectivement être ouverts aux collectivités territoriales afin que celles-ci disposent d'une vision d'ensemble et d'un appui technique leur permettant d'apprécier :

- l'opportunité du principe même d'une initiative tendant à faire venir des médecins. Seront ainsi évitées des situations dans lesquelles sont construites des maisons de santé sans professionnel pour s'y installer ou sans véritable besoin pour la population ;

- la forme de cette initiative qui, comme on le verra à propos des plates-formes de télésanté, ne nécessite pas forcément de recourir au dispositif le plus onéreux des maisons de santé.

Proposition : créer, au sein de chaque ARS, ou éventuellement de chaque Conseil régional de l'Ordre des Médecins, un guichet unique centralisant toutes les informations nécessaires aux candidats à l'installation.

Proposition : nommer, au sein de chaque ARS, ou éventuellement de chaque Conseil régional de l'Ordre des Médecins, un professionnel de l'ingénierie de projet chargé d'accompagner les particuliers et les collectivités territoriales porteurs d'un projet de santé.

b) Sur le plan juridique : assouplir et simplifier les dispositifs

La source de découragement des candidats à l'installation que représentent la lourdeur et la complexité des dispositifs sera bien sûr considérablement atténuée par la mise en place d'un guichet unique et d'une ingénierie de projet telle que préconisée ci-dessus.

Il n'en demeure pas moins que des efforts devront être faits pour « éradiquer le mal à la racine » et assurer, sinon une illusoire simplicité, du moins une cohérence des dispositifs.

Ainsi, lors de l'audition de M. Emmanuel Berthier, DATAR, notre collègue Charles Guené a mis en avant la situation paradoxale résultant des règles de rémunération de certains médecins généralistes conventionnés 4 ( * ) en zone sous-médicalisée : le bonus de rémunération (20 % du tarif de la consultation) ne peut leur être accordé, selon l'avenant n° 20 à la convention nationale des médecins généralistes et des médecins spécialistes, que s'ils justifient d'une activité réalisée aux deux tiers auprès de patients résidant dans la zone sous-médicalisée. Ne peuvent donc y prétendre les médecins qui consentent à s'éloigner de leur cabinet pour, occasionnellement, apporter un renfort apprécié dans ces zones... alors que le médecin qui est sur place, lui, perçoit ce bonus (d'ailleurs tout à fait légitimement, puisque ce supplément fait partie de l'arsenal financier d'incitation à s'installer en zone sous-médicalisée).

Votre Délégation estime que ce seuil des deux tiers est de nature à décourager les « bonnes volontés ». Dans ce contexte, votre rapporteur s'est interrogé sur la possibilité d'appliquer le bonus dès la première consultation en zone déficitaire, quelle que soit la part d'activité qu'y consacre le praticien. Pour autant, subordonner le déclenchement du bonus à un seuil minimum d'exercice en zone fragile présente l'avantage d'inciter les médecins à y effectuer des consultations avec une certaine régularité.

Aussi votre Délégation a-t-elle opté pour un assouplissement du dispositif actuel plutôt que pour sa suppression pure et simple. Sa proposition consiste donc à ramener de deux à un tiers le taux d'activité en zone fragile permettant à un médecin de bénéficier d'une consultation à tarif majoré.

Cette proposition ne lui semble pas de nature à grever exagérément le budget de l'assurance maladie : d'abord, parce qu'une politique active de lutte contre la désertification médicale, à laquelle le Gouvernement a manifesté son intention de s'atteler, devrait à terme réduire le nombre de zones déficitaires (et donc le nombre des bénéficiaires potentiels de ce bonus) ; ensuite, parce que, comme en a témoigné M. Guené, cette incohérence, mal vécue par les intéressés, décourage peu à peu les médecins venant en renfort, si bien que les consultations occasionnelles qu'ils effectuaient sont peu à peu remplacées par des consultations de médecins « locaux » qui, elles, donnent lieu à ce bonus.

Proposition : ramener de deux à un tiers le taux d'activité en zone sous-médicalisée, permettant à certains médecins généralistes de bénéficier d'une majoration du tarif de la consultation.

c) Sur le plan matériel : aider aux investissements

L'ouverture d'un cabinet médical nécessite la mobilisation de fonds qui peuvent se révéler particulièrement importants.

Outre les « murs », c'est souvent tout un plateau technique qu'il convient de financer. L'opération se révèle particulièrement coûteuse pour des spécialistes (cardiologues, dentistes, radiologues...), dont le matériel est parfois soumis à une obsolescence rapide du fait des progrès scientifiques.

La rentabilité de l'investissement total suppose ainsi la garantie d'un minimum de clientèle, ce que les professionnels ont tendance à considérer comme loin d'être acquise dans les zones rurales.

Ce sentiment n'est d'ailleurs pas toujours fondé, tout au moins pour les zones déficitaires, puisque, par définition, celles-ci se caractérisent par une demande de soins trop élevée au regard de l'offre (cette considération constitue un élément supplémentaire en faveur de la création du guichet unique proposé ci-dessus). Il n'en est pas moins réel et de nature à dissuader les candidats à l'installation.

Les pouvoirs publics, et notamment les collectivités territoriales, peuvent contribuer à y remédier :

- tout d'abord, par des mesures tendant à diminuer, dans les zones déficitaires, le coût total de l'investissement nécessaire à l'installation : prêts à taux réduit (voire à taux zéro), location ou vente de locaux à des tarifs incitatifs (moyennant, bien entendu, certains engagements de la part des bénéficiaires, notamment, en cas de vente, sur un minimum de durée de maintien dans les lieux)... Sur ce point comme sur d'autres, les collectivités territoriales doivent bien entendu demeurer libres de la forme et de l'intensité de leurs initiatives. Celles-ci ne donneront cependant leurs meilleurs résultats que si elles font l'objet d'une diffusion suffisante pour les porter à la connaissance de leurs bénéficiaires potentiels, mais aussi des divers responsables publics de territoires voisins. Ces derniers pourraient en effet, par méconnaissance de leurs initiatives respectives, se livrer involontairement à une concurrence qui ouvrirait la porte à des surenchères pour le moins éloignées tant du serment d'Hippocrate que de l'intérêt général : la tentation serait grande, pour les destinataires des aides, de comparer les différentes offres avant de s'installer non pas sur le territoire qui aurait le plus besoin de leurs services, mais sur celui qui présenterait le plus d'avantages. La remontée des informations relatives aux aides des collectivités territoriales, par un système de guichet unique tel que proposé ci-dessus, permettrait à l'autorité gestionnaire de celui-ci d'alerter les parties prenantes sur des initiatives potentiellement concurrentes, les invitant ainsi à se rapprocher pour articuler au mieux leurs interventions ;

- ensuite, par la mise en place d'un dispositif d' « assurance investissement » qui pourrait s'inspirer d'une proposition formulée devant votre Délégation par le Dr Élisabeth Hubert dans les termes suivants : « une forme de portage, consistant à garantir les investissements consacrés à un regroupement, sous réserve de rester en place un minimum de temps (cinq ans pour les plus jeunes et jusqu'à l'âge de la retraite pour les plus anciens) : ou bien, lors de son départ, l'intéressé trouve un successeur et le problème est réglé ; ou bien il n'en trouve pas, et un "fonds-tampon" prend à sa charge la recherche du professionnel susceptible de lui succéder. Cet accompagnement dans le risque serait un véritable accélérateur d'initiatives ». Ce fonds de garantie à l'investissement doit bien entendu être destiné aux seules zones touchées par la désertification, ou menacées de l'être ; cet impératif, allié à la nécessité d'une large mutualisation des crédits, plaide pour un fonds national, comme le recommande le Dr Élisabeth Hubert (qui suggère d'en confier la gestion à la Caisse des Dépôts et Consignations).

Proposition : coordonner les aides publiques locales à l'installation des médecins par un dispositif assurant l'information des collectivités territoriales sur leurs initiatives respectives.

Proposition : mettre en place un dispositif national d'« assurance investissement » au profit des candidats à l'installation en zone sous-médicalisée ou en zone fragile.

d) Sur le plan du cadre de vie

Comme l'écrivait notre collègue sénateur Jean-Marc Juilhard dans son rapport, déjà mentionné, rédigé en 2007 au nom de la commission des Affaires sociales, « le milieu rural est perçu comme une zone de fortes contraintes » .

Le fait est qu'il pâtit de certaines impressions de nature à décourager des candidatures à l'installation : le sentiment d'un déficit de loisirs par rapport à la ville, la crainte de ne pouvoir y trouver de travail pour le conjoint, des inquiétudes quant à la desserte en services au public (écoles, commerces, transports, bureaux de poste...)...

La lutte contre ce handicap d'image en ce qui concerne le cadre de vie relève de problématiques bien plus larges que celle du présent rapport : aménagement du territoire, emploi, économie... Elle relève largement des collectivités territoriales et la démonstration a depuis longtemps été faite que les élus locaux ne ménageaient pas leurs efforts. De l'accueil des enfants en milieu rural (qui a notamment donné lieu, en juillet 2009, à un excellent rapport de votre commission des Affaires sociales, sous la plume de M. Jean-Marc Juilhard) à la politique des transports (qui donnera prochainement lieu à un rapport de notre collègue Yves Krattinger devant votre Délégation), le Sénat se fait régulièrement l'écho de leurs initiatives.

Une communication plus ciblée, à l'intention spécifique des professionnels ou futurs professionnels de la santé, assurerait cependant une meilleure visibilité des réalités locales aux candidats potentiels à une installation ; elle permettrait, dans une certaine mesure, de revenir sur certaines impressions négatives, dont beaucoup relèvent du domaine des préjugés, du fait d'une méconnaissance des conditions de vie en zone rurale.

Les supports d'une telle communication peuvent prendre des formes diverses. Votre Délégation a notamment trouvé convaincante la proposition, formulée par M. Jean-Marc Juilhard dans son rapport sur l'offre de soins, d'organiser dans chaque région une journée d'information qui pourrait servir aussi bien, comme le recommande notre collègue, à « présenter les besoins régionaux en matière d'offres de soins » qu'à sensibiliser les professionnels et futurs professionnels aux conditions de vie qui seraient les leurs en cas d'installation dans tel ou tel territoire.

Proposition : organiser, chaque année et dans chaque région, une journée de sensibilisation des professionnels et futurs professionnels sur les conditions d'exercice dans les différents territoires, tant sur le plan professionnel que sur celui du cadre de vie.


* 3 Le compte rendu de cette audition figure en annexe au présent rapport.

* 4 Ceux exerçant en groupe ou ayant adhéré à l'option de coordination des soins réalisés à tarifs maîtrisés prévue par la convention nationale des médecins généralistes et des médecins spécialistes.

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