V. INUTILITÉ : LES ÉVOLUTIONS DE LA FISCALITÉ IMMOBILIÈRE

Depuis 2007, la politique menée dans le domaine de la fiscalité du logement a conduit à une progression considérable de la dépense fiscale. En outre, cette augmentation s'est faite essentiellement à destination des ménages les plus aisés et sans discernement par rapport aux véritables besoins du territoire.

A. UNE EXPLOSION DE LA DÉPENSE FISCALE

Entre 2007 et 2012, le montant des dépenses fiscales en direction de l'offre de logement 65 ( * ) est passé de 9,375 à 13,414 milliards d'euros, soit une progression de 43 % . Dans le même temps, les crédits budgétaires 66 ( * ) diminuaient de 1,004 milliard à 158 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 827 à 322 millions d'euros en crédits de paiement (CP), soit des baisses respectives de 54 % en AE et de 61 % en CP .

1. Le cadeau de la loi TEPA et l'illusion de « la France de propriétaires »

Un des thèmes majeurs des ambitions du nouveau Président de la République en 2007 était de favoriser une France « où chacun pourra accéder à la propriété de son logement » avec l'objectif de passer d'un taux de 56 % de propriétaires à un taux de 70 %.

A cette fin, la loi TEPA 67 ( * ) a remis en oeuvre, en l'élargissant, le dispositif, supprimé en 1996, de réduction d'impôt sur les intérêts d'emprunt .

Ce mécanisme, institué sans plafonnement des ressources des bénéficiaires ni limitation à la première opération d'accession à la propriété a eu un coût prohibitif, estimé à 3,7 milliards d'euros en année pleine sur la base de 740 000 prêts, pour un résultat médiocre .

C'est ce que confirme le rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales de juin 2011 68 ( * ) qui indique que le crédit d'impôt TEPA « souffre d'un fort effet d'aubaine, car il bénéficie à l'ensemble des ménages souhaitant acquérir une résidence principale et non seulement aux primo accédant, et il donne droit à un crédit d'impôt d'autant plus élevé que le ménage acquiert un bien onéreux, alors même que ce ménage avait a priori moins besoin d'aide pour son projet d'accession. Par ailleurs, en termes redistributifs, ce dispositif favorise les déciles les plus aisés. Ainsi son caractère universel favorise la hausse des prix dans les zones tendues. Enfin, n'étant pas pris en compte par les banques dans le calcul de la solvabilité des ménages, il n'a qu'un effet déclencheur limité . »

Au total, cette mesure n'aura fait progresser le taux de propriétaires qu'à son rythme antérieur pour atteindre 58 % en 2011, limité notamment par l'insolvabilité des ménages.

La réduction d'impôt sur les intérêts d'emprunt a été supprimée , comme d'autres mesures de la loi TEPA, par la loi de finances pour 2011 69 ( * ) , dans le cadre de la réforme de l'aide à l'accession à la propriété, mais elle continue de produire des effets sur les finances de l'Etat compte tenu d'une durée d'application sur les cinq premières annuités de remboursement des prêts. Elle coûte 1,9 milliard en 2011 et 1,8 milliard en 2012. Elle coûtera encore 1,6 milliard en 2013, 1,1 milliard en 2014, 650 millions en 2015 et 200 millions en 2016.

2. Le « Scellier », un « produit » cher et mal ciblé

L'article 31 de la loi de finances rectificative pour 2008 a supprimé les deux dispositifs de soutien à l'investissement locatif existant (le « Robien » créé en 2003 et recentré en 2006 ainsi que le « Borloo-neuf » institué la même année) pour les remplacer par un dispositif dit « Scellier » applicable initialement pour la période du 1 er janvier 2009 au 31 décembre 2012 70 ( * ) .

Présenté comme une avancée majeure par rapport aux mesures précédentes, le « Scellier » avait surtout comme ambition d' attirer de nouvelles catégories d'investisseurs , plus modestes, vers l'investissement locatif , à un moment où les institutionnels abandonnaient ce créneau moins rentable que celui de l'immobilier professionnel (bureaux ou commerces).

L'innovation du « Scellier » tenait au fait qu'il consistait en une réduction directe d'impôt sur le revenu alors que les niches fiscales antérieures reposaient sur le principe d'un régime d'amortissement du bien immobilier. Le « Scellier » était donc à la fois plus simple et plus compréhensible, donc plus attractif et destiné a priori à une clientèle plus large que le « Robien » 71 ( * ) .

Ce produit a en réalité amplifié les défauts des niches précédentes :

- un coût important pour l'Etat (650 millions d'euros pour 2012 selon l'estimation figurant dans le fascicule « voies et moyens » annexé au projet de loi de finances) et un coût macro économique évalué par le ministère chargé du logement à 3,9 milliards d'euros par génération dans l'hypothèse de 80 000 logements annuels pour l'année 2010 ;

- un avantage disproportionné pour l'investisseur par rapport aux conditions qui lui étaient posées. Il a pu atteindre, pour la version dite « sociale » du « Scellier », 42 % du coût total du logement, en contrepartie d'un engagement de location de 15 ans ;

- des « loyers de sortie » proches voire parfois au-delà des prix du marché , et très supérieurs aux loyers du logement social ;

- un zonage sur les marchés immobiliers tendus à la fois très contestable , compte tenu de nombreuses possibilités de dérogations discrétionnaires, et peu efficace.

De ce fait, le « Scellier » comme auparavant le « Robien », mais en plus coûteux, est bien un produit à risque pour l'investisseur , compte tenu de son inadaptation à la demande locative, et une mauvaise affaire pour l'Etat qui ne tire pas les bénéfices escomptés de son effort financier.


* 65 Total des dépenses fiscales principales sur impôts d'Etat rattachées au programme 135 « Développement et amélioration de l'offre de logement » de la mission « Ville et logement ».

* 66 Crédits budgétaires hors fonds de concours de l'action 1 « construction locative et amélioration du parc » du programme 135 sus mentionné.

* 67 Loi n°2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat.

* 68 Dit « rapport Guillaume ».

* 69 Loi n°2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011.

* 70 Le projet de loi de finances pour 2012 propose de repousser cette date au 31 décembre 2015.

* 71 Selon le rapport précité du comité d'évaluation des dépenses fiscales, un tiers des investisseurs en « Scellier » ont un taux moyen d'imposition de 14 %, mais le revenu médian de l'ensemble des investisseurs reste très élevé, soit 68 000 euros en 2009 ce qui représente le double de celui des titulaires de revenus fonciers.

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