CONCLUSION

Au terme de ses travaux, votre mission commune d'information veut d'abord souligner que cette réforme essentielle pour l'efficacité de l'action publique doit désormais être poursuivie dans la concertation. Elle ne pourra réussir que si l'ensemble des agents de l'Etat se sentent pleinement impliqués dans un mouvement qui les concerne très directement. Ses effets concrets pour les collectivités territoriales et les services publics locaux, que le présent rapport a mis en évidence, démontrent que les élus locaux doivent être étroitement associés à sa conception et à sa mise en oeuvre.

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Les collectivités territoriales sont confrontées directement aux conséquences de la RGPP. Elles doivent d'abord faire face à la réorganisation administrative de l'État. Un curieux paradoxe veut que, s'inspirant des conclusions du rapport Balladur, la RGPP privilégie l'échelon régional au moment même où le législateur a plutôt cherché à conforter les compétences départementales. Le rôle conféré au préfet de région peut être un instrument de cohérence pour la mise en oeuvre des politiques de l'État. Mais il ne doit pas mettre en cause la place du préfet de département comme acteur de terrain des politiques publiques et, par sa proximité, interlocuteur naturel des collectivités territoriales. En outre, l'inadéquation des procédures de gestion des crédits et des ressources humaines, encore très verticales et centralisées, fait que cette logique est largement inaboutie.

Par ailleurs, la réorganisation des services déconcentrés au bénéfice de l'échelon régional aboutit à des résultats contrastés. C'est pourquoi votre mission a formulé des propositions pour répondre au besoin de proximité clairement ressenti par les collectivités territoriales.

L'avenir des sous-préfectures constitue un autre enjeu important. On peut concevoir que la sous préfecture en tant que telle n'ait plus vocation à assurer des prestations matérielles à la faveur de mutualisations ou de dématérialisations d'actes et documents. Pour autant, les collectivités territoriales et les acteurs socio-économiques doivent pouvoir s'appuyer sur un interlocuteur unique qui porte la parole et la position de l'Etat, à charge pour le sous-préfet de mobiliser les ressources de l'Etat dans ses différentes composantes en lien avec le préfet.

La centralisation du contrôle de légalité en préfecture peut répondre à un souci de rationalisation et de renforcement des compétences. Ce qui peut aussi justifier un contrôle plus sélectif et centré sur les actes les plus sensibles. Mais votre mission d'information tient à souligner le besoin de sécurité juridique des collectivités territoriales. Cela doit conduire à rejeter les contrôles inutilement tâtillons. Mais cela implique aussi qu'il soit répondu, pour les plus petites d'entre elles, au besoin de conseil et d'accompagnement des communes. Cette fonction essentielle des services de l'État doit être réaffirmée.

Les travaux de votre mission d'information mettent par ailleurs en évidence que les territoires peuvent être profondément affectés par la réorganisation des services publics induite par la RGPP. Ils sont directement confrontés au retrait ou à la réorganisation de l'État. De toute évidence, les différentes cartes ont été conçues et mises en oeuvre sans considération de l'aménagement du territoire. Surtout, ces réformes ont souffert de l'absence d'une vision d'ensemble et ont obéi à une logique « en silos ». Certains territoires ont dû subir les conséquences de plusieurs réformes successives qui, prises individuellement, répondent à une logique compréhensible mais qui, additionnées, se révèlent dramatiques. On ne peut admettre que ces différentes cartes ne fassent pas l'objet d'une coordination. En outre, les compensations doivent être effectives et inscrites dans la durée. Il y a là une exigence que votre mission entend affirmer avec force.

L'ingénierie territoriale a occupé une bonne partie des travaux de la mission. Les communes doivent faire face au retrait de l'État qui est la conséquence à la fois de la décentralisation et de la mise en oeuvre des règles de concurrence. Par ailleurs, il n'est pas incongru de penser que, dans une République décentralisée, l'ingénierie publique soit assurée par ceux et celles qui ont la compétence dans les domaines considérés. Pour autant, l'offre privée n'est pas toujours au rendez-vous ou adaptée et, en tout état de cause, elle a un coût. Face à cette situation, les collectivités territoriales font preuve d'ingéniosité dans la recherche d'alternatives, que ce soit par la voie de l'intercommunalité ou du soutien départemental, ce dernier pouvant poser la question de la libre administration des communes, surtout lorsqu'il y a des financements à la clé. Cela pose aussi la question de la transmission des savoir-faire acquis par les services de l'État. Mais, en toute hypothèse, le désengagement de l'État constitue un transfert « rampant » pour les collectivités territoriales. Elles devraient donc bénéficier elles aussi d'un « retour » sur les économies réalisées par l'État.

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Au-delà, votre mission a été appelée à examiner l'impact du nouveau mode de fonctionnement des services publics sur les collectivités territoriales et les usagers. On doit approuver, dans son principe, le recours aux NTIC ou à des procédures nouvelles, telles que la télédéclaration. La dématérialisation peut être, à terme, source d'efficacité et de simplification pour les usagers. Mais le processus de changement ne va pas sans heurt. En outre, avec ces procédures, les communes subissent des charges nouvelles. C'est vrai dans les échanges dématérialisés qu'elles ont avec l'État. C'est vrai aussi des missions qui leur sont confiées dans la délivrance des titres. Or, la compensation de ces charges est insuffisante. Elle doit être effectivement assurée.

Pour les usagers, existe un risque réel d'un service public qui ne répondrait plus au besoin de proximité. Une administration dématérialisée peut aussi être une administration « déshumanisée ». Comme l'a rappelé au cours de son audition M. Jean-Paul Delevoye, ancien Médiateur de la République, Président du Conseil économique, social et environnemental, la machine ne remplace pas un contact individualisé. Enfin, si l'on veut miser sur les NTIC pour moderniser les procédures, encore faut-il que l'ensemble du territoire soit réellement couvert par le haut débit. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Cette couverture doit être effective.

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Chacun peut apprécier diversement l'opportunité ou la nécessité, au regard de nos finances publiques, de limiter la dépense publique notamment avec la règle du « un sur deux » qui touche fortement les services déconcentrés de l'Etat. Pour autant, sans nier que des gains de productivité étaient et demeurent peut-être possibles, la diminution du nombre d'agents ne peut pas ne pas avoir, dès à présent et demain, d'impact sur le niveau et la quantité des services. A la question « pensez-vous que le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite va pouvoir se perpétuer sans altérer la qualité du service ?», la réponse des responsables d'administration auditionnés a été bien souvent « jusqu'à maintenant, nous avons su faire face en prenant des mesures de rationalisation qui étaient nécessaires et en faisant porter la diminution des effectifs sur les fonctions de soutien. Mais il semble bien que la poursuite des restrictions de postes nous conduise à affecter les services opérationnels ».

Votre mission appelle donc à une redéfinition des missions de l'Etat en région et en département, afin de faire ressortir ce que les collectivités territoriales sont en droit d'attendre de lui et les missions qu'il n'entend plus assurer. Cet effort de clarification conditionne les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales mais plus encore, comme le soulignait Jean-Paul Delevoye lors de son audition : « quand la qualité du service public se dégrade, c'est la confiance dans le monde politique qui est touchée, ainsi que l'image des élus locaux. La même critique peut être formulée pour les collectivités territoriales qui ne doivent pas tomber dans un centralisme administratif qui leur nuirait. » La mission appelle aussi à une appréciation des effectifs qui tienne mieux compte des réalités des territoires et des priorités. La question de l'éducation nationale et des services de sécurité est au coeur des interrogations des élus.

D'une façon générale et, dans ce domaine, la responsabilité est partagée, il y a un certain paradoxe à multiplier les textes générateurs de procédures, elles-mêmes consommatrices de temps et, dans le même instant, vouloir limiter les effectifs. La maîtrise des emplois passe aussi par une plus grande sobriété législative et réglementaire.

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Voici l'ensemble des constats qui se dégagent des travaux de la mission commune d'information. Celle-ci a souhaité établir un rapport qui soit équilibré et constructif. Il est sans doute, à ce stade, difficile de faire le tri entre ce qui relève d'erreurs manifestes de conception, de difficultés liées à la mise en place de toute réforme, et des conséquences de la diminution des effectifs tant et si bien que les effets négatifs de la RGPP ressortent de façon plus manifeste que ses effets positifs. Toutefois, les propositions que formule votre mission commune d'information doivent permettre de corriger les effets indésirables de la réforme.

Le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, sera très vigilant sur les conditions dans lesquelles cette réforme sera poursuivie, afin qu'il soit répondu au besoin de proximité, que les collectivités territoriales ne subissent pas des transferts de charge non compensés et que les exigences de l'aménagement du territoire soient pleinement intégrées.

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