B. L'HABITAT INFORMEL ET L'INSALUBRITÉ

1. Un état des lieux connu et partagé par l'ensemble des acteurs

La question du logement dans les départements d'outre-mer a fait l'objet d'une attention soutenue du Sénat, que ce soit de la part de sa commission des finances, qui a produit ces dernières années deux rapports, ou de la mission commune d'information sur la situation dans les Dom.

La commission des affaires sociales en a fait un point central de ses avis budgétaires depuis plusieurs années et s'est récemment saisie pour avis de la proposition de loi portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, devenue loi n° 2011-725 du 23 juin 2011 16 ( * ) .

Sans revenir sur le rapport de Serge Larcher, le constat est unanime : le logement connaît, outre-mer, une crise particulièrement aiguë . Les explications en sont multiples : des contraintes géographiques et sociales spécifiques, des coûts de construction élevés, un foncier et un aménagement urbain limités, une faible implication des acteurs nationaux...

En outre, l'habitat insalubre y persiste de manière importante. De la même manière que pour les normes hexagonales ou communautaires appliquées trop uniformément, la lutte contre l'insalubrité est handicapée par une inadéquation des procédures définie nationalement et qui ne sont pas « déclinées » pour l'outre-mer.

C'est à partir de ce constat que Serge Letchimy, député, président du Conseil régional et ancien maire de Fort-de-France, a présenté un rapport sur ce thème au Gouvernement en septembre 2009 et a déposé la proposition de loi susmentionnée, qui a été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale et au Sénat. Elle tend à apporter des réponses concrètes à des situations de fait présentes principalement en Martinique et en Guadeloupe : mieux repérer l'habitat informel ; adapter les mesures de police (périmètres d'insalubrité, arrêté d'insalubrité et arrêté de péril) aux situations d'occupation sans droit ni titre ; faciliter l'aménagement urbain et la construction d'équipements publics en versant une aide aux occupants qui quittent leur domicile ; améliorer la procédure de déclaration de parcelle en état d'abandon manifeste et simplifier leur expropriation.

2. Le constat fait par la délégation à Fort-de-France : prendre en compte l'occupation sans droit ni titre

Selon l'article 552 du code civil, « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous » : de droit ancien, le propriétaire du terrain est ainsi présumé l'être des constructions édifiées dessus, sauf dispositions contractuelles contraires. Toutefois, la propriété peut être acquise par prescription 17 ( * ) , dans un délai de trente ans réduit à dix en cas d'acquisition de « bonne foi et par juste titre » 18 ( * ) . Ce régime de prescription acquisitive, également appelé usucapion, n'est cependant pas utilisé outre-mer, tant par méconnaissance que par impossibilité de la pratiquer sur le domaine public du fait du caractère inaliénable et imprescriptible de tels terrains 19 ( * ) .

Or, de multiples raisons expliquent le nombre très important d' occupants sans droit ni titre outre-mer. Ainsi, lors de l'exode rural brutal qui a eu lieu dans les années cinquante et soixante et en présence d'un déficit massif de logements, les « immigrés de l'intérieur » se sont installés sur les seuls terrains restant disponibles, souvent en zone à risque naturel élevé, et ont construit une « case » précaire qu'ils ont peu à peu « durcifiée », notamment lorsque leur famille les rejoignait. Cette urbanisation improvisée est relativement stabilisée en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, mais elle continue de croître à la Guyane et à Mayotte.

Le rapport de Serge Letchimy estime que, dans les quatre Dom, environ 50 000 ménages occupent ainsi sans droit ni titre des locaux ou cases construites sans permis, en dehors de toute réglementation, sur des terrains ne leur appartenant pas et sans autorisation du propriétaire. Il s'agit souvent d' occupation de bonne foi et ancienne . Les terrains d'assiette sont fréquemment une emprise publique, comme à Trénelle où la commune est propriétaire, ou à Volga-Plage, autre quartier de Fort-de-France, où l'Etat 20 ( * ) et la commune sont, chacun, propriétaires de la moitié du quartier environ. Il peut également s'agir de terrains privés, souvent en indivision ou sans propriétaire connu.

a) Le quartier Trénelle-Citron

La délégation a visité le quartier Trénelle-Citron , accompagnée de plusieurs élus locaux, Brunette Belfan, adjointe au maire de Fort-de-France, Catherine Conconne, première vice-présidente du Conseil régional, et Jocelyn Régina, élu conseiller général du canton en 2010, ainsi que de plusieurs représentants des services de l'Etat, de la mairie et de la Semaff, société d'économie mixte d'aménagement de Fort-de-France.

Situé à flanc de colline et coincé entre la rocade, la rivière et le Fort Desaix, ce quartier recouvre plus de trente et un hectares alignés sur près de deux kilomètres ; il compte aujourd'hui environ huit mille habitants . Il fait l'objet, depuis de nombreuses années, de plusieurs opérations urbaines, qui ont permis d'améliorer la vie quotidienne des habitants mais qui butent régulièrement sur des problèmes juridiques concrets ne rentrant pas dans le cadre légal métropolitain. Ses handicaps restent l'insuffisance d'équipements publics , son enclavement malgré l'ouverture récente d'un pont pour enjamber la rivière Madame à partir de la route de Balata, sa vulnérabilité globale aux risques sismique et naturel (on peut mentionner la précarité de constructions à flanc de colline en cas de pluies intenses, régulières à la Martinique).

Concrètement, la délégation a particulièrement arpenté le secteur des Berges de Briant , classé en zone rouge du plan de prévention des risques et qui subit un double enclavement : la rivière qui, si elle est en crue, en restreint fortement l'entrée ; les marches, étroites et pour le moins irrégulières, qui limitent l'accès aux habitations, y compris pour les services de secours en cas de besoin.

Elle a également constaté le caractère dynamique de la vie locale et l'attachement des habitants à leur quartier . D'ailleurs, la ville a des difficultés à reloger ailleurs un certain nombre d'entre eux qui ne veulent pas quitter Trénelle, même pour un logement social neuf.

b) Le quartier Volga-Plage

L'agence des cinquante pas géométriques a présenté à la délégation la situation particulière du quartier de Volga-Plage, construit sur la mangrove au bord de la baie de Fort-de-France. Ce secteur compte environ 2 400 habitants sur un foncier réparti entre l'Etat et la commune. Comme à Trénelle, les réseaux, notamment d'assainissement, et la circulation posent d'importantes difficultés en l'absence de programmation de l'urbanisation et d'organisation de l'habitat.

Un diagnostic urbain a été réalisé ; il met en avant la surdensité et l'exiguïté des habitats qui peuvent entraîner des conflits de voisinage, l'accessibilité réduite, la faiblesse des espaces publics, la circulation difficile et le peu de mixité des constructions, presque uniquement réservées au logement. Une étude tendant à réorganiser l'espace et le bâti doit être lancée à l'été 2011.


* 16 Avis n° 464 (2010-2011) présenté au nom de la commission des affaires sociales par Serge Larcher, sénateur, avril 2011.

* 17 Article 712 du code civil.

* 18 Articles 2272 et 2273 du code civil.

* 19 Article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques.

* 20 Zone des cinquante pas géométriques.

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