N° 610

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 juin 2011

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur l' adhésion de la Croatie à l' Union européenne ,

Par MM. Jacques BLANC et Didier BOULAUD,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Josselin de Rohan , président ; MM. Jacques Blanc, Didier Boulaud, Jean-Louis Carrère, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Jean François-Poncet, Robert Hue, Joseph Kergueris , vice-présidents ; Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet , secrétaires ; MM. Jean-Étienne Antoinette, Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Jean-Pierre Bel, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Didier Borotra, Michel Boutant, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Mme Michelle Demessine, M. André Dulait, Mmes Bernadette Dupont, Josette Durrieu, MM. Jean Faure, Jean-Paul Fournier, Mme Gisèle Gautier, M. Jacques Gautier, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Laufoaulu, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Rachel Mazuir, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean Milhau, Charles Pasqua, Philippe Paul, Xavier Pintat, Bernard Piras, Christian Poncelet, Yves Pozzo di  Borgo, Jean-Pierre Raffarin, Daniel Reiner, Roger Romani, Mme Catherine Tasca.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

A la veille de l'adhésion de la Croatie à l'Union européenne, votre commission a souhaité faire le point sur l'état de préparation de ce jeune État d'à peine 20 ans, qui deviendra sans doute sous peu le 28 ème membre de l'Union européenne.

La « vocation européenne » des pays des Balkans occidentaux, c'est-à-dire le principe de leur adhésion à l'Union européenne, a été affirmée par le Conseil européen de Zagreb en 2000, sous présidence française de l'Union européenne, et rappelée régulièrement depuis, notamment à Thessalonique en juin 2003 et, plus récemment, lors de la Conférence Union européenne-Balkans occidentaux du 2 juin 2010 à Sarajevo.

Si la Slovénie est déjà membre de l'Union, cette vocation à l'adhésion concerne l'ensemble des pays des Balkans occidentaux : l'Albanie, l'Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM), la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, le Monténégro, la Serbie, ainsi que le Kosovo, l'indépendance de ce dernier n'étant, à ce jour, reconnue ni par la Serbie ni par cinq États membres 1 ( * ) .

Dans cet ensemble à l'histoire si riche et souvent douloureuse, la situation de la Croatie se distingue nettement : en avance sur ses voisins, elle ouvre la voie et montre le chemin.

En effet, la Croatie a signé un accord de stabilisation et d'association avec l'Union européenne dès 2001, qui est entré en vigueur le 1 er janvier 2005. Elle a déposé sa candidature à l'entrée dans l'Union européenne le 21 mars 2003, le Conseil européen lui a reconnu le statut de candidat le 18 juin 2004 et les négociations d'adhésion se sont ouvertes le 3 octobre 2005. Elle est aujourd'hui, 10 ans après la signature de l'accord de stabilisation, à la veille de la clôture de ses négociations d'adhésion.

La mission de vos rapporteurs à Zagreb, les 18 et 19 mai derniers, est intervenue à un moment particulièrement décisif : celui de la dernière ligne droite des négociations, dans le contexte d'une initiative diplomatique de la France pour accélérer leur conclusion, tout en garantissant la rigueur du processus d'adhésion.

Cette visite, ressentie très favorablement par les autorités croates comme un geste d'encouragement de la part de la France, a fait l'objet d'une importante couverture de presse et par les chaînes de télévision croates 2 ( * ) , montrant ainsi l'importance de l'enjeu européen dans le débat politique national.

La mission a été l'occasion de passer un message très clair de soutien à la candidature croate, à l'heure où la position française a pu être mal comprise, s'agissant notamment de la proposition d'instaurer un suivi renforcé qui n'avait d'autre objectif que de faciliter la conclusion rapide des négociations. D'ailleurs, cette initiative s'est avérée décisive pour la clôture des négociations.

Votre commission a pu constater la mobilisation unanime, à Zagreb, en faveur du destin européen de cet État modèle et moteur des Balkans, et mesurer l'ampleur des réformes parfois douloureuses, qu'il aura fallu accomplir sur le long chemin de l'adhésion. Elle ne peut qu'appuyer la perspective d'une adhésion rapide à l'Union, à la veille du 20 ème anniversaire de l'indépendance de ce jeune État.

I. UN JEUNE ÉTAT À LA MODERNISATION RAPIDE

A. UN PROJET EUROPÉEN TOUJOURS MOBILISATEUR

A la veille de l'anniversaire de ses 20 ans d'indépendance, la Croatie est en passe de devenir le 28 ème État membre de l'Union européenne.

1. Le poids de l'histoire dans un pays des Balkans marqué par la guerre

Pays de 56 542 km 2 , peuplé de 4,5 millions d'habitants, d'origine slave depuis le VIIe siècle, de religion catholique à 87 % et utilisant un alphabet de caractères latins, au carrefour des influences de la Méditerranée, de l'Europe centrale et de l'Europe du Sud-Est, la Croatie, ancienne république de la Fédération Yougoslave, a eu une histoire douloureuse, n'acquérant son indépendance qu'aux termes d'un conflit meurtrier.

Pour ne s'attacher qu'à la période la plus récente, l'éclatement de l'ex-Yougoslavie a conduit au conflit le plus meurtrier survenu sur le territoire européen depuis 1945, confirmant a posteriori cette citation attribuée successivement à Otto von Bismarck et Winston Churchill : « Les Balkans produisent plus d'histoire qu'ils n'en peuvent consommer » .

La Croatie proclame son indépendance le même jour que la Slovénie, le 25 juin 1991 . Mais, si le retrait des Slovènes de la fédération yougoslave se fait presque sans effusion de sang, il n'en va pas de même en Croatie. L'importante minorité serbe refuse de reconnaître le nouvel État croate, invoquant son droit de demeurer au sein de la Yougoslavie. Avec l'aide de l'armée populaire yougoslave (JNA) et de la Serbie, les Serbes de Croatie font sécession et annoncent la création d'un État serbe indépendant dans près d'un tiers du territoire croate qu'ils contrôlent. Les Croates et les autres non-Serbes sont chassés de cette région lors d'une violente campagne de nettoyage ethnique. Au cours d'intenses combats qui se déroulent pendant la seconde moitié de l'année 1991, la vieille ville de Dubrovnik est bombardée et Vukovar est assiégée et détruite par les forces serbes.

La France reconnaît la Croatie le 15 janvier 1992 et établit des relations diplomatiques avec Zagreb en avril 1992.

Malgré un accord de cessez-le-feu, conclu sous l'égide de l'ONU et entré en vigueur au début de l'année 1992, le gouvernement croate reprend le contrôle de son territoire : durant l'été 1995 , l'armée croate lance deux offensives majeures qui lui permettent de regagner la totalité de son territoire, à l'exception de la petite poche de Slavonie orientale. Lors d'un exode massif, des dizaines de milliers de Serbes fuient l'avancée des forces croates pour se réfugier en Bosnie-Herzégovine, dans les régions contrôlées par les Serbes, et en Serbie. La guerre en Croatie prend fin à l'automne 1995. La Croatie retrouvera le contrôle de l'ensemble de son territoire avec la réintégration pacifique de la Slavonie orientale en janvier 1998, après une période de transition assurée par l'administration des Nations unies.

Le conflit s'achève à l'automne 1995 sur un bilan très lourd. L'Accord de Dayton, conclu le 21 novembre 1995 et signé à Paris le 14 décembre 1995, scelle la fin des hostilités.

Moins de quatre ans plus tard, les violences reprennent, cette fois au Kosovo, où Belgrade intensifie sa répression contre la population albanaise. Le rejet par les autorités serbes de l'Accord de Rambouillet conduit au déclenchement par l'OTAN d'une campagne de bombardements, qui se poursuit durant 78 jours entre mars et juin 1999 3 ( * ) .

La dissolution de l'ex-Yougoslavie a mené en plusieurs phases à la création de sept nouveaux États : Croatie, Slovénie, Bosnie-Herzégovine, ex-République yougoslave de Macédoine (ARYM), Serbie, Monténégro et Kosovo 4 ( * ) .

Le recensement croate de 2001 permet de mesurer les séquelles d'une guerre qui a causé de nombreuses morts, des déplacements de population considérables et une émigration à l'étranger où vivent un peu plus de 2 millions de Croates. En 2001, la population en Croatie avait baissé de 6,1 % par rapport au recensement de 1991 et la population d'origine serbe ne représentait plus que 4,45 % du total au lieu de 12,6 % en 1991 5 ( * ) .

La punition des coupables des crimes commis pendant les conflits yougoslaves est une étape essentielle de la consolidation de la paix dans la région. Ce processus a été largement initié et stimulé de l'extérieur, avec la création en mai 1993, par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) 6 ( * ) . Cependant, le relais a aussi été progressivement pris au niveau local par de nouvelles juridictions nationales spécifiquement chargées du jugement des criminels de guerre.

Depuis sa création, le Tribunal a mis en accusation 161 personnes pour des violations graves du droit humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie entre 1991 et 2001. Les procédures à l'encontre de 125 d'entre elles sont closes. Des procédures sont actuellement en cours concernant 34 personnes.

L'expérience du TPIY a constitué une innovation majeure. Le Tribunal a créé un précédent en matière de justice pénale internationale et a servi de référence pour la création de la Cour pénale internationale. Il a, pour la première fois, inculpé un chef d'État en exercice. Il a permis de faire la lumière sur certains des épisodes les plus sombres de l'histoire récente de l'Europe et donné une voix aux victimes. Enfin, il a directement et indirectement contribué au renforcement de l'État de droit et du système judiciaire dans les pays des Balkans.

Les États de la région ont aussi joué un rôle de plus en plus actif en la matière. Tout d'abord, après une phase initiale de méfiance voire de défiance, la coopération des gouvernements de la région avec le Tribunal s'est progressivement améliorée, même si certains problèmes demeurent (le procureur BRAMMERTZ s'était ainsi montré très critique, en décembre dernier devant le Conseil de sécurité des Nations unies, sur la traque des fugitifs MLADIÆ et HADéIÆ). Dans ce contexte, l'arrestation récente de Radko MLADIÆ est une manifestation particulièrement éclatante de ce nouvel état d'esprit.

Par ailleurs, les États de la région ont aussi progressivement mis en place des juridictions spécifiquement chargées du jugement des crimes de guerre. Ces juridictions nationales jouent un rôle essentiel, en particulier compte tenu de la fermeture programmée du TPIY.


* 1 Espagne, Chypre, Grèce, Roumanie et Slovaquie

* 2 L'interview télévisée de vos rapporteurs a été retransmise en ouverture du journal télévisé de la télévision nationale croate (HRT)

* 3 Voir sur ce point le rapport n° 174 (2008-2009) de M ; Didier BOULAUD : « Kosovo : quelle présence internationale après l'indépendance ? »

* 4 Résolution 1244 du CSNU ; au 11 octobre 2010, l'indépendance du Kosovo avait été reconnue par 70 des 192 Etats membres de l'ONU, dont 22 des 27 États membres de l'Union européenne, 24 des 28 membres de l'OTAN et 4 des 6 États issus de l'ex-Yougoslavie, dont la Croatie.

* 5 Chiffres tirés du rapport de l'Assemblée nationale n°3159, 9 février 2011, p. 8.

* 6 Le TPIY a pour mandat de juger les personnes inculpées de certaines violations du droit international humanitaire (violations graves des Conventions de Genève de 1949 et violations des lois et coutumes de la guerre, crimes contre l'humanité et génocide), commis sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991. Sa compétence a également été étendue aux crimes commis pendant le conflit au Kosovo.

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