B. CINQ ANS APRÈS : LE POIDS DES DÉSILLUSIONS

Donner vie à des orientations aussi novatrices constituait ainsi une gageure -gageure d'autant plus difficile à relever avec des personnels pour partie inexpérimentés et des structures architecturales souvent inadaptées. L'ouverture des EPM de Lavaur et de Meyzieu s'est ainsi accompagnée de mouvements sociaux . Depuis lors, les difficultés ont persisté. Plusieurs d'entre elles ont d'ailleurs été relevées par une évaluation menée conjointement en 2009 par l'inspection des services pénitentiaires et par l'inspection de la protection judiciaire de la jeunesse.

1. Des choix initiaux contestés
a) Une implantation peu équilibrée

La nouvelle carte pénitentiaire résultant de la création des EPM et de la fermeture de certains quartiers mineurs n'apparaît pas satisfaisante : en effet, alors que le taux d'occupation des structures de détention pour mineurs s'élève à 64 % en moyenne nationale, il atteint 80 % pour le ressort de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris et 97 % pour celui de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Marseille.

Cette dernière direction interrégionale compte 126 places d'incarcération disponibles dont 8 à 10 situées au centre pénitentiaire de Borgo en Corse, peu ou pas utilisées.

Or, cette zone connaît un taux d'incarcération deux fois supérieur à la moyenne nationale. En pratique, l'incarcération se concentre sur l'EPM de Marseille et les quartiers mineurs de Grasse et du Pontet.

Il en résulte régulièrement une sur-occupation des cellules disponibles, en particulier au sein de l'EPM de Marseille -avec un pic de 67 mineurs le 22 avril 2011 et, pour la première fois, la nécessité de disposer neuf matelas à même le sol.

Cette situation affecte gravement le fonctionnement de l'établissement à un double titre.

En premier lieu, elle contraint l'unité « arrivants » à fonctionner comme les autres unités de vie : dans ces conditions, l'observation du mineur ne peut pas être réellement conduite. L'affectation au sein des différentes unités - comme tel d'ailleurs semble être aussi de plus en plus le cas à l'EPM de Porcheville - paraît avant tout être dictée par une logique de flux.

En second lieu, la sur-occupation de l'EPM de Marseille conduit à organiser des transferts des mineurs vers des quartiers mineurs au risque d'interrompre, comme l'ont regretté plusieurs des interlocuteurs rencontrés sur place par vos rapporteurs, des projets qui venaient d'être ébauchés. Dans cet établissement, le tiers des flux « sortants » est constitué par des transferts vers les quartiers mineurs de Grasse et d'Avignon-Le Pontet et, lorsque ces derniers sont saturés, vers d'autres quartiers mineurs comme ceux de Grenoble et Montpellier. Les responsables de l'établissement ont assuré à vos rapporteurs que ces transferts prenaient en compte le maintien des liens familiaux et concernaient en priorité des prévenus avec lesquels le travail de suivi propre à l'EPM n'avait pas été encore engagé. Cependant la pression à laquelle cette structure est exposée complique, à l'évidence, l'accomplissement de sa mission.

b) Des équipements parfois inadaptés


• La conception initiale des bâtiments apparaît aujourd'hui assez largement critiquée. Les quatre EPM construits sur le modèle « Grosse » s'organisent autour d'un espace interne sur lequel donnent toutes les fenêtres des cellules et des bâtiments administratifs et où chacun est sous le regard de l'autre.

Dans cette agora, les différents événements de la vie en détention -tel le transfert d'un mineur vers le quartier disciplinaire- sont susceptibles de dégénérer en incident (voir supra ).


• Par ailleurs, quel que soit le modèle, les structures souffrent de la faiblesse des matériaux utilisés comme le placoplâtre pour les cloisons des espaces collectifs des unités.

Ces défauts originels ont facilité, sinon encouragé, de nombreuses dégradations. Dans plusieurs EPM, les cloisons ont dû être doublées par des panneaux de résine (à Orvault ou Quiévrechain par exemple). Les blocs électriques des cellules, utilisés par les détenus pour allumer leurs cigarettes, ont dû être remplacés. Les salles de pause du pôle éducatif ont été très souvent dégradées, les mineurs supportant mal de rester enfermés entre quatre murs pendant ce moment de « respiration ». Comme vos rapporteurs l'ont constaté lors de leur visite de l'EPM de Porcheville, ces salles restent aujourd'hui inutilisées.

A l'EPM de Quiévrechain, le coût de ces dégradations est de l'ordre de 30.000 euros par an. Si dans la majorité des cas, le partenaire privé, responsable de la maintenance, a procédé aux réparations nécessaires, l'ampleur des dégâts commis à Meyzieu a conduit son représentant à demander, comme le signale la mission d'inspection AP - PJJ, de ne plus procéder à la réalisation des travaux de consolidation mais d'« attendre les enveloppes budgétaires pour réaliser une réhabilitation complète ».

En outre, dans l'EPM de Marseille, vos rapporteurs ont relevé que le taux d'occupation des cellules conjugués avec la rotation rapide ne permettait pas de rénover des cellules pourtant très dégradées.

Cinq ans après l'ouverture des premiers EPM, ces constats conduisent à s'interroger sur la pertinence de la conception initiale et sur les déconvenues auxquelles expose inévitablement le choix en faveur d'économies à court terme.

c) Les interrogations persistantes concernant la mixité

Bien que la mixité ait constitué l'une des caractéristiques fondatrices des EPM, la moitié des établissements (Orvault, Porcheville, Marseille) ont choisi dès le départ, en accord avec leurs directions interrégionales respectives, de ne pas ouvrir l'unité filles. Un autre EPM (Lavaur) a renoncé, à la lumière de l'expérience, à accueillir des mineures. Aussi, aujourd'hui, seuls les EPM de Quiévrechain et de Meyzieu reçoivent des jeunes filles.

Deux difficultés principales sont invoquées à l'appui du refus de la mixité. En premier lieu, la cohabitation avec les garçons expose les mineures à des invectives permanentes qui pèsent sur le climat de la détention. La pression est plus forte encore dans les établissements organisés en agora où l'unité de vie des filles est sous le regard permanent des garçons. Au reste, les deux seuls EPM ayant maintenu la mixité sont précisément ceux disposant d'une architecture en épis.

La seconde difficulté, rappelée par plusieurs des interlocuteurs de vos rapporteurs, trouve son origine dans le faible nombre de mineures incarcérées. Il est arrivé que les EPM n'accueillent qu'une mineure, cette situation d'isolement rendant sa détention pénible et complexe.

Néanmoins, le renoncement à la mixité a pour conséquence le maintien des jeunes filles au sein des quartiers pour femmes des maisons d'arrêt ou des établissements pour peines, au mépris de la règle de séparation stricte entre majeurs et mineurs. En outre, cette situation les prive du déploiement considérable de moyens propres aux EPM ainsi réservés de facto aux garçons.

Vos rapporteurs se demandent si le principe de la mixité n'a pas été trop rapidement abandonné, sous la nécessité, notamment, de dégager des places pour les mineurs.

Les responsables de l'établissement de Quiévrechain ont indiqué à vos rapporteurs qu'aucun incident n'avait été lié à la coexistence de filles et de garçons et qu'un effort permanent était poursuivi dans le cadre d'une approche pluridisciplinaire pour accompagner cette expérience malgré ses difficultés.

d) Les incertitudes persistantes sur les régimes de détention

La détention des mineurs et, de manière générale, des jeunes majeurs, se caractérise traditionnellement par un grand nombre de violences. Ainsi, à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, une agression sur deux (à l'égard d'un autre détenu ou d'un membre du personnel) est le fait d'un détenu de moins de 21 ans.

D'après les données figurant dans le tableau ci-dessous, il semble que le nombre de violences est encore plus fort en EPM qu'en quartier mineurs. A Porcheville, en 2010, sur les 587 comptes-rendus d'incidents, 207 ont débouché sur des poursuites disciplinaires.

Nombre et nature des incidents quartiers mineurs/EPM

A partir de sources DAP/EMS1 - permanence nationale

Incidents 2010

QM/EPM

QM

EPM

Part EPM

Nombre moyen de mineurs

703

476

227

32,3%

Total incidents

393

212

181

46,1%

Actes d'auto-agressions

55

33

22

14,0%

15,6%

12,2%

Tentative de suicide

47

27

20

12,0%

12,7%

11,0%

Suicide

5

4

1

1,3%

1,9%

0,6%

Autres

3

2

1

0.76%

0.51%

0.25%

Violences

281

137

144

71,5%

64,6%

79,6%

Physiques entre détenus

115

65

50

29,3%

30,7%

27,6%

Physiques sur personnels

166

72

94

42,2%

34,0%

51,9%

Mouvements collectifs

20

14

6

5,1%

6,6%

3,3%

Évasions

14

9

5

3,6%

4,2%

2,8%

Évasion d'un établissement

2

1

1

0,5%

0,5%

0,6%

Évasion hors d'un établissement sous garde pénitentiaire

11

7

4

2,8%

3,3%

2,2%

Tentatives d'évasion

3

2

1

0,8%

0,9%

0,6%

Autres

20

17

3

5,1%

8%

1,7%

La situation au sein des EPM semble encore aggravée par la contrainte et la pression que représentent, pour les mineurs la prépondérance des temps collectifs et les exigences de la prise en charge éducative ou socio-éducative.

Ces actes ne peuvent toujours justifier une sanction disciplinaire. En outre, selon les nouveaux textes (art. D. 250-3 modifié du code de procédure pénale), un placement préventif n'est désormais possible que pour certaines infractions du premier degré.

Ainsi, un mineur qui dévaste toute sa cellule ne peut être placé en cellule de punition. De même, les insultes ne sont pas plus passibles d'une sanction de « cellule disciplinaire ».

Selon le témoignage, en 2010, de Mme Nadège Grille, directrice de l'établissement pénitentiaire pour mineurs de Lavaur 37 ( * ) , la lourdeur et le formalisme de la procédure ne permettent pas de mettre en place une sanction ou une réponse immédiate pour toute une série d'infractions « mineures » et quotidiennes. Dès lors, un sentiment d'impunité et parfois de « toute-puissance » peut inciter le mineur à poursuivre ses manquements aux règles.

Par ailleurs, comme le rappelle Mme Nadège Grille, les « personnels encadrants, particulièrement les binômes éducateurs-surveillants, se sont rapidement sentis dépossédés de leur autorité puisque toute sanction, si symbolique ou minime soit-elle, répond à un formalisme incompatible avec le maintien de la discipline au quotidien.

A titre d'exemple, un mineur qui, à table, lors du repas du soir, se lève, injurie ses pairs et jette sur le mur son assiette de nourriture, ne peut en théorie être puni immédiatement de travaux de nettoyage, voire d'une privation de télévision pour la soirée... Comme l'exigerait une gestion éducative « en bon père de famille » [...].

Autre exemple, le mineur qui refuse de se rendre à l'école -celle-ci ayant un caractère impératif- ne pourra se voir privé de sport ou d'activité dans la même journée, ces privations relevant en principe d'un suivi disciplinaire. »

Le formalisme disciplinaire qu'impose le cadre carcéral a conduit à développer des mesures parfois qualifiées d'infra-disciplinaires qui échappent aux garanties procédurales classiques. Ainsi, les missions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté tant à Quiévrechain (octobre 2008) qu'à Lavaur (octobre 2009) avaient relevé la création d'une sanction spécifique sous la forme d'un placement en « cellule de réflexion » ou d'« apaisement » d'une durée n'excédant pas, en principe, la demi-journée pour les détenus perturbateurs.

Dans le rapport de visite de l'EPM d'Orvault, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté déclare que l'objectif assigné à ces mesures visait à « suppléer l'impossibilité juridique de placer un jeune en prévention au quartier disciplinaire ou de lui infliger une sanction de punition de cellule à l'issue de la commission de discipline ».

Une note de l'administration pénitentiaire du 19 mai 2010 a mis fin à la pratique du « placement en cellule d'apaisement ».

Dans plusieurs EPM, la réponse la plus rapide aux petites dégradations et jets de détritus prend la forme de réparations ou ramassages immédiats. Toutefois, certains des interlocuteurs de vos rapporteurs ont relevé que, faute d'expérience et d'ascendant suffisant sur la population pénale, le binôme rencontrait des difficultés à imposer ce type de mesures au sein de l'unité. La rédaction d'un compte rendu d'incident, au caractère assez formel, est alors, le plus souvent, privilégiée.

Parallèlement à la mise en place de ces mesures, les EPM ont organisé des régimes de détention différenciés revêtant, dans certaines structures du moins, un caractère disciplinaire.

Sans doute la loi pénitentiaire a-t-elle consacré dans le cadre de l'individualisation de la peine, une différenciation des conditions de détention tenant compte de la personnalité du détenu, de son comportement en détention ou encore de ses perspectives de réinsertion. Toutefois, le régime différencié ne saurait porter atteinte aux droits de la personne détenue. Comme le constatait la mission d'inspection AP-PJJ, « dans les établissements (Lavaur, Marseille et Quiévrechain) qui ont mis en place des unités appelées « régime fermé »,  « semi-fermé » ou « renforcé », les mineurs sanctionnés peuvent être réaffectés successivement sur ces diverses unités ». La mission regrettait que ce type d'organisation produise des ruptures dommageables au suivi des mineurs par les binômes.

A l'EPM de Porcheville, le régime différencié permet d'affecter sur une « unité de contrôle » les détenus causant des troubles persistants. La décision est prise soit par la commission pluridisciplinaire unique, soit, en cas d'urgence, par un cadre. Le mineur est reçu en entretien ; il se voit notifier les motifs de cette affectation et s'engage par écrit à évoluer sur différents points. La durée de placement est d'une semaine : pendant quatre jours, le détenu est seul dans ses activités puis, en fonction de son comportement, il intègre une activité collective par jour sur trois jours. Au terme de la semaine, le mineur intègre son unité de vie si les engagements pris ont été respectés.

Lorsque, comme tel est parfois le cas, la mesure « infra-disciplinaire » accompagne une affectation au sein d'une nouvelle unité, le mineur se trouve doublement sanctionné sans que la décision ait pu faire l'objet d'une transcription et d'une éventuelle contestation.

Par ailleurs, la multiplication des incidents dans les EPM a conduit à réaménager certaines structures : pose de caillebotis aux fenêtres dans plusieurs centres (à Quiévrechain cependant, les fenêtres sont restées dégagées), sécurisation des espaces de circulation à l'EPM de Porcheville. Dans cet établissement, ces mesures ont, selon la direction, permis de restaurer une certaine sérénité dans le travail quotidien des agents.

e) Les insatisfactions liées au fonctionnement du binôme

La création des EPM s'est accompagnée d'une modalité de prise en charge inédite des mineurs sous la forme d'un binôme associant l'éducateur de la PJJ et le surveillant de l'administration pénitentiaire. Ce binôme encadre les mineurs au cours des petits-déjeuners, déjeuners et dîners, voire pendant les activités collectives de l'après-midi.

La collaboration obligée entre surveillant et éducateur n'a pas été sans rencontrer de fortes résistances liées aux cultures très différentes auxquelles se rattachent ces deux métiers.

Au départ, une majorité de représentants de la PJJ estimaient leur mode d'action incompatible avec une intervention en détention. Plusieurs redoutaient qu'une telle présence ne se fasse au détriment du milieu ouvert. Si ces réserves de principe sont encore exprimées aujourd'hui par plusieurs organisations syndicales, elles semblent cependant s'être dissipées sur le « terrain ».

Les malentendus demeurent encore, néanmoins, nourris par l' indétermination relative du rôle de chacun des deux partenaires . En effet, les surveillants considèrent les EPM comme une opportunité de dépasser la stricte mission de surveillance qui leur est confiée dans les prisons classiques et de valoriser ainsi leur métier. Quant aux éducateurs, ils s'interrogent sur le périmètre de leurs prérogatives alors même que le comportement à observer vis-à-vis du mineur peut susciter des approches très différentes.

Plusieurs représentants syndicaux de la PJJ rencontrés par vos rapporteurs ont ainsi regretté que les priorités assignées aux éducateurs n'aient pas été déterminées dans le cadre d'un cahier des charges.

Ces incompréhensions peuvent être aggravées par l'inexpérience des personnels : si dans un premier temps les surveillants recrutés en EPM disposaient d'une bonne expérience professionnelle liée à l'exercice d'activités antérieures dans les quartiers mineurs (sauf à Porcheville où les deux tiers des surveillants étaient stagiaires et, dans une moindre mesure, à Meyzieu), tel n'était pas le cas pour les agents PJJ recrutés en majorité parmi des personnels sous contrat avec peu d'expérience professionnelle dans le domaine éducatif et sans connaissance des publics délinquants.

La différence des rythmes de travail, la non « sédentarisation » des surveillants sur une unité de vie particulière compliquent encore le fonctionnement du binôme.

Or, comme l'observait M. Jean-Marie Delarue lors de son intervention devant vos rapporteurs, ces dysfonctionnements au sein du binôme peuvent être sources de graves perturbations au sein de la détention comme tel a été le cas à Meyzieu.


* 37 Nadine Grille, Le droit pénitentiaire des mineurs à l'épreuve des nouveaux EPM : pratiques professionnelles et usages du droit en prison, AJ pénal, 2010, p. 23.

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