III. LA MARTINIQUE : ACCOMPAGNER LE TERRITOIRE ET SES ACTEURS

A. LES ENJEUX DE SANTÉ PUBLIQUE

1. La nouvelle cité hospitalière Mangot-Vulcin
a) Un projet ancien, un bâtiment innovant

Dès 1996 a été envisagé le remplacement du centre hospitalier du Lamentin, dans le centre de l'île, devenu vétuste. Après de longues années d'études, les travaux de construction d'un nouveau site ont été lancés en 2004. Cette cité hospitalière Mangot-Vulcin est l'occasion de regrouper l'ancien hôpital et plusieurs services de l'établissement public de santé mentale de Martinique, appelé hôpital Colson. Elle permet la transformation d'une partie de l'ancien bâtiment en centre d'hémodialyse et de soins de suite et de réadaptation.

La construction de la nouvelle cité, presque terminée lors de la visite de la délégation, a connu des retards révélateurs des difficultés spécifiques à cette région :

- débats sur la meilleure méthode de résistance aux séismes. Cet hôpital doit en effet être parfaitement opérationnel en cas de tremblement de terre pour pouvoir prendre en charge les blessés. Sa conception a été novatrice et il sera le premier de ce type dans la Caraïbe. Au-delà de la résistance des bâtiments eux-mêmes, il était nécessaire de prévoir celle du mobilier ou des équipements lourds : par exemple, le scanner repose sur des appuis parasismiques et l'ensemble du plateau technique, contrairement à celui du CHU de Fort-de-France, respecte les normes en la matière ;

- conséquences des événements cycloniques, dont Dean en 2007, soit de manière directe sur le bâtiment lui-même, soit de manière indirecte sur les entreprises du secteur et sur l'accessibilité du chantier.

Le déménagement des services a commencé le 9 mai et a pris plusieurs semaines.

Si des atermoiements ou incertitudes ont pu exister, la Martinique dispose désormais d' une cité hospitalière d'avant-garde : le risque sismique est pleinement pris en compte, la climatisation et l'aération générale du bâtiment s'appuient sur la ventilation naturelle produite par les alizés etc.

b) Un financement pas encore bouclé en raison des surcoûts

Le projet était estimé à 90 millions d'euros en 2002 lors de la notification du marché. Très rapidement, des avenants pour travaux supplémentaires ont été passés pour un montant d'environ 37 millions. Les surcoûts ont été en grande partie financés par des aides supplémentaires de l'Etat via le plan Hôpital 2007, des compléments de fonds européens et des subventions des conseils général et régional.

Au total, le plan de financement de 127 millions était couvert à 83 % par des subventions publiques, principalement en provenance de l'Union européenne (46 millions, soit 36 % de l'ensemble), des conseils général et régional (chacun à hauteur de 14 millions, soit 11 %) et de l'Etat (11 millions, soit 9 %). Le solde (39 millions) était porté par des emprunts du syndicat inter-hospitalier, maître d'ouvrage, constitué du centre hospitalier du Lamentin et de l'hôpital Colson.

Le prix final est cependant plus élevé ; le surcoût s'élève aujourd'hui au minimum à 48 millions d'euros , mais ce chiffre n'inclut pas différents travaux nécessaires à l'ouverture de l'établissement : création de cinq cents places de parking supplémentaires (les estimations initiales étaient très nettement insuffisantes, ne serait-ce que pour accueillir le personnel de l'hôpital...), clôture de l'enceinte, sécurisation de l'entrée des urgences, aménagement et mise aux normes de réserves foncières pour accueillir les stocks de la pharmacie et de l'économat.

En outre, le coût global du déménagement, auquel s'ajoute encore la restructuration de l'ancien site (7 millions), est estimé à 10 millions : coût direct (0,7 million), perte d'activité durant les six semaines de transferts (3,6 millions), fonctionnement sur deux sites (2 millions), réorganisation de l'activité (3 millions).

Enfin, la délégation a elle-même pu constater, quelques semaines avant l'ouverture de la cité hospitalière, les difficultés d'accès du site : bien que programmés, les travaux d'élargissement de la route départementale à deux voies qui dessert les lieux n'étaient pas engagés. D'ailleurs, les procédures d'acquisition du foncier sur l'emprise de la nouvelle voie n'avaient pas encore abouti. Il serait très dommageable au bon fonctionnement de ce nouvel outil moderne, notamment pour son service des urgences et pour l'accès aux soins de la population, qu'une solution ne soit pas rapidement trouvée à ce problème.

Globalement, au regard des efforts entrepris en termes de modernisation et de rationalisation des activités, la délégation n'estime pas infondé que l'Etat participe par des crédits exceptionnels non renouvelables au bon déroulement du déménagement de l'hôpital et de l'ouverture de la nouvelle cité hospitalière Mangot-Vulcin.

2. La fusion des trois établissements publics de MCO

La Martinique compte trois établissements publics de santé en médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) : le centre hospitalier de Trinité dessert la population du Nord de l'île mais sa taille est trop limitée et le bâtiment a beaucoup souffert du dernier grand séisme de 2007 ; le centre hospitalier du Lamentin n'est situé qu'à quelques kilomètres du centre hospitalier universitaire (CHU) de Fort-de-France .

a) Une situation financière insoutenable

L'application à 100 % de la tarification à l'activité (T2A) à partir de 2008 a révélé l'inefficacité de l'organisation et des méthodes de gestion de ces établissements. Leur situation financière s'est sensiblement dégradée sur les exercices 2008, 2009 et 2010.

? Leur perte consolidée s'élève presque à 55 millions d'euros en 2010, soit 14 % de leurs produits .

En 2010,
en millions d'euros,
après audit

CHU Fort-de-France

Lamentin

Trinité

Comptes consolidés

Produits

278,5

63,7

44,4

383,7

Charges

290,0

78,9

53,6

422,6

Capacité d'autofinancement

-11,5

-15,2

-9,3

-35,9

Taux d'autofinancement

-4,2 %

-23,9 %

-20,8 %

-9,4 %

Résultat net

-25,8

-17,4

-11,2

-54,3

en % des produits

-9,3 %

-27,3 %

-25,1 %

-14,1 %

Ce niveau de déficit provoque nécessairement des tensions importantes sur la trésorerie des établissements, ce qui peut nuire à la sécurité des patients , car certains fournisseurs rechignent à continuer de travailler avec des retards de paiement aussi longs.

? La situation financière très inquiétante du CHU de Fort-de-France

Le CHU de Fort-de-France dispose de 1 300 lits et reçoit chaque année environ 40 000 malades. Le 15 octobre 2010, il a signé, avec le directeur général de l'ARS, un plan de retour à l'équilibre qui prévoyait de contenir le déficit aux environs de 22 millions en 2011, en baisse par rapport aux années passées, grâce à d'importants efforts de gestion.

Or, l'établissement a appris au printemps dernier que les dotations qu'il perçoit pour financer ses missions d'intérêt général et ses missions d'enseignement et de recherche (Merri) subiraient une diminution de 12,7 millions d'euros au titre de 2011. Cette baisse de plus de 7 millions des seuls crédits Merri résulte notamment de la réforme nationale de leur modèle de financement, mise en oeuvre de manière progressive pour être intégrale en 2011 ; ces crédits reposent dorénavant sur trois parts tenant compte des charges fixes, du nombre d'étudiants, de publications scientifiques et de brevets et des projets de recherche. Il est certain que cette réforme, qui pèse sur les petits établissements hospitalo-universitaires, a des conséquences fortes sur le CHU de Fort-de-France.

De ce fait, l'état prévisionnel des dépenses et des recettes prévoit aujourd'hui un déficit de 34 millions d'euros pour 2011.

Par ailleurs, le CHU a dû négocier un emprunt de trésorerie avec un pool bancaire ; après presque huit mois de discussions, il a été obtenu le 30 mai et les sommes encore dues aux fournisseurs au titre de 2010 (22 millions) devaient pouvoir être réglées courant juin. Cette solution, si indispensable qu'elle soit, ne saurait être satisfaisante car elle consiste à financer par emprunt des charges courantes .

En termes d'investissements, le CHU rencontre les plus grandes difficultés à boucler le plan de financement pour la reconstruction du plateau technique qui, aujourd'hui, ne respecte pas les normes parasismiques, alors que le bâtiment date de 1984. La contribution de l'Etat à ce programme a été confirmée en février 2010 dans le cadre du plan Hôpital 2012 pour un montant direct de 36 millions d'euros ; s'y ajoutent une subvention européenne pour 34,6 millions et une aide du conseil régional pour 16,9 millions. Il reste à emprunter 76,5 millions par le CHU, dont 53 sont adossés à une autre aide du plan Hôpital 2012 (4,5 millions versés chaque année sur vingt ans 10 ( * ) ). Les difficultés récentes pour boucler un emprunt de trésorerie laissent mal augurer de la suite des événements, ce qui signifie qu'en cas de séisme majeur, le plateau technique du CHU de Fort-de-France ne pourra certainement pas être utilisé pour venir en aide aux blessés.

b) Un exemple de recomposition de l'offre hospitalière...

Dans ce contexte financier très dégradé, le projet médical de territoire a entériné la fusion des trois établissements, qui constitueront un nouveau CHU à compter du 1 er janvier 2012.

Lors de sa visite, la délégation a pu constater la mobilisation des communautés hospitalières et soignantes et l'arrivée à maturité d'un certain nombre de projets d'organisation de filières de soins. Si la dynamique d'ensemble est donc bien engagée, les difficultés demeurent importantes face à l'ampleur du projet. La délégation a également apprécié le discours de vérité tenu par l'ARS sur la nécessité et les conditions de la fusion, ainsi que sur les tensions qu'elle peut entraîner sur les personnels, y compris au niveau des directions. Le projet de fusion suscite logiquement des peurs et des doutes sur l'avenir, mais il est aussi l'occasion de remobiliser les personnels , dont il a été signalé à la délégation que le taux d'absentéisme est extrêmement élevé, notamment pour des longues durées. Trop longtemps, l'emploi hospitalier a servi « d'amortisseur social », ce qui n'est plus compatible avec les réalités financières.

Le choix s'est porté sur une fusion et non sur la création d'une communauté hospitalière de territoire qui n'aurait pas permis les mêmes regroupements d'activités et les mêmes économies d'échelle. De fait, l'ARS a constaté que le niveau de production de l'offre de soins n'est pas en adéquation avec les besoins ; il existe une surdotation globale des capacités par rapport à l'activité réelle, alors même que la population n'a pas le sentiment de bénéficier d'une proximité des soins particulière.

Enfin, la délégation regrette de n'avoir pu, faute de temps, visiter la maison de la femme, de la mère et de l'enfant (MFME). Exemple de réorganisation des activités sur un territoire, celle-ci regroupe, depuis le 3 mars 2008, les disciplines médicales de pédiatrie et de gynécologie-obstétrique. Cette maternité de niveau III comprend les services d'imagerie médicale, un bloc opératoire et un bloc obstétrical, ainsi que des centres de préparation à la naissance, de protection maternelle et infantile, de grossesse à haut risque et de planning familial. La MFME accueille également dans ses locaux l'école interrégionale de sages-femmes de la Martinique.

c) ... qui a besoin et qui mérite d'être accompagné

La délégation a rencontré, lors de son déplacement, le directeur général du CHU, les directeurs des deux autres centres hospitaliers, ainsi que plusieurs responsables administratifs et médicaux des trois établissements ; elle a constaté leur détermination à s'engager sur la voie du redressement et de l'optimisation dans la gestion de ce futur établissement.

Plus généralement, l'ARS a enclenché une dynamique pour gagner en efficience dans les établissements de santé : maîtriser les effectifs avec une politique de zéro recrutement ; développer les recettes avec un meilleur codage et une exhaustivité de la facturation ; optimiser les prises en charge avec le développement de l'hospitalisation de jour ; mutualiser les fonctions transverses etc.

Cette démarche positive et porteuse d'avenir pour les Martiniquais mérite d'être soutenue et accompagnée.

Or, diverses difficultés ont été portées à l'attention de la délégation, dont elle souhaite ici se faire l'écho.

? Tout d'abord, l'amélioration de l'efficience et de l'organisation ne peut donner de résultats que sur le moyen terme : la diminution du nombre d'agents ne peut être que progressive, sauf à procéder à des licenciements, ce qui ne serait pas envisageable ; l'outil de production doit être aménagé et modernisé, que ce soit en développant de nouveaux modes d'hospitalisation (de jour ou à domicile) ou en optimisant les caractéristiques techniques des plateaux techniques et leur durée d'utilisation, ce qui - là aussi - demande du temps.

Pourtant, alors que le CHU de Fort-de-France a conclu un plan de redressement financier avec l'ARS pour un retour à l'équilibre de ses comptes, il subit parallèlement, et de manière brutale, un gel ou une diminution de certaines de ses dotations budgétaires. Il serait pourtant légitime, pour les établissements qui ont conclu un plan de redressement pluriannuel avec leur ARS , de procéder à un moratoire des baisses de dotations , le temps que la situation redevienne normale. En outre, ces établissements, plus que les autres, ont besoin de stabilité et de perspectives pluriannuelles claires : comment le pool bancaire qui a tant tardé à accorder un emprunt de trésorerie au CHU en mai peut-il comprendre la décision concomitante de l'Etat d'amputer les recettes de 12,7 millions d'euros ? Il est à craindre que, la prochaine fois, le CHU aura plus de difficultés encore à trouver un partenaire financier.

? Ensuite, tant l'ARS que les représentants des établissements ont soulevé la question du juste niveau du coefficient géographique correcteur. La mise en place de la tarification à l'activité, qui s'est substituée à un financement par dotation globale, a abouti à la définition de tarifs nationaux de prestations et à celle de forfaits annuels pour certaines activités qui, par leur nature, nécessitent la mobilisation de moyens importants ; pour tenir compte d'éventuels facteurs spécifiques qui modifient de manière « manifeste, permanente et substantielle » le prix de revient de certaines prestations, un coefficient géographique peut s'appliquer à ces tarifs et forfaits 11 ( * ) .

Ce coefficient a été fixé à 25 % pour la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane ; il est de 30 % à La Réunion, de 5 % en Corse et de 7 % en Ile-de-France. L'ARS de Martinique estime de son côté que les coûts spécifiques, notamment en termes de personnel, de frais d'approche et de gestion de stocks, justifieraient un taux de 29 % ; à une question sur l'état du dialogue avec le ministère de la santé, son directeur général a répondu de manière sibylline que « des notes étaient remontées ».

Il ne revient pas à la délégation ou à la commission d'évaluer le niveau du coefficient géographique, mais il est urgent qu'une réponse précise et pérenne soit apportée aux acteurs locaux , conformément d'ailleurs au plan santé outre-mer : « Les Dom ont un besoin réel d'objectivation des effets financiers délétères de leurs spécificités ».

? Enfin, à coté des coefficients géographiques qui corrigent une part des tarifs, le même plan a judicieusement posé la question du financement de certaines activités structurellement déficitaires, notamment en raison de l'étroitesse des bassins de population : « Une étude objectivera les coûts et les besoins de financement de ces activités, qui restent à définir, parmi lesquels les services de grands brûlés, de chirurgie cardiaque, de neurochirurgie, le TEP Scan et caisson hyperbare, et à chiffrer. Compte tenu de la nécessité d'aboutir rapidement sur le financement des surcoûts liés aux activités de recours, le ministre a souhaité disposer d'éléments d'ici le 1 er décembre 2009, afin de permettre un rebasage éventuel des dotations de missions d'intérêt général dès 2010 ».

Il s'agit d'une piste intéressante, évoquée par le directeur général de l'ARS et qui mérite d'être explorée de manière précise ; pour autant, le recours aux missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (Migac), dont le montant global s'est beaucoup accru ces dernières années, ne saurait masquer l'absence d'efforts sur la gestion et l'organisation de l'offre de soins et constituer une réponse générale à toutes les questions posées. Ceci rejoint le constat fait par la commission des finances du Sénat dans un récent rapport de Jean-Jacques Jégou 12 ( * ) .

En tout état de cause, la synthèse de l'avancement du plan santé outre-mer parle toujours, au 30 juin 2011, de « travaux d'évaluation en cours de réalisation » et d'une « objectivation en cours » pour la révision des coefficients géographiques et la valorisation des activités structurellement déficitaires, alors même qu'il était question de rebaser les dotations « dès 2010 » ! Qui plus est, on a vu que certaines dotations ont bien été rebasées, mais uniquement à la baisse par application d'une réforme nationale.

3. Les autres enjeux
a) L'importance de la gestion de crise

La Martinique se situe dans une zone où les risques sanitaires sont élevés. Elle a ainsi fait face à vingt-huit crises majeures entre 2005 et 2010 : crash de l'avion de la West Caribbean à Maracaïbo au Venezuela, qui a fait cent soixante morts dont cent cinquante-deux Martiniquais le 16 août 2005 ; plusieurs séismes et événements cycloniques sur l'île ou dans la région ; diverses épidémies, dont celle de dengue en 2010 ; éruption volcanique à Montserrat qui a provoqué un nuage de fumées dans les Caraïbes...

Les équipements publics doivent être calibrés pour répondre à ces situations d'urgence, ce qui justifie un relatif surdimensionnement de certaines activités.

Les personnels et infrastructures de l'île ont été fortement mobilisés en 2010 pour venir au secours de la population, à la suite du terrible tremblement de terre à Haïti le 12 janvier qui a fait plus de 220 000 morts. Les établissements de santé ont acheminé du personnel et des équipements sur place et ont accueilli de nombreux blessés. Un « retour sur expérience » devra être réalisé pour évaluer les modalités de mobilisation en cas de survenance d'un tel événement ; d'ores et déjà, on peut estimer que la coordination, à la fois entre acteurs martiniquais et avec les équipes envoyées de métropole et des autres départements français d'Amérique, et la gestion des besoins en matériel de soins et produits pharmaceutiques doivent être améliorées.

En ce qui concerne plus précisément les établissements publics de santé ainsi mobilisés, on peut relever une certaine inadéquation de la tarification à l'activité en de telles circonstances, car la prise en charge est plus lourde et complexe que pour un patient classique ; il sera en outre nécessaire de renouveler le matériel utilisé. Surtout, l'attention de la délégation a été attirée sur l'importance des frais engagés par les hôpitaux de Martinique pour la prise en charge des blessés haïtiens, et non encore remboursés plus d'un an après : 1,3 million d'euros, dont 0,7 pour le CHU de Fort-de-France et 0,6 pour le centre hospitalier du Carbet.

Les membres de la délégation ont conjointement saisi Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé, de ce retard inadmissible 13 ( * ) : les dépenses engagées l'ont été sur demande de l'Etat ; à lui de les assumer. On l'a vu, ces établissements connaissent des situations de trésorerie très tendues (le CHU a dû contracter, en juin dernier, un emprunt de trésorerie de 22 millions pour faire face à des charges courantes de 2010). Il est légitime que la solidarité nationale prenne en charge les dépenses liées à l'intervention d'équipes envoyées sur place et à l'hospitalisation de patients haïtiens en France à la suite du tremblement de terre.

b) Périnatalité et petite enfance

La mortalité maternelle est nettement plus fréquente dans les Dom qu'en métropole et la mortalité infantile est deux fois plus élevée en Guadeloupe, Martinique et à La Réunion et presque quatre fois plus en Guyane.

Taux de mortalité infantile
(taux pour mille)*

Taux de mortalité maternelle (taux pour 100 000 naissances vivantes, période 2001-2006)**

Guadeloupe

6,9

38,8

Martinique

7,5

21,5

Guyane

13,6

47,9

La Réunion

8,0

26,4

France entière

3,8

9,6

*Source : Insee

**Source : Bulletin épidémiologique hebdomadaire
de l'Institut de veille sanitaire, n° 2-3 du 19 janvier 2010

Face à ce constat, les ARS des Dom ont pour mission d'intégrer, dans les plans régionaux de santé, l'objectif de réduire le taux de mortalité infantile évitable de 50 % en cinq ans.

L'ARS a présenté à la délégation l'état d'avancement de ses travaux en la matière. La situation présente des forces et des faiblesses : un dispositif de prise en charge diversifié, un maillage harmonieux des PMI et des centres de planning familial, un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, une démographie de sages-femmes suffisante, mais aussi des indicateurs préoccupants et des facteurs de risques médicaux et sociaux défavorables, des difficultés de coordination, des informations parcellaires et des freins culturels. Face à cela, la création des ARS doit permettre une meilleure gouvernance et les acteurs martiniquais ont marqué une volonté de redéploiements du secteur sanitaire vers la prévention.

Le projet de plan stratégique régional de santé affiche trois priorités, déclinées en objectifs :

- agir sur les indicateurs régionaux défavorables de mortalité périnatale, de naissance prématurée et d'IVG : mieux connaître et faire connaître les déterminants et les facteurs de risque à l'origine des indicateurs défavorables, assurer à chaque Martiniquais(e) une connaissance suffisante pour gérer sa vie sexuelle et reproductive, organiser sur les quatre territoires de proximité une approche multidisciplinaire coordonnant les missions des différentes structures et professionnels ;

- développer une politique de dépistage et de suivi des enfants à risque de handicap ;

- piloter, coordonner et évaluer régionalement la politique de périnatalité.

Au total, ce projet reste de portée générale . Il témoigne cependant d'une prise de conscience de l'enjeu et il sera nécessaire d'en évaluer à court terme les effets sur les statistiques de mortalité infantile et en couches.

c) Drépanocytose

La drépanocytose, première maladie génétique en France, est une pathologie de l'hémoglobine grave et incurable. Elle a pour effet une diminution de la quantité d'oxygène contenue dans le sang (hypoxie) et une augmentation de l'acidité du sang (acidose). Ses symptômes sont très divers d'une personne à l'autre : déshydratation, fatigue, fièvre, inflammation, infection et efforts physiques importants. En effet, les globules rouges drépanocytaires sont déformés, rigides, fragiles, peuvent bloquer les petits vaisseaux en formant des bouchons, transportent des gaz moins bons et vivent nettement moins longtemps que des globules normaux.

C'est une maladie autosomique récessive : les deux parents doivent donner chacun à l'enfant un allèle défectueux pour que la maladie se déclare. Lorsque le gène muté n'existe qu'en un seul exemplaire, il offre au contraire une protection contre le paludisme . C'est sans doute la raison pour laquelle il a survécu dans l'évolution génétique ; d'ailleurs, une forte prévalence des gènes mutés est observée dans les zones étant ou ayant été impaludées : Afrique centrale et de l'ouest (15-25 % de porteurs dans la population), Dom d'Amérique (10-12 %) et régions méditerranéennes (1-15 %). On estime qu'en Europe, un individu sur 250 est porteur sain du gène. En France métropolitaine, l'Ile-de-France est la région la plus concernée, avec environ une naissance sur 700 14 ( * ) , une sur 360 en Martinique.

Plus de 12 000 patients sont traités en France, dont environ la moitié d'enfants ; 30 % de ces patients sont originaires des Dom. Un dépistage néonatal a été mis en place de manière systématique depuis 1984 dans les Dom.

Depuis 1999, la Martinique a créé un centre intégré de la drépanocytose à l'hôpital du Lamentin pour permettre une prise en charge globale des patients afin de respecter l'égalité dans l'accès aux soins, de repérer les patients aux profils sévères et de gérer les périodes critiques : dépistage, prévention, éducation sanitaire, conseil génétique, information, formation et accompagnement social, professionnel et psychologique. Le seul traitement curatif est la greffe de moelle et il est essentiel d'accompagner les patients pour « gérer » au mieux la maladie, notamment pendant les crises.

La méthode thérapeutique majeure, qui peut toutefois entraîner des complications, consiste en une transfusion sanguine mensuelle tout au long de la vie. Or, aujourd'hui, la Martinique n'est pas encore équipée d'appareil à érythracytaphérèse, qui comporte d'indéniables avantages par rapport à l'échange exclusivement manuel usuellement pratiqué : meilleure tolérance clinique et hémodynamique, absence de surcharge en fer et rapidité de l'opération.

Le centre de référence des syndromes drépanocytaires majeurs du centre hospitalier du Lamentin demande l'achat de deux appareils de ce type, proposition soutenue par la délégation dans une lettre qu'elle a envoyée au ministre du travail, de l'emploi et de la santé 15 ( * ) .

La délégation soutient également les autres actions présentées lors de la mission afin de développer les échanges avec les autres centres et experts, mettre en place un registre et améliorer les ressources humaines pour mieux prendre en charge les patients, développer la recherche et amplifier les coopérations. Pour reprendre la conclusion de la présentation qui lui a été faite à l'occasion de sa visite, il s'agit de faire en sorte que le patient ait la vie la plus normale qui soit.


* 10 A noter que le choix de l'Etat de verser plus de la moitié de son aide étalée sur une longue période est certes respectueux de sa propre trésorerie, mais produit des frais financiers importants pour l'établissement.

* 11 Article L. 162-22-10 du code de la sécurité sociale.

* 12 « Les Migac : un enjeu à la croisée des réformes du secteur hospitalier », rapport Sénat n° 686 (2010-2011), 29 juin 2011.

* 13 Voir lettre en annexe.

* 14 Source : site internet de l'Inserm.

* 15 Voir lettre en annexe.

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